Chapitre 5

Flax tirait une telle tête lorsque je revins que je lui fis signe de venir me voir. Il vola vers moi comme si ses ailes pesaient si lourd que chaque battement était un combat. Je ne l'avais jamais vu aussi défait. Il avait déjà raté des missions. Leur travail était difficile et ils le savaient. Ça leur empêchait de perdre le moral devant un échec. Alors pourquoi Flax était-il si déprimé ?

Il s'enfonça dans son siège, ses petites ailes s'enroulant autour de lui.

- Qu'est-ce qui ne va pas ? Il s'est passé quelque chose pendant que je n'étais pas là ?

- J'ai pas réussi à faire ce que je voulais, marmonna-t-il. Je pensais que ça serait facile. Une petite flèche et voilà. Mais ça n'a rien fait. Absolument rien. Comme si ma flèche était passée à travers. Ça ne m'était jamais arrivé ! Et la fois où ça compte vraiment, ça arrive !

- Ce n'est pas grave, Flax. Ça arrive. Tu sais que créer de tels sentiments est compliqué.

- Je lui ai dit que ce n'était pas ça, le problème, intervint Lemony.

Lemony était un drôle de Cupidon. Je n'arrivais pas à la cerner. Il n'était pas méchant mais, parfois, sa façon de dire ce qu'il pensait était vexante voire blessante. Il était honnête et c'était une bonne chose, mais il oubliait souvent d'être sensible. Comment il faisait son travail, je l'ignorais.

- Qu'est-ce que c'est, dans ce cas ?

- Il a visé quelqu'un qui a déjà des sentiments. Il devrait savoir qu'une flèche ne peut pas changer les sentiments d'un humain s'il en a déjà pour quelqu'un. Elle ne peut qu'en créer. Il n'a pas pris le temps de se renseigner avant de gaspiller cette flèche.

- C'est une petite erreur, ce n'est pas grave, rassurai-je Flax. Elle n'a aucune conséquence. Tu n'as pas à t'en faire.

- Si parce que ma cible continue d'être triste et de sentir seule et c'était la seule personne à laquelle j'ai pu penser !

Je crus qu'il allait pleurer. Je ne savais plus quoi dire. Il était dans un tel état que j'étais perdu quant à la réaction à avoir.

- Ce n'est pas grave, Flax. Vraiment. Ça marchera la prochaine fois. Si une personne a déjà des sentiments pour quelqu'un, tu ne peux rien changer.

- Je sais mais je voulais tellement rendre ma cible heureuse ! Et il n'y a personne d'autre avec qui je pourrais le mettre ! Les gens comme lui sont tellement compliqués à gérer !

- Que veux-tu dire ?

Flax s'orienta vers moi, croisant ses jambes potelées devant lui. J'avais du mal à m'habituer à avoir des discussions avec des bébés.

- Tu n'ignores rien de toutes les orientations sexuelles qui existent.

Entendre le mot « sexuelle » dans la bouche d'un bébé, c'était ce que j'avais vécu de plus perturbant. Vraiment. Un bébé d'à peine un an n'était pas censé parler de choses pareilles. Ne pouvaient-ils pas apparaître plus âgés ? Ça serait vaguement moins suspect. Je pouvais presque imaginer un adolescent. Mais un bébé ?

- Certaines sont faciles à gérer. D'autres, par contre, me posent des problèmes. En l'occurrence, c'est un demisexuel. Il n'est pas au courant de sa propre sexualité et ça complique les choses. Toujours est-il que les demisexuels sont difficiles à mettre par paire. Ce n'est pas qu'ils n'aiment pas mais... réussir à les mettre en couple est un défi parfois. Je ne peux pas faire comme avec tous les autres qui n'ont personne de prédéterminé et jouer le tour du coup de foudre. Non, parce qu'il a besoin d'une connexion avec ses partenaires. Sans quoi, mes flèches ne fonctionneraient pas. Il me faut donc quelqu'un avec qui il se sente bien, qu'il connaisse et apprécie. Il n'a pas beaucoup de monde qui peut rentrer dans cette catégorie. À vrai dire, la seule personne qui pourrait remplir tous ses critères est celle que j'ai été voir et qui a déjà des sentiments pour quelqu'un.

- Dans ce cas, ce n'est pas à toi de forcer les choses. Peut-être n'est-il pas prêt. Peut-être n'est-ce pas la bonne personne. Si ça se trouve, un gardien va l'aider à rencontrer des gens pour que, ensuite, tu puisses l'aider à trouver la bonne personne pour lui.

- Je sais que c'est la bonne personne. C'est pour ça que je ne comprends pas pourquoi ma flèche n'a pas fonctionné ! Ça n'a aucun sens !

Il se mit à taper des pieds et des poings sur la chaise, exactement comme un bébé en pleine crise le ferait. Heureusement, il n'eut pas la moindre larme. Pas même un pleur de frustration. Il s'épuisa en s'énervant dans le vide. Il s'affala ensuite dans le siège.

- Ça va mieux ? le taquinai-je.

Il me fit une grimace. Je souris.

- Non. Je veux qu'il soit heureux. Il faut que je sache qui s'est mis entre eux.

- Tu ne devrais pas t'en mêler. Et je suis sûr que ce n'est pas dans tes ordres de mission.

- Mais...

- Non, Flax. C'est une mauvaise idée. Tu ne peux pas tout régler. Si cette personne aime quelqu'un d'autre, c'est que ce n'est pas la bonne et qu'il est inutile de s'acharner. Concentre-toi sur ta prochaine cible et laisse celle-ci en paix.

Un air de défaite apparut sur son visage et ça me brisa le cœur. J'avais beau savoir qu'il allait s'en remettre rapidement, ça me faisait de la peine de le voir aussi mal. Tout ce qu'il voulait, c'était rendre une personne heureuse. C'était terrible de ne pas pouvoir le faire. Surtout pour quelqu'un d'aussi pur et généreux que Flax.

- Alors il va rester triste, objecta-t-il. Je ne veux pas qu'il soit triste.

- Ça finira par passer. Tu le sais bien. Ce n'est pas parce que ça n'a pas fonctionné cette fois qu'il est condamné. Il rencontrera quelqu'un d'autre. D'accord ?

Il hocha tristement la tête.

- Allez, va chercher ta nouvelle cible et passe à autre chose.

Il fonça soudain sur moi et passa ses petits bras autour de mon cou. Embarrassé, je lui tapotai le dos. Je ne me souvenais pas de la dernière fois où j'avais été enlacé par quelqu'un.

Après un court merci, il fila vers Cosmo qui lui tendit une nouvelle assignation. Il me fit un signe de la main avant de disparaître. Cosmo, lui, m'offrit un large sourire, celui qu'il réservait aux Cupidons qui revenaient d'une mission couronnée de succès.

Je retrouvai mes émotions de gardien. Cette satisfaction profonde à l'idée d'avoir aidé quelqu'un. De l'avoir aidé à se sentir mieux. Ça avait été ce pour quoi j'avais été entraîné. Ce que je n'avais jamais réellement pu utiliser. Protéger et sauver Declan avait été gratifiant mais rassurer Flax apportait une autre forme de satisfaction.

J'observai les Cupidons aller et venir. Tous me saluaient et venaient discuter quelques minutes avant de repartir. C'était un flux incessant. Ils travaillaient tout le temps, comme des fourmis qui se relayaient sans jamais s'arrêter.

Mes pauses me paraissaient interminables. J'en arrivais au point où j'hésitais à demander à Sabathiel de cesser de venir me chercher. Si je n'arrivais pas à dormir pendant mes pauses, le temps ne passait pas. C'était intolérable. Je ne savais plus quoi faire pour rendre cette punition plus supportable. Je commençais à avoir hâte de perdre toutes mes plumes pour que Michael soit forcé de me sortir de cet enfer personnel qu'il avait créé pour moi.

Plusieurs jours passèrent à ce rythme. C'était lent, répétitif, assommant. Les Cupidons essayaient de me remonter le moral. Ils faisaient de leur mieux, vraiment. Je leur en étais reconnaissant. Cependant, ils ne pouvaient rien faire pour moi. Tant que je ne pourrais pas agir, rien ne changerait. Je ne savais pas combien de temps encore je pourrais tenir sans devenir dingue.

Sabathiel avait essayé d'intercéder en ma faveur auprès de Gabriel qui ne pouvait rien faire. C'était à Michael d'agir et, pour le moment, il n'était pas décidé. Tant que mes ailes ne seraient pas dépouillées de toutes leurs plumes, il ne me libérerait pas.

Mon superviseur entra dans la pièce et m'offrit un large sourire. Il me rejoignit et s'installa à côté de moi. Comme tous les jours, il discuta avec moi et me donna le peu d'informations qu'il avait sur ce qu'il se passait sur Terre. Il ne savait rien de ce qui pouvait être arrivé à Declan ou Ava depuis que Meriel avait pris le relais. Pourtant, j'aurais aimé avoir des nouvelles. Ça m'aurait peut-être aidé à mieux me sentir, à me changer les idées.

Et vint mon heure et demi de repos. C'était ce que je craignais le plus. Tout ce temps sans rien faire, sans voir personne... C'étaitdifficile. Chaque jour un peu plus.

Je poussai la porte de mes quartiers avec le plus long soupir que j'ai jamais poussé. Je me laissai tomber sur mon lit et enfonçai mon visage dans mon oreiller. Je n'étais pas fatigué aussi dormir risquait d'être compliqué. Mon énergie commençait à remonter depuis la dernière fois que je l'avais déchargée. Elle commençait à tirer sur ma peau.

- Eh bien, eh bien... Dans quel état tu es.

Je tombai du lit.

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NdlA : Et voilà un nouveau chapitre ! Qu'est-ce que vous en pensez ?! Dites-moi tout, je suis curieuse de savoir !

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