Chapitre 33

Les mots d'Anael continuèrent de résonner dans l'amphithéâtre longtemps après qu'elle eut fini de les prononcer. Je n'étais pas certain de pouvoir la compter comme alliée mais je pouvais être sûr qu'elle ne jouerait pas contre moi. Ce qui, en soi, à mes yeux, en faisait une alliée, peu importe la différence subtile entre un allié et une personne qui ne compte pas aller contre nous que Meriel s'était fait un devoir de soulever.

Michael bouillonnait de rage même la main de Gabriel sur son bras avait du mal à le retenir de foudroyer sa collègue. Je sentais l'électricité dans l'air, épaisse et étouffante. Anael paraissait terrifiée par ce qu'elle avait déclenché mais résolue à y faire face. Elle avait une moue décidée, ses fines lèvres ressortant contre sa peau blafarde. Ses mains tremblaient, pressées l'une contre l'autre dans son giron.

Le tonnerre roula au-dessus de nous, menaçant et sinistre. Je roulai des yeux.

- Je crois qu'il essayait de garder ça secret, dis-je, moqueur. Dommage, il n'avait pas prévu que quelqu'un d'autre que Gabriel le sache.

- Pas qu'ils aient été très discrets, renchérit Chamuel. Quiconque prenant le temps d'écouter aurait pu entendre ce que j'ai entendu.

- Qu'as-tu entendu ? questionna Zacharael avec gravité.

- Que Gabriel et Michael savent très bien que détruire le Déchu signifiera qu'il faut le tuer et que, donc, celui qui le fera sera puni par Dieu. Ils font tout pour que cette personne soit Rahel. Selon leur logique, ils ne font que continuer ce qu'a commencé Cassiel. Pour eux, en dépit de son ascension, il est remplaçable.

Des éclairs zébrèrent le plafond et une odeur d'ozone emplit l'amphithéâtre. Beaucoup commencèrent à être mal à l'aise. Michael n'allait pas tarder à perdre patience et rien de ce que faisait Gabriel ne saurait l'empêcher d'exploser. J'avais hâte de voir ça.

- Ce n'est pas la seule chose qu'ils cachent, intervint l'un de mes Trônes en se levant gracieusement.

D'après ce que m'avait expliqué Meriel, se lever ainsi servait à demander la parole. Il n'avait pas attendu d'avoir l'autorisation pour parler mais je ne comptais pas me plaindre. Surtout s'il avait des informations à délivrer. J'ignorais ce qu'il pourrait avoir découvert entre notre entrevue et notre arrivée ici mais j'étais prêt à tenter ma chance. Jusque là, le conseil se déroulait à merveille pour moi et je n'avais même pas eu à lever le petit doigt.

- Parle, maintenant que tu as monopolisé l'attention ! grogna Uzziel.

- Nous, Trônes, avons des oreilles partout et savons découvrir ce que les anges pourraient tenter de dissimuler à la justice divine. Or, j'ai découvert beaucoup d'informations sur le traître que nous traquons tous depuis des mois.

Je luttai pour ne pas tourner mon attention sur Gabriel. Je brûlais de savoir quelle expression il affectait. Partout autour de nous, les murmures bourdonnaient comme si nous nous étions retrouvés soudain au cœur d'un essaim d'abeilles.

- Continue, enjoignis-je l'ange. Révèle-nous ce que tu as découvert.

- Le traître est aidé par quelqu'un. Par l'Archange sous lequel il travaille. Ou, plutôt, c'est ce que cet Archange croit car, en vérité, ils se manipulent l'un l'autre pour obtenir ce qu'ils veulent.

- De qui parles-tu donc ?! explosa Uzziel.

- Donne-lui le temps de parler, sifflai-je. Personne ne t'a interrompu pendant tes tirades alors aie un peu de respect.

Il me foudroya du regard avec une force que seuls les éclairs de Michael pourraient égaler. Je pris un malin plaisir à l'ignorer et à ramener mon regard sur le Trône qui patientait avec un calme parfait. Je me sentis étonnamment fier de son stoïcisme même si je n'y étais pour rien.

- Notre Archange m'a donné la clé pour décrypter mes découvertes juste avant de venir ici, reprit-il. Jusque là, je ne comprenais pas. Mais maintenant... Tout fait sens. En effet, plusieurs éléments que nous pensions avoir découverts sur le traître n'étaient que des leurres pour nous faire regarder partout sauf dans la bonne direction. Or, le plus gros indice que nous aurions tous dû voir était le vol des Livres d'Hénoch.

Le silence était si total que le subtil tressaillement de Gabriel résonna à mes oreilles comme un tambour.

- Les livres étaient merveilleusement protégés. Pourtant, le traître a réussi à les voler. C'est resté dans mon esprit durant toutes mes recherches. J'ai passé toutes mes découvertes à travers ce filtre. C'est ainsi que j'ai compris qu'il était aidé, qu'il le sache ou non. Enfin, manipulé est le mot exact.

- Mais par qui ? s'énerva Uzziel.

- Patience, cassa Zacharael. Tout le monde n'a pas l'art inné de sauter aux conclusions sans entendre les explications.

Je me mordis la lèvre pour ne pas rire.

- Ils ont des soupçons, autant l'un que l'autre, continua le Trône. Ils savent que leurs manipulations fonctionnent mais qu'ils sont aussi pris l'un que l'autre dans la toile qu'ils ont tissée. Toute leur sagesse ne les sauvera pas.

Un subtil parfum de menace flottait dans ses mots et j'approuvais de tout cœur. Même lorsque les regards se tournèrent vers moi, s'attendant visiblement à ce que je le réprimande, je continuai de sourire. Il exprimait ce que je mourrais de dire moi-même.

- Que veux-tu dire ? s'étonna Anael.

- Je veux dire que, peu importe ce qu'ils incarnent ou s'ils pensent faire ce qui est pour le mieux. Dieu a vu ce qu'ils font et les punira de la dernière façon qu'ils puissent attendre.

- C'est une lourde accusation que tu portes, intervint Gabriel.

Fus-je le seul à entendre les vibrations dans sa voix ? Était-ce parce que j'étais assis juste à côté de lui ? Parce que je voulais l'entendre trembler de peur à l'idée d'être découvert ?

- Je suis un Trône, répliqua l'ange. Je connais les méandres de la justice divine mieux que vous, tout Archange que vous soyez. Et Dieu vous punira pour avoir aidé le traître Samael.

Le silence qui tomba fut si lourd et fort que je cessai de respirer. Mon esprit tournait à toute vitesse. Comment avait-il découvert l'identité de Samael aussi vite ? Il n'avait pas eu longtemps avant la réouverture du conseil et pourtant, il avait tout découvert !

- Balivernes ! se récria Uzziel en bondissant de sa chaise. Comment oses-tu insulter ainsi un Archange ?

- Ça n'est une insulte que s'il a tort, rétorquai-je. Or... Je peux assurer que Gabriel est loin d'être innocent. Il s'est allié avec Michael pour tenter de m'amener à détruire Lucifer à sa place. Il n'a pas hésité à ignorer Cassiel lorsqu'il l'a mis en garde. Aussi sage qu'il soit supposé être... Gabriel est aussi coupable que le traître dans ses rangs.

Je sondai les rangs des Chérubins à la recherche de Samael qui, étonnamment, ne cherchait pas à se cacher et ne montrait aucun signe de culpabilité ou de nervosité. Il croisa mon regard avec une surprise emplie d'appréciation.

- Maintenant que tout le monde connaît ton identité, tu peux défaire ce que tu as fait à mon esprit, lui lançai-je.

Il se leva avec une telle prestance qu'il eut l'air d'un roi descendant de son piédestal. Tout le monde le regarda faire sans oser prononcer le moindre murmure. Il s'arrêta devant moi et offrit un sourire narquois à Gabriel qui l'assassina du regard. Samael posa la main sur mon front et je sentis son pouvoir se faufiler dans mon esprit jusqu'à ce que je perde connaissance.

Je revins à moi quelques instants plus tard. En tout cas, il ne me parut pas s'être écoulé plus d'une poignée de minutes. Le silence était complet, dans l'attente de mon réveil. Je cherchai le regard de Meriel pour le rassurer quant à mon état. Il allait m'en vouloir d'avoir pris autant de risques. Tant pis. J'avais fait un pari sur ma compréhension de Samael et, jusque là, je ne m'étais pas trompé.

- Prêt à t'expliquer ? apostrophai-je Samael.

- Parce que mon procès n'a pas déjà été fait ?

- Puisque je suis le nouvel Archange des Trônes, je pense que je serais au courant si c'était le cas.

Chamuel étouffa les protestations véhémentes d'Uzziel avant qu'il n'ait pu émettre plus que le couinement d'un début de mot.

- Ce n'est pas le lieu pour un procès, remarqua Zacharael.

- Au contraire, répondis-je. Quel meilleur endroit ? Tous les Cieux sont réunis et ils pourront juger de la culpabilité ou de l'innocence de quelqu'un qui assure avoir tout fait pour protéger les Cieux mais qui est considéré comme un traître à cause de ses méthodes. On ne devrait pas juger ça à huis clos.

- Ce n'est pas la procédure ! coassa Uzziel après avoir échappé à Chamuel.

- Je fais la procédure. Cassiel gérait les choses comme il le désirait. Je ne suis pas lui. Je ferai les choses comme bon me semble. Et j'ai décidé de donner un procès public à Samael et d'avoir l'ensemble des Cieux le juger et pas seulement les Archanges.

- Ça n'est pas réglementaire ! tonna Uzziel. Tu n'as pas à choisir ce qui se fait et ne se fait pas ! Tu obéis aux règles, comme nous tous !

- Non.

Il s'étouffa sur sa rage, toussant et agrippant sa gorge, le visage de plus en plus rouge. Il tenta d'articuler d'autres récriminations sans y parvenir. À côté de lui, Chamuel pouffait de rire. Anael ne cachait pas son petit sourire. Seul Zacharael était totalement impassible.

Par défaut, Uzziel s'orienta vers Gabriel et Michael, les yeux suppliants.

- Il ne peut pas faire ça ! geignit-il, la voix coincée entre un grondement et un couinement.

- Il le peut, s'amusa Samael. Il est devenu l'Archange des Trônes, il fait ce qu'il veut dans son département. N'est-ce pas, Gabriel ?

Le concerné eut un regard si noir pour le traître que je frémis à l'idée d'être celui qui aurait pu le recevoir. Je n'avais jamais vu une émotion aussi noire et purulente dans les yeux de quelqu'un. Que je la découvre dans les yeux d'un Archange était une aberration. Ça n'aurait jamais dû arriver. Gabriel était un Séraphin. Il aurait dû être pur et loin de tout péché. Alors pourquoi se comportait-il comme un simple humain, soumis à ses émotions et à ses passions ? Où était passé l'ange froid et détaché de tout ?

Comment n'avais-je pas réalisé ce qu'il se passait ? Comment personne ne s'était-il rendu compte de rien ?

Le rire de Samael m'apprit tout ce que j'avais besoin de savoir. Rien de ce qu'il s'était passé n'était le fruit du hasard. Il avait tout manigancé pour en arriver à cet instant précis. Restait à découvrir pourquoi.

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NdlA : DUN DUN DUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUN !!!

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