Chapitre 16

Les Cupidons étaient dans un état d'excitation incomparable. Je n'avais jamais rien vu de tel. La salle, pourtant immense, résonnaient d'un bruit d'ailes comme si un nid de mouches s'y cachait. Leurs voix avaient toutes monté de quelques octaves tant ils s'enflammaient. Je doutais qu'ils aient jamais vécu un aussi grand événement.

Lemony voleta jusqu'à moi, tenant une feuille dans la main. Une zone étaient entourée en vert. Flax vint sautiller dans les airs à côté de nous, hyperactif, ses yeux ne sachant pas sur quoi se concentrer : la feuille tenue par son collègue ou la main de Meriel prise dans la mienne. Les deux l'excitaient autant.

Je me saisis de la feuille et regardai l'endroit qu'avait entouré Lemony. Une petite ville perdue en Alaska. Old Harbor. Je n'en avais jamais entendu parler. Elle se situait à cheval sur Kodiak Island, Sheep Island et sur Sitkalidak Island.

Lemony me raconta que Horizon était revenu en catastrophe pour lui dire qu'il avait senti quelque chose de bizarre dans la ville. Quelque chose de bizarre qui était définitivement angélique selon elle. Elle ne savait pas si c'était réellement l'un des livres mais elle était certaine qu'il y avait quelque chose et qu'il fallait aller voir ce que c'était.

Les doigts de Meriel pressèrent les miens pour attirer mon attention.

- Allons voir. Nous n'avons rien à perdre.

- Vous pouvez descendre avec moi, assura Horizon. Je vous montrerai exactement où je l'ai senti.

- Faisons ça.

Cosmo ramena l'ordre parmi les Cupidons et Horizon nous entraîna avec elle vers le trou dans le sol qui leur servait d'escalier vers la Terre. Je pus entendre Meriel déglutir malgré le visage neutre qu'il arborait. Sa main se pressa contre la mienne, soudain moite.

- Je l'ai déjà fait, lui murmurai-je. Je suis encore en vie. Ça devrait aller.

Il me fusilla du regard. Horizon lui saisit le bras et nous entraîna dans sa chute vers la Terre avant qu'il ne puisse répondre. Il me broya la main tout le long. Heureusement, comme moi la première fois, il eut le réflexe de se servir de ses ailes pour ralentir sa descente.

Nous atterrîmes... au milieu de nulle part. Au milieu d'un amas épais de neige dans lequel je m'enfonçai jusqu'à mi-mollet. Le vent était déchaîné, taillant dans ma chair sans répit. Je m'enroulai dans mes ailes. Ça serait sûrement la seule fois où je serais heureux qu'elles soient faites de feu. Horizon tremblait et luttait contre le vent, ses petites ailes battant de toutes leurs forces pour la maintenir à notre hauteur.

- Rentre ! lui criai-je. Donne-nous une heure avant de venir nous chercher !

- J'enverrai Flax, répondit-elle. Il saura vous retrouver où que vous soyez !

Sans attendre, elle partit, nous laissant seuls sur une île dans le Golfe d'Alaska. J'attirai Meriel plus près de moi et refermai mon aile sur lui. Il se pelotonna contre mon flanc, au plus près de moi pour avoir un maximum de chaleur.

Je sondai les environs, cherchant cette sensation qu'Horizon avait perçue. Je la sentis, faible et ténue. À la manière d'un pouls. Elle émanait indéniablement d'un objet angélique. En me concentrant dessus, je pouvais imaginer un fil brillant nous emmenant dans la bonne direction.

Meriel fut celui qui fit le premier pas. Avancer sans nous éloigner l'un de l'autre fut complexe. La bonne nouvelle était que la distance n'était pas immense entre notre point d'atterrissage et le cœur de l'énergie. Ce qui nous ralentissait le plus était l'épaisseur de la neige. Chaque pas était une épreuve de force.

À mi-chemin, Meriel trébucha. Mon aile l'empêcha de tomber. Je pouvais voir les gouttes de sueur sur son front. Il était épuisé. Je regardai derrière nous. J'avais très mal évalué la distance. Avec ce paysage étouffé par la neige, transformant tout relief en points noirs, je n'avais pas réalisé que la route était plus longue qu'elle n'y paraissait.

Je serrai Meriel plus fort dans l'espoir de lui apporter un peu plus de chaleur mais la seule question qui tournait dans mon esprit était « les anges gardiens peuvent-ils mourir de froid ? » Si on me disait « hypothermie », je pensais à la tête qu'il avait en ce moment. Et ce n'était pas bon du tout. Il fallait que je trouve une solution.

Durant ma chute vers le sol, j'étais certain d'avoir aperçu une cabine. Quant à savoir où elle se situait, je n'étais sûr de rien. Je l'avais vue près de la côte. Il fallait donc rejoindre la mer et longer jusqu'à ce qu'on la trouve. Sauf que Meriel en serait incapable. Il ne tiendrait pas le coup. Malgré la chaleur de mes ailes, il demeurait trop sensible au froid ambiant. Je devais le mettre à l'abri. À tout prix.

Ce qui m'étonnait était le fait que je n'avais pas aussi froid que Meriel. J'avais froid, pour sûr. Je frissonnai, ma peau était rougie et me faisait souffrir. Mais je n'étais pas dans le même état que Meriel. Était-ce parce que j'étais un archange ? Se pouvait-il que je ne puisse plus mourir, contrairement à Meriel ?

Pour l'instant, ça n'avait pas d'importance.

- Monte sur mon dos, lui ordonnai-je.

Il tenta de répondre mais ses dents claquaient bien trop pour qu'il réussisse à articuler quelque chose de clair et cohérent. Frustré, il réessaya. Avec le même résultat. Je ne cherchai pas à attendre qu'il accepte pour l'obliger à se caler entre mes ailes. Je l'entendis râler entre ses bruyants claquements de dents. Malgré tout, il enroula fermement ses bras autour de mes épaules.

Avoir son poids entre mes ailes était une sensation étrange. Ce n'était pas agréable. Pour être honnête, c'était dérangeant. L'amplitude du mouvement de mes ailes était réduit et plus difficile. Toutefois, ça ne m'empêcha pas de réussir à planer sur quelques mètres. Je n'arrivais pas à planer comme je le faisais avant mais c'était mieux que rien. Par contre, c'était épuisant. J'étais couvert de sueur et les bras de Meriel ne cessaient de glisser.

J'utilisai mes ailes pour presser Meriel au plus près de moi, tout contre mon dos. Je me figeai en réalisant que je ne sentais plus son cœur battre entre mes omoplates. Lorsque je l'avais installé, je l'avais senti. Il était irrégulier mais il était là. Maintenant, je ne sentais plus rien.

Il fallait que j'atteigne cette foutue cabine avant qu'il ne soit trop tard. Il le fallait. À tout prix. Je ne pouvais pas perdre Meriel. Je refusais de laisser une telle chose arriver.

Ma panique était telle que je faillis manquer le changement qui survint. Ce fut comme le cliquetis délicat d'une porte qui s'ouvre doucement, discrètement. Ma peau se mit à tirer, comme si elle devenait trop étroite pour moi. C'était une sensation familière. Celle qui me disait que j'étais plein d'énergie et que je ne pouvais plus en canaliser sans dégâts.

Je me souvins de Cassiel, de sa faculté à apparaître sans effort là où il voulait aller. C'était ma seule option. Réussir à apparaître directement dans la cabane. Il se pouvait qu'il y ait des démons à l'intérieur mais je m'en moquais. Tout ce qui comptait, c'était de mettre Meriel à l'abri et cette cabine était notre seule option jusqu'à ce qu'Horizon revienne nous chercher.

Je me concentrai sur cette petite cabane que j'avais brièvement aperçu, mettant toute cette énergie dans la simple idée d'y apparaître avec Meriel.

Je clignai des yeux.

La neige avait disparu au profit de quatre murs de bois qui gémissaient sous les assauts du vent. Un feu était allumé dans une cheminée rudimentaire et faisait de son mieux pour chauffer la pièce. Un canapé mité lui faisait face. Dessus, deux pécheurs – deux démons déguisés en pécheurs, en vérité – nous regardaient avec des yeux comme des soucoupes. Évidemment. Comme si ça allait être aussi facile.

Je déposai Meriel près du feu et leur fit face. Je n'avais pas la moindre idée de ce que j'allais bien pouvoir faire pour me débarrasser d'eux. Je tentai de me remémorer la façon qu'avait utilisé Cassiel pour se débarrasser des démons. Je me souvenais de la lumière céleste, si puissante qu'elle m'avait roussi les plumes. Je n'avais aucune idée de comment l'appeler, par contre. Il allait falloir que je trouve autre chose.

Je sentais encore le tiraillement de mon énergie sous ma peau. Elle était là, prête à agir à ma guise. Je n'avais plus qu'à me décider.

Je vis les lèvres des pécheurs bouger mais je ne prêtai pas attention aux mots qui sortaient de leurs bouches. Je connaissais assez les démons pour savoir qu'ils ne diraient rien que j'avais besoin d'entendre.

Mon énergie emplit mon corps tout entier, le faisant fourmiller et tirailler. La sensation était plus forte dans mes ailes, comme si elles engrangeaient plus de pouvoir que tout le reste de mon être. Ce qui me donna une idée.

Mes ailes étaient faites de feu. Je pouvais parfaitement les utiliser pour brûler les démons. Les plumes étaient si brûlantes qu'elles émettaient des étincelles qui claquaient à mes oreilles. Je n'étais pas certain du fait que les démons puissent brûler. Après tout, l'Enfer était communément représenté comme fait de flammes.

Toutefois, lorsque je déchaînai mon énergie contre eux, ce ne fut pas des flammes qui leur barrèrent le chemin et les empêchèrent de m'atteindre. Ce fut un mur invisible, tissé d'énergie pure, qui les envoya valser à l'autre bout de la cabine. Ils s'effondrèrent au sol, inconscients. Il ne me restait plus qu'à les exorciser et à renvoyer les pécheurs d'où ils venaient.

Je me pressai auprès des démons. Mon énergie était toujours là, aussi puissante. Je pressai mes mains sur la bouche des deux monstres. Leurs hurlements n'allaient pas alerter Meriel.

Ils luttèrent contre mon pouvoir mais, finirent par quitter les corps qu'ils habitaient. Je savais qu'ils seraient encore sur Terre puisqu'ils ne pouvaient pas gagner les Enfers. Malheureusement, c'était tout ce que je pouvais faire pour l'instant. Que je tue leur hôte ou non, le résultat serait le même. Autant sauver les deux humains. D'ailleurs, je n'étais pas certain de la manière de me débarrasser de ces deux-là. Si j'étais chanceux, ils retourneraient sur le continent d'eux-mêmes.

Je rejoignis Meriel qui grelottait près du feu de cheminée. Je ramassai toutes les couvertures, duvets, plaids et autres tissus miteux que je trouvai dans la pièce et l'enveloppai dedans. Il ne se plaignit pas. Même lorsque seule sa tête dépassa d'une montagne de tissus. Ses yeux turquoise accrochèrent les miens.

- Va chercher le livre, articula-t-il entre le claquement de ses dents. Il est tout près.

- Je ne peux pas te laisser seul, rétorquai-je. C'est trop dangereux.

- Si tu te presses, il n'y aura aucun problème.

Un sourire vint gracier ses lèvres bleuies de froid.

- Tu as enfin trouvé ton énergie. Tu peux tout faire, maintenant.

Je restai agenouillé à côté de lui, indécis. J'abhorrais l'idée de le laisser seul, sans protection, dans cet endroit. Quand bien même pouvais-je apparaître à tel ou tel endroit et que ça réduisait le temps de trajet, le risque n'en était pas moins important.

- Si je m'en vais, je ne pourrais pas te protéger.

- Ne t'en fais pas pour moi. Si j'ai le moindre soucis, je prierais Rikbiel pour qu'il fasse descendre l'escalier pour moi.

Il se tortilla pour sortir un bras de la pile de couvertures. Sa main saisit mon menton. Ses doigts étaient encore glacés. Il me rapprocha de lui, me faisant m'affaisser contre le tas de tissus. Il plaqua un court baiser sur mes lèvres avant de murmurer :

- Vas-y. Ne t'inquiètes pas pour moi. Je saurais me débrouiller s'il y a un problème.

Je ne voulais pas le laisser. Il ne me laissait pas le choix. Ce lien particulier que nous avions créé depuis que nous travaillions ensemble m'empêchait de l'ignorer. Il n'accepterait pas que je reste et que je perde du temps. Que je prenne le risque de voir le livre disparaître alors qu'il était à notre portée.

Je me redressai, résigné. Il se réinstalla sous la pyramide qui le réchauffait et me désigna la sortie du menton. Je m'arrêtai sur le seuil pour lui jeter un dernier regard avant de retourner dans le blizzard.

La tempête me prit par surprise. Je l'avais quittée une dizaine de minutes auparavant mais elle avait trouvé le moyen d'enfler. Je ne voyais plus à un mètre. Le vent était si violent qu'il s'engouffrait dans mes ailes, tentait d'étouffer leur feu et rendait chaque pas impossiblement épuisant.

Le livre était là, quelque part. L'énergie angélique qu'il dégageait ressemblait à un fil lumineux qui me disait dans quelle direction avancer. Je pouvais le voir sillonner dans la neige. Chaque pas que je faisais le rendait plus brillant, son pouls de plus en plus rapide et fort.

Je serrai mes ailes autour de moi pour me protéger de la tempête. Le froid commença à m'atteindre. Les flammes qui tissaient mes plumes avaient de plus en plus de mal à brûler. Je devais accélérer. Trouver ce livre et rentrer auprès de Meriel. Plus vite.

Après ce qui me parut être un temps infini, un monticule de neige se dessina. Le fil de lumière n'allait pas plus loin. Il s'enfonçait sous la neige et disparaissait. Il ne me restait plus qu'à creuser. Quelque part là-dessous, il y avait le livre.

L'humidité glacée mordit ma peau, la brûla. Je serrai les dents et continuai à creuser. Le hurlement du vent tourbillonna autour de moi et m'isolait du reste du monde. Il n'y avait plus que moi et ma tâche. Je pouvais sentir le livre tout près. Il était là. Juste là, sous la neige qui luttait contre moi pour cesser de le couvrir.

Une surface dure apparut sous mes doigts engourdis. Je dus gratter autour pour réussir à la déloger. La magie poisseuse et fétide des démons la recouvrait. Mes mains passèrent à travers sans aucun mal, la brisant sans difficulté. La sensation était pareille à celle de briser un miroir. Ma peau se déchira sous l'impact. La neige glacée empêcha l'abondant saignement qui aurait dû survenir.

Je pressai la boîte contre mon torse, enroulant mes bras autour. D'un battement de cil, j'étais de retour dans la cabane. Meriel était toujours entassé sous les duvets et autres plaids. Il tressaillit lorsque j'apparus. Il luttait contre le sommeil. Son regard retrouva sa vivacité lorsqu'il vit le coffre que je tenais encore tout contre moi.

- Est-ce le livre ? murmura-t-il avec révérence.

Je m'installai à côté de lui et posai la boîte sur mes genoux. Une petite serrure le maintenait clos. Autour, le bois était fendu. Il avait été forcé. Malgré tout, je savais que le livre était à l'intérieur. Je pouvais sentir son énergie.

Prudemment, je forçai sur le clapet et le coffre s'ouvrit. À l'intérieur, un carnet. Un simple carnet d'une centaine de pages à la couverture de cuir usée par le temps et les manipulations. Il paraissait si pathétique que je ne parvenais pas à croire que nous avions dû endurer tout cela pour une chose aussi... misérable.

Je sortis le livret du coffre et l'ouvrit. À l'intérieur, uneécriture noire et serrée couvrait les pages sans laisser le moindreespace. Je reconnus de l'enochien. Des informations diverses etvariées, mélangées. Des sortes de prophéties sans queue ni tête,des énigmes à peine déchiffrables.

Je me doutais que si l'on approfondissait la lecture, il y avait moyen d'apprendre énormément sur les Cieux, sur les anges. Pourtant, les démons avaient laissé ce livre ici, à peine gardé. Pourquoi ? L'avaient-ils lu sans trouver ce qu'ils cherchaient ? Ou avaient-ils prévu de s'en occuper plus tard ?

- Te poser des milliers de questions ne sert à rien, dit Meriel, enfin libéré de son claquement de dents. Pour l'instant, nous avons récupéré un livre. C'est une victoire. Peu importe la raison pour laquelle il a été laissé ici avec deux démons de bas rang. Tout ce qui importe, c'est que nous ayons retrouvé ce livre.

Je continuai de feuilleter le carnet dans l'espoir de comprendre. Les mots de mon partenaire étaient censés mais j'avais besoin de savoir. Pour me préparer.

La main de Meriel s'abattit sur le livret et le fit tomber dans sa boîte.

- Remontons aux Cieux. Tu iras le donner à Gabriel et j'irai faire une sieste dans la Serre. J'ai plus qu'intérêt à avoir toutes mes forces pour surveiller Declan et Ava.

Comme s'il l'avait appelé, Flax apparut dans la cabine. Il pâlit en voyant les deux humains inconscients dans le fond de la pièce.

- Ils sont morts ? chuchota-t-il, effrayé.

- Non. Juste inconscients.

Il hocha faiblement la tête sans détourner les yeux. Meriel se leva, rejetant tout ce qui le couvrait. Il semblait déjà aller mieux. C'était un soulagement. Je saisis sa main, heureux de la trouver tiède.

Mon geste attira l'attention de Flax et un sourire vint fendre son visage. Il s'agita dans le bruissement de ses petites ailes. Il nous remonta aux Cieux. Tous les Cupidons nous attendaient. Une tension palpable régnait dans l'immense salle qui leur appartenait. Ils retinrent leur souffle lorsque nous apparûmes.

Je me contentai d'agiter la boîte en bois. Ils explosèrent en acclamations, heureux de cette victoire. Ils repartirent aussitôt travailler, leur enthousiasme et courage renouvelés.

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NdlA : et un livre ! Vous pensez qu'il va être utile ou pas ? Qu'est-ce que vous imaginez pour la suite ?

Sinon, on est encore confinés pour un bon mois ! Vous le vivez comment ? Perso, j'en ai marre mais bon, au moins, j'ai enfin pu commencer à m'ateler à plusieurs choses qui attendaient que je leur accorde un peu de temps ! Du coup, j'arrive à m'occuper à peu près toute la journée !

On se voit au prochain chapitre !

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