Chapitre 4
Pour la première fois depuis que je travaillais avec les Cupidons, je profitai de mon heure et demie de repos pour dormir. D'ordinaire, je ruminais ou je tournais en rond dans tout l'espace que je parvenais à atteindre. J'avais cessé d'utiliser les couloirs. Ils s'étendaient à l'infini et je finissais par faire demi-tour dans un état frôlant la panique.
Je ne dormis pas parce que j'étais fatigué. C'était plutôt pour oublier ce que Gabriel m'avait révélé. Je ne tenais pas à y penser plus que nécessaire. Je ne voulais pas devenir un archange. La seule chose bien à propos de cette évolution serait de pouvoir faire face à Lucifer dans le cas où cela arriverait. Je serais plus puissant qu'avant et j'aurais moins de chance de mourir. Pour le reste, je ne voyais rien qui en vaille la peine.
- Tu as l'air si déprimé que ça me donne mal à la tête.
Je relevai la tête pour regarder Pepper qui voletait devant mon visage, ses courtes ailes battant l'air à toute vitesse pour le maintenir sur place.
- Assis-toi, tu me donnes la nausée, répliquai-je.
Il me fit une grimace avant d'obtempérer. Il balança ses petites jambes dans le vide comme un enfant hyperactif.
- Tu as été voir pour tes ailes ?
- Oui. Ils ne peuvent rien faire.
Je n'aimais pas mentir aux Cupidons. Ils avaient beau être épuisants, ils étaient toujours si gentils et chaleureux envers moi que je me sentais coupable. Toutefois, Gabriel m'avait bien dit que personne ne devait savoir. Je n'avais pas d'autre choix.
- Est-ce que... Est-ce que tu vas mourir ? murmura-t-il, horrifié.
- Je n'en sais rien.
C'était une question que je me posais aussi, à vrai dire. Allais-je à nouveau mourir pour monter un nouvel échelon ? J'avais dû mourir pour passer d'humain à ange. Une seconde mort pouvait m'attendre pour passer d'ange à archange.
- Je suis sûr que ça va aller. Il ne peut en aller autrement.
- J'en doute.
Pepper jaillit de son siège, un large sourire sur les lèvres.
- Crois-moi ! Je sais de quoi je parle !
Je fronçai les sourcils.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
Il se contenta de sourire et d'un petit « ne t'inquiète pas ! » avant de s'éloigner en battant des ailes à toute vitesse. Je soupirai. Je n'avais pas l'énergie ni l'envie de le poursuivre. Pas qu'il ne soit pas trop rapide pour moi, de toute façon.
Le temps passait étrangement chez les Cupidons. Les Cieux voyaient le temps passer plus vite que sur Terre mais les Cupidons semblaient évoluer dans un espace-temps qui leur était propre. Je savais que deux heures étaient passées lorsque mon superviseur venait me chercher pour ma pause. Toutefois, parfois, ces deux heures pouvaient paraître durer intolérablement longtemps ou passer à la vitesse de l'éclair. C'était étrange comment deux heures ne passaient jamais à la même vitesse depuis que je devais travailler chez les Cupidons.
Peut-être cela venait-il de leur constante activité. Ils ne s'arrêtaient jamais. Ils devaient répandre l'amour dans le monde entier aussi n'avaient-ils pas le temps de se reposer. Pour eux, il faisait constamment jour. Ce qui signifiait qu'ils devaient toujours travailler. Ils étaient infatigables. Ce devait être dans leur nature. Ils devaient avoir été créés pour ne jamais s'arrêter.
Je tressaillis lorsque la porte s'ouvrit. Je ne pus retenir un sourire en voyant entrer Sabathiel. Il vint s'asseoir à côté de moi. Ses yeux ne quittaient pas mes ailes. Il avait l'air proprement horrifié.
- J'ai beau savoir ce qui t'arrive, c'est horrible ! J'ai mal pour toi !
- Ce n'est pas douloureux, assurai-je. Ça me démange plus qu'autre chose. Je suis content de ne pas pouvoir contempler les dégâts. Ce que je vois de mes ailes a encore toutes ses plumes.
- Tu vas bientôt avoir des ailes de chauve-souris. Il ne te reste plus beaucoup de plumes, Rahel. Il t'en reste sur les pointes mais ailleurs... La peau est majoritairement à nue.
Je le savais. Toutefois, je ne pouvais le lui dire. Ça serait révéler que Flax avait volé un miroir sur Terre pour me l'amener. Je ne pouvais pas lui faire ça. Il l'avait fait par bonté pour moi. Par amitié.
- Que penses-tu de ce qui t'arrive ? murmura-t-il. Es-tu excité à l'idée d'avoir des ailes de feu ? C'est mieux que des ailes banales comme les nôtres, non ?
- Pas vraiment. J'aime mes ailes telles qu'elles sont. Telles qu'elles étaient, plutôt. Je ne veux pas des ailes des Trônes.
- Je les aime bien, moi. Ce sont les seules qui ont vraiment de l'allure. Les nôtres sont si... banales.
- Je te donne mes prochaines ailes volontiers si ça me permet de garder des ailes « banales ».
- Ne sois pas rabat-joie ! Si tu deviens un archange, c'est parce que c'est la meilleure chose pour toi. Sinon, tu resterais un gardien.
- Peu importe ce que je veux, quoi.
- Non, bien sûr que non. Je suppose que, si vraiment tu ne veux pas, peut-être que le processus peut s'inverser. C'est un phénomène si rare que j'ignore comment il fonctionne, pour tout te dire. Je ne pense pas que quiconque le sache réellement. Mais, avec de la volonté, tout est possible, non ?
Je haussai les épaules. Je ne savais pas quoi dire. J'aimerais qu'il ait raison. Que je puisse inverser cette transformation et redevenir normal. Ou, au moins, garder mes ailes. Je n'avais rien demandé et on me forçait à devenir un archange. Ils pouvaient au moins m'accorder de garder mes ailes, non ? Sauf que je ne savais pas si ça serait possible. Il faudrait que je demande à Gabriel et je doutais qu'il ait la réponse, tout archange des Chérubins qu'il soit.
- Tout va bien se passer, Rahel. Ça ne sera pas facile mais après tout ce que tu as déjà fait sur Terre, ça sera la chose la plus facile au monde.
D'ordinaire, ses mots me réconfortaient. Toutefois, ça ne marchait pas, cette fois-ci. J'étais toujours aussi angoissé, aussi perdu.
Je décidai de changer de conversation. Je n'avais plus envie de parler de mon proche avenir.
- Des nouvelles d'en-bas ?
- Rien de suspect. Les démons qui sont coincés hors de l'Enfer ne se sont pas encore manifestés. Toutes les Puissances surveillent la Terre au cas où mais, pour le moment, il n'y a aucun signe de Lucifer ou de ses démons.
J'eus envie de rire lorsque toutes ses plumes se hérissèrent lorsqu'il prononça le mot « démon ». Il me fusilla du regard.
- Ce n'est pas drôle, assena-t-il en commençant à lisser ses ailes. Tu n'imagines pas combien ça peut être handicapant.
- J'ai pris l'habitude. Je n'en ressens plus les effets. Mais, parfois, je finissais en boule de plumes aussi. Maintenant que je me suis retrouvé devant Lucifer... Ça n'a plus beaucoup d'effet. Pas que ça change quoi que ce soit.
Sabathiel posa une main sur mon épaule et la pressa avec douceur.
- Va prendre ta pause. Tu en as besoin.
Je ne cherchai pas à lui dire que je n'avais pas envie de quitter la seule compagnie que j'avais eue depuis plus de quatre mois. Je me levai et partis vers mes quartiers. Je me laissai tomber sur mon lit et observai le plafond. Mes ailes me faisaient mal, écrasées sous mon dos. La peau nue me brûlait et me démangeait. Les plumes restantes s'enfonçaient dans mes os. Je ne bougeai pas.
Je ne cessais de retourner ma conversation avec Gabriel dans tous les sens. Se pouvait-il qu'il y ait une échappatoire ? Si l'Univers, Dieu ou peu importe sa dénomination, pensait que c'était ce qu'il y avait de mieux pour moi, la façon parfaite de rembourser ce que m'avait fait Cassiel, je doutais de pouvoir aller contre lui. Après tout, ce n'était pas comme si je pouvais plaider ma cause.
Il allait me falloir du temps pour accepter ce qui m'attendait. Si je ne pouvais rien changer, à quoi bon m'angoisser ? C'était inutile. Mieux valait avaler la pilule et passer à autre chose. Malheureusement pour moi, être enfermé seul avec les Cupidons n'était pas la meilleure situation pour me changer les idées.
Je soupirai et me redressai. Il était temps de retourner travailler.
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NdlA : Et un nouveau chapitre ! Qu'est-ce que vous en avez pensé ? Dites-moi tout !
A la semaine prochaine !
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