Chapitre 27

Je dus apprendre à diviser mes journées en sections pour tenter d'avancer sur autant de fronts que possible. Seul, c'était compliqué de gérer mon entraînement tout en me méfiant de Michael, de traquer Samael, de rester dans les bonnes grâces des Cupidons, de planifier pour le conseil de guerre...

Sans compter que Meriel me manquait. C'était étrange de ne pas le voir aussi souvent qu'avant, de ne pas avoir sa présence. C'était sûrement pour le mieux, un sevrage soudain et brutal pour plus d'effet. Je ne savais pas où nous en étions, si nous étions toujours ensemble ou s'il avait choisi cette occasion pour se considérer à nouveau célibataire, en sécurité.

Je secouai la tête. Ce n'était pas le moment de penser à lui. Aussi important que ça soit pour moi, ça ne l'était que pour moi, pas pour le reste des Cieux et encore moins pour les mortels.

J'avais réussi à établir plusieurs stratégies pour amener Samael à se dévoiler. Restait à les mettre en œuvre. Ça allait être le plus complexe. Je n'étais pas un maître de la manipulation, loin de là. J'avais de fortes chances que ça échoue ou que je sois découvert mais je devais essayer. Je n'avais rien à perdre.

6 Je peux savoir pourquoi tu te morfonds, seul dans ta tour ?

Je tressaillis. Flax se posa sur le bureau, les poings sur les hanches, ses petits ailes vibrant dans son dos.

- Je croyais que seuls les archanges pouvaient monter ici ?

- Je suis un Cupidon, je n'ai aucune restriction. Je vais là où il y a des cœurs à unir. Et purée, le tien est en miettes. Tu sais à quoi il me fait penser ? À une banshee. Il hurle et il hurle et il hurle de plus en plus fort dans l'espoir que tu cesses de l'ignorer.

- Je ne peux rien faire pour lui. Pas pour l'instant, en tout cas. Je dois m'occuper de...

- De toi ! Tu dois t'occuper de toi ! Tu crois que tu fais du bon travail dans l'état où tu es ? Je t'ai observé, tu sais. Tu n'arrives même pas à te concentrer ! Tu es la proie la plus facile de tous les Cieux tellement tu es isolé. Tu présentes un tableau si pathétique que tu n'as aucune chance durant un conseil de guerre.

- Je fais de mon mieux avec les cartes que j'ai, d'accord ? Si tu veux blâmer quelqu'un, va voir Meriel ! Ce bordel ne vient pas de moi !

- Il se fait déjà remonter les bretelles, ne t'en fais pas. Je n'aurais pas pensé qu'il puisse se comporter comme un crétin mais je suppose que tous les humains, qu'ils soient devenus anges ou non, gardent la crétinerie profondément ancrée en eux.

Je le fusillai du regard et il haussa les épaules, me provoquant ouvertement. Il savait que je me préoccupais encore de Meriel et il comptait jouer sur ça pour que j'agisse et que j'aille le voir. Ce que je refusais de faire. Je n'avais aucune faute à mon nom dans ce conflit. Si quelqu'un devait réagir, c'était Meriel, pas moi. Peu importait combien de fois j'avais considéré l'idée de tout envoyer valser et d'aller lui parler pour tenter de le récupérer.

- Je dois avouer que je ne m'attendais pas à ce que cette personne réagisse comme elle l'a fait mais elle me facilite le travail donc je ne vais pas me plaindre. Lui, par contre... Avec tous les coups qu'il s'est pris sur la tête, il a passé un sale quart d'heure.

Je tentai de lutter contre mon envie de savoir de quoi il parlait mais, si les mots ne sortirent pas de ma bouche, ils se lisaient sur mon visage et ça le faisait jubiler.

- Ne gaspille pas mon travail, Rahel. C'est la seule chose que je te demande. Si je le pouvais, je t'aurais bien percé d'une autre flèche mais aucun d'entre nous ne veut voir les conséquences.

- Quelles conséquences ?

Je n'avais jamais entendu parler de la possibilité d'une seconde flèche mais j'étais curieux de savoir pourquoi ça lui apparaissait si impossible à faire.

- Tu deviendrais fou d'amour dans le pire sens que tu peux imaginer. Obsessif, étouffant, oublieux du monde autour. Les rares cas où quelqu'un a reçu deux flèches se sont mal finis. Il y a toujours des morts. Toujours. Et je doute que tu veuilles tuer quelqu'un avant de te suicider, n'est-ce pas ?

Je déglutis et niai de la tête. Ce n'était vraiment pas un sort que j'avais envie de subir. Toutefois, ça me faisait réfléchir sur le pouvoir réel des Cupidons. Je n'y avais jamais réellement songé avant. Je savais les basiques : ils utilisaient leurs flèches pour créer un lien entre deux personnes qui les aidait à se rapprocher. Cette idée qu'une seconde flèche puisse amener autant de dégâts ne me serait jamais venue.

- Qu'est-ce que tes flèches peuvent faire, exactement ?

- Pourquoi tu me demandes ça ?

- Simple curiosité.

Il m'observa en silence avant de céder. Il s'assit en tailleur sur mon bureau après avoir poussé les papiers sur le côté.

- C'est assez simple, vraiment. Nous créons l'amour. Sous quelque forme qu'il soit. Il m'est déjà arrivé d'envoyer une flèche à quelqu'un qui venait d'adopter pour l'aider à créer un lien avec l'enfant. Il y a quelques jours, Blossom est intervenu dans une famille pour renouer les liens familiaux. Un cas plus rare, c'est de créer des amitiés. Ça arrive parfois de façon volontaire. Le plus souvent, ça arrive parce que l'amour qu'on a créé ne forme pas un lien assez fort pour donner autre chose qu'une forte amitié ou qu'il est étouffé par d'autres émotions.

« Nos missions nous viennent de Dieu et sont transmises par Michael jusqu'à Cosmo...

- C'est Michael qui vous donne vos missions ? l'interrompis-je.

- Il nous les transmet depuis Dieu.

- Et vous gardez des traces de ces missions ?

- Quel genre de trace ? Papier ?

- Peu importe. Des archives que je pourrais consulter.

- Il me semble que Cosmo remplit des cahiers pour voir notre degré de réussite et calculer l'évolution de notre travail chaque année humaine. Sinon, nous nous souvenons tous de chacune de nos missions.

Je me sentis opiner vaguement du chef. Se pouvait-il que Michael ait interféré dans le travail des Cupidons ? Qu'il les ait utilisés pour l'aider dans ses manipulations ? Je ne parvenais pas à voir pour quelle raison il l'aurait fait mais mieux valait vérifier. Je ne l'aurais pas cru capable de faire une chose pour laquelle il condamnait Cassiel et pourtant, il ne se gênait pas pour me manipuler.

Penser à Cassiel me fit réaliser que, de nous trois, Michael et Gabriel avaient le plus de chances de déchoir. Ils étaient en train d'orchestrer ma damnation. Ils faisaient tout ce qui était en leur pouvoir pour que je détruise Lucifer. C'était aussi mal que Cassiel orchestrant ma mort pour que je devienne un ange plus puissant que les autres.

Si je le faisais, si je tuais Lucifer, ils allaient déchoir. Par contre, si je ne le faisais pas... Seraient-ils punis ? Ou continueraient-ils à manipuler le monde pour obtenir ce qu'ils voulaient ? Je n'étais sûr ni de l'un ni de l'autre. Cela voulait-il dire que je devrais tuer Lucifer, me condamner pour qu'ils reçoivent le châtiment qui leur était dû ?

- Je peux sentir que quelque chose te trouble beaucoup, dit Flax. Mais ça ne concerne pas Meriel. Qu'est-ce que c'est ?

- Rien dont tu devrais te mêler, répondis-je plus sèchement que voulu.

Il haussa les épaules, loin d'être vexé par ma rebuffade. Il se releva, tituba légèrement avant de retrouver son équilibre.

- Je dois retourner travailler. Essaie de parler à Meriel. Vous en avez besoin tous les deux.

- Je viens avec toi. Il faut que je voie ce registre que fait Cosmo.

Il haussa un sourcil mais s'envola. Je lui emboîtai le pas. Je ne voyais pas en quoi Michael pourrait utiliser les Cupidons mais je préférais vérifier pour ne pas manquer un élément de son plan plutôt que de le voir me mordre les fesses lorsqu'il serait trop tard.

- Flax ?

- Oui ?

- Pourquoi est-ce que tu as choisi Meriel ? Quand tu as décidé de me caser, pourquoi lui ?

- Parce que vous êtes parfaits l'un pour l'autre. Il te motive à dépasser tes limites et te raisonne si tu vas trop loin. Tu lui donnes la protection qu'il a toujours rêvée et tu stimules son intellect. Vous fonctionnez parfaitement séparément mais ensemble, vous êtes capables de choses grandioses. Son cœur l'a su plus vite que le tien et il a cessé de le nier et de l'ignorer bien plus vite que toi. Sûrement à cause de cet esprit qui ne se repose jamais. À part quand tu le fais se sentir suffisamment en sécurité pour qu'il cesse d'analyser tout ce qui l'entoure au cas où il serait en danger.

Il m'expliquait énormément de choses sur Meriel que je n'avais pas comprises, que je n'avais pas remarquées. Je n'aurais jamais pu deviner un tel besoin de protection chez lui si Flax ne l'avait pas pointé du doigt. Maintenant qu'il l'avait dit, ça expliquait tant de choses que je me sentis stupide. J'aurais dû le savoir, après tout.

- Il serait peut-être mieux avec quelqu'un d'autre, soufflai-je.

- Non, répondit-il d'un ton si catégorique que je le vécus comme un coup dans le ventre. Je ne fais jamais d'erreur et tous mes frères et sœurs s'accordent sur le fait que vous êtes parfaits l'un pour l'autre.

Il s'arrêta pour me regarder dans les yeux.

- C'est normal qu'il y ait des disputes, des incompréhensions entre vous. Vous vous connaissez depuis quoi ? Une année humaine ? Un peu plus ? Vous apprenez encore à vous connaître. Il ne sait pas tout ce qu'il y a à savoir sur toi et il ne s'est pas encore entièrement ouvert à toi.

Il reprit son vol à côté de moi, dans l'espace entre mes ailes et mon épaule.

- D'ordinaire, je ne serais pas intervenu mais par les temps qui courent... Je préférerais que vous vous réconciliez le plus vite possible. On ne sait jamais ce qui peut se passer et je n'ai pas envie de vous voir brisés chacun de votre côté.

Il poussa la porte qui ouvrait que la salle des Cupidons. Les tas de cartes étaient toujours dans un coin de la pièce. Le rouge prédominait. Ils n'avaient toujours pas trouvé les deux derniers livres et il restait sûrement peu d'endroits à sonder.

Je fus accueilli dans un bruissement d'ailes digne d'un essaim d'abeilles. Tous parlèrent en même temps et j'aurais été bien incapable de comprendre la moindre question ou remarque. Je les laissai se calmer sans répondre à aucun d'entre eux. C'était plus simple que d'essayer de me concentrer sur l'un ou l'autre. Ils étaient trop enthousiastes pour avoir un semblant de conversation.

Il fallut l'intervention de Cosmo pour les convaincre de me relâcher. Ils se dispersèrent comme des mouches et repartirent travailler. Seul Flax demeura à mes côtés avec son chef.

- Que nous vaut le plaisir de ta visite ? me questionna Cosmo avec un sourire. Nous n'avons toujours pas trouvé le moindre signe des deux derniers livres d'Hénoch. Pour tout te dire, nous pensons qu'il est fort probable que Lucifer les ai sur lui plutôt que de les cacher comme il l'a fait avec les autres.

- Je ne suis pas venu pour ça. Flax m'a parlé d'un registre des missions. Je pourrais le voir ?

Cosmo parut surpris. À côté de moi, Flax haussa les épaules. Ils n'avaient pas besoin de savoir pourquoi je voulais les voir. Si tout se passait bien, je ne trouverais rien.

- Je les conserve par là.

J'étouffai un soupir de soulagement lorsque Cosmo ne posa pas de questions sur mes motivations. Il se contenta d'ouvrir le chemin vers un coin de la pièce où des casiers étaient installés les uns contre les autres le long d'un pan de mur. Chacun portait le nom d'un Cupidon.

- J'en ai des biens plus anciens, si tu as besoin. Ceux-là remontent à deux décennies, à peu près.

- Ça devrait aller. Merci.

Avec un regard évaluateur, il me laissa pour aller recueillir les résultats des Cupidons qui revenaient et donner de nouveaux ordres.

Je considérai les dossiers et soupirai. Ça allait me prendre un temps infini de fouiller tout ça. Si au moins j'avais su ce que je cherchais, ça aurait été plus simple de trouver s'il y avait quelque chose. Au lieu de ça, j'allais devoir faire des heures et des heures de recherches, à passer des noms en revue dans l'espoir d'en dénicher un qui m'était familier.

Je me décidai à remonter dix ans en arrière pour l'instant. Déjà dix ans, ça me paraissait beaucoup mais je préférais assurer mes arrières. Ça faisait déjà deux gros cahiers pour chaque Cupidon et ils étaient neuf, ce qui me donnait des milliers de noms à examiner.

- Qu'est-ce que tu cherches ? vint me questionner Cosmo.

- Je n'en sais rien pour l'instant. J'ai encore l'espoir de ne rien trouver. Je doute d'être aussi chanceux.

- Ça a quelque chose à voir avec tout ce qui se passe ? Avec le conseil de guerre ?

- Pas vraiment. Plutôt avec un jeu dangereux que certains ne devraient pas jouer puisqu'ils ne sont pas prêts à en assumer les conséquences.

Il haussa un sourcil.

- Je n'ai aucun doute que ça a un rapport avec Michael mais je n'arrive pas à saisir lequel.

- Et c'est aussi bien.

- Que peut-il avoir fait qui te mette dans cet état ? C'est le plus grand de tous les anges. Tu ne devrais pas avoir à te plaindre de lui.

- Tu ne le connais pas comme je le connais.

Je tournai page après page, scannant les noms du bout du doigt. Cosmo comprit que je le congédiai et il retourna travailler.

Il ne me fallut pas quelques heures avant de voir les lettres se mélanger sur les lignes. Je me frottai les yeux et me résignai à faire une pause. J'avais déjà fait la moitié, je pouvais me le permettre.

- Toujours rien ? s'enquit Lemony.

- Non. De votre côté ?

- Rien non plus. Les deux derniers livres ont entièrement disparu. C'est très frustrant.

Il n'attendit pas de réponse et s'éloigna. Je n'arriverais jamais àle cerner complètement.

Je me résignai à retourner dans mes cahiers. Il ne m'en restait plus que quatre à éplucher. Ça devrait me prendre deux à trois heures. Rien de bien méchant si mes yeux ne venaient pas lutter contre moi.

- Ce fut dans le cahier de Blossom que je le trouvais. Ça ne remontaitqu'à quelques mois. Deux noms sur une ligne précédés d'un tampondans la marge.


Succès : Declan Beahan –Raquel Salgado


Une douche froide me gela jusqu'aux os à la vue du nom de mon protégé et de sa petite amie. Se pouvait-il que Michael soit intervenu sur ce couple ? Ça me paraissait trop étrange pour que ça soit une coïncidence.

Je rejoignis Cosmo.

- Tu pourrais m'envoyer Blossom dès qu'elle sera de retour ? J'aurais besoin de lui parler.

- Il y a un problème ?

La voix du Cupidon concerné empêcha son chef de répondre. Nous ne l'avions pas vu remonter de la Terre et arriver derrière nous.

Je lui fis signe de me suivre à l'écart des autres. Cosmo nous regarda faire mais n'intervint pas. Une fois que je fus certain que les Cupidons ne pourraient rien entendre, je posai mes questions.

- Tu te souviens de ce couple ?

Elle se pencha pour regarder les noms que je lui montrai sur le cahier. Elle fronça les sourcils et se redressa, réfléchissant, cherchant ses souvenirs.

- Ça me revient. Je n'ai pas aimé cette mission.

- Pourquoi ?

- Ils ne vont pas ensemble. Je ne sais pas pourquoi il y a eu un ordre pour les mettre ensemble. Je suis encore étonnée que ma flèche ait eu un quelconque effet sur eux. Au maximum, ils auraient dû devenir amis et rien de plus. J'admets que cette mission m'a toujours dérangée. Pourquoi me poser la question ?

J'ignorai sa question.

- Tu as reçu cette mission par Cosmo ?

- Oui. Comme toutes les autres. Michael a dû la mettre sur la liste qu'il envoie tous les jours. Mais pourquoi... ?

Elle ne termina pas sa phrase, voyant bien que je ne comptais pas lui répondre. Son visage se ferma – autant que le visage d'un bébé perpétuellement joyeux puisse se fermer – et croisa les bras.

Si Blossom avait senti qu'ils n'étaient pas faits l'un pour l'autre, Michael devait avoir rajouté cette mission sur la suite alors qu'elle n'aurait pas dû y être. Pourquoi ? Qu'est-ce que cela pouvait lui apporter que Declan ait quelqu'un dans sa vie ? Qu'est-ce que ça changeait ? Surtout s'ils n'étaient pas accordés.

Ça n'avait aucun sens. Pourquoi prendre le risque d'ajouter un couple qui risquait de soulever des questions ? Jusque là, tout ce que faisait Michael avait un but final dans la lutte contre Lucifer. Qu'il ait ciblé Declan confirmait qu'il l'impliquait dans son plan. Mais que venait faire Raquel là-dedans ? Que pouvait-elle bien amener à Michael qu'Ava n'aurait pas pu ? Après tout, ils vivaient sous le même toit. Du peu que j'avais vu, il n'y avait que trois différences majeures entre les deux femmes : Ava était une sorcière tandis que Raquel ne l'était pas, Ava et Declan étaient simplement amis et Ava avait bien plus de force mentale que Raquel. J'étais certain que la nouvelle addition au groupe n'aurait jamais tenu sans partir en courant à la moitié de ce qu'il s'était passé lorsque j'étais encore un ange.

Mon estomac remonta dans ma gorge. Je venais de comprendre.

Il fallait que je voie Meriel au plus vite.

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NdlA : oui, oui, je suis encore en retard ! Et maintenant, je vais être en retard au boulot !

En tout cas, j'espère que ce chapitre vous aura plu ! J'ai hâte de lire vos commentaires !

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