Chapitre 2
Flax m'offrit un cadeau en revenant de sa mission. Il me le glissa dans la main en passant, sans réellement s'arrêter. Ce fut suffisant pour que je comprenne que personne ne devait le voir.
L'objet brûla dans ma poche jusqu'à ma pause suivante. Je voulais savoir ce que c'était. Qu'avait-il pu me ramener de la Terre ? J'adorais Flax. C'était un petit bonhomme toujours joyeux et gentil et généreux. Il était adorable. C'était le premier que j'avais reconnu. Il avait une voix fluette et chantante, unique en son genre, et une tignasse rousse sauvage et bouclée.
Je bondis sur mes pieds lorsque Hamuel vint me chercher. Je ne lui accordai pas le moindre regard en passant. J'entendis son soupir agacé, celui-là qu'il faisait depuis qu'on lui avait dit qu'il allait devoir me superviser.
Je me pressai dans mes quartiers et verrouillai la porte, juste au cas où. Je sortis l'objet que Flax m'avait donné. C'était un petit miroir de poche violet pastel, presque lavande, de cette couleur particulière qu'avaient les cheveux d'Ava.
Comment Flax avait-il su que j'avais besoin de ça ? Cosmo lui avait-il parlé ? À moins qu'il ne soit plus observateur et subtile que je ne le pensais.
Le miroir était ridiculement petit. Il me fallut un moment avant de réussir à placer mes ailes et le miroir pour que je puisse voir la catastrophe.
Des patchs entiers de plumes étaient nus. La peau était visible, irritée, tendue sur les os. Ce qu'il me restait de plumes était terne, mal en point. Comment en étais-je arrivé à un tel point ? Mes ailes étaient puissantes et magnifiques, avant.
Il fallait que j'aille voir les Vertus. Je n'avais plus le choix. Il me restait si peu de plumes que c'était devenu urgent. Comment Hamuel avait-il pu me regarder en face et ne rien dire ? Je ne blâmais pas les Cupidons, ils étaient incapables de s'occuper de ce genre de choses. Tout ce qu'ils voyaient était leur mission de rétablir l'amour réel et sincère sur Terre. Par contre, Hamuel était censé me superviser. Qu'il me laisse dans un tel état, sans rien dire, était abject.
Je faillis me perdre sur la route vers la Serre. J'avais horreur de ces couloirs vides, sans aucun ange pour remplir l'espace. J'étais habitué à devoir percuter des dizaines de mes semblables pour réussir à atteindre ma destination. Depuis ma punition, je ne croisais vraiment personne.
En tout cas, jusqu'à ce que je pénètre dans la Serre. Il n'y avait qu'un Vertu que je mis du temps à reconnaître. C'était Sabriel. Des cheveux mi-longs d'un brun terreux, les yeux verts. Le Prince des Vertus, le protecteurs des anges gardiens. Il était rare de le croiser mais il n'arrivait que des bonnes choses lorsque c'était le cas.
- OH SEIGNEUR ! Mais que t'est-il arrivé ?! s'exclama-t-il en me voyant.
- Je n'en sais rien, admis-je. J'ai commencé à perdre mes plumes lorsque j'étais encore sur Terre. C'est de pire en pire.
- Viens-là, assis-toi.
Il me fit asseoir sur un lit devant lui. Je dus reculer au maximum, jusqu'à ce que mes ailes pendent dans le vide. Je n'avais pas réalisé à quel point elles étaient sensibles. Tout ce que j'avais pour m'asseoir chez les Cupidons était un banc. Rien qui ne puisse affecter mes ailes si ce n'était pour la scoliose que j'allais finir par avoir à rester appuyé sur mes coudes toute la journée.
- Comment est-ce possible... ? entendis-je Sabriel murmurer.
Ses doigts étaient froids lorsqu'il effleura la peau nue entre les plumes. Ça me brûla et je bougeai pour faire cesser le contact.
- Ne bouge pas, ordonna-t-il. Je reviens.
Il disparut hors de la Serre et je restai planté là, comme un idiot, sous la lumière céleste. Pour la première fois, elle ne me soignait pas. Je ne la sentais pas agir sur les dégâts que j'avais subis sans savoir pourquoi.
Sabriel mit du temps à revenir. Bien plus d'un quart d'heure. Hamuel allait être furieux. Heureusement, Sabriel avait beau être un échelon sous lui dans la hiérarchie, il demeurait un Prince tout puissant s'il jugeait qu'un ange devait rester dans la Serre.
Je ne fus pas étonné de le voir débarquer en claquant la porte. Je ne bronchai pas, même lorsqu'il s'arrêta à quelques millimètres de moi, le visage déformé par la colère.
- Je peux savoir ce que tu crois faire ici ? Tu devrais être à ton poste depuis dix minutes !
- Sabriel m'a demandé d'attendre ici jusqu'à ce qu'il revienne. J'obéis sagement à un supérieur.
Hamuel grinça des dents.
- Je crois surtout que tu cherches à échapper à ton travail. Alors tu te dépêches de descendre de ce lit et d'aller travailler !
Il n'entendit ni ne vit la porte s'ouvrir sur Sabriel. Les yeux de celui-ci s'assombrirent lorsqu'il aperçut mon superviseur. J'allais bien m'amuser, je le sentais. Hamuel, beaucoup moins.
- Toi ! tonna Sabriel. Pourquoi n'as-tu prévenu personne de son état ?! Et n'essaie pas de me dire que tu n'as pas vu qu'il n'a presque plus de plumes !
Hamuel ouvrit la bouche mais Sabriel l'empêcha de parler.
- Je ne veux pas entendre tes excuses. Tu aurais dû l'amener ici dès que tu as vu qu'il perdait ses plumes ! Sors d'ici. Je dois m'occuper de lui !
Mon superviseur oscilla sur ses pieds avant de céder et de partir. Il le fit dans le silence le plus total, comme un fantôme. Il avait beau être un Domination, Sabriel était au-dessus de tout le monde lorsqu'il s'agissait de la santé de quelqu'un.
- Qui as-tu été voir ? questionnai-je prudemment.
Il ne répondit pas tout de suite, appliquant ses mains contre la peau de mes ailes. Je sentis son énergie effleurer chaque terminaison nerveuse, chaque pore, chaque muscle. C'était désagréable et ça me donnait envie de me gratter. Je devais lutter pour ne pas bouger.
- J'ai été voir l'Archange Gabriel, finit-il par répondre. Il est ton référent. Ton véritable référent. Tout remonte vers lui. C'est son exigence sur ta punition.
- Pourquoi ?
Je vis du coin de l'œil ses ailes monter et descendre lorsqu'il haussa les épaules. Je ne pouvais pas imaginer pourquoi Gabriel voudrait savoir ce que je faisais. Ça ne pouvait rien amener de bon.
- On ne questionne pas un archange, tu devrais le savoir.
Je grimaçai.
- Tu devrais savoir que je n'ai aucun sens commun.
Sabriel pouffa, semblant lutter contre son rire. Sa concentration faillit pendant quelques secondes avant de revenir avec la même intensité.
- Je n'y arrive pas, siffla-t-il. Pourquoi est-ce que ça ne fonctionne pas ?
Une vague d'angoisse vint me nouer l'estomac au point que j'eus envie de vomir. Sabriel donna un coup sur mon épaule.
- Détends-toi. Ça ne m'aide pas de t'avoir aussi tendu.
J'inspirai profondément pour tenter de me détendre. Ça ne fonctionnait pas tellement et je pus entendre le Vertu râler. S'il me murmurait pas aussi fort, je n'aurais pas été aussi angoissé.
- Tu ne bouges pas. Je reviens.
Encore une fois, je dus patienter longuement avant qu'il ne revienne. Mes ailes me démangeaient comme jamais encore. Je crispai mes doigts autour des draps du lit pour m'empêcher de me gratter. C'était un cauchemar. Mes paumes étaient moites, mes articulations crispées.
Je relâchai un long soupir lorsque Sabriel réapparut. Je pouvais voir sur son visage qu'il était préoccupé. Il avait perdu ce sourire qui lui était propre, qui était devenu sa marque, ce par quoi on le reconnaissait.
Tout en moi se crispa lorsque Gabriel entra derrière lui. Même à distance, je pus voir ses yeux s'écarquiller lorsqu'il découvrit l'état de mes ailes. Son s'accéléra jusqu'à ce qu'il me rejoigne.
- J'ai essayé toutes les approches possibles et rien ne fonctionne. Ses plumes ne repoussent pas. Au contraire, j'ai l'impression d'avoir empiré les choses. On dirait que la peau est en train de se putréfier.
Un frisson glacé dévala ma colonne vertébrale. Qu'était-il en train de dire ? Allais-je perdre mes ailes ? Que j'allais mourir ?
Le souffle chaud d'un soupir effleura ma nuque.
- C'est bien ce que je pensais, murmura Gabriel.
- Que se passe-t-il ? osa Sabriel.
L'archange ne répondit pas. Un ange entra, soutenu par un autre. Gabriel chassa le Vertu pour qu'il aille s'occuper d'eux. Me retrouver isolé avec l'archange des Chérubins me donna envie de fuir la pièce. Il était plus raisonnable que son frère aîné mais il demeurait celui qui avait consenti à ce que je sois puni pour avoir sauvé la race humaine.
Je fus surpris lorsqu'il vint s'asseoir à côté de moi sur le lit. Je n'avais jamais été aussi près de lui. Je pouvais sentir son pouvoir vibrer autour de lui à la manière d'une aura. Ses traits paraissaient moins durs et moins harmonieux. De loin, il avait la beauté d'une statue, de près, il avait presque l'air normal. Presque. Il y avait quelque chose qui le distinguait du reste. Sûrement le halo violet sombre qui se reflétait sur sa peau blafarde qui n'avait jamais pris le soleil.
- Rien ni personne ne peut guérir tes ailes, énonça-t-il. Elles sont en train de changer. De se transformer.
- C'est impossible, objectai-je. Je suis une ancienne âme humaine. Mes ailes ne devraient pas pouvoir faire ça.
- Normalement, non. Cependant, il s'est passé quelque chose que je n'avais pas vu depuis plusieurs millénaires. Un phénomène qui n'arrive que très rarement.
Je retins mes questions, sachant qu'il était inutile de les poser. Il allait à son rythme pour me dire ce que je brûlais de savoir.
- C'est ce qui t'a sauvé, à vrai dire. Mon doute a suffisamment fait réfléchir Michael pour qu'il se contente de te rétrograder. Dès lors, je t'ai observé. J'ai remarqué les signes.
J'attendis la suite. Il allait bien finir par cracher ce qui n'allait pas chez moi ! Parce que, tout seul, je n'arriverais jamais à imaginer quoi que ce soit qui puisse causer à mes ailes de se décomposer.
- Lorsque j'ai appris ce que cet idiot de Cassiel avait fait, j'ai su qu'il allait nous causer des soucis. Je n'étais pas sûr, au départ, puisque tu as la sale habitude de triturer tes plumes quand tu es angoissé. Que Sabriel ne puisse pas te soigner est toute la preuve dont j'avais besoin pour être sûr de moi.
Il fut interrompu par la porte s'ouvrant sur un ange. L'ange le plus large d'épaule que j'ai jamais vu. Il avait le teint basané, des cheveux qui lui effleuraient les oreilles et le regard vert d'eau. Un large sourire étendit ses lèvres lorsqu'il s'approcha. Il étreignit Gabriel qui se laissa faire, la lassitude sur le visage.
- J'ai entendu dire que tu étais descendu dans mon humble section, sourit-il. Il fallait que je vois ça de mes propres yeux.
- Tu es trop sentimental, Uzziel. Je ne suis pas venu pour le plaisir.
- Je n'en doute pas. Tu as oublié ce mot il y a longtemps.
Gabriel lui jeta un regard peu amusé tandis que l'autre archange souriait. Je n'arrivais pas à croire que c'était à ça que ressemblait l'archange des Vertus. Une armoire à glace au sourire qui fendait son faciès en deux. Il avait beau être enjoué et souriant, il me filait les chocottes. Jusqu'aux tréfonds de mon âme.
Ses larges yeux verts se tournèrent vers moi et sa mâchoire faillit heurter le sol.
- Oh, par tous les anges ! Que t'est-il arrivé ?!
Personne ne répondit et il perdit son sourire.
- Ne me dis pas que...
- Il semblerait que si.
- Mais Raziel ? Qu'allons-nous lui dire ?
- Pour l'instant, rien. Rahel va rester avec les Cupidons jusqu'à ce que Michael se décide à le laisser tranquille. Je vais tenter de lui faire entendre l'idée et nous verrons ce qu'il se passe.
- Quelqu'un pourrait-il me dire ce que j'ai, au juste ? craquai-je. Pourquoi suis-je en train de perdre mes ailes ? Et qu'est-ce que Raziel a à voir là-dedans ?
C'était un détail mais je ne voyais pas pourquoi ils se préoccupaient de Raziel, l'ange qui s'était élevé à la place d'archange des Trônes lorsque son prédécesseur, Cassiel, avait déchu. C'était un lâche qui n'avait même pas eu le courage de faire face à Lucifer et m'avait laissé ce plaisir tout en sachant que je n'étais pas assez puissant.
Les deux archanges se tournèrent vers moi et je me ratatinai sous le poids de leurs regards. Uzziel avait l'air à la fois curieux et triste. Gabriel n'arborait aucune expression.
- Tu deviens l'un des nôtres, gamin, me répondit Uzziel.
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NdlA : DUN DUN DUUUUUUUUUUUUUUUUN !!!!
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