Chapitre 38

Je gagnai directement mes quartiers en rentrant aux Cieux. Je me nettoyai les ailes des restes de chair roussis qui me collaient aux plumes puis j'allai m'effondrer dans mon lit, tête première dans l'oreiller.

Mon épuisement était à la fois mental et physique. La confrontation avec Declan continuait de me troubler quand bien même étais-je sûr d'avoir fait le bon choix. Je n'avais pas prévu de le revoir dans ces conditions. J'aurais préféré garder les bons souvenirs que j'avais avec lui plutôt que tout détruire à cause d'une divergence d'opinions.

Ça ne fit que me faire penser à Meriel qui ne croyait pas plus en moi que Declan. N'avaient-ils pas compris depuis le temps que je savais ce qui était à faire ? J'avais toujours su jusqu'où aller pour obtenir des résultats. Je n'avais jamais franchi la limite. Et ce que j'avais infligé à Crowley ne pouvait pas se comparer à certaines choses que j'avais vu Meriel faire lors de la bataille en Estonie.

Je ne voulais pas que ça se termine comme ça entre lui et moi. Ce n'était pas un sacrifice que j'avais envie de faire. Pas que Meriel m'ait laissé le choix, de toute façon. Il avait révélé ce qu'il pensait réellement de moi. Que je n'étais pas mieux que Lucifer.

Il ne semblait pas se rendre compte de ce que ça demandait d'être à ma place. Depuis le début, je n'avais rien du parfait petit ange. Ce n'était pas moi. Connaître une ascension n'avait rien arrangé puisque je sortais encore plus de la norme. Seul Zacharael semblait comprendre que si j'avais monté tous ces échelons, c'était pour une bonne raison.

J'aurais préféré mourir plutôt que d'être forcé de devenir un ange. Lorsque j'avais senti la fin arriver, j'avais bêtement pensé que mon combat était terminé. Que c'était la fin, que je n'aurais plus à me battre pour ma survie. Au lieu de ça, j'étais devenu un ange et le vrai combat n'avait fait que commencer.

Je ne voulais pas de mon rôle. Je ne voulais pas avoir à affronter Lucifer ou Satan. Je ne voulais pas avoir à torturer des démons pour faire passer un message plus que nécessaire. Je ne voulais rien de tout ça.

Je n'avais simplement pas le choix parce que, si je ne le faisais pas, personne ne le ferait et les mortels tomberaient sous le joug des démons. Personne ne voulait de ça mais personne ne faisait rien non plus pour l'empêcher. Ils avaient attendu que quelqu'un soit assez stupide pour prendre les rênes et agir et, évidemment, c'était tombé sur moi. J'étais l'idiot de service qui se préoccupait du nid de vipères auquel personne ne voulait toucher.


Je dus comater plusieurs heures avant que le bruit de coups violents frappés à ma porte ne me réveillent. Je m'extirpai du drap qui s'était enroulé autour de mes jambes durant mon sommeil pour aller soulager le pauvre battant du sort qu'on lui infligeait. Je cillai en découvrant Gabriel sur le seuil.

- Qu'est-ce que tu veux ? bâillai-je. Tu ne devrais pas être en train de te soigner ou je ne sais quoi ?

Gabriel me poussa pour rentrer. Avec un soupir, je fermai la porte derrière lui et m'y adossai. Que pouvait-il bien me vouloir ? Les rares fois où il était venu à ma rencontre n'avaient jamais été plaisantes. Je doutais que celle-ci fasse exception.

- J'ai appris ce que tu as fait. Avec Crowley. C'était... une bonne idée, toute répugnante et abjecte soit-elle. Selon les retours, Samael a été pris au dépourvu et se montre très ennuyé que son sorcier soit incapable de continuer sa mission pour l'instant.

- Tu es vraiment venu me réveiller pour me dire ça ? Ça n'aurait pas pu attendre ?

- Je ne suis pas venu pour ça. Pas seulement.

- Et si tu passais à ce que tu as à me dire plutôt que de faire la conversation ?

Gabriel ne parut pas ravi, fronçant les sourcils sur ses yeux d'un violet plus clair que d'habitude. Il s'installa dans la chaise en face de mon bureau et croisa une cheville sur son genou. C'était une position si humaine que je ne pus que le fixer. Pour la première fois, il avait l'air... détendu.

- Puisque tu es devenu la figure de proue de la lutte contre Lucifer, tu dois savoir ce qu'il s'est réellement passé lors de l'affrontement entre Michael et notre frère déchu.

- Pourquoi ? Ça ne va rien changer.

- Au contraire. Ça pourra t'éviter de faire la même erreur que lui.

Il dut voir qu'il m'avait intéressé puisqu'il n'attendit pas de réponse pour commencer son récit. Il se cala un peu plus confortablement dans le siège.

- La bataille entre Lucifer et Michael a couvé durant des centaines d'années avant d'éclater. Je ne me souviens plus de ce que les mortels ont été inventer autour de cet affrontement. Je ne me rappelle que de ce qui est réellement arrivé.

- Donc toute l'histoire de Saint Michel terrassant le dragon est une invention ?

- Non, Lucifer avait bien choisi l'apparence d'un dragon. Il était jeune et se souciait beaucoup trop de son image. Son orgueil aurait pu avoir raison de lui si ce n'était pas Michael qui lui avait fait face, ce jour-là.

- Comment ça ?

- Michael et Lucifer, depuis notre création, ont été inséparables. Ils étaient collés à la hanche. Lucifer a cru qu'il serait facile de convaincre notre frère de le suivre dans sa folie. Il pensait sincèrement que Michael penserait comme lui, qu'il se rebellerait contre notre père. Dès que les premières disputes ont éclatées entre eux, j'ai su que la fissure ne ferait que s'élargir et j'ai tenté de raisonner Lucifer. J'ai fait pire que mieux. J'ai creusé le fossé plus profondément en éveillant la jalousie possessive du déchu. Il a toujours considéré que Michael et lui étaient une équipe. Le voir s'allier avec quelqu'un d'autre contre lui... Ça a amené sa chute et la guerre qui a suivi.

« Michael pensait être capable de détruire Lucifer. Il a toujours clamé que c'était son rôle d'éliminer la menace qu'il était devenu. Que c'était de sa faute s'il avait chuté, parce qu'il avait été incapable de voir le problème grandir, qu'il n'avait pas su le régler avant qu'il ne soit trop tard. Le moment venu d'abattre Lucifer...

- Il n'a pas su, terminai-je dans un souffle.

- Non. Même sous cette forme hideuse, crachant des flammes et des injures, il demeurait Lucifer. Alors lorsqu'il a commencé à plaider sa cause, à supplier Michael de l'écouter, à tenter une énième fois de le convaincre qu'il n'était pas si mauvais que ça... La seule chose que Michael est parvenu à faire, c'est de le bannir dans les Enfers et de l'y enfermer avec un maximum de son engeance démoniaque. Il a continué de le voir comme ce frère de qui il était si proche et il ne parviendra jamais à le voir autrement. Il sera toujours incapable de le voir autrement. Et s'ils s'affrontent une nouvelle fois, Michael ne parviendra toujours pas à détruire Lucifer parce qu'un mot de lui fera faiblir sa main.

- C'est pour ça que tu l'as couvert. Que tu as tout fait pour que la responsabilité me revienne plutôt qu'à lui.

- En effet. Tu sauras aller jusqu'au bout, contrairement à lui. Ta réaction avec Crowley me le prouve. Tu ne dois pas faiblir face à Samael ou face à Lucifer. Ils sont doués pour apparaître comme des incompris, comme ceux qui veulent le meilleur pour tout le monde. Tu ne dois pas te laisser avoir.

- Ni Samael ni Lucifer n'ont ce pouvoir sur moi. Je ne faiblirais pas.

- Même en sachant que tu seras détruit pour avoir tué un ange et un archange ?

- Même en sachant ça. Je suis de l'avis qu'on est jamais mieux servi que par soi-même alors si je veux que le travail soit fait, j'ai plutôt intérêt à le faire moi-même. Personne d'autre ne le fera.

Gabriel demeura silencieux quelques instants, me sondant de ce regard qui avait retrouvé une lucidité acérée. Je n'aurais pas été étonné qu'il analysât le moindre de mes mots et gestes pour être certain que je ne mentais pas et que je ferais ce que j'avais à faire le moment venu.

J'étais content de voir que le travail de Michael faisait effet. Je n'aurais pas cru que Gabriel retrouverait autant de lucidité en si peu de temps. S'il était vraiment sensé et équilibré. Au vu de son discours, j'avais envie d'y croire.

- Autre chose, dit-il. Au moment fatal, Michael risque d'essayer de t'empêcher d'achever Lucifer. Je ferais de mon mieux pour me mettre entre vous mais si j'échoue, il sera de ton devoir de ne pas le laisser t'empêcher de faire le nécessaire.

- Évidemment.

Son regard s'assombrit face à mon impudence. Il se décida à m'ignorer et à poursuivre.

- Autre problème : que vas-tu faire pour le procès de Samael ? Il est évident qu'il ne peut pas avoir de procès public. Il en profiterait pour révéler les secrets des Cieux qu'il connaît et nous ne pouvons pas le permettre.

- J'ai trouvé la solution. M'être occupé de Crowley n'a fait qu'assurer que Samael tiendrait sa langue durant la prochaine audience du conseil.

- En es-tu certain ? Car il peut parfaitement attendre d'être autorisé à parler pour tout révéler, que nous le voulions ou non.

- Ça sera un risque à prendre. Peu importe ce que nous ferons, le risque sera le même. Il est doué pour mentir. S'il veut vraiment se jouer de nous, il le fera. Tout ce qu'on peut faire, c'est trouver un moyen de minimiser son impact si jamais le problème survient.

Gabriel continua de me fixer sans ciller, me sondant jusqu'aux tréfonds de mon âme. Je ne bronchai pas, attendant une réaction de sa part. Il ne s'était sûrement pas totalement remis du déséquilibre causé par Samael mais il avait déjà énormément changé en peu de temps.

Il ne réagissait plus comme le Gabriel auquel je m'étais habitué. C'était assez déroutant. Physiquement, il n'avait pas changé si ce n'était pour la teinte plus claire de ses ailes et de ses yeux. Le reste était identique, de sa peau blafarde au hâle violacé par son pouvoir à sa silhouette ciselée et divine digne d'une statue de Michel-Ange. Sans mauvais jeu de mots. Son visage avait cette symétrie parfaite qui lui donnait cette beauté universelle mais glaciale si prisée par les mortels.

En-dessous de ce vernis étincelant, il n'en restait pas moins inhumain et cela transparaissait. Je n'aurais pas su définir le détail en lui qui pointait le doigt vers son inhumanité. C'était tout et rien à la fois. Son aura, le jeu d'ombres et de lumières sur ses traits, sa façon de bouger. Si l'on avait supprimé les ailes, j'aurais pu passer pour un humain. Gabriel n'aurait jamais réussi. Quoi qu'il fasse, mieux valait qu'il ne foule pas la Terre parmi les mortels.

- Il se pourrait que je me sois trompé à ton sujet, finit par dire le Chérubin, me ramenant au moment présent. Je ne pensais pas qu'un mortel (sa voix glissa sur le mot comme s'il cherchait à oublier mes origines) puisse s'adapter à une vie d'Archange, aux responsabilités qui incombent à des êtres de notre rang. Pourtant, il semblerait que je me sois fourvoyé. Peut-être es-tu bel et bien ce dont nous avions besoin pour aplanir la situation. Ou peut-être as-tu l'apparence d'un miracle mais vas-tu échouer alors que nous en serons tous venus à croire en toi. C'est une sensation très désagréable de ne pas savoir à quoi m'attendre.

- Je dois compliquer vos prévisions, raillai-je, froid et moqueur. Je me doute que ça doit être dur à vivre.

- Je ne suis pas particulièrement adepte des esprits libres, je l'admets. Surtout ceux qui possèdent au fond de leur âme une froideur comme la tienne. J'aime savoir à l'avance vers quelle issue les Cieux se dirigent. Notamment lorsqu'il s'agit d'affronter Lucifer.

- Au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, Lucifer n'est plus le grand méchant de l'histoire. C'est votre petit angelot, Samael.

- Je pense que tu te trompes à ce sujet.

Je haussai un sourcil. Cela suffit à transmettre mes doutes à ce sujet.

- Lucifer est le premier né, le plus puissant d'entre nous. Il était la joie et la fierté de notre Père. Crois-tu vraiment qu'un simple Chérubin comme Samael ait pu prendre le dessus sur le Diable en personne ?

Depuis quand Gabriel pouvait-il prononcer des termes tels que « le Diable » sans avoir de réaction ? Quelques jours auparavant, il aurait craché ses poumons sur le sol au simple murmure de Lucifer. Quelque chose avait changé et je commençais à croire que ça avait tout à voir avec l'Arbre.

- Je pense que, à partir du moment où l'on est assez malin et que l'on a les bons atouts dans sa manche, on peut prendre le dessus sur n'importe qui. En l'occurrence, Samael possède un moyen de rouvrir les portes de l'Enfer et Lucifer ne veut rien d'autre. Aussi démoniaque qu'il soit, même lui ne pourrait pas dire non à une telle occasion. Dès lors, Samael a eu toute la latitude de prendre le dessus sur le Diable en personne et de s'approprier le nom de Satan.

- Je ne pense pas comme toi. Je pense que Samael n'est qu'une marionnette qui a cru pouvoir se jouer de Lucifer et qui, maintenant, n'est plus qu'un bouclier contre lequel nous concentrons nos efforts pendant que la vraie menace prépare son attaque.

Je réajustai ma position contre la porte. Ce qu'il disait ne manquait pas de sens. Je n'étais pas persuadé qu'il ait raison mais j'étais prêt à envisager que sa vision des choses soit la bonne. Il me fallait juste des preuves.

- Il est impossible de savoir qui de nous deux a raison, pour le moment, dis-je simplement.

- Au contraire. Nous avons un indice criant.

- Lequel ?

- L'Arbre de la Connaissance. Qui maîtrise l'art de murmurer les bonnes paroles aux bonnes oreilles pour obtenir ce qu'il désire ? À part un Archange, qui aurait pu divulguer les secrets du Jardin et de l'Arbre à un simple ange ?

Il se leva de son siège et me rejoignit devant la porte. Ses iris violets se rivèrent dans les miens.

- Toi et moi connaissons parfaitement la réponse à cette question, n'est-ce pas ? Et s'il a réellement suffi de chahuter quelque peu un démon pour dompter Samael, la réponse n'en devient que plus évidente.

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NdlA : à deux minutes près, je postais le bon jour ! Et crotte !

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