Chapitre 21

Ce furent des voix qui me sortirent de mon inconscience. Toutes mes blessures choisirent ce moment pour se rappeler à mon souvenir. Je tendis l'oreille pour savoir si j'hallucinais ou non. Ce n'était pas la première fois que j'entendais des voix, après tout. Cependant, celles-ci étaient plus fortes que toutes celles que j'avais déjà pu percevoir durant mes crises de panique et de claustrophobie. Et elles étaient cohérentes.

- On a déjà fouillé cette caverne ! Pourquoi est-ce que tu veux la fouiller encore ?

- Je te l'ai dit. Je dois le faire. Je le sens.

- Tu ne pourrais pas au moins attendre que la marée soit totalement repartie ?

- Tais-toi, Hasdiel, par pitié ! Ou je te jure que je vais t'assommer et me débrouiller tout seul.

Hasdiel ? HASDIEL ?!

Je forçai mes yeux à s'ouvrir. Le soleil qui perçait à travers le plafond me brûla la rétine. Lorsque je me fus habitué à la nouvelle luminosité, je cherchai désespérément Hasdiel. J'étais certain que Meriel était avec elle. Il n'y avait personne dans la caverne. J'eus beau regarder, je ne voyais pas la moindre silhouette.

Je me laissai retomber contre ce qui risquait fortement de devenir ma tombe. Mes hallucinations avaient pris une nouvelle dimension et je n'avais même pas l'énergie de m'en préoccuper.

- As-tu entendu ça ?

- Quoi ? Les pierres ? Tu veux entendre quoi d'autre dans une grotte ?

- Dépêche-toi.

Mon hallucination était bizarre. Elle ne ressemblait pas à toutes celles que j'avais pu avoir auparavant. Je ne savais pas ce qu'il se passait dans mon crâne mais ce n'était pas bon signe. Je devenais complètement marteau.

Je cherchai les ténèbres réconfortantes de l'inconscience. Je ne comptai pas passer plus de temps que nécessaire éveillé.

- Oh, Seigneur !

Les voix étaient plus proches. Mais elles n'étaient pas réelles. Personne ne me trouverait jamais.

- Oh, Rahel ! Oh, mon Dieu, Rahel !

Je sursautai violemment lorsque des doigts me touchèrent le visage. Un glapissement douloureux s'échappa de ma bouche.

- Il est encore vivant, souffla Hasdiel, choquée. Comment peut-il encore être vivant ? Ça va faire six mois !

- On s'en fout ! Sortons-le de là !

Je fus bien incapable de faire autre chose que de souffrir lorsqu'ils me tirèrent hors de ma tombe. Meriel me tint contre lui tandis que Hasdiel me soignait. Quelque part au milieu de ses soins, je cédai et tournai de l'œil.

Je me réveillai sur quelque chose de mou et de doux. Prudemment, je laissai ma main bouger pour tâter mes environs. Si j'étais en train d'halluciner, mon esprit était doué. Ça ressemblait sacrément à un lit.

Se pouvait-il que mon dernier délire n'en soit pas un ? Que Hasdiel et Meriel aient réellement été là ? Qu'ils m'aient sauvé ?

J'ouvris un œil. Je le refermai aussitôt, agressé par la lumière céleste qui m'enveloppait. Il n'y avait qu'un seul endroit où elle était aussi puissante. La Serre.

Meriel était venu me chercher. Il m'avait trouvé et sauvé et ramené aux Cieux.

Je luttai contre tous mes instincts pour ouvrir les yeux.

- Il se réveille !

La voix était féminine. Familière. J'étais incapable de discerner un faciès. Il faisait trop clair. Mes yeux brûlaient. Je n'arrivais pas à m'adapter à une telle luminosité. J'enfonçai mon visage dans mon oreiller, le temps de les soulager.

- Rahel !

Cette voix, même au plus profond de mes délires, je l'aurais reconnue.

- Meriel.

Ma voix était rauque, difficile, à peine compréhensible.

Je sortis ma tête de l'oreiller et rouvris les yeux. La lumière m'agressa une fraction de seconde. Je me retrouvai fermement enlacé par Meriel avant d'avoir pu réagir. Son odeur de jasmin envahit tous mes sens et... Je me mis à pleurer. De chaudes larmes accompagnées de violents hoquets qui secouèrent mon corps tout entier.

- C'est fini, murmura-t-il contre mon oreille. C'est fini.

Je m'accrochai à lui, priant pour que ça soit vrai, que je ne sois pas encore en train d'halluciner. Il était là, avec son parfum de jasmin, ses bras fins et forts, son corps souple et gracieux. Il était là, il était réel. Pas vrai ?

- C'est vraiment toi ? articulai-je difficilement.

- Oui. Je suis là. Je suis vraiment là. C'est fini.

Mon corps était engourdi mais mes douleurs avaient disparues. Jepouvais le serrer de toutes mes forces contre moi, m'agripper à lui comme jamais.

- J'ai cru que je ne te reverrais jamais, avoua-t-il. J'ai cru que je t'avais perdu. J'ai eu si peur de ne jamais te retrouver...

Je me reculai juste assez pour pouvoir le regarder. Je dus plisser les yeux pour pouvoir supporter la lumière céleste. Son visage se dessina devant moi, avec ses yeux turquoise étirés, son teint beige-rosé, ses lèvres fines, son nez droit. C'était vraiment lui. Dans les moindres détails.

- Comment ?

Il comprit de quoi je parlais. Sans surprise. Mon Meriel devinait toujours où je voulais en venir.

- Dès que tu as disparu, j'ai cherché. J'ai demandé de l'aide à Ava et Declan. C'est grâce à eux que j'ai appris qu'une grotte s'était effondrée sans raison apparente dans les falaises de la Mer Rouge. J'ai été voir et j'ai su que c'était là que tu avais été mais... Je n'ai trouvé que des corps d'humains et ceux de Daphiel et Maliel. Je savais que tu étais en vie. Je le savais et Gabriel aussi. Alors j'ai fouillé la caverne. Mais je n'ai rien trouvé. J'ai cru que Lucifer t'avait emmené avec lui.

Je pouvais entendre combien me dire tout cela était difficile pour lui. Si ça avait été dur pour moi, je n'osais imaginer ce que ça avait dû être pour lui.

- J'ai continué à chercher après toi. Je suis revenu dans la grotte pour tenter de voir si je n'avais pas manqué quelque chose. Un indice, un détail. Mais rien. Ça faisait déjà quatre mois que tu avais disparu et avec les marées... Toute trace avait été effacée.

- Alors comment... ?

- Je ne suis pas sûr. Je pourchassais tous les démons que je croisais pour tenter de savoir ce qu'il s'était passé. Aucun n'a parlé. Ils ne savaient pas. Ils te croyaient mort. Mais je savais que tu ne l'étais pas. Que tu étais quelque part, en vie. Et puis, il y a une semaine, j'ai senti qu'il fallait que je retourne dans la grotte. C'était une idée fixe. J'étais sûr de ne rien y trouver mais je devais y aller. Hasdiel est venue avec moi. J'ignore pourquoi. Nous ne nous parlions plus. Pourtant, elle a insisté pour venir. Elle disait que j'allais avoir besoin d'elle. Et on t'a trouvé. Tu étais dans un état... Rahel... Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Pourquoi je ne t'ai pas trouvé les fois où je suis venu ?

Il m'aida à m'asseoir dans mon lit. Je réalisai que nous n'étions pas aussi seuls que je l'avais cru. Sabriel, Gabriel et Michael écoutaient tout, nous tournant le dos pour un minimum d'intimité.

J'appuyai ma tête contre son épaule et lui racontai ce qu'il s'était passé avec Lucifer, comment j'avais dû abréger les souffrances de Daphiel, comment j'avais mis Lucifer hors de lui, le faisant détruire son propre refuge. Comment je m'étais retrouvé enfermé dans une petite poche de roche.

Pendant six mois. J'avais été coincé là-dessous pendant six mois. Me soigner avait bien dû prendre la moitié de ce temps. Voire plus. Ça avait été le plus difficile. Lorsque je m'étais mis à attaquer le mur, j'avais perdu toute notion de temps depuis longtemps.

- J'ai prié. J'ai prié tellement fort pour que quelqu'un vienne. Je savais que ça ne servait à rien mais c'était tout ce qu'il me restait.

- Ça a servi, contra Meriel. Ça m'a mené à toi. Ça m'a aidé à te sauver.

Je me blottis mieux contre lui et fermai les yeux. Un profond calme m'envahit lorsqu'il fit glisser ses doigts dans mes cheveux.

- Restez avec lui, entendis-je Sabriel ordonner. Je ne l'ai pas encore vu aussi calme quand bien même avait-il perdu connaissance. Il a besoin de se remettre.

- Quelqu'un s'occupe de votre protégé, assura Gabriel. Prenez le temps qu'il faudra.

Je sentis Meriel s'installer plus confortablement et il ne m'en fallut pas plus pour m'endormir.

Il était encore là lorsque je me réveillai. Il avait un livre dans les mains, un bras autour de moi, la joue contre mon front. Ses ailes formaient un cocon autour de nous, l'une des miennes servait de couverture. Ce qui ressemblait furieusement à un ronronnement m'échappa. Le sourire de Meriel m'assura qu'il l'avait entendu. Il ferma son livre et le laissa tomber à côté du lit dans un bruit sourd.

- Enfin, on se réveille ?

- J'ai dormi longtemps ?

- Trois jours. J'ai dû marcher autour du lit pour me dégourdir les jambes. Tu as l'air d'aller mieux.

Il fit remonter mon visage vers lui et ses yeux m'examinèrent sous toutes les coutures.

- Je ne dirais pas que tu es entièrement remis mais ça a l'air d'aller. Il va encore falloir te reposer un peu.

- Oui, docteur, raillai-je.

Il sourit et je pus voir dans ses yeux combien les six derniers mois avaient été durs pour lui. Je me hissai à sa hauteur et l'embrassai. J'avais autant besoin que lui de m'assurer que c'était réel. Qu'il était là et que nous allions bien. Que c'était bel et bien fini.

- J'ai cru que je n'en sortirais jamais, tu sais, dis-je dans un murmure. J'ai cru que je resterais toujours coincé là-bas, enfermé, et que personne ne me trouverait. Quand tu es arrivé avec Hasdiel, je croyais que j'étais encore en train d'halluciner. Que ce n'était pas vrai et que...

Il m'interrompit d'un court baiser.

- C'était réel et c'est tout ce qui compte. Tu es sauf. Tu vas te reposer et tout reprendra comme avant.

Je hochai lentement la tête, espérant pouvoir dépasser ce qu'il s'était passé. Rien n'était moins sûr. Passer six mois enfermé sous terre n'était pas le genre d'expérience qui s'oublie.

- Presque, en tout cas, ajouta-t-il après un court silence. Je vais écouter un peu plus mon intuition et te garder à l'œil. Tu ne disparaîtras plus jamais pendant six mois sans que je sache où tu es.

J'eus un rire.

- On dirait que je ne suis pas le seul avec un traumatisme.

Il me donna un coup d'épaule taquin, un sourire à peine réprimé sur les lèvres. Il était toujours si gardé avec ses émotions, avec ce qu'il laissait voir au monde. Les seuls moments où il abandonnait toute barrière était lorsque nous étions enfermés dans ma chambre dans la zone des Cupidons. Lorsqu'il était sûr que nous ne serions pas dérangés. Seulement alors s'autorisait-il à être entièrement lui-même.

Il baissa la tête pour l'enfouir dans mes cheveux.

- J'ai cru que je te retrouverais jamais.

- Tu m'as retrouvé. Je suis là. Tu m'as sauvé.

Sans vraiment comprendre à quel moment les rôles s'étaient inversés, je me retrouvais à le réconforter. Je le serrais contre moi, heureux de le sentir, d'être enveloppé de son parfum de jasmin, d'avoir ses cheveux noirs qui me chatouillaient le nez, ses bras qui me pressaient les côtes.

C'était la première fois qu'il montrait une véritable faiblesse. Je savais qu'il avait eu peur, qu'il avait souffert mais jamais auparavant ne m'avait-il donné l'occasion d'être là pour lui. L'expérience l'avait affecté autant que moi bien que de manière différente.

Il s'endormit, ce qu'il n'avait pas dû faire durant les six mois qui s'étaient écoulés. Je ne bougeai pas à part pour jouer avec ses mèches noires. Même lorsque mon bras droit s'endormit. J'avais passé assez de temps à souffrir d'os brisés pour qu'un bras endormi ne m'affecte plus. Je dus somnoler aussi pendant un moment.

Ce fut la porte battante claquant derrière quelqu'un qui me fit sortir de ma torpeur. Meriel râla mais ne se réveilla pas. J'effleurai son aile pour le calmer. Il soupira et se renfonça dans les oreillers, contre mon bras.

Hasdiel se tenait à quelques mètres, figée. Elle avait changé depuis la dernière fois où je l'avais vue. Ses cheveux dévalaient entre ses petites ailes en longues et fines tresses. Ses traits m'apparaissaient plus saillants et plus harmonieux que lorsque sa chevelure les encadrait. Ses yeux d'un vert proche du turquoise des gardiens étaient rivés sur Meriel et moi. Sa bouche était entrouverte. Je pouvais lire ses émotions sur son visage. Surprise, jalousie, tristesse. Son cœur brisé avait enfin accepté la réalité. Elle allait souffrir pendant un temps mais elle s'en remettrait.

Elle s'approcha lentement du lit, comme si elle avait peur d'être foudroyée si elle s'approchait trop près. Elle s'arrêta près du lit vide adjacent au mien, une main sur l'encadrement en fer forgé. Ses lèvres vibrèrent. Elle hésitait à parler. Je me décidai à prendre les devants pour lui éviter la difficulté de commencer la conversation.

- Merci d'être venu me chercher avec Meriel.

- C'était ce que je devais faire, répondit-elle. Ne me demande pas pourquoi. Je savais que je devais aller avec lui, qu'il le veuille ou non. Dieu voulait que nous te trouvions.

D'ordinaire, j'aurais évité la mention de Dieu. Je n'y avais jamais cru. Je préférais croire aux énergies et à l'Univers plutôt qu'à un dieu tout-puissant que personne n'avait jamais vu, pas même Michael ou Lucifer, les premiers anges à apparaître.

Toutefois, pour la première fois, je n'étais pas si résistant à l'idée d'une intervention divine. J'avais prié de toutes mes forces pour essayer d'atteindre les Cieux en sachant que c'était impossible. Pourtant, Meriel et Hasdiel avaient été poussés par quelque chose à revenir dans cette caverne. C'était un miracle. Un pur miracle. Si je pouvais imaginer l'Univers répondant à mon appel désespéré, je pouvais aussi imaginer un dieu omniscient qui, pour une fois, se serait intéressé à moi.

- Je t'en ai voulu, admit-elle soudain. D'avoir Meriel et de disparaître. Je pouvais accepter l'idée que tu te sois fait enlever par les... les monstres. Pas qu'on ne retrouve aucun signe de toi alors qu'on a retrouvé Daphiel et Maliel.

- Tu as pensé que j'en avais profité pour tout plaquer et devenir un déserteur ?

Elle hocha la tête, honteuse.

- Je savais que c'était impossible mais... C'était la seule explication que je parvenais à concevoir. J'ai été assez intelligente pour ne rien dire à Meriel. Il était dans un état... Tu ne peux pas imaginer. Ariel a réussi à lui remettre la tête à l'endroit. Heureusement parce que je ne sais pas ce qu'il aurait fait sinon. Je t'ai détesté pour ce que tu lui infligeais. Je ne comprenais pas pourquoi tu lui avais fait ça. Tu avais tout ce que je voulais et tu le jetais comme un vieux mouchoir usagé ! Je t'ai haï de toutes mes forces.

Elle baissa la tête.

- Et puis, j'ai eu cette intuition. Je devais partir avec Meriel. J'ai su tout de suite que nous allions te retrouver. Après six mois, je redoutais ce que nous allions trouver. Si j'étais là, ça serait sûrement pour certifier que tu étais mort.

- Je ne l'étais pas.

- Non. Et je ne sais toujours pas si je dois m'en réjouir ou non. J'aimerais que ça soit simple et que je puisse me réjouir pour Meriel et être heureuse qu'il t'ait retrouvé. Je le suis. En partie. Le reste me dit que tu n'es pas bon pour lui, que tu le feras encore souffrir, que tu le veuilles ou non. Que ça serait mieux si Meriel s'en rendait compte et te quittait. Il ne le fera jamais, nous le savons tous les deux.

Je comprenais ce qu'elle me disait et j'appréciais son honnêteté. Peu de personnes auraient osé admettre aussi ouvertement qu'elles étaient déchirées entre deux options et qu'elles ne parvenaient pas à se satisfaire de la « meilleure ». Sa réaction était légitime. Moi-même, je ne pouvais pas me voiler la face et me dire que ça ne risquait pas de recommencer. Parce que je savais que ça serait un mensonge.

Meriel aussi le savait. Il l'avait toujours su. Malgré tout, il n'avait pas cherché à fuir ce qu'il se passait entre nous. Au contraire. Il avait tout fait pour l'amplifier, pour le rendre impossible à nier, à échapper.

- Prends soin de lui, reprit la Vertu. Tu as le bonheur de l'avoir. Chéris-le. Si j'apprends que tu ne le traites pas comme il devrait l'être, tu auras affaire à moi. Ce que t'as fait Lucifer sera une partie de plaisir à côté de ce que je te ferais subir.

En dépit du bon sens, je me sentis sourire. Ses menaces me laissaient de glace. Par contre, j'étais heureux de savoir qu'elle continuerait de veiller sur Meriel, cœur brisé ou non. Je ne savais pas de quoi le futur était fait et je ne pouvais pas exclure de devoir le faire traverser d'autres moments difficiles. Quoi qu'il m'arrive, Meriel aurait Hasdiel pour le soutenir. Il ne serait pas seul. C'était ce qui importait.

___________________________________________

NdlA : j'en connais qui vont adorer ce chapitre ! Contrairement à moi xD C'est trop chichi pompom à mon goût !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top