Chapitre 15

Flax ressemblait à un moustique hyperactif lorsque j'entrais. Je tentai de me composer un visage aussi neutre que possible. Il n'avait pas besoin de savoir ce qu'il s'était passé avec Meriel. C'était un moment privé, juste entre lui et moi. Un moment que je comptais bien chérir très, très longtemps.

Le Cupidon me bondit dessus, s'accrochant à ma manche. Je haussai un sourcil, ne comprenant pas ce qui lui arrivait.

- J'avais raison ! Ma flèche n'a pas été gaspillée ! Pas vraiment, en tout cas !

- De quoi tu parles ? Calme-toi et explique-moi.

Flax continua de s'agiter mais parvint à s'exprimer sans que tous ses mots ne se chevauchent et sans me percer le tympan.

- Tu te souviens de cette mission que je me suis attribué tout seul ? Où je pensais que ma flèche n'avait pas fonctionné ? Que Lemony a dit que ma cible avait déjà des sentiments ?

- Vaguement, oui.

- En fait, ma cible t'aimait déjà !

J'allais répondre quelque chose dans le style de « oh, c'est très bien ça » avant de me rendre compte du pronom qu'il avait utilisé. Tout ce qui sortit fut :

- Quoi ?!

- Oui ! C'est absolument génial !

Il ne parut pas réaliser que je m'étais arrêté, abasourdi par ce qu'il venait de révéler. Il avait tenté de me caser ?!

- Flax ? Explique-toi, tout de suite ! C'est quoi cette histoire ?

Il se rendit enfin compte que je ne partageais pas sa joie. Il prit cet air de chiot abandonné en me regardant avec des yeux suppliants. S'il tentait de m'attendrir, ça ne marcherait pas. Du moins, je l'espérais.

- Tu étais malheureux, Rahel ! On pouvait tous le sentir. Tu te sentais si seul que c'était dur de se concentrer sur autre chose. Je voulais juste te trouver quelqu'un pour que tu te sentes mieux. Je savais qu'il te rendrait heureux. Il est la meilleure personne pour toi. Vous faites une super équipe, tout le monde le dit.

- Il ? Comment tu... ? Je ne le savais même pas !

- Je suis un Cupidon. Je sais tout ce qui a trait à un couple. Notamment les préférences.

- Et ça ne pose de problèmes à personne ?

L'implication de ma question était claire. Il sourit en secouant la tête.

- Bien sûr que non ! L'amour, c'est l'amour ! C'est tout ce qui compte ! Et puis, selon les humains, nous serions sous le même drapeau. Tu n'as pas dû t'en rendre compte mais nous, les Cupidons, sommes asexuels mais aussi aromantiques. Et n'essaie pas la blague avec aromatique ou Tulipe va te fracasser. Bref, contrairement à vous, les humains ou anges, nous n'avons aucun intérêt pour les relations romantiques ou sexuelles. Rien. Nous nous suffisons à nous-mêmes, on peut dire. Donc, tu vois ? Aucun soucis ! Tu peux être tout ce que tu veux, ici. Personne ne te jugera. En tout cas, pas ceux qui n'ont jamais été humains.

C'était rassurant. Que quelqu'un sache ou non, ça ne changerait rien pour Meriel et moi. Le seul risque venait de Hasdiel. Je doutais qu'elle prenne bien la nouvelle. Pas qu'elle n'ait pas su bien avant moi qu'il y avait quelque chose. Si ça n'avait pas été le cas, elle ne m'aurait pas fait la misère en tentant sans relâche de m'humilier et de me rabaisser.

Toutefois, je ne tenais pas à m'occuper de ça pour le moment. D'ici à ce que je sois autorisé à retrouver la population angélique, l'eau aurait coulé sous les ponts.

- Comment as-tu su ? questionnai-je Flax. Ce qu'il s'est passé ?

- Nous sommes connectés à nos flèches. La connexion ne se coupe que si la flèche a atteint son objectif. Si l'effet n'est pas immédiat, on continue de sentir cette flèche jusqu'à ce qu'elle ait amené les deux personnes à se mettre ensemble. Je ne saurais pas t'expliquer mieux que ça. J'ai senti lorsque ma flèche s'est évaporé. C'est comme ça que j'ai su que j'avais réussi à le pousser vers toi et que j'ai compris que, s'il n'a pas réagi tout de suite, c'est parce que les sentiments qu'il avait étaient déjà pour toi.

Je réfléchis. Beaucoup de choses faisaient sens, soudain. Je me souvenais du jour où Flax m'avait parlé de sa cible manquée. C'était le même jour que Meriel était monté me voir pour la première fois depuis que j'étais enfermé ici.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Ta flèche a fonctionné dès le début, Flax.

- Non, je l'aurais su.

- Je t'assure que si. Peut-être pas comme tu l'imaginais mais elle a fonctionné. Le jour où tu l'as tirée, il a réussi à trouver le chemin jusqu'ici malgré les barrières de Gabriel et Michael.

- Tu crois que ma flèche a créé une brèche dans la magie qui t'isole avec nous ? Que c'est elle qui a permis vos retrouvailles ?

- Je le pense.

Un sourire presque trop large pour son visage étira ses lèvres. Il fit plusieurs voltiges dans les airs tant il était heureux de l'apprendre. Ce ne fut que parce que Cosmo exigea qu'il se remette au travail qu'il se calma. Juste un peu.

J'allais m'installer devant les cartes que Lemony avait bien remplies durant mon absence. Cosmo ne tarda pas à me rejoindre, un sourcil haussé dans une expression trop adulte pour son visage de bébé.

- Que s'est-il passé avec Flax ? Je ne l'avais jamais vu dans un tel état.

- Juste une affaire qu'il pensait avoir échoué et qui a fonctionné, au final.

Cosmo inclina la tête pour m'examiner. Ses sourcils se froncèrent un peu plus.

- Il y a quelque chose que tu ne me dis pas.

Je haussai les épaules avec un sourire.

- Je saurais de quoi il s'agit, j'espère que tu le sais. Mes Cupidons ne peuvent rien me cacher.

- Je n'en doute pas. Flax se fera une joie de te raconter.

Il émit un grognement mécontent avant de s'éloigner. J'étouffai un rire.

Reprendre le repérage sur les cartes fut plus compliqué que prévu. J'avais la tête ailleurs et je préférais vérifier à deux fois avant de rougir une zone explorée pour être certain de ne pas faire d'erreur. Heureusement, ma concentration ne tarda pas à revenir. Avec elle, l'angoisse de découvrir quelque chose. Je redoutais le moment où un Cupidon sentirait enfin la présence de l'un des livres.

Mon plus gros soucis était qu'il y avait un risque que Samael – j'étais certain que c'était lui qui avait volé les livres même si je n'avais aucune preuve pour l'instant – ait emmené les livres dans l'un de ses lieux où les Cupidons n'avaient pas besoin d'aller car les humains n'y allaient pas ou très rarement. Il y avait plus d'espaces vides sur Terre que l'on ne le pensait.

Les Cupidons avaient trouvé un nouveau fonctionnement. Dès qu'ils revenaient, ils venaient me dire directement où ils avaient été plutôt que d'aller le dire à Cosmo pour qu'il en fasse la liste. C'était rare qu'ils reviennent tous en même temps donc c'était plus rapide ainsi.

De même, ils exigèrent que je prenne des pauses régulières. Lemony ne me laissa pas rester. Il me chassa de la pièce et claqua la porte derrière lui.

Sabathiel vint me rendre visite de temps en temps. Je n'étais pas un idiot, je savais que c'était pour le compte de Gabriel qui cherchait à savoir où nous en étions. Malheureusement, l'avancée était longue. Je commençais à croire que les Cupidons ne trouveraient rien. Ou que, s'ils trouvaient quelque chose, ça serait des années plus tard.

Je m'étalai dans mon lit, tentant de chercher une solution pour aller plus vite dans nos recherches. C'était trop lent. Avec la chance que nous avions, Samael ne cessait de déplacer les livres. Il était possible que tout notre travail soit inutile.

- Je te laisse une semaine et tu recommences à te tuer d'angoisse. À croire que je vais devoir te protéger aussi.

Je me redressai brusquement dans mon lit. Meriel était appuyé à la porte, les bras croisés, un sourire en coin sur les lèvres. Je cillai bêtement. D'un coup, c'était une autre forme d'anxiété qui me prenait aux tripes.

Je ne l'avais pas revu depuis notre baiser dans le jardin, lorsqu'il avait dû redescendre pour vérifier que tout allait bien pour Ava et Declan. Le revoir après une semaine me laissait avec les mains moites, le pouls en déroute et un nœud dans l'estomac.

Il vint s'asseoir sur le bord de mon lit et je me sentis m'orienter vers lui instinctivement. Il sourit et se pencha. Mes yeux se fermèrent d'eux-mêmes et j'accueillis sa bouche sur la mienne avec un soulagement, une satisfaction, un bonheur qui me laissèrent tremblant.

- J'avais peur que tu cherches à faire comme s'il ne s'était rien passé, avoua-t-il doucement.

- Impossible. Jamais.

Mon éloquence me faisait défaut mais ce n'était pas comme s'il avait besoin de grands discours. Ces deux mots parurent suffire pour qu'il se détende. Je mis toutes mes insécurités de côté pour me blottir contre lui. Il me laissa faire, répondant à chacun de mes gestes avec le même sentiment.

- Tu veux parler des recherches ? demanda-t-il dans un murmure.

- Non. J'aurais le temps de m'arracher les cheveux lorsque tu seras redescendu.

Il eut un rire qui secoua tout son corps et me fit sourire. Ses bras se resserrèrent.

- Tu sais, tu peux encore me parler.

- Je sais. Plus tard. Je suis trop bien là pour tout gâcher avec cette histoire. Je ne me souviens pas d'un temps où j'ai été aussi... bien.

Ce n'était pas le mot que j'allais dire et il le savait aussi bien que moi. Tout comme il savait quel mot j'avais prévu de dire sans oser. Il ne dit rien. Il orienta mon visage vers le sien pour m'embrasser et je me liquéfiai contre lui. Si, lorsque je l'avais rencontré, quelqu'un m'avait dit que nous finirions comme ça, je lui aurais ri au nez. Pourtant, il ne m'était jamais rien arrivé de mieux.

- JE LE SAVAIS !

Nous sursautâmes violemment. Nous n'avions pas entendu la porte s'ouvrir et Hasdiel entrer. Comment avait-elle fait pour revenir ici ? Après s'être retrouvée face à Michael, j'aurais cru qu'elle n'oserait jamais revenir. Visiblement, j'avais eu tort. Elle était si obsédée par Meriel qu'elle était prête à tout.

- Hasdiel... soupira Meriel, las. Nous en avons déjà discuté plusieurs fois. Je ne t'ai rien caché.

Je me tournai vers lui, surpris. Était-il en train de dire qu'il avait admis à Hasdiel ce qu'il ressentait pour moi ? Et si c'était le cas, comment pouvait-elle continuer à s'accrocher ? Si j'avais aimé quelqu'un et que cette personne m'avouait aimer quelqu'un d'autre, je me ferais une raison et j'aurais fait de mon mieux pour passer à autre chose. Pas que j'aie jamais cherché à comprendre ou à reconnaître mes émotions lorsqu'elles prenaient cette voie.

Je regardai Hasdiel crier et pleurer tandis que Meriel tentait de la raisonner. Il ne me fallut pas longtemps pour réaliser que Hasdiel faisait partie de ceux qui s'accrochent à ce qui les fait souffrir, ceux qui disent vouloir s'en sortir mais qui, en vérité, ignorent toutes les portes de sortie et passent leur temps à se faire plaindre.

J'étais désolé pour elle, pour sûr. Jusqu'à un certain point. J'ignorais quand Meriel lui avait parlé de ses sentiments, de ce qu'il y avait entre nous. Qu'elle ait souffert lorsqu'elle l'avait découvert, je comprenais. Je cessais de la plaindre à partir du moment où elle l'avait su et qu'elle avait continué à le poursuivre.

Ce qui arriva ensuite, aucun d'entre nous n'aurait pu le prévoir.

La porte s'ouvrit la volée, percutant Hasdiel dans le dos. Elle s'écrasa sur le sol, un réflexe primaire empêché son menton d'aller heurter le sol avec violence, une volée de plumes envahit l'air. Blossom stagna au-dessus d'elle, l'air plus excité que jamais.

- On a trouvé quelque chose ! s'écria-t-elle. Viens voir ! Vite !

Et elle repartit comme une fusée sans m'attendre. Hasdiel se redressa en grimaçant. Un filet de sang coulait d'entre ses lèvres. Elle me fusilla du regard comme si tout ce qui venait de se passer était de ma faute. Je n'y fis pas attention.

- Allons voir ce que veut le Cupidon, dit simplement Meriel.

Il s'extirpa du lit et m'entraîna par la main hors de la chambre. Derrière nous, Hasdiel continua à pleurer et à vitupérer.

- Espérons qu'elle ait compris le message, soupira-t-il.

Je pressai sa main.

- Si elle n'a pas compris, elle ne comprendra jamais.

Il me donna un coup dans l'épaule, boudeur.

- Merci de me remonter le moral !

Je me mis à rire et je le rapprochai de moi. Je n'avais jamais réalisé combien j'aimais sa proximité.

- Au pire, repris-je, ce n'est pas comme si on n'avait pas l'habitude !

- Contentons-nous d'aller voir ce qu'ont trouvé tes Cupidons.

Je me remis à rire et il eut ce sourire en coin qui me disait qu'il se retenait mais qu'il n'était pas si inconsolé qu'il le prétendait.

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NdlA : Et un autre chapitre ! Ca fait du bien de retrouver un bon rythme de publication, vous ne trouvez pas ? Vu comme j'avance dans mon nouveau projet, je peux me le permettre ! J'avoue être particulièrement inspirée, ces derniers jours. L'effet du confinement ? Pas sûre xD En tout cas, j'avance bien ! Si vous avez de la chance, je pourrais commencer à le poster directement après COLD DAYS IN HEAVEN !

Oh, et l'un de mes groupes favoris a posté une nouvelle chanson la nuit dernière et elle est PARFAITE pour le personnage principal de mon nouveau projet ! Je l'écoute en boucle tant elle m'inspire !

On se revoit au prochain chapitre !

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