Chapitre 39
Plus j'y songeai et plus Gabriel paraissait avoir raison. Je pouvais retourner tous les faits et les exposer à la lumière de la vision du Chérubin et c'était comme si les pièces du puzzle s'emboîtaient avec un naturel frustrant. Le plus énervant était que j'y avais songé. Que l'idée m'était venue que Samael ne soit qu'un pantin dans les jeux de Lucifer. Je m'étais laissé convaincre du contraire et maintenant, je me sentais très, très idiot.
Ce qui me dérangeait le plus était le fait que tous mes plans tombaient à l'eau. J'avais envie de croire que Gabriel avait tort, ne serait-ce que pour m'épargner le mal de prévoir de nouveaux moyens de mettre Samael et Lucifer échec et mat. Toutefois, que je le veuille ou non, il allait falloir réfléchir à un moyen d'agir en conséquence. Je préférais être préparé à toutes les éventualités.
Si Samael n'était vraiment rien d'autre qu'une marionnette, comment pouvais-je m'en servir contre Lucifer ? Il semblait suffisamment sûr de lui pour le laisser agir en solo. Il n'envisagerait pas que Samael puisse être influencé au point de retourner sa veste sans même s'en rendre compte. C'était la meilleure solution pour parvenir à un résultat. Le tout était de réussir à trouver comment reprendre le contrôle de Samael pour le retourner contre son maître.
J'appuyai mon visage dans mes mains avec un long soupir. C'était dans un cas pareil que j'aurais eu besoin de Meriel et de ses talents. Il aurait monté tout un scénario en un claquement de doigts. Moi ? Je n'étais pas aussi doué pour transformer manipulation en stratégie. Je ne savais pas ce qui pouvait faire tiquer Samael ou ce qui pourrait le motiver à trahir Lucifer. Je n'avais aucune idée de la manière de m'y prendre.
Je n'étais pas prêt à aller demander son aide à Meriel pour autant. Je pouvais trouver de l'aide ailleurs. Il me fallait juste trouver la bonne personne pour m'aider. Il devait forcément y avoir un autre ange capable de prévoir un plan d'action pour le cas où Gabriel aurait raison.
Je me redressai et quittai mes quartiers pour rejoindre ma tour. Je devais applaudir l'initiative de Cassiel d'avoir pensé à créer cette tour qui me permettait d'avoir une vue plongeante sur tous les Cieux. Je n'étais pas certain de savoir comment c'était possible puisque toutes les pièces avaient un plafond mais, en l'instant, je m'en moquais. J'avais besoin de trouver celui qui m'aiderait et le comment m'importait peu.
Je n'eus pas le temps de poser le pied sur la première marche que mon prénom retentit derrière moi. Un sourcil haussé, je me retournai. Raziel se dirigeait droit vers moi, son air à la fois décidé et incertain. Son visage, déjà dépourvu de relief, m'apparaissait assez flou pour me donner la nausée tant ses ailes tourbillonnaient rapidement autour de lui. Il était encore plus agité qu'il ne le laissait paraître. Il s'arrêta devant moi et inclina la tête, habitude qu'il avait prise depuis qu'il avait reconnu ma primauté sur le poste d'Archange.
- Il faut qu'on parle, dit-il, raide et tendu. Au plus tôt.
- De quoi ?
- Du traître. C'est important. C'est quelque chose que tu dois savoir.
Je haussai un sourcil et le sondai longuement sans répondre. Son agitation à elle seule me donnait envie de le faire monter dans la tour pour discuter. Cependant, j'avais appris de mes erreurs. Surtout avec Raziel.
Plutôt que de l'emmener dans la tour, je gagnai le premier bureau privé vide que je trouvai. L'avantage d'être un Archange était de pouvoir m'approprier n'importe quel endroit dans la zone des Trône sans que personne n'y voit quelque chose à redire.
Je m'appuyai contre le bureau et croisai les bras, observant Raziel fermer prudemment la porte derrière lui. Sa peau sombre ressortait contre le fond blanc, emblème des Cieux. Il laissa libre court à son agitation dès que nous fûmes isolés du reste. Je ne l'avais jamais vu dans un tel état. Je n'avais pas la moindre idée de ce qu'il avait à me dire mais j'étais loin d'être rassuré.
- Tout d'abord, commença Raziel, il faut que tu me croies. Parce que c'est la vérité. L'entière vérité. Si je pouvais te montrer ce que j'ai vu et entendu, je le ferais. Nos rapports n'ont jamais été cordiaux mais tu dois me croire, Rahel.
- Je verrais quand tu m'auras dit ce que tu as à me dire.
Raziel ne parut pas ravi de ma réponse mais je n'en avais pas d'autre à lui donner. Peu importait ce qu'il avait à me révéler, je ne pouvais pas lui faire la promesse d'accepter chaque fois en tant que vérité absolue. J'étais plus honnête que ça, même avec lui.
Il inspira profondément et se laissa choir dans la chaise la plus proche de lui. Je m'étonnais encore de ne pas voir les meubles prendre feu lorsque les ailes de feu des Trônes les touchaient. Les miennes étaient plus facilement gérables que les leurs et, même si j'aurais dû être habitué, j'étais loin de l'être.
- Je devais aller porter un message à Sabathiel et j'ai vu Uzziel hors de la prison. Je savais que c'était son tour de garde – nous savons tous qui doit surveiller Samael à chaque moment – alors ça parut bizarre. J'ai utilisé la seconde entrée de la prison pour...
- Il y a une autre entrée ?!
Raziel roula des yeux, agacé.
- Évidemment. C'est une prison au cœur des Cieux. Il est préférable pour tout le monde qu'il y ait une issue de secours.
Je n'appréciai pas son ton condescendant mais je ne fis aucune remarque. Il avala sa salive et reprit son récit.
- Je suis donc passé par la seconde entrée et je me suis approché de la cellule du traître. J'ai reconnu la voix de Michael.
- Michael ? répétai-je, dubitatif.
Gabriel et Michael étaient les deux seuls qui n'étaient pas censés surveiller Samael. Le premier pour des raisons évidentes, le second pour s'occuper du premier. Alors qu'est-ce que Michael avait bien pu faire dans la prison ? Ça n'avait pas de sens. Il aurait dû être dans le parc à aider Gabriel à se remettre.
- Oui. J'ai été aussi surpris que toi. Alors j'ai... écouté.
Il paraissait presque honteux d'avoir espionné Michael. Pourtant, les Trônes étaient plus ou moins faits pour ça, espionner les autres anges pour obtenir les informations nécessaires aux jugements et autres. Je n'aurais pas cru que les Trônes auraient choisi cette méthode mais elle était efficace.
Je supposais que la position de Michael le rendait intouchable. Normalement. Être pris en flagrant délit remettait tout en perspective et Raziel avait dû être tiraillé entre sa confiance envers l'Archange et son besoin de savoir ce qu'il faisait là. J'étais bien content qu'il ait choisi de l'espionner plutôt que de le protéger.
- Qu'a-t-il dit ? questionnai-je, faisant de mon mieux pour adopter un ton calme destiné à le rassurer.
Raziel s'agita sur sa chaise, ses ailes tourbillonnant si vite que je dus regarder ailleurs. Je n'avais rien à vomir mais si je continuais à l'observer, mon estomac trouverait quelque chose à rendre.
- Il a parlé au traître de ce qu'il était censé faire, de sa mission. J'espère avoir mal compris mais si ce n'est pas le cas, Michael est celui qui a chargé Samael de faire tout ça, pas le déchu.
Il ne me laissa pas le temps d'intervenir qu'il reprit, ses mots jaillissant de sa bouche à toute vitesse.
- Il a parlé de prendre le rôle que Michael lui a donné, d'aller jusqu'au bout. Qu'il ne pouvait pas s'arrêter avant d'en avoir fini. Qu'il fallait, plus que jamais, aller jusqu'au bout.
- Au bout de quoi ?
- Il ne l'a pas dit. Il a juste dit que le traître devait absolument aller jusqu'au bout de sa mission sans quoi il en paierait le prix. J'ignore de quoi ils parlaient mais le traître n'était pas d'accord pour continuer. Il disait que ça devenait trop dangereux. Qu'il refusait de prendre ce risque. Michael ne lui a pas laissé le choix. Je n'ai pas entendu ce qu'il a dit lorsqu'il l'a menacé mais le traître a cédé. Michael détient quelque chose contre lui et l'agite au-dessus de sa tête pour qu'il fasse ce qu'il veut.
Je me mis à faire les cent pas, agité. Si ce que Raziel disait était vrai, ça compliquait beaucoup de choses. Je ne comprenais pas pourquoi Michael se serait allié à Samael. Il n'avait aucune raison de faire ça. Ça n'avait aucun sens.
Mais si Raziel inventait cette histoire, qu'avait-il à y gagner ? Nous nous étions associés. Nous n'étions toujours pas les plus proches mais nous nous étions mis d'accord pour travailler ensemble. Il n'avait aucune raison de me mentir sur quelque chose d'aussi énorme. Il devait se douter qu'il serait pris très rapidement, si c'était le cas. Donc, selon toute logique, il devait dire vrai.
Ce qui ne m'expliquait pas pourquoi Michael ferait chanter Samael. Se pouvait-il que Uzziel sache quelque chose ? Après tout, il avait gardé la porte pour Michael. S'il était au courant, je doutais que ça soit Michael qui lui ait révélé quoi que ce soit. Comme Raziel, il l'aurait surpris.
D'abord Gabriel qui remettait en doute tout ce que j'avais tenu pour acquis et maintenant, ça ! Arrivait-il un moment où je serais sûr de la manière d'agir vis-à-vis de la situation de Samael ? Ou les choses continueraient-elles de se dévoiler une à une, détruisant toutes mes stratégies à mesure que je les planifiais ?
- Dis-m'en plus, exigeai-je. Qu'as-tu entendu d'autre ?
Raziel hésita, les yeux rivés sur moi, étudiant le moindre de mes mouvements.
- Hum, Michael a parlé de devoir. Il a dit au traître qu'il était de son devoir de finir sa mission, que c'était absolument nécessaire. Que maintenant qu'il avait commencé, il devait aller jusqu'au bout. Que c'était une question de vie ou de mort.
Je me figeai.
- Une question de vie ou de mort ? répétai-je. Tu es sûr que c'est ce qu'il a dit ?
- Oui. Il a dit au traître qu'il devait aller au bout de sa mission parce que c'était une question de survie, et pas seulement pour lui.
Non. C'était impossible. Je refusais d'y croire. C'était totalement improbable, impensable. Aussi cohérent que soit le récit de Raziel, il devait s'être trompé. Il ne pouvait en aller autrement. Je ne pouvais pas croire que Michael...
Il me fallait des preuves. Sans ça, je ne pouvais rien faire.
Comme s'il avait lu dans mes pensées, Raziel se réajusta dans son siège et se racla la gorge.
- Tu dois me croire, dit-il. Je sais que je n'ai rien pour te prouver que je ne mens pas et que la confiance n'a jamais régné entre nous mais je te dis la vérité. Michael a chargé le traître d'une mission et il détient quelque chose qui le force à faire ce qu'il veut. Et je suis prêt à parier mes ailes que ça a quelque chose à voir avec toute cette débâcle avec le déchu.
- Tu es en train de me dire que, selon toi, Michael serait derrière tout ça ? Derrière la réouverture des portes des Enfers, la fuite de Lucifer... ?
- Je pense que Michael est un lâche qui se cache derrière tous les prétextes possibles pour ne pas faire ce qu'il aurait toujours dû faire. Utiliser un ange comme bouclier ne serait pas la pire chose qu'il aurait faite pour se protéger. Il n'est pas tout blanc, au contraire. Aucun d'entre nous ne l'est vraiment, étonnamment. Mais Michael a fait des choses pour ne pas avoir à tuer le déchu qui sont pour le moins... discutables.
Je m'orientai vers lui.
- Du genre ?
- Depuis toujours Michael a protégé le déchu. Une fois qu'il a eu chuté, Michael a tout fait pour ne pas avoir à l'affronter. Il lui a cherché des excuses, a tenté de réparer les liens. Le déchu n'a rien voulu entendre. Depuis, Michael a tout fait pour faire oublier l'existence même des Enfers et de leur chef de file. Avec ce qu'il se passe ces temps-ci...
- Je te croyais surpris par ses actions.
- Je le suis. Simplement, je ne le suis pas pour la même raison que toi. Je ne pensais pas qu'il en arriverait à faire tuer des gens pour protéger le Diable !
Ses ailes jetèrent des étincelles un peu partout autour de lui, sa réaction personnelle face aux nombreuses dénominations de Lucifer.
Le silence se poursuivit, résonnant douloureusement dans le bureau. Raziel pensait-il réellement que Michael avait soudoyé Samael pour couvrir Lucifer ? Que celui qui manipulait les ficelles n'était pas le Diable mais le fils préféré des Cieux ? C'était impossible. Improbable. Ça n'avait pas de sens. En étant aussi près de Gabriel, comment aurait-il réussi à cacher cette combine ? Parce qu'il était évident que Gabriel ne savait rien. Il pensait dur comme fer que Lucifer était à blâmer pour tout.
- Je suis prêt à faire ce qu'il faut pour te le prouver, reprit Raziel, tendu. Je déteste le traître autant que n'importe quel ange mais si Michael le manipule, est-il vraiment à blâmer ? Je reste un Trône, après tout. La justice doit être faite. Et pour ça, il nous faut tous les éléments.
Il avait raison. Nous étions des Trônes, nous représentions la justice des Cieux et j'avais promis un procès équitable à Samael. Sans compter que si Michael l'utilisait véritablement comme bouclier, il fallait agir. Le tout était de réussir à réunir des preuves. Ou à amener Samael à tout avouer. Sans savoir ce que Michael tenait contre lui, cette option allait être compliquée.
- Pourquoi ne dis-tu rien ? s'agaça Raziel. Tu ne me crois pas, n'est-ce pas ?
- Il n'est pas question de te croire ou non, répondis-je prudemment. Il est question de preuves. Sans preuves, je ne peux rien faire. Cette situation est déjà bien assez compliquée à gérer pour ne pas m'avancer sans rien avoir pour prouver ce que je dis. Sans compter que si Michael apprend que l'on est au courant, il trouvera le moyen de contre-attaquer. On ne peut pas se le permettre. S'il est capable de pousser Samael à trahir les Cieux et à travailler avec Lucifer, il est capable de tout. Si on doit s'en prendre à lui, on doit faire ça bien parce que nous n'aurons pas deux chances.
Raziel se réinstalla dans le fauteuil et se frotta les yeux. Pendant un moment, ses ailes se figèrent et je pus voir la fatigue sur son visage. Je n'étais pas le seul à faire des nuits blanches, visiblement.
- Fais-toi discret. Recrute des anges qui pourront t'aider pour en savoir plus. Seulement ceux en qui tu peux avoir entièrement confiance.
- Y en a-t-il seulement un en qui je peux avoir confiance ? soupira-t-il, plus pour lui-même que pour moi.
- Demande à Meriel si tu ne trouves personne d'autre, marmonnai-je.
- Tu me recommandes ton petit copain ? Sérieusement ?
- Oui. Parce que c'est un espion et qu'il saura tenir sa langue. C'est ce dont on a besoin alors, si tu n'as personne d'autre, adresse-toi à lui.
- Très bien. Je verrai avec lui.
Raziel s'extirpa de sa chaiseet me fixa longuement.
- Tu devrais essayer de parler au traître. S'il y a une personne à qui il parlera, bizarrement, ça sera sûrement toi.
Je gardai le silence et le regardai quitter le bureau. Il était plus calme qu'à son arrivée. À croire que le simple fait que je le laisse enquêter sur Michael le rassurait. C'était totalement tordu. Pourquoi Raziel avait-il si peur que je ne le croie pas ? J'étais le premier à avoir subi les défauts des anges. S'il y avait une personne qui serait à même de le croire, c'était moi. Notre passif ne changerait rien aux faits.
Je sortis du bureau et gagnai ma tour. Je ne tardai pas à trouver Raziel. Il était le seul Trône à être hors de notre zone. Je reconnus la chevelure d'or noir qui lui faisait face. Meriel. Il n'avait eu aucun mal à le trouver. Je tentai d'ignorer la boule de plomb dans mon estomac. Juste sous la surface de ma colère pullulait la blessure qu'il m'avait infligée.
Je quittai le balcon et retournai à l'intérieur. Il ne refuserait pas d'aider Raziel à confondre Michael et ses exactions. C'était tout ce qui comptait. Je n'aurais pas à entrer en contact avec lui. Raziel servirait d'intermédiaire. C'était aussi bien comme ça.
Et j'avais plus important à gérer.
Les jours qui suivirent, je ne pus m'empêcher d'observer Michael. S'il faisait vraiment chanter Samael pour protéger Lucifer, il était doué pour le dissimuler. Gabriel ne semblait y voir que du feu. Comme tout le monde.
Je savais qu'il était nécessaire que j'aille voir Samael et que je tente de le faire parler. Toutefois, je n'avais aucune idée de comment m'y prendre. J'avais beau y réfléchir, rien ne me venait. Je n'étais vraiment pas doué pour ça. Si les enjeux n'étaient pas aussi importants, j'y serais allé sans plan préalable. Ce qui n'était définitivement pas une bonne idée. Pas si je voulais des réponses en évitant que Michael sache que j'étais sur ses traces.
Je redoutai le moment de mon tour de garde. J'allais être à quelques mètres de lui, seul et je n'allais pas pouvoir profiter de l'occasion. Nous n'avions pas de temps à perdre et j'allais en gaspiller parce que je ne savais pas comment amener le sujet et lui tirer les vers du nez. J'avais des options mais aucune ne me parvenait à me convaincre.
Je fis de mon mieux pour ne rien laisser paraître lorsque Chamuel vint me prévenir que c'était à mon tour. Lui revenait de sa méditation avec Michael. Nous n'échangeâmes pas plus de mots que nécessaires avant de partir chacun de notre côté. Il devait avoir remarqué le fossé qui s'était creusé entre Meriel et moi mais, par bonheur, il n'en parlait pas et ne tentait pas d'en profiter.
Anael était encore en train de lire lorsque j'arrivais à la prison. Elle m'envoya un sourire en glissant un marque-page dans son livre.
- Il est très calme, me prévint-elle. Je ne l'ai pas entendu broncher une seule fois durant tout mon temps de garde.
- Un vrai petit ange, raillai-je.
Elle eut un léger rire.
- Exactement.
Elle partit sans un mot de plus, son livre sous le bras. Je profitai du silence et de ma solitude pour vérifier les dires de Raziel au sujet de l'issue de secours. Elle fut bien plus facile à trouver que la porte principale. Son dessin apparaissait à contre-jour du couloir derrière. Le plus long fut de trouver le mécanisme pour l'ouvrir. Au demeurant, elle existait bel et bien donc il y avait de fortes chances pour qu'il n'ait pas menti. Si j'étais honnête, j'aurais préféré l'inverse.
- Je me disais bien que nous n'étions pas aussi seuls que ce cher Michael le pensait.
La voix glaciale de Samael me parvint, étouffée par la distance et les murs entre nous. Je me figeai en plein mouvement. Avait-il su que Raziel était là lors de sa discussion avec Michael ? Pourquoi n'avoir rien dit, si c'était le cas ?
- Tu peux te taire, Rahel, poursuivit-il. Je sais que tu m'entends et je suis prêt à parier une paire d'ailes que tu sais à quoi je fais référence. Qui était-ce ? Ton petit copain Meriel ? L'un de tes anges ? Pire, un Cupidon ?
Je me mordis la langue pour ne pas répondre. Il aimait s'écouter parler. Moins j'en dirais, plus il tenterait d'obtenir une réponse de ma part. Il faisait peut-être le bravache mais, à mes yeux, cela montrait simplement qu'il était en train de paniquer. Il ne me restait plus qu'à savoir de quoi il avait si peur.
- Que comptes-tu faire, maintenant ? On sait tous les deux que tu ne peux rien faire contre Michael. Surtout pas quand il joue dans l'équipe de Lucifer !
Il y avait une note de désespoir et d'hystérie dans sa voix. Je ne l'avais jamais vu dans cet état. À croire que le fait que quelqu'un sache suffisait à lui délier la langue. Si c'était le cas, je n'osais imaginer ce que Michael lui avait fait endurer.
Prudemment, je me rapprochai des cellules.
- Pour eux, nous ne sommes que des pions dans une guerre sans fin. Ils ne cesseront jamais de se chamailler comme des gamins et nous en ferons tous les frais. Ce qu'il m'a fait, il le refera quand je serais mort. Il fera toujours tout ce qu'il peut pour protéger son frère. Il continuera de trouver des moyens de garder Lucifer en vie. Il ne pourra jamais faire autrement. Il n'aimera jamais personne plus qu'il n'aime Lucifer. Jusqu'à la fin, il le protégera et personne ne pourra aller contre lui.
Sa voix s'éteignit. Ses mots résonnaient encore dans le silence de la prison lorsque je franchis le seuil. Il releva la tête. Si je ne l'avais pas entendu, si je n'avais pas su, j'aurais pu croire que j'avais tout imaginé. Il était enroulé dans ses ailes, comme toujours. La tête haute, le regard direct, la bouche pincée, un air de sarcastique mépris sur les traits. Pour quelqu'un qui n'en savait pas autant, il aurait eu l'air d'aller bien.
- Dis-moi ce que Michael a contre toi, dis-je.
Samael ne répondit pas. Il m'observa, sans ciller, examinant le plus minime de mes tressaillements. Était-il sérieusement en train d'évaluer ma capacité à l'aider par rapport à ce que je montrais sur mon visage ? Ou était-il encore fourré dans mon crâne ? L'idée me fit frémir.
- Pourquoi m'aiderais-tu ? finit-il par questionner. Avec tout ce que j'ai fait...
- Je suis un Trône. La justice est ce qui compte. Si Michael t'a forcé à faire toutes ces choses, il est le vrai coupable et il doit être puni.
- Ça ne peut pas être aussi simple...
Il y avait une vulnérabilité dans sa voix comme je n'en avais jamais entendu. S'il faisait semblant, il était un merveilleux acteur.
- Pourtant, ça l'est. Dis-moi ce que Michael utilise contre toi. Donne-moi toutes les informations. Raconte-moi toute l'histoire. Si tu m'aides, je peux te sortir de ce pétrin.
Il eut un rire amer en me regardant droit dans les yeux. Il se redressa, déployant ses ailes pour pouvoir agripper les barreaux de sa cellule. Je pouvais sentir sa sueur, la poussière logée dans ses plumes.
- Tu crois que parce que tu es une exception tu es capable de tout. Mais laisse-moi te ramener sur terre. Tu n'es qu'un ancien humain qui se retrouve dans une position qu'aucun humain ne devrait avoir. Tu fais de ton mieux, c'est sûr. Mais face à Michael ? Tu n'es rien. Rien du tout. Pas même un caillou dans sa chaussure. Essaie de te mêler de cette affaire et il t'écrasera avec autant de facilité qu'une araignée au mur.
- Les araignées sont très douées pour faire semblant d'être mortes pour disparaître dès qu'on leur tourne le dos.
Samael me fusilla du regard, furieux que je détruise sa métaphore. Il avait choisi le mauvais nuisible, ce n'était pas de ma faute. Personnellement, je pensais moins à une faute qu'au signe qu'il savait intrinsèquement que je pouvais l'aider. Qu'il veuille l'admettre ou non.
- Que tu veuilles que je m'en mêle ou non, je le ferais, continuai-je. Je préférerais avoir toutes les cartes en main dès le début mais si je dois faire sans, je le ferais. J'ai cessé d'avoir peur de Lucifer depuis longtemps et Michael ne fait pas plus peur.
- Tu le regretteras quand il se servira de toi et te mettra droit dans la ligne de mire jusqu'à ce que tu sois transformé en charbon.
Je haussai les épaules.
- J'y suis déjà. Il a convaincu Gabriel de faire de moi le nouveau visage de Saint Michel tuant le dragon. Donc tu vois ? Même bateau. Reste à savoir si tu m'aides à ramer ou si tu te laisses couler.
Le Chérubin s'enroula dans ses ailes et retourna s'asseoir sur la couchette. Il me fit penser à un enfant terrifié. Aussi ressemblant que soit un homme adulte doté de deux paires d'ailes surdimensionnées à un enfant apeuré. Tout était dans la position fœtale.
Je patientai en silence, assis sur ma chaise. Je sentais les secondes s'égrener sans avoir obtenu de réponse de Samael. Chacune me rapprochait de la fin de mon tour de garde. S'il ne se décidait pas tout de suite, il y avait peu de chance qu'il finisse par céder. J'aurais gâché la seule chance que j'avais de le faire parler.
- J'ai fait une erreur.
La voix de Samael me fit sursauter. Je me retins aux accoudoirs de mon siège pour ne pas en tomber.
- Ma toute première mission en tant que Chérubin. J'ai donné le mauvais conseil à un ange gardien. Sans ce conseil, rien ne serait arrivé.
Je luttai pour garder le silence. Je doutais qu'une intervention de ma part l'aide à aller au bout de son récit. Mieux valait que je garde mes questions pour moi pour l'instant.
- J'ai créé le battement d'ailes qui a déclenché la chute de tous les dominos. Ce n'était pas ce que je voulais ! Je pensais bien faire ! Au final, j'ai ouvert la métaphorique boîte de Pandore.
Il y eut un silence. Je me laissai glisser contre le mur face à sa cellule et le regardai. Il n'avait pas bronché d'un cil depuis que je l'avais laissé. Ce ne fut que quand il entendit le bruissement de mes vêtements qu'il redressa la tête pour la poser sur ses genoux.
Je n'avais jamais vu un ange pleurer. C'était un mythe. Une idée qui n'était évoquée que parce que les humains avaient tendance à pleurer de temps en temps. Une fois devenus anges, pleurer devenait un lointain souvenir pénible et disgracieux. Voir les larmes couler sur les joues de Samael me suffit à croire à la sincérité de sa culpabilité. Même si je ne comprenais pas d'où elle venait exactement.
- J'ai déclenché l'apocalypse, gémit-il. Et Michael le sait. Il veut le révéler à tout le monde. Si je ne fais pas ce qu'il veut, je serais détruit ! En obéissant, j'ai une chance de m'en sortir. Aussi faible qu'elle soit.
J'étouffai mon scepticisme du mieux que je pus. J'espérais qu'il ne se lise pas sur mon visage.
- Il est venu me voir, c'était mon premier jour. Je pensais que tout irait bien. Ça avait l'air d'être une situation facile. Mais je n'ai pas su voir au-delà de ce qu'il m'a dit. Je me suis contenté des mots et ça a été un désastre. À cause de moi, il a obéi à des ordres insensés. À cause de moi, tu es mort.
Je cillai bêtement. J'avais déjà entendu ça quelque part. Dans la bouche de Meriel. Lorsqu'il m'avait avoué ne pas être intervenu lors de ma mort. Qu'il avait obéi à son mentor et était resté en arrière pendant que j'étais découvert et jeté aux chiens.
- Tadhiel savait que quelque chose n'allait pas dans les ordres qu'il recevait de Shoftiel. Il le savait et je lui ai dit de se fier à son superviseur, qu'il les avait reçu d'en haut, que les voies de notre Père sont impénétrables. La réponse standard lorsqu'un doute est émis contre les ordres.
Il se prit la tête dans les mains et resserra ses ailes autour de lui.
- J'aurais dû demander de quels ordres il parlait. J'aurais dû chercher plus loin. J'aurais dû poser des questions plutôt que de le renvoyer sur les réponses toutes faites ! Si j'avais fait quelque chose...
- Michael aurait trouvé une autre cible, un autre moyen, intervins-je. Tu me l'as dit toi-même : il ne reculera devant rien pour protéger Lucifer. Il a transformé ce qui aurait dû être une simple erreur en un chemin de destruction. Tu as fait une erreur. Tu n'es responsable que de cette erreur. Le reste ne te revient pas.
- Bien sûr que si ! Si j'avais...
- Ça n'aurait rien changé. Ça aurait peut-être été pire ! Si tu étais intervenu, peut-être que je ne serais pas mort mais je suis prêt à parier que toi, l'ange et son supérieur, vous seriez tous morts. Au lieu de ça, il n'y a eu que moi et nous savons ce qu'il se passe réellement. Considère ça... un mal pour un bien.
Samael se déroula juste assez pour pouvoir me regarder.
- Tu es mort par ma faute et tu t'en moques.
- Tu n'es pas le premier à réclamer la faute pour ma mort. Et tu n'es pas plus coupable que lui. Même Cassiel peut être pardonné pour ses choix douteux, jusqu'à un certain point.
- Meriel, murmura-t-il.
- Exactement. Lui aussi pensait que c'était de sa faute. Ça n'était pas le cas.
- Ça n'est pas pareil.
- C'est exactement pareil. Tu as fait de ton mieux mais tu n'as pas pu lutter contre une machine trop bien huilée. Rien de plus, rien de moins. Et puis, je suis la victime, dans tout ça. Donc si je te dis que tu n'as pas à te sentir coupable, je sais ce que je dis, tu ne penses pas ?
Il ne répondit pas. Ses iris violets détaillèrent mon visage comme s'il y cherchait quelque chose qui crierait au mensonge. Je pus voir la frustration s'installer sur ses traits quand il échoua à trouver quelque chose qui validerait sa culpabilité.
- Et puis, repris-je, mesurant le poids de ce que j'allais dire, tu as la chance de pouvoir m'aider à arrêter Michael. Qu'est-ce que tu en dis ?
Il ne lui fallut pas longtemps pour faire son choix.
- Je vais sûrement le regretter mais... d'accord. Je marche. Tu as un plan ?
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NdlA : puisque je n'ai pas posté lundi... voilà le chapitre ! En espérant que ces révélations vous auront bien choqués !
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