Chapitre 24

Michael n'était pas ravi à l'idée que je descende juste avant la fermeture des Cieux. Toutefois, même lui ne pouvait nier l'importance des livres. Je ne lui dis rien à propos de Chamuel même lorsqu'il m'annonça que j'allais devoir descendre avec lui et un petit contingent de Puissances.

Les deux premiers livres étaient entre les mains du Séraphin qui les gardait toujours sur lui, dissimulés et protégés par son énergie. Je n'étais pas certain que ça soit la meilleure solution mais je ne voyais pas quoi faire de mieux. En tout cas, pas tant que je n'aurais pas réussi à mettre la main sur Samael.

J'allais devoir apprendre à me servir de la Tour pour ça. Quand j'aurais récupéré le livre, si je n'étais pas trop mal en point, je prendrais le temps d'y retourner pour essayer de comprendre en quoi elle avait une si grande importance dans la traque des traîtres.

Meriel m'accompagna jusque chez les Puissances. Chamuel croisa les bras et fronça les sourcils en le voyant.

- C'est un gardien. Il n'a rien à faire ici.

- Il est avec moi, rétorquai-je. Si je veux qu'il vienne, il vient.

- Il nous posera problème s'il descend. À moins que tu ne veuilles le faire tuer. Qu'il meure maintenant ou dans quelques siècles, ça ne changera pas grand-chose pour toi, sur le long terme. Tu dois déjà t'être fait à l'idée de le voir disparaître.

La méchanceté latente de Chamuel me choqua.

- Vous serez mort avant lui, si j'ai mon mot à dire.

Ses iris s'écarquillèrent. Meriel posa une main sur mon bras.

Je ne comprenais pas son attitude. Il avait été si gentil et accueillant lorsque je l'avais rencontré. Certes, il m'avait mis mal à l'aise à cause de son côté tactile mais j'aurais pu l'apprécier. Au lieu de ça, il devenait pire que Hasdiel après avoir rencontré Meriel. Je savais que les anges n'étaient pas homophobes. J'avais eu le temps de m'en rendre compte. Toutefois, sa réaction était troublante. Qu'il n'aurait pas été créé en tant qu'archange que j'aurais pu croire qu'il retenait des préjugés humains.

- Ça suffit, tonna la voix de Gabriel.

Je me retournai pour le voir entrer, royal, avec ses ailes violet sombre et sa démarche raide. Il s'arrêta à côté de moi.

- Michael et moi t'avons prévenu, Chamuel. Tiens-toi correctement.

Le Puissance serra les poings, tremblant d'une rage à peine contenue que je ne comprenais pas. Je levai les yeux vers Gabriel qui demeurait figé, concentré sur son comparse.

- Il me semble qu'il serait préférable que tu n'interviennes pas sur cette mission, reprit-il froidement.

- Je suis l'Archange des Puissances, pas toi. Mêle-toi de tes affaires. Je décide des missions sur lesquelles j'interviens.

- Je suis ton supérieur et je te dis de ne pas descendre et de te calmer dans ton baraquement.

Chamuel lança un regard haineux à Gabriel avant de partir.

- C'est quoi, son problème, au juste ? lâchai-je.

- Les Puissances ont un tempérament... enflammé, si je puis dire. Ils vivent tout très rapidement et très vivement. Que ce soit leurs émotions ou les événements ou les plus petits détails. C'est ce qui les rend bons dans leur travail. Leur sens du devoir et leur besoin de protéger est sans pareil. Cependant, il y a un côté sombre à cette ébullition permanente. Chamuel étant leur archange, il peut être sujet à des explosions soudaines d'émotions réprimées. La plupart du temps, il se contrôle parfaitement. Il arrive aussi que la vanne cède. Or, il se trouve qu'il semble s'être pris d'affection pour toi. C'est pour cela que nous avons tenté de le garder loin aussi longtemps que possible. Nous pensions que c'était passé. Nous avons eu tort. Il a su nous dissimuler son manque de contrôle jusqu'à ce qu'il découvre que tu es déjà dans une relation.

Sonné, je cillai stupidement en regardant Gabriel. Je tentai d'assimiler ce qu'il venait de me révéler. Parce que j'avais un peu de mal. En toute honnêteté, ça éclairait certaines choses mais en assombrissait d'autres et je n'étais pas certain d'avoir envie d'y réfléchir sous le regard meurtrier de Meriel.

- Quoi ? couinai-je.

Je n'avais rien fait de mal et pourtant, lorsqu'il me regardait ainsi, j'étais prêt à avouer tous les crimes dont il m'accuserait dans le simple espoir qu'il se calme.

- Le savais-tu ? Qu'il est amoureux de toi ?

- Quoi ?! Il n'est pas amoureux de moi ! Je l'ai rencontré il y a une semaine !

- Il est amoureux de toi, contra calmement Gabriel. Tu ne l'avais pas vu mais lui était curieux de découvrir le nouvel Archange des Trônes. Michael et moi avons tout de suite compris. Ne t'en fais pas. Ça finit toujours par lui passer. Tu n'es pas le premier dont il s'éprend.

- J'espère ! Il dirige les Puissances ! Il a plutôt intérêt à remettre sa tête à l'endroit si on veut avoir une chance de ne pas tous mourir !

Meriel continuait de m'assassiner du regard. Gabriel venait de lui dire que je n'y étais pour rien mais ça ne le calmait pas. Sa jalousie semblait être aussi passionnée que s'il avait été lui-même un Puissance.

- Préparez-vous à descendre, ordonna Gabriel aux anges qui avaient été choisis par Chamuel pour m'escorter. Et soyez coopératifs avec Rahel.

Il tourna les talons et me laissa seul avec un petit ami furieux dans un endroit qui me donnait la chair de poule.

- Tu as plutôt intérêt à l'éviter ! tonna Meriel. Si j'apprends que tu t'es retrouvé avec lui... !

- Qu'est-ce que j'aurais pu dire avec Hasdiel ! rétorquai-je sèchement. Ton amie qui aurait été prête à tout pour la moindre miette d'attention de ta part. Tu ne m'as pas entendu te dire de l'éviter !

- Ce n'est pas pareil !

- Non, c'est vrai. Je ne connais même pas ce type alors que tu as passé plus d'un siècle avec Hasdiel !

- Je peux gérer Hasdiel ! Je l'ai géré !

- Tu insinues que je ne peux pas faire pareil ? Que dès que je vais me retrouver dans la même pièce que Chamuel, je vais me faire avoir ?! T'es sérieux, là ?! T'as si peu confiance en moi ?

Il se campa sur ses jambes et croisa les bras. Il était entièrement fermé et j'étais prêt à parier qu'il refuserait tous mes arguments. Quoi que je dise, j'allais être dans le tort.

Ce n'était pas vraiment comme ça que j'avais prévu de passer la journée...

- Ce n'est pas une question de confiance.

- Qu'est-ce que c'est dans ce cas ? Parce que tout ce que j'entends, c'est que tu ne me fais pas assez confiance pour me laisser gérer Chamuel comme je l'ai fait avec toi et Hasdiel.

- Ce n'est pas pareil ! siffla-t-il. Hasdiel est un ange, pas un archange ! Et certainement pas une Puissance !

L'escadron revenait, armé et en tenue. Il ne leur avait pas fallu longtemps pour s'adapter à la perte de leur chef et agir en conséquence. Tant mieux. Je n'étais pas d'humeur à jouer les commandants d'armée.

Meriel me jeta un regard flamboyant et plein d'une vulnérabilité que j'étais sûrement le seul à pouvoir détecter tant elle était subtilement dissimulée sur son visage.

- On finira quand je reviendrais, soupirai-je. Je dois y aller avant que les Cieux ne soient sous clé.

Il hocha froidement la tête mais resta planté là. Je gagnai leur salle des descentes personnelle et inspirai profondément avant d'emprunter l'escalier. Si j'avais pu faire autrement, j'aurais repoussé cette mission. Je n'étais pas concentré et j'aurais voulu terminer cette conversation – une dispute, vraiment – avant d'avoir à aller me mettre en danger. Dommage pour moi, la guerre n'attendait pas que je règle mes problèmes de couple.

J'atterris dans une flaque d'eau qui me trempa jusqu'en haut des mollets. La France était noyée par des pluies diluviennes qui n'étaient pas décidées à s'arrêter. Je ne perdis pas une seconde et pénétrai par l'entrée étroite et ornée, m'enfonçant dans le couloir. Plus vite j'en aurais terminé sur Terre, mieux ce serait. Je n'allais pas laisser la situation moisir avec Meriel à cause des conneries de Lucifer.

Il me fallut un temps avant de réaliser où j'étais et pour que la panique s'installe. Autour de moi, la nuit s'était installée, profonde, sans la moindre particule de lumière. J'étais profondément enfoncé sous terre, suivant un fil d'Ariane qui ne me ramènerait pas vers la sortie une fois que j'aurais atteint le livre.

J'étais sous terre.

Non. Tout allait bien. Je n'étais pas seul. J'allais pouvoir sortir. Juste le temps de prendre le livre et demi-tour.

Je sursautai lorsqu'une main se posa sur mon épaule. Mon crâne heurta le plafond bas et je me mordis la langue.

- Est-ce que ça va ?

- Non.

L'ange m'observa longuement sans répondre. J'avais du mal à respirer. Il chercha de l'aide parmi ses coéquipiers. Je me concentrai sur lui pour ne pas perdre pied.

- Bougez de là ! tonna une voix à l'arrière du convoi.

Plus ou moins difficilement, les anges s'écartèrent pour laisser une fine silhouette se faufiler entre eux.

Comment réussissais-je à voir des étoiles alors qu'il faisait noir comme dans un four ?

La gifle me prit par surprise. La douleur me réveilla.

- Te sens-tu mieux ?

- M-Meriel ?! bégayai-je, comme un crétin. Mais qu'est-ce que tu fiches ici ?

- Pensais-tu vraiment que j'allais te laisser descendre dans les Catacombes de Paris en sachant que tu ne saurais pas le gérer ?

- Je sais pas gérer grand-chose selon toi, dis donc ! Je me demande bien pourquoi c'est sur moi que tout le monde compte pour détruire Lucifer !

- Il faut y aller, intervint le Puissance qui devait être le chef d'escadron. Nous n'avons pas le temps.

- Tu remontes, ordonnai-je à Meriel. Nous, on va chercher le livre.

- Et si tu paniques encore ?

- Il y en aura bien un pour m'en coller une sans m'arracher la mâchoire.

Je laissai la profonde tristesse contre laquelle je luttais depuis que je lui avais tourné le dos m'envahir, repoussant la panique qui menaçait de remonter et de m'avaler. Je ne lui laissai pas le temps de discuter et m'enfonçai plus profondément dans les couloirs, suivant le fil lumineux qui menait à l'un des morceaux de l'œuvre d'Hénoch.

Je ne fis pas attention à l'ordre donné par le Puissance à l'un des siens d'escorter Meriel jusqu'aux Cieux. Tout ce qui comptait, c'était d'en finir avec ce livre pour que je puisse aller m'enfermer dans mes quartiers et envoyer tout le monde sur les roses avec la gentillesse d'un rhinocéros enragé.

Par chance, les Puissances ne dirent rien sur ce qu'il s'était passé. Malgré tout, Camael (le Puissance en charge) gardait un œil sur moi. Je pouvais le sentir m'observer pour vérifier que je ne tombais pas dans une nouvelle crise d'angoisse.

Plus je m'enfonçais profondément dans les Catacombes, plus la lutte était difficile en moi. Tout ce que je ressentais vis-à-vis de la situation avec Meriel ne serait pas suffisant pour étouffer la panique si je ne sortais pas rapidement d'ici.

Lorsque nous atteignîmes une partie presque entièrement inondé, mon cerveau abandonna la lutte et Camael eut un mal fou à m'empêcher de détaler comme un lapin. Mes souvenirs de la suite étaient flous, incertains. La seule chose qui avait marqué mon esprit était la poigne ferme qu'il maintenait autour de mon bras. Il ne s'arrêta que lorsque nous atteignîmes une caverne un peu plus vaste que les autres. Il me fit asseoir à terre le temps que je reprenne mes esprits. Les Puissances avaient formé un cercle autour de moi et ça m'aida. Ce n'était probablement pas leur but mais voir toutes ces personnes réelles, tangibles, m'aida à réaliser que je n'étais pas seul, que je n'allais pas être à nouveau enterré vivant.

- D'où vient ce traumatisme ? questionna Camael une fois que je fus assez calme pour reprendre la route.

- Six mois enfermé sous terre dont plusieurs semaines embroché sur de la roche avec la marée pour tenter de me noyer.

- Je m'attendais à quelque chose d'horrible mais pas à ça.

- Merci Lucifer.

Les réactions que j'obtins des anges qui m'entendirent prononcer le nom du Diable furent diverses. Quelqu'un trébucha, manquant de tous nous faire chuter, deux autres éternuèrent avec divers degrés de violence, un autre cria... Le pire fut Camael attrapa un hoquet si violent qu'il ne cessa de se cogner jusqu'à ce que ça se calme.

Au bout d'un temps infini, nous atteignîmes un cul-de-sac dans un couloir si étroit que les épaules des Puissances frottaient de chaque côté contre la pierre humide. La pire chose qui aurait pu nous arriver.

Camael me força à reculer pour s'occuper de la pierre branlante qui dissimulait le livre. Je me retrouvai pris entre les corps épais et musclés, protégé au meilleur de leurs capacités.

Pour la première fois, je n'eus rien à faire. Lorsque des dizaines de chauves-souris – des démons sous forme de chauves-souris – jaillirent du trou, les Puissances s'en occupèrent. Pas qu'ils eurent beaucoup de mal puisque les bestiaux n'avaient vraiment de moyen de s'échapper.

Par chance, un Puissance intelligent avait marqué notre chemin pour faciliter notre retour. Sans aucune honte, je courus jusqu'à la sortie, laissant libre court à ma panique, le carnet serré contre ma poitrine.

Je m'effondrai sur le trottoir. Si j'avais eu quelque chose dans l'estomac, j'aurais tout vomi. Je collai ma joue au bitume, laissant la pluie me rafraîchir et me laver de la sueur dont j'étais couvert. J'avais survécu à un voyage sous terre. Je n'avais même pas eu à me battre.

Camael m'aida à me relever et à remonter vers les Cieux. Physiquement, j'allais bien. Mentalement, j'étais épuisé. Il prit sur lui de me ramener dans mes quartiers dans le secteur des Cupidons. Meriel y tournait en rond, usant le tapis. Il ne dit rien lorsque je me couchai en continuant de serrer le livre. Juste envie de m'endormir, je le sentis se glisser à côté de moi dans le lit et se presser contre mon dos.

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NdlA : Nouveau chapiiiiiiiiiiiiiiiitre ! Qu'est-ce que vous en dites ?

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