Lorsque je pénétrai à nouveau dans l'amphithéâtre, il n'y avait encore que Zacharael et Anael dans la salle. Leurs anges étaient tous installés dans leurs sièges, leurs ailes indigo et or illuminant deux parties éloignées du spectre.

Je n'avais jamais rencontré l'Archange des Dominations, auparavant. Je ne l'avais pas imaginé ainsi. Son travail était de superviser les Chœurs qui lui étaient inférieurs et de relayer les informations à Michael. Je m'étais imaginé un petit bureaucrate, pas une armoire à glace. Quand bien même avait-il été assis à côté de moi depuis le début du conseil, j'avais été plus occupé par les réactions de Michael et Gabriel pour lui prêter attention et je n'avais pas réalisé à quel point il était imposant. Bien plus encore que Michael, en vérité, avec des ailes indigo si vastes que même repliées, elles enveloppaient ses larges épaules et ses bras épais.

Lorsqu'ils entrèrent, Chamuel et Meriel me rejoignirent. Si le premier n'eut aucun soucis à s'asseoir sur la table à côté de moi, le second paraissait mal à l'aise. Je n'eus aucun problème pour comprendre sa réaction. Nous n'avions pas abordé le sujet mais je savais qu'il ne voulait pas dissimuler notre relation au reste des Cieux. Il n'était pas certain que ça soit ce que je voulais aussi et, en conséquence, n'osait pas faire le moindre geste qui nous trahirait. Son dilemme était encore plus grand que Chamuel était à côté de nous et qu'il savait que je ne tenais pas à le blesser inutilement.

Je tendis le bras et le passai dans le bas de son dos pour le rapprocher de moi. Surpris, il tituba en avant, les prunelles écarquillées mais un sourire discret sur les lèvres. Sa main effleura la mienne qui reposait sur sa hanche. Je ne manquai pas le regard hésitant de Zacharael sur nous. Pour ce que j'en vis, il avait l'air plus curieux qu'autre chose. Je n'étais pas étonné. Il avait été créé en tant qu'archange. Pour lui, ce qui pouvait choquer les humains (et donc les anges qui avaient été humains) n'avait aucune importance et encore moins d'incidence.

- Qu'ont-ils dit ? murmura Chamuel.

- Qu'ils avaient déjà des soupçons et qu'ils allaient aider, répondis-je. Même Raziel, ajoutai-je pour Meriel.

- Je doutais que tu réussisses à le rallier à ta cause, admit mon petit ami, songeur. C'est un avantage non-négligeable que tu y sois parvenu. S'il le veut bien, il pourrait être un atout dans la chasse au traître.

- Ils savent dans quel Chœur se trouve le traître, révélai-je. Ils ont deviné à partir de quelque chose d'à peine relié. Il faudra qu'ils viennent vous le dire.

Mes paroles attirèrent à nouveau l'attention de Zacharael. Il garda le silence mais s'extirpa de sa chaise, ses immenses ailes se déployant dans son dos, frémissantes d'une énergie à peine contenue. Comment un Archange tel que lui pouvait-il se retrouver cantonné à surveiller ses subalternes ? Il n'aurait jamais dû se retrouver avec un travail de bureau. Il vibrait d'énergie. À sa place, j'aurais fini par exploser.

Je l'observai rejoindre les rangs des Trônes et passer quelque chose à Kakabel. Un papier ? Il avait préféré aller directement à la source plutôt que de m'adresser la parole. Je n'étais pas certain de comment je devais le prendre. Me méprisait-il parce que j'avais été humain ? Parce que je n'avais pas gagné ma place après des années de labeur ?

Je sentis la tension de Chamuel lorsque notre collègue revint s'asseoir, étrangement gracieux avec cet amas de plumes, de muscles et de nerfs.

- Que leur as-tu dit pour qu'ils comprennent ? questionna Meriel.

- Je parlais de Gabriel.

Les prunelles de mon partenaire s'écarquillèrent et les mains de Chamuel glissèrent du bureau. Du coin de l'œil, je vis Zacharael hocher la tête.

- Es-tu en train de me dire que le traître est un Chérubin ? siffla l'Archange des Puissances entre ses dents.

J'ouvris la bouche mais je ne pus ni infirmer ni confirmer quoi que ce soit. Les mots s'effacèrent de mon esprit et je me retrouvai comme un poisson hors de l'eau. Ce ne fut que lorsque je renonçai que je pus reprendre mes esprits. Un mal de tête pulsait contre mes tempes.

- Je vais prendre ça comme une confirmation, souffla Chamuel, encore sous le choc.

Autre chose pour laquelle je pouvais être fier des Trônes : leur capacité d'adaptation. Meriel serait merveilleux parmi eux. Je ne l'imaginais pas avec des ailes de feu tourbillonnant autour de lui mais je pouvais parfaitement le voir s'accorder avec les autres Trônes dans la recherche d'informations et la traque de preuves.

- Ça change beaucoup de choses, de savoir ça, murmura Meriel. Nous ne pourrons pas nous en prendre à lui aisément.

- Vous pensez que Gabriel le protège ? Qu'il sait qu'il fait partie de ses anges et qu'il s'en sert ? interrogea Chamuel.

- Non, répondis-je. Je ne pense pas qu'il sache que...

Je m'interrompis pour éviter de subir à nouveau le sort de Samael. Les mots que je ne prononçai pas furent tout de même entendus par mes comparses.

- Je pense qu'il en sait encore moins que nous et qu'il tente de le manipuler pour se révéler comme on prévoit de le faire.

- Pour une fois que nous avons un but similaire avec lui... marmonna Chamuel. Ne devrait-on pas tenter de le pousser à nous aider ?

- C'est trop risqué, objecta sèchement Meriel. Michael est peut-être 1e fer de lance de son projet mais Gabriel est celui qui tient les rênes. Il devinerait tout de suite que nos motivations ne sont pas entièrement innocentes. Non, tenter d'aborder Gabriel serait signer l'arrêt de mort de Rahel et c'est hors de question.

Chamuel se rembrunit.

Je resserrai ma prise sur la taille de Meriel.

- On garde la même idée, donc ? finis-je par demander.

- Pour l'instant, oui. Je compte sur toi pour t'adapter en fonction de la tournure des événements.

- Ne t'inquiètes pas pour moi.

Il m'offrit un léger sourire avant de filer dans les gradins pour récupérer sa place. Je le suivis des yeux, localisant son siège et mémorisant sa position au cas où j'aurais besoin de soutien moral.

La main de Chamuel me pressa l'épaule assez fort pour que je grimace.

- Je serais là si besoin est. Tu n'auras qu'à me faire signe. Je trouverais un moyen de faire diversion.

- Merci.

Il alla s'installer à sa place à son tour. Une minute plus tard, Gabriel prenait place dans son siège, le visage froid et fermé. Ses yeux avaient un éclat dur et métallique. Il savait aussi bien que moi que c'était l'ouverture de la guerre ouverte. Il était prêt. Bien plus que moi, si les nœuds dans mon estomac en étaient la preuve.

Michael arriva en dernier, encore plus royal que d'habitude. Je savais pourquoi il faisait autant d'efforts. Il était plus facile de convaincre quelqu'un de suivre une personne ayant l'allure d'un leader que quelqu'un de plus... commun. Mon passé d'être humain et d'ange gardien n'allait pas jouer pour moi. Heureusement que Meriel m'avait coaché sur tout ce que je devais dire et sur la façon dont je devais réagir.

Michael ne prit pas la peine de s'asseoir. Il resta debout et son regard embrassa tout l'amphithéâtre.

- Bienvenue dans cette seconde session de notre conseil de guerre. Comme vous le savez tous, aujourd'hui, nous allons débattre de la situation. Évidemment, vous êtes tous les bienvenus dans la discussion. Je parle notamment pour les anges gardiens puisque vous passez la majeure partie de votre temps sur Terre. Toutefois, comme je l'ai dit, vous êtes tous les bienvenus si vous souhaitez partager votre opinion ou vos connaissances.

Il laissa planer un silence de quelques secondes.

- Pour faire un résumé de ce que vous a expliqué Chamuel durant notre précédente session...

Le concerné se racla la gorge avec un regard appuyé pour Michael qui l'ignora et continua sans la moindre réaction ou la plus minime hésitation.

- Le déchu est sorti de sa prison souterraine et, désormais, est libre de pervertir les mortels avec ce qu'il reste de ses sbires. Une guerre se prépare sur Terre et le préférable serait de réussir à l'interrompre avant même qu'elle ne prenne réellement forme pour éviter un maximum de perte.

- La priorité est Lucifer, objectai-je, la voix calme et froide, nonchalante. La véritable menace n'est pas cette guerre qui couve. La désamorcer serait une perte de temps puisque, si nos efforts sont mobilisés dans cette direction, nous donnerons le temps à Lucifer de manigancer autre chose. Tandis que si nous en finissons directement avec Lucifer et ses démons, la guerre se démantèlera d'elle-même et nous ne courrons pas le risque d'en voir une autre apparaître dans notre dos.

- Je suis d'accord, approuva Chamuel. La mesure la plus censée est de détruire la menace avant de résoudre les problèmes qu'elle a causés et non l'inverse. Choisir la guerre comme point central plutôt que... le déchu serait contre-productif.

- Et que fait-on des vies humaines perdues ? rétorqua Uzziel sèchement, ses ailes vert forêt battant contre le dossier de son siège. Notre travail est de protéger les mortels. Le tien était de contrôler et de repousser la menace du déchu et de ses suiveurs. À la place, tu as laissé un gardien enfermer le déchu hors de l'Enfer.

Il avait craché le mot « gardien » avec tant de mépris et de dégoût qu'un murmure parcourut la foule aux ailes turquoise. Je luttai pour ne pas le prendre personnellement et rester silencieux. Il tentait de mettre Chamuel en colère. Comme les autres archanges, il devait connaître le côté beaucoup trop réactif et émotionnel de notre collègue. Qu'il tente d'en jouer ne pouvait signifier qu'une chose : il était contre nous. Il voulait discréditer Chamuel pour que je perde le seul allié de poids que j'avais jusque là.

Il ne me restait plus qu'à espérer que Chamuel tienne sa langue et son tempérament.

- En attendant, ce gardien a protégé les mortels d'une infestation, rétorqua finalement mon allié avec mordant. S'il ne s'était pas organisé dans le dos de tout le monde pour fermer définitivement les Portes d'En-Bas, je n'ose imaginer où nous en serions aujourd'hui ! Alors que personne ne voulait l'écouter, que son seul allié était Cassiel, l'archange qui l'a fait tuer, il a fait de son mieux pour protéger les mortels !

- Il s'est allié avec une sorcière !

- La seule capable de fermer les Portes !

- Une sorcière demeure intrinsèquement mauvaise !

- Dire cela de celle qui a fermé les Portes d'En-Bas, je trouve ça idiot et profane !

Un hoquet résonna dans les rangs des Vertus. Chamuel ne s'en préoccupa nullement, concentré sur son voisin.

- Comment oses-tu... ? hoqueta Uzziel.

- J'ose parce que tu racontes n'importe quoi. On dirait que tu as oublié comment différencier le bien et le mal ! Cette sorcière est la dernière héritière de Crowley. Une sorcière dont on nous a caché l'existence alors même qu'on m'a ordonné de décimer le reste de sa famille ! Elle aurait pu se retourner contre Rahel lorsqu'il est apparu aux côtés de son protégé. Au lieu de ça, elle s'est donné du mal pour trouver le moyen de fermer les Portes ! Toute sa vie, elle a utilisé ses pouvoirs pour faire le bien autour d'elle ! En quoi est-elle mauvaise ?

- C'est une sorcière !

- Et Cassiel était un ange et ce n'est pas pour autant qu'il était bon, rétorqua froidement Chamuel avec un venin sans pareil. Il a fait tuer un mortel pour servir son but. Alors si un archange, l'un des plus purs parmi nous, est capable d'agir ainsi, pourquoi une sorcière devrait-elle forcément être mauvaise alors même qu'elle ne répand que le bien autour d'elle ?

Uzziel lui jeta un regard glacial et meurtrier sans répondre. Je fus surpris qu'il n'insiste pas avec des arguments faciles tels que « le pouvoir corrompt » ou « la notion de bien et de mal est subjective ». Si le second était quelque peu risqué à utiliser, le premier aurait été parfait pour marteler Ava. Qu'il ne tente pas d'insister était étrange.

- Elle n'en reste pas moins une héritière d'Aleister Crowley, énonça lentement Gabriel. Son pouvoir ne fera que grandir. Elle deviendra dangereuse.

- Ce n'est pas tant son ascendance qui vous dérange, rétorquai-je, moqueur. C'est le fait que vous ne pourrez pas la contrôler. Vous n'avez aucun pouvoir sur elle. Elle peut créer son propre chemin sans se préoccuper de vos interventions. Elle peut courber le destin selon son désir et vous n'y pouvez rien. Ça a de quoi agacer, non ?

- Cela n'a rien à voir.

- Évidemment que non, raillai-je.

- Nous ne contrôlons pas les mortels, aboya Michael.

Gabriel posa une main sur le bras de son frère, l'obligeant à se calmer et à se taire. Michael s'enfonça dans son siège et croisa les bras. Je venais d'avoir la preuve de ce que j'avais soupçonné depuis longtemps : Gabriel était le cerveau et Michael le faciès de l'exécution.

- J'aurais tendance à contredire cette affirmation, dit posément Zacharael, songeur. J'ai une vue d'ensemble sur ce qu'il se passe dans les hiérarchies subalternes et sur la façon dont les gardiens sont amenés à mener à bien leurs missions. De façon objective, certaines actions peuvent être considérées comme du contrôle de population.

- Que veux-tu dire ? questionna brusquement Uzziel. Que nous ne laissons pas le libre-arbitre aux mortels ? Que nous les forçons dans une seule direction ?

- Oui. C'est exactement cela. Nous ne sommes plus des bergers mais des gardes-chiourmes. Nous sommes censés guider les mortels à choisir la voie de Dieu. Ce que nous faisons... ce n'est plus ça. Nous avons appris à manipuler les événements et les mortels pour obtenir des tournures qui nous conviennent. Cassiel en est l'exemple-même. Jamais auparavant nous n'aurions laissé l'un des nôtres refuser de laisser un ange gardien sauver un mortel, quand bien même cela nous priverait d'une âme puissante ! Je pense sincèrement que nous devrions avoir honte et que c'est pour cela que Rahel a été choisi pour remplacer Cassiel.

- En quoi est-il si important ?

Gabriel semblait intéressé, en pleine réflexion. Il savait y faire. J'aurais pu y croire si je ne savais pas ce qu'il avait prévu et ce qu'il avait déjà fait.

- C'est la première fois qu'une ancienne âme humaine a eu droit à subir l'ascension. Que l'on transforme une âme humaine en ange a souvent été réalisé mais en archange ? Ça n'avait jamais été fait. Et Dieu lui-même y a mis la main. Pour moi, c'est le signe que, quelque part, nous avons commencé à dévier de notre but et qu'il nous rappelle à l'ordre.

- C'est une disgrâce, marmonna Uzziel, audible juste pour mon bon plaisir mais pas pour le reste des anges.

Je choisis de ne pas relever et, visiblement, Chamuel aussi.

- C'est... logique, dit prudemment Gabriel. En tout cas, c'est une forme de logique qui pourrait potentiellement expliquer la venue de Rahel dans nos rangs.

- Dois-je rappeler à quiconque que le soucis dont nous devons discuter, ce n'est pas mon ascension qui est faite et inchangeable, mais le fait que nous avons le Diable sur Terre ? questionnai-je avec un ennui à peine feint.

Chamuel pouffa à peine discrètement. Le coin de la bouche de Zacharael se releva dans un rictus sardonique. Gabriel se garda bien de réagir tandis que Michael serrait les poings et que les ailes d'Uzziel s'agitaient dans son dos avec fureur.

Seule Anael ne disait rien. J'avais presque tendance à l'oublier. Elle écoutait attentivement mais gardait le silence, discrète comme une souris redoutant de se faire dévorer par le chat.

- Tu as raison, finit par dire lentement Gabriel. Tu fais partie des nôtres désormais. Nous ne pouvons pas changer ce fait. Toutefois, l'ascension d'une âme humaine à l'état d'archange n'est pas un fait anodin. Nous devons essayer de savoir ce que cela signifie pour mieux pouvoir décider de ce que nous allons faire.

- Cela signifie une chose toute simple : que Cassiel m'a fait tuer et que Dieu ou les Cieux ou l'Univers ou peu importe ce qui a pris la décision, a choisi de me remercier de mon sacrifice. De compenser la vie que j'ai perdue à cause de l'un d'entre vous.

Le silence qui suivit me parut lourd. Je cherchai à croiser le regard de Gabriel ou de Michael mais tous deux gardaient les yeux rivés droit devant eux, vers leurs Chérubins et leurs Séraphins.

Je tressaillis lorsqu'une douce voix féminine s'éleva.

- Il est mort à cause de Cassiel dans des conditions terribles. Et pourtant, il est ici, avec nous, prêt à être sacrifié une nouvelle fois sur l'autel de notre couardise. Malgré ses fautes, Cassiel est le seul à avoir tenté d'agir. Il n'a pas été entendu lorsqu'il criait danger. Voilà où nous en sommes désormais. Avec une âme ancienne pour régner sur les Trônes parce que certains d'entre nous ont refusé d'écouter et d'agir. S'il y a une chose à comprendre de la venue de Rahel parmi nous, c'est qu'il est temps de se débarrasser des œillères de notre lâcheté pour faire face au véritable problème.

- Et quel serait ce véritable problème ? vilipenda Uzziel.

- Le fait que Michael n'ait pas détruit Lucifer lorsqu'il en a eu l'occasion. Le fait qu'il veuille charger un jeune Archange, une âme humaine, de ce travail qui a toujours été le sien. Le fait que l'Archange des Séraphins, l'ange le plus près de Dieu, pêche par lâcheté.

Je ne sus si je devais applaudir ou me préparer pour une guerre ouverte.

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NdlA : Nouveau chapiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiitre ! J'espère qu'il vous a plu ! J'ai hâte de lire vos commentaires ! En espérant que j'arrive à tous les voir xD Parce que, non, je n'ai toujours pas de solutions à tous les soucis que j'ai avec les notifs et les commentaires...