Chapitre 19
Quelque chose n'allait pas. Les sensations que je percevais n'étaient pas les bonnes. Il n'était pas question du doux tissu de mon oreiller sous ma joue, du matelas moelleux sous moi. L'air était lourd et humide, le matelas s'était transformé en un sol rugueux et inégal. Je n'étais plus dans ma chambre aux Cieux, ça ne faisait aucun doute.
Prudemment, j'entrouvris les paupières pour regarder autour de moi. C'était difficile de voir quoi que ce soit. Il faisait noir comme dans un four. Tout autour de moi, il n'y avait que de la pierre humide, couverte de mousse. Pas de fenêtre, pas d'ouverture. Rien que quatre murs de pierre sombre.
Je tendis l'oreille pour essayer de distinguer une présence dans la pièce. Le seul bruit que je perçus, ce fut celui de ma propre respiration. L'endroit était totalement silencieux. Il n'y avait pas le moindre son. J'étais seul.
Je me redressai prudemment. Les yeux ouverts, je parvins à distinguer les limites de la pièce. Elle n'était pas énorme, à peine plus grande qu'un placard. Je n'avais que cinq pas à faire pour la traverser en longueur comme en largeur. Je pouvais presque m'allonger en étoile et toucher les murs avec mes mains et mes pieds.
Je fis le tour de la pièce en effleurant les pierres massives qui formaient le mur. Avec un peu de chance, je trouverais la sortie. J'étais prêt à parier que ça fonctionnait comme aux Cieux et que le passage se déverrouillait en actionnant la bonne partie du mur. Dommage pour moi, je n'avais jamais été doué pour trouver les mécanismes. C'était toujours Meriel qui avait réussi à découvrir les passages secrets.
Meriel qui, encore une fois, avait eu raison.
Une roche plus acérée que les autres m'entailla la main. Mon juron s'étouffa dans ma gorge, comme toujours. Des gouttes rouges tachèrent le sol, mes vêtements et la pierre. Je grimaçai. Je n'avais pas l'énergie de me soigner. Je le sentais. J'avais dormi plusieurs heures mais ce n'était pas suffisant. J'avais besoin de plus que à pour réussir à remplir mes réserves. Je pressai ma paume contre ma hanche dans l'espoir d'endiguer le saignement un minimum.
Dans le mur à ma gauche, un feu vint dévorer la roche pour créer une ouverture. À travers les flammes, Lucifer entra dans ma cellule.
Il avait changé d'apparence depuis la dernière fois que je l'avais vu. Il avait perdu son apparence monstrueuse pour revêtir une forme hybride. Le corps était humanoïde, trop grand et trop fin pour l'être réellement. Sans compter les griffes qui lui servaient d'ongles et les canines aiguisées, les yeux d'une teinte rouge profonde et mouvante. Dans son dos, six ailes étiraient une peau cuirassée et tannée sur des os acérés. Elles me rappelaient mes ailes déplumées dans une version ancienne, momifiée. Elles avaient la couleur d'un vieux parchemin.
Il croisa des bras squelettiques devant lui et sourit.
- Content de me revoir, mon poulet ? Je vois que tu as reçu une promotion !
- Pas vraiment, non, lâchai-je. J'avais oublié à quel point tu es moche.
J'ignorai volontairement sa seconde phrase. Évidemment qu'il ne pouvait pas ignorer que je n'étais plus un ange. Ce n'était pas une raison pour moi de discuter le sujet avec lui.
Un rire mauvais s'échappa des lèvres fines du Diable.
- Je vais bien m'amuser avec toi. Vraiment. Tu n'imagines pas le plaisir que je vais prendre à t'arracher toutes ces jolies plumes que tu as.
- Bon courage pour ça ! Au cas où tu serais aussi bigleux que laid, elles brûlent. Elles sont encore plus vicieuses que toi.
- J'aimerais bien voir ça ! Malheureusement pour moi, je n'ai pas le temps de jouer.
Je bâillai ostensiblement, son et geste bien clairs. Il siffla comme un chat sur la queue duquel j'aurais marché. Mettre le Diable en colère n'était sûrement pas la meilleure idée que j'aie eue dans ma vie. Surtout en sachant que je n'avais pas pas assez d'énergie pour l'affronter. Cependant, je ne me voyais pas tellement ne rien dire et attendre qu'il ne fasse ses demandes. Parce qu'il était évident qu'il n'allait pas tarder à exiger que je lui donne le livre et que j'ouvre les autres pour lui.
Il ne tarda pas à me donner raison.
- Tu as quelque chose dont j'ai besoin. Donc, tu vas faire gagner du temps à mon ami qui est là-haut en train de chercher et me dire où tu l'as caché.
- Ça ne va pas être possible.
- Et pourquoi cela ?
- Parce que je ne sais pas où il est.
- Je ne te crois pas. Dis-moi où tu l'as caché !
- Je te dis que je ne sais pas où il est ! C'est clair, comme phrase, non ? Je ne sais pas où il est ! martelai-je.
Ce qui était plutôt vrai. Je savais à quel étage il se trouvait mais sa localisation exacte m'était totalement inconnue. Ava était assez maligne pour se douter qu'il ne fallait pas le garder chez elle, aussi bien protégé fut-il.
Lucifer bondit en avant. Ses serres s'enroulèrent autour de ma gorge tandis qu'il me plaquait contre le mur au fond de ma minuscule cellule.
- Ne joue pas avec moi. Je sais que c'est toi qui as récupéré le livre. Mes démons t'ont reconnu !
- Et alors ? Ça ne veut pas dire que je l'ai gardé. Il me semble que t'as oublié que t'as des frangins aux Cieux qui feront n'importe quoi pour te mettre des bâtons dans les roues.
Il rugit comme un animal, me vrillant les tympans. Il me projeta vers la porte de flammes.
- Puisque tu ne veux pas coopérer, on va la jouer autrement.
Il me rejoignit et me traîna avec lui hors de la pièce, le long d'un couloir descendant. Nous traversâmes une vaste caverne où des démons se réchauffaient autour de larges feu qui faisaient danser des ombres sur la pierre. Ils nous adressèrent un rapide regard avant de se détourner. Leur patron passa dans un passage étroit aux roches déchirées qui tentèrent de me lacérer de part en part lorsque j'avançai en crabe, les ailes étroitement repliées contre moi.
Au bout du couloir, l'horreur. Des corps enchaînés aux piliers naturels ou dans les parois. Quand bien même avais-je bloqué mon odorat, je pus sentir le sang, la crasse, la douleur, la terreur. Et le coquelicot. Je n'osais imaginer combien ce parfum devait être fort si je le sentais déjà aussi puissamment en bloquant ma capacité à sentir.
Je n'osai pas regarder les corps le plus près de moi. Pour ce que j'en avais aperçu, j'avais tendance à croire que des monstres avaient tenté de se nourrir de leur chair. La caverne était sombre mais l'écho ne trompait pas, elle était immense et recelait beaucoup trop de prisonniers.
- J'ai une surprise pour toi. Je suis certain que ça va te décider à parler.
Il me fit traverser la salle pour arriver à la limite d'une crevasse profonde. Dans le fond, une eau noirâtre oscillait doucement, léchant les bords du bassin. L'eau montait. Deux corps se pressaient contre la roche, des ailes turquoise brillant faiblement dans la pénombre. Des gardiens. J'eus une soudaine envie de vomir.
D'un geste ample, Lucifer enflamma des hautes torches qui baignèrent la cavité et le visage des deux anges. Je les reconnus aussitôt. Daphiel et Maliel. Mes amies. Celles qui m'avaient aidé depuis le début, depuis notre rencontre. Elles étaient adorables et avaient été d'une grande aide durant notre préparation pour fermer les portes de l'Enfer. Je n'avais pas songé un seul instant que Lucifer aurait pu s'en prendre à elles. Il n'avait même pas croisé leur chemin sur le champ de bataille !
- Rahel ! cria Maliel, terrifiée. Va-t-en !
La main de Lucifer se posa sur mon épaule et ses serres s'enfoncèrent dans ma chair. Je me servis de mon aile pour le brûler. L'odeur était atroce mais, au moins, il me libéra. Il me gifla de toutes ses forces. Je chutai, roulant dans la terre et la poussière. Je m'arrêtai à quelques centimètres du trou. Je crachai le sang qui avait empli ma bouche lorsque je m'étais mordu l'intérieur de la joue.
- Maintenant, tu vas me dire où tu as mis mon livre, siffla le Diable. Je suppose que tu n'aimerais pas que tes amies souffrent parce que tu refuses de parler, n'est-ce pas ?
- C'est pathétique, tu sais ? raillai-je. Ton seul moyen de pression, c'est de torturer des innocents. Pas fort malin, si tu veux mon avis.
J'essuyai le filet de sang qui avait coulé sur mon menton pendantque je parlais.
- Nous verrons cela.
Je sentis son énergie s'enrouler autour de Daphiel pour l'attirer à lui. L'ange se retrouva prise au piège des griffes de Lucifer sans pouvoir lutter. Elle n'avait pas le pouvoir de résister. Elle n'était qu'un gardien, une âme humaine sans réelle force.
Il fallait que je les fasse sortir de là. Que je trouve un moyen. Je n'avais pas récupéré toute mon énergie mais je devais bien pouvoir faire quelque chose.
- Où est mon livre ?! gronda Lucifer.
- Je ne sais pas !
- Mauvaise réponse.
Il saisit l'aile droite de Daphiel et brisa plusieurs os. Les craquements résonnèrent dans la caverne, à peine couverts par les hurlements d'agonie de mon amie. J'eus un haut-le-cœur.
- Où est mon livre ?
- Je ne le sais toujours pas ! hurlai-je.
Il brisa l'autre aile de Daphiel. Cette dernière ne tenait plus sur ses jambes, prête à s'évanouir. Lucifer devait la maintenir debout devant lui. C'était l'occasion pour lui de l'embrocher sur ses griffes et de lui causer encore plus de souffrances.
Il se pencha pour chantonner à l'oreille de Daphiel, assez fort pour que je l'entende, tout comme Maliel.
- Ton cher ami va te laisser mourir. Il va te regarder mourir sous ses yeux sans chercher à te sauver.
Daphiel toussa et me regarda droit dans les yeux.
- J'espère bien, souffla-t-elle.
Lucifer la repoussa, la laissant s'écraser au sol avec dégoût.
- Je ne comprendrais jamais cette tendance autodestructrice que vous avez à vous sacrifier. Si tu me disais simplement où est mon livre, tout le monde serait heureux !
- Sauf que je ne sais pas où il est ! beuglai-je, à bout de nerfs. En quoi c'est compliqué à comprendre ?!
Lucifer donna un coup de pied à Daphiel pour l'écarter de son chemin. Mon amie chuta dans la crevasse, son corps allant s'écraser dans l'eau noire qui roulait au fond. Le niveau avait monté de dix centimètres et ne comptait pas s'arrêter de si tôt.
- Dommage pour elle.
Avec un rictus mauvais, il claqua des doigts. Un épais stalactite de roche brute se détacha du plafond pour aller empaler Daphiel. Maliel, qui avait tenté de l'aider à se lever pour qu'elle ne se noie pas, fit un bond en arrière avec un cri. Elle demeura figée sur place, assise dans l'eau, les yeux écarquillés d'horreur, le visage couvert du sang de sa partenaire. Le plus terrible fut d'entendre les gémissements désespérés de Daphiel qui n'était pas morte. Ses ailes étaient toujours accrochées à son dos, la gardant en vie en dépit de la gravité de ses blessures. Elle était pratiquement coupée en deux mais la magie céleste agissait pour la faire survivre. Ce qui était supposé être une bénédiction venait de se transformer en la pire des malédictions.
Les yeux fermés, j'usai d'un mince filet d'énergie pour faire ce que Lucifer avait pris trop de plaisir à éviter. Le silence qui suivit fut lourd. Jusqu'à ce que le Diable se mette à rire avec une joie profonde. Je dus lutter pour ne pas faire quoi que ce soit. Pourtant, ce n'était pas l'envie qui manquait. Si j'avais été reposé, je lui aurais arraché la tête. À la place, il allait falloir que je sois malin.
- Si vraiment tu ne sais pas où se trouve mon livre, d'accord, dit posément Lucifer. Tu peux toujours m'être utile.
Encore une fois, exactement ce qu'avait prévu Meriel. Il allait me demander d'ouvrir les autres livres pour lui. Il semblait avoir accepté le fait que je ne sache pas où était le premier livre mais lui avait les quatre autres et je pouvais les ouvrir. Et il ferait tout son possible pour que je le fasse. Il tuerait tous ses prisonniers s'il le fallait.
Ma seule solution était de m'enfuir. De trouver un moyen de détourner sa vigilance pour fuir cet endroit. En attendant, je pouvais lui faire savoir que je n'avais pas assez d'énergie. Avec de la chance, ça me ferait gagner du temps.
Lucifer enroula son pouvoir autour de moi pour me ramener entre ses griffes.
- Vois-tu, j'ai un petit souci.
- Les mortels ont inventé quelque chose pour ça. Une petite pilule. Elle est bleue, si je me souviens bien.
Il ne fut pas amusé. La serre qu'il utilisa pour me transpercer le flanc suffit à me le faire savoir. Je serrai les dents. Je ne lui donnerais pas la satisfaction de m'entendre crier.
- Ne fais pas ton malin avec moi, Rahel. Surtout lorsque tu n'es pas coopératif.
- Je n'ai pas franchement envie d'aider quelqu'un qui torture mes amis, tu vois. Loyauté et santé d'esprit, tout ça, tout ça. Même si je me doute que tu ne vois pas de quoi je parle. Après tout, tu as trahi Michael.
Il m'envoya valser à travers la caverne. Je considérai comme de la chance le fait que je me prenne le mur en pleine face plutôt que dans les ailes. Mon nez, un poignet et une clavicule explosèrent sous le choc, je perdis plusieurs dents mais, au moins, mes ailes étaient intactes. C'était tout ce qui comptait.
- NE PRONONCE JAMAIS SON NOM DEVANT MOI !
Je crachai un morceau de dent en riant.
- On dirait que j'ai touché un point sensible, sifflotai-je. Le petit Lulu ne s'est toujours pas remis du rejet de son petit frère. Ah ! Être l'aîné et tout foirer !
Il avança vers moi avec l'attitude d'un bélier furieux. Je roulai hors de portée juste avant qu'il ne s'encastre dans le mur. De la poussière et de la roche tombèrent du plafond.
- Michael s'en est remis, mentis-je, goguenard.
Je me relevai comme je pus et titubai en arrière.
- Il a créé un nom pour les plus grosses bourdes que l'on peut faire. Les Lucifer. On trouve tous ça très drôle, là-haut.
- Il ne ferait jamais ça ! Tu mens !
- Tu aimerais bien.
Je n'arrivais pas à croire que les deux frères soient encore aussi affectés par ce qu'il s'était passé des millénaires auparavant. D'accord, ils s'étaient adorés et Lucifer les avait trahis. Mais de là à s'accrocher à la douleur de cette trahison encore aujourd'hui...
- Je ne comprenais pas les immortels. Ils étaient aussi mauvais queles mortels pour trouver la paix et le bonheur.
Toujours était-il que, en l'instant, ça m'avantageait. Lucifer avait oublié son idée de me faire ouvrir les livres et de torturer Maliel pour m'y obliger.
Il rugit avec fureur et frappa dans un pilier qui le séparait de moi. La colonne se brisa net. Un grondement sourd résonna dans la caverne. Lucifer se figea et leva les yeux vers le plafond. Appuyé contre la paroi, je suivis son regard. Des fissures couraient dans la pierre. J'eus à peine le temps de m'enfoncer dans une alcôve naturelle que le plafond s'effondrait dans un fracas monstrueux. Je m'enroulai sur moi-même dans mon coin pour tenter de me protéger des débris qui volaient. Ça ne m'empêcha pas d'être lacéré de toutes parts par les morceaux de roches qui furent projetés vers moi.
Lorsque je rouvris les yeux, j'étais couvert par une épaisse couche de poussière. Je me dépliai et regardai autour de moi. Mon estomac me remonta dans la gorge.
Partout autour de moi, il n'y avait que de la pierre. L'entrée de l'alcôve dans laquelle j'avais trouvé refuge s'était retrouvée fermée par le plafond qui s'était écroulé. Je me retrouvai enfermé dans une petite poche au milieu de tonnes de pierres et de poussière.
Ce n'était pas vraiment ce que j'avais prévu. Pas du tout, en vérité. Je n'avais pas prévu que Lucifer détruirait l'endroit. Je pensais que, aveuglé par la fureur, il me donnerait l'occasion de fuir. Ou qu'il me ramènerait dans ma petite cellule d'où j'aurais pu tenter une échappée.
Au lieu de ça, je me retrouvais emmuré.
Il ne me restait plus qu'à prier.
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NdlA : je sais, je sais, je poste super tard ! Désolée ! Disons que au milieu de cette interminable journée, j'avais oublié qu'on est lundi et que je devais poster. Je ne sais pas si c'est le confinement qui me heurte enfin de plein fouet mais mon moral a touché les bas fonds.
Bref, j'espère que le chapitre vous a plu quand même ! J'ai fichu mon petit Rahel dans un sacré merdier ! Vous ne m'en voulez pas trop ? xD
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