Chapitre 41

Raziel devint un messager entre Meriel et moi. Le poste ne lui plaisait pas le moins du monde. Il ne cessait de râler. Pas que quoi ce soit changeât. Le gouffre qui me séparait de l'ange était devenu trop profond pour être comblé. J'avais encore du mal à l'accepter. La blessure continuait de suinter et de se rouvrir à chaque interaction.

Malgré tout, nous parvînmes à en savoir un peu plus sur les manigances de Michael. Déjà, Meriel découvrit les alliés de Michael avec une facilité déconcertante. Selon Raziel, ça avait été bien trop facile. Et je devais bien admettre qu'il marquait un point. Meriel était doué en espionnage mais à ce niveau ?

Michael avait passé des millénaires à protéger Lucifer et personne n'avait rien vu. Pas même Gabriel, son plus proche frère. Alors que Meriel, en à peine deux jours, parvienne à découvrir tous les alliés de Michael à travers les Cieux... ? C'était trop beau pour être vrai. Il y avait anguille sous roche.

Raziel criait à la complicité ; je me demandais si Michael n'avait pas choisi de dévoiler de prétendus alliés. Je n'avais pas envie de croire que Meriel soit de mèche avec le Séraphin. Pour quelle raison travaillerait-il avec lui ? Ça n'avait pas de sens.

- Il est piégé. Comme moi.

Je cillai, perdu. Avais-je parlé à haute voix sans m'en rendre compte ? Vu le regard de Samael, c'était le cas. Sa réponse me laissa un goût amer dans la bouche.

- Michael n'a rien contre Meriel.

- Michael a toujours quelque chose contre quelqu'un. C'est même étonnant qu'il n'ait encore utilisé contre toi. Pourtant, ce ne sont pas les secrets ni les faiblesses qui doivent manquer, chez toi.

- Rappelle-moi pourquoi j'essaie de t'aider déjà ?

- Je n'ai rien dit.

C'était tout ce que je parviendrais à obtenir de lui. Il pouvait se comporter comme le pire des connards sans s'excuser pour autant. Il avait passé trop de temps avec les démons. Même s'il était pardonné lors de son procès, il allait devoir réapprendre à être un ange.

- Tu ne connais pas un moyen d'utiliser les Cieux contre Michael ? Si tu as su créer un déséquilibre grâce à l'Arbre, il doit bien y avoir d'autres choses à utiliser, non ?

- Techniquement. Mais tu ne le feras jamais. Les conséquences seraient trop importantes pour que tu oses.

- Dis toujours. Tu serais surpris de ce dont je suis capable.

Il me jaugea en silence. Avec un soupir, il s'affaissa contre le mur.

- Lucifer m'a parlé d'un mécanisme dissimulé dans le Jardin. Lui seul le connaît. Il voulait que je l'utilise si jamais ma position était compromise. Je n'en ai pas eu le temps.

- À quoi il sert ?

- C'est une sorte de... siège éjectable. S'il est activé, c'est le terminus. Tout le monde descend.

- Tu veux dire que tous les anges chuteraient ?

- Oui. Tout le monde se retrouverait sur Terre. Si les Portes des Enfers étaient encore ouvertes, les démons seraient éjectés aussi. Comme elles sont fermés, personne ne sort. Techniquement. Lucifer n'était pas très sûr de lui, sur ce point.

- Et pour remonter ?

- Seul celui qui a activé le mécanisme pourra rouvrir un escalier. Il n'était pas trop sûr de ça non plus. Pas que ça lui importe puisqu'il ne comptait pas laisser un seul ange remonter.

Il était certain que ça simplifierait pas mal de choses, de faire descendre tous les anges sur Terre. Les plans de Michael seraient largement entravés et il ne pourrait plus se cacher aussi aisément. Il serait forcé de montrer où sa loyauté se tenait réellement.

Toutefois, était-ce un risque que j'étais prêt à prendre ? C'était un vrai casse-tête. Si j'activais ce mécanisme, des anges mourraient dès qu'un démon leur mettrait la main dessus. Je ne pouvais pas organiser la chute puisque personne ne serait d'accord pour activer un dispositif installé par Lucifer. Peu leur importerait combien ça me faciliterait la vie et compliquerait celle de Michael.

Il fallait aussi que je prenne en compte le fait que si je déclenchais ce mécanisme, Samael serait libéré et c'était ce qu'il voulait. Je ne pouvais pas être certain qu'il ne m'avait pas parlé de ça simplement pour être libéré de sa cellule.

Je devais prendre la meilleure décision possible mais je n'avais pas la moindre idée de ce que c'était. D'un côté, j'avais envie d'actionner le levier et de faire chuter tout le monde pour que je ne sois plus seul à devoir gérer cette merde. Nous serions tous dans le même bateau et il faudrait faire avec.

Sauf que beaucoup trop d'anges mourraient et que je ne pouvais pas fermer les yeux devant ce détail d'importance. Je ne pouvais pas envoyer des centaines de jeunes anges à l'abattoir parce que je voulais que ça soit plus facile pour moi. Ça n'aurait rien de juste et j'étais devenu un Trône. Je ne pouvais pas agir de façon égoïste.

- Il n'y a rien d'autre ? interrogeai-je.

- Pas à ma connaissance. Les Cieux doivent receler beaucoup de secrets et je ne suis au fait de très peu d'entre eux.

- Que connais-tu d'autre ? Même ce qui pourrait te paraître inutile.

Samael ajusta sa position sur sa couchette. Pour la première fois, je pus voir le véritable Chérubin en lui. Il me fit penser à un mathématicien devant une équation particulièrement complexe qui l'obséderait jusqu'à ce qu'il l'ait résolue.

Il se mit à réciter tout ce qu'il connaissait. Je demandais un maximum de précisions mais rien ne pourrait m'aider. Rien du tout. Il n'y avait rien dans les connaissances de Samael qui puisse m'être utile. Pas même pour faire diversion.

J'avais perdu deux heures. Je n'avais pas avancé. Au contraire, j'avais l'impression d'avoir reculé.

Comme l'avait dit Samael, le conseil n'allait pas tarder à reprendre et j'allais devoir faire de mon mieux pour confondre Michael sans avoir la moindre preuve. Raziel avait pensé à lui faire perdre tous ses alliés. C'était une bonne idée. Encore fallait-il pouvoir être sûr des informations de Meriel. Elles avaient été trop aisément acquises et même lui ne pouvait pas l'avoir eue aussi facile.

Ma migraine était de retour.

- Je peux te faire une suggestion ?

- Fais-toi plaisir, répondis-je, mentalement épuisé.

- Tu cherches compliqué alors que tu pourrais faire simple. Tu prends le problème à l'envers. Tu veux montrer à tout le monde que Michael est mauvais, qu'il utilise les gens pour garder le déchu en vie, qu'il manipule la vérité pour servir son but. Qu'est-ce que tu y gagneras, si tu réussis ? Tout le monde saura, certes. Il sera emprisonné. Peut-être déchoira-t-il. Ou alors, il t'échappera ou te fera tuer. En attendant, Lucifer sera toujours libre sur Terre à créer son règne de terreur.

- Où veux-tu en venir ?

- Et si tu te trompais de tête ? Et si celle à couper n'était pas celle de Michael mais celle de Lucifer ? Enlève Lucifer de l'équation et Michael redevient un agneau. Ou alors, il te tue et redevient un agneau.

- Ça serait une solution si ça n'incluait pas de détruire Lucifer qui est toujours un archange et qui me fera tuer, raillai-je. Au cas où tu ne t'en serais pas rendu compte, c'est ce que j'essaie d'éviter !

Samael haussa les épaules.

- Trouve quelqu'un pour le faire à ta place, dans ce cas.

- Je ne ferais pas tuer quelqu'un à ma place !

- Vous êtes drôlement agaçants, vous les Trônes, pesta-t-il. Rien ne vous va jamais. C'est une guerre, Rahel. Des sacrifices doivent être faits. Plus tôt tu l'accepteras, mieux ça sera.

- Je ne ferais pas tuer quelqu'un à ma place, répétai-je, appuyant sur chaque syllabe.

- À ta guise. Pense quand même à ce que je t'ai dit. Michael n'est peut-être pas le domino que tu fois faire tomber pour enrayer la machine. Tu devrais retourner à l'entrée. Ton tour de garde va se finir dans deux minutes.

Je me saisis de la chaise et repris la position que j'aurais dû avoir gardée depuis le début. Lorsque Uzziel arriva, je frémis. Il ne m'effrayait plus autant que la première fois que je l'avais vu mais je n'étais toujours pas rassuré lorsqu'il était aussi... expressif. À mes yeux, ça n'amenait rien de bon. Après tout, la dernière fois, il m'annonçait que je devenais un archange. C'était mieux que de mourir mais ça n'avait pas été un cadeau non plus.

- Michael te cherche, lança-t-il. Il paraît que tu n'as pas été à ta séance.

- Je suis quelqu'un d'occupé, que veux-tu, rétorquai-je.

Uzziel eut un sourire dont le seul qualificatif pouvait être « carnassier ». En clair, j'étais dans de sales draps.

Je fis de mon mieux pour dissimuler mon appréhension devant Uzziel en partant. Il n'avait pas besoin de savoir que je redoutais quelque peu de confronter Michael. Je n'étais pas prêt à lui faire face. J'avais trop de choses en tête, trop de ressentiment et de ras-le-bol. Il le lirait tout de suite en moi.

Je soupirai et me résignai à mon sort. Je me dirigeai vers le parc où se tenaient les séances de méditation.

Le paysage me parut différent. Plus sombre et sinistre. Comme si un orage n'allait pas tarder à exploser et à noyer l'endroit. Gabriel ne se trouvait pas à sa place habituelle. J'eus beau le chercher du regard, il n'était nulle part. Seul Michael se tenait contre le tronc massif d'un acacia. Un frisson glacé dévala ma colonne vertébrale face à l'expression qu'il arborait. Même Lucifer n'aurait pu conjurer un air aussi... mauvais.

- Je peux savoir pourquoi tu n'es pas venu à ta séance précédente ?

- Je suis allé dormir. J'étais trop fatigué.

C'était l'entière vérité et il dut le sentir puisqu'il parut encore plus furieux. Espérait-il me surprendre en flagrant délit de mensonge ? Dommage pour lui, j'avais une jolie excuse irréfutable.

Un rictus carnassier se dessina sur ses lèvres. Ma salive eut un goût de plomb en descendant dans ma gorge.

- Je me demande bien ce qui a pu te fatiguer autant.

Sa question puait la rhétorique. Il n'attendait pas de réponse de ma part. Il s'était déjà fait une idée de ce qu'elle était et ça lui suffisait. Ou alors...

Il bougea, traînant derrière lui une silhouette que je n'eus aucun mal à reconnaître. Meriel. La honte et la colère étaient incrustées dans ses traits. Il n'osa pas lever les yeux vers moi.

Et moi, j'étais perdu et quelque peu en train de paniquer. Que faisait-il là ? Pourquoi Michael le traînait-il comme un prisonnier ? Meriel s'était-il fait prendre en train de l'espionner ? Que se passait-il ?

- Je pense que ton petit copain a la réponse. N'est-ce pas, Meriel ?

Le concerné garda les lèvres serrées, les mâchoires aussi crispées que ses poings.

- Tu n'es pas très bavard, soudain. Tu l'étais un peu plus tout à l'heure. Dois-je te rappeler ce que tu risques ?

Avec cette seule phrase, je sus que Samael avait eu raison. Michael avait quelque chose contre Meriel et il s'en servait pour le retourner contre moi. Il allait falloir que je trouve rapidement un moyen de le contrer.

- Tes informations sont périmées, fis-je mine de jubiler.

Michael se détourna de Meriel pour me jeter un regard curieux.

- Que veux-tu dire ?

- Je veux dire que ce n'est plus mon « petit copain ».

J'allai jusqu'à imiter les guillemets, aussi ringard et stupide que ça soit. C'était lui qui parlait comme un adolescent boutonneux, après tout.

- Tu dis ça pour que je le laisse tranquille.

- Je ne me donnerais pas cette peine pour quelqu'un qui me prend de haut et me compare à ton frère préféré. Franchement, un vrai tue-l'amour. Tu peux demander aux Cupidons, si tu ne me crois pas.

- Comme s'ils allaient dire quelque chose de différent ! Tu les as tous à ta botte !

- Tout est dans la personnalité. Ils aiment les gentils. Dommage pour toi. Ça doit être le seul secteur où tu n'as pas pu infiltrer quelqu'un. Est-ce que je me trompe ?

L'absence de réponse qui suivit fut la seule réponse dont j'avais besoin. Les Cupidons étaient les seuls à ne pas être corrompus. C'était un soulagement. Je savais où chercher des alliés si le besoin s'en faisait sentir.

- Ce n'est pas comme ça que tu vas le sauver.

- Qui a dit que je cherchais à le sauver ? rétorquai-je, ouvertement moqueur. Soyons honnêtes, je ne vais pas m'épuiser en vain pour quelqu'un qui m'embrasse un jour pour ensuite me dire que je suis comme Lucifer ! Et puis, ce n'est pas comme si j'ignorais que rien de ce que je pourrais dire ou faire te fera le relâcher. Je suis trop fatigué pour m'en prendre à un mur.

Je ne prêtai aucune attention à l'air horrifié et paniqué de Meriel. Si lui me croyait, Michael aussi. C'était aussi simple que ça. Tant que Meriel était certain que je ne chercherais pas à le sortir de cette galère, Michael me penserait sincère.

Ce dernier eut un rire grinçant, tapotant l'épaule de Meriel avec une violence nullement nécessaire.

- Tu entends ça ?! Tu as tout fait pour l'aider et le protéger et lui, il te laisse tomber comme une vieille chaussette ! C'est de sa faute si tu en es là et lui s'en lave les mains. À toi de voir si tu ne préfères pas changer d'avis sur notre partenariat.

Je sentis les yeux de Meriel me brûler la peau. Je ne cédai pas. Je luttai contre mon envie de serrer les poings, contre la crispation de ma mâchoire pour avoir l'air aussi détaché que possible.

Le silence se prolongea et je finis par jeter un regard à mon ancien partenaire. Ses iris étaient si écarquillés que le turquoise n'était plus qu'un fin rond de lumière autour d'un trou noir empli d'angoisse. Tout mon être réagit à le voir comme ça et ce fut une douleur atroce de retenir toute réaction instinctive.

- Non, finit-il par dire, dans un souffle qui m'apparut plein d'espoir.

Michael rit de plus belle.

- Dommage pour toi. C'était ta dernière chance de changer d'avis. Tu ne pourras t'en prendre qu'à toi-même quand il te regardera mourir sans réagir.

Le Séraphin ramena son attention sur moi.

- Je sais que tu es au courant. J'ai établi tout un plan pour te soumettre mais ton manque de réaction face à ton petit ami me laisse perplexe. Es-tu vraiment indifférent à ce que je pourrais lui faire subir pour que tu cesses de travailler contre moi ?

- Rien ni personne ne m'empêchera de tout faire pour détruire ton frangin adoré et toi avec.

- J'ai protégé Lucifer durant des millénaires et tu crois que tu peux quelque chose contre moi ? Toi ?

- Tu serais surpris de ce dont je suis capable lorsque je suis décidé. On dirait que ce n'est pas par hasard que je suis devenu un Trône.

- Ne t'en va pas croire que ton ascension te place au même niveau que moi, rétorqua Michael, postillonnant un venin acide. Tu es un abomination, rien d'autre. Une erreur.

- Tu n'es pas le premier à me le dire. Ça élimine tout l'effet de tes insultes, tu sais.

Pas vraiment mais il n'avait pas de savoir que l'écho des insultes que mes parents m'avaient crachées au visage avant de me jeter dehors résonnait dans ma tête. Je n'oublierais jamais ce qu'ils m'avaient infligé. Avec les décennies, toutefois, la lame avait perdu de son tranchant. Elle était toujours là, mais la blessure avait cicatrisé autour.

Michael raffermit sa prise sur Meriel qui grimaça. Ça n'avait pas l'air volontaire de sa part d'écraser ainsi l'aile de l'ange. J'étais assez intelligent pour savoir que ça l'était. Bientôt, il s'abaisserait à lui arracher les plumes pour le torturer.

- Cette conversation devient un peu trop longue à mon goût. Passons aux choses sérieuses.

- Et moi qui pensais que c'était déjà du sérieux, ironisai-je.

- Je serais toi, j'arrêterais de faire le malin, Rahel. Tu ignores les conséquences que ça peut avoir.

- Heureusement que tu n'es pas moi, alors.

Michael m'assassina du regard. Il fit bouger Meriel qui étouffa un glapissement de douleur. Je fis de mon mieux pour ne pas le laisser voir que ça m'affectait. Car peu importait ce qu'il s'était passé entre moi et Meriel, je ne pouvais pas supporter de le voir souffrir.

- Si tu veux qu'il reste en vie, tu vas faire ce que je te dis, exigea Michael.

- Tu me prends pour un abruti ou c'est une idée ? Tu ne peux pas le tuer. Et n'essaie pas de trouver une excuse qui rendrait ça possible parce qu'on sait tous les deux que tu serais foudroyé sur place si tu le faisais. Donc, tu bluffes très mal. Essaie encore avec un peu plus de conviction.

- Je n'ai jamais dit que je serais celui qui le tuerait.

Il leva un bras, semblant appeler quelqu'un qui se serait caché sous le couvert des arbres. Un sourire sinistre étirait ses lèvres, une lueur terrifiante dans le regard.

Une silhouette s'avança vers nous et un frisson dévala ma colonne vertébrale. Je pourrais reconnaître cette aura n'importe où, dans n'importe quel corps.

Lucifer.

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NdlA : je sais, je n'ai pas posté depuis vendredi dernier mais disons que cette semaine avant mes congés a été compliquée. Entre les insomnies, le boulot et mes projets annexes, tout ce qui concerne l'écriture et Wattpad a été impossible à gérer. Si j'ai écrit une page en une semaine, je peux m'estimer heureuse !

Bref, je n'ai pas été au meilleur de ma forme cette semaine et que Mercure soit en rétrograde ne m'aide absolument pas ! Mes émotions sont sur un parcours de montagne russe et c'est épuisant. Surtout que ça influe aussi sur la plupart de mes amis et de mes proches (qui ne s'en rendent pas compte puisque l'astrologie ne les intéresse pas).

Enfin, j'espère que ce chapitre vous aura plu quand même malgré son retard !

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