Chapitre 13

Les Cupidons furent bien trop enthousiastes à l'idée de m'aider. J'aurais pensé que certains auraient des doutes à l'idée de chercher ce qui, j'en étais sûr, était des nids de démons. Ça aurait été légitime. Après tout, ils allaient se mettre en danger.

Au lieu de ça, ils acceptèrent tous avec enthousiasme et... reconnaissance ? Ça n'avait pas de sens. Ils auraient dû hésiter, être effrayés, pas reconnaissants ! Je me doutais que faire la même tâche répétitive toute la journée, jour après jour, ça ne devait pas être agréable. Mais de là à s'exalter à l'idée de faire face à des démons...

Peut-être mon idée n'était-elle pas aussi bonne que je l'avais cru, au final. Leur réaction m'angoissait. Malheureusement, je ne pouvais pas revenir en arrière. J'allais devoir m'assurer qu'ils fassent attention à eux pendant qu'ils cherchaient les livres. Je n'avais pas envie qu'il leur arrive quelque chose à cause de moi.

Je levai les yeux lorsque Sabathiel entra. Il m'offrit un large sourire que je ne pus m'empêcher de lui rendre. Il s'installa à côté de moi.

- Impressionnant, dit-il en désignant mes ailes du menton.

- C'est ce que tout le monde dit. Encombrant serait l'adjectif que j'utiliserais, personnellement.

Il pouffa et je ramenai mon attention sur les Cupidons. Comment pouvais-je assurer leur sécurité ?

- Ils ne courent aucun risque, énonça doucement mon superviseur. Quand bien même tomberaient-ils sur des... forces négatives que ceux-ci ne pourraient rien contre eux.

Je ne relevai pas son incapacité à prononcer le mot « démon ». Peu d'anges savaient le faire sans avoir de violentes réactions. Il fut un temps où l'évocation des Enfers et de ses rejetons me collait des frissons si violents qu'ils ébouriffaient mes plumes. Désormais, ça ne me faisait plus rien. Avoir rencontré Lucifer avait ses avantages.

- Comment ça ?

- Les Cupidons sont petits, rapides et armés. Que crois-tu qu'une flèche d'amour éternel puisse faire à une vile créature ?

- Rien de bon ?

- Exactement. Ne t'en fais pas pour eux. Ils ne sont pas en danger. Ils peuvent disparaître en une seconde. Aucun sbire du Déchu n'aura le temps de les atteindre.

Il était créatif dans sa manière de décrire les démons. Je n'aurais jamais su imaginer autant d' épithètes.

- Comment vous savez que... ?

- Gabriel m'a prévenu qu'il t'avait demandé de retrouver les livres d'Hénoch. C'est très intelligent de passer par les Cupidons. Personne ne leur donne de crédit. Surtout pas lorsque des engeances d'en-bas sont impliquées.

Ça expliquait beaucoup de choses. Notamment ce terrifiant engouement qu'ils avaient eu pour leur nouvelle mission. Sans le vouloir, je venais de reconnaître qu'ils n'étaient pas bon qu'à décocher des flèches sur les humains. Je venais de leur accorder une valeur que personne n'avait reconnue jusque là.

- Tu seras un bien meilleur archange que Raziel. Je peux te l'assurer. Une fois que Michael t'aura aidé à manier tes nouvelles capacités, tu pourras le remplacer et j'ai hâte.

- Pourquoi ? Il est si mauvais ?

- Ce n'est pas un archange et les Trônes commencent à s'en rendre compte. Raziel lui-même doit se douter que quelque chose cloche parce qu'il devient irritable dès que l'on met sa place en doute.

Encore des problèmes. Comme si je n'en avais pas assez. Raziel me détestait déjà. Lorsqu'il apprendrait que la place que Cassiel lui avait offerte m'était revenue... Je ne pouvais imaginer sa réaction.

- C'est mal parti, répondis-je simplement.

- Ne dis pas cela. Ça fait à peine deux jours que tu es devenu un archange. Personne ne peut découvrir toutes les ficelles en si peu de temps. Combien de mois as-tu mis avant de découvrir que tu pouvais manipuler ton énergie en tant qu'ange ?

- Pas mal...

- Voilà. Ce n'est pas instantané. Ça demande du travail. Ne sois pas pressé.

- Je ne peux pas me permettre de prendre mon temps. Pas avec Lu...

Il plaqua une main sur ma bouche.

- Ne le dis pas.

Je le forçai à me libérer.

- Je comprends, reprit-il. Mais ce n'est pas en te frustrant comme tu le fais que les choses vont changer. Au contraire, tu risques de te compliquer la vie.

Je soupirai. Il en savait sûrement plus que moi mais ce n'était pasce que j'avais envie d'entendre.

- Dans quelles conditions as-tu découvert tes capacités lorsque tu étais un ange ?

Je me souvins de ce jour-là. J'étais furieux contre Meriel parce qu'il m'ignorait, me cachait ce que lui et les autres prévoyaient sous le prétexte de me laisser me reposer. J'avais accumulé tant d'énergie qu'elle avait explosé et projeté Meriel contre un arbre. Deux fois.

- J'étais furieux. Je me sentais trahi.

- Une forte émotion, donc.

- On peut dire ça.

- Et si tu provoquais une situation similaire ? Pour essayer ? Si ça a fonctionné une fois, ça pourrait fonctionner à nouveau pour déclencher ton énergie.

- C'est une idée, souris-je.

Je n'étais pas convaincu. Ça ne m'empêcherait pas d'essayer. Je n'avais rien à perdre. Encore fallait-il qu'une émotion parvienne à supplanter mon anxiété perpétuelle. Ça, ça risquait d'être plus compliqué.

- Je te laisse à tes plans. Il va falloir du temps pour tout organiser et encore plus pour sillonner toute la Terre. J'espère que tu es patient.

- Pas vraiment.

Sabathiel émit un court rire avant de se lever.

- Bon courage !

Il quitta la pièce et je ramenai mon attention sur les Cupidons. Ils étaient plus agités que jamais. Cosmo prenait des notes de toutes les missions qui partaient. Il fallait que je trouve des cartes de tous les pays précises. Ce n'était pas comme si les Cupidons couvraient de vastes zones. Ils ne faisaient que des villes voire des quartiers. Ça allait demander énormément d'organisation et de ressources. Et du temps. Bien plus que je ne l'aurais voulu.


Il me fallut une semaine pour réunir toutes les cartes. Je bénis le vaste espace que possédaient les Cupidons. Cela me permit de réunir les morceaux de cartes par pays. Certains tas étaient plus hauts que d'autres. Cosmo avait noté diligemment tous les endroits où les Cupidons étaient passés. Il nous avait fallu deux jours pour réussir à colorer toutes ces zones.

C'était le travail le plus fastidieux qu'il m'ait jamais été donné de faire. Ça occupait toutes mes journées. C'était étrangement épuisant de rester assis par terre à attendre que Cosmo vienne me tendre la liste des nouveaux sites qui avaient été visités. Mon esprit avait beau courir et fonctionner à plein régime, mon corps bougeait à peine et une fatigue profonde m'assommait aux moments les plus aléatoires.

Je me retrouvais dans un entre-deux étrange qui m'empêchait souvent d'être entièrement concentré. Je brûlais de faire quelque chose de concret. De bouger. Je ne cessais de remuer dès qu'il y avait un moment d'accalmie.

Je ne vis pas Gabriel ni Michael. Je m'étais attendu à ce que le premier vienne prendre des nouvelles des livres. Le silence du second ne m'étonnait pas mais celui de Gabriel, si. Je ne savais pas ce qu'ils faisaient mais ça leur prenait beaucoup de temps.

- Tu devrais sortir un instant, me jeta Lemony. Tu vas devenir complètement marteau si tu ne t'aères pas.

- Je ne peux pas prendre de retard.

- Sors. Je m'en charge. Promis.

Je sondai son visage poupin. Ce n'était pas nécessaire, Lemony était toujours honnête et franc. S'il me promettait de se charger des cartes, je devrais pouvoir lui faire confiance. Malgré tout, je n'étais pas à l'aise à l'idée de lui laisser mon feutre rouge.

- Sors d'ici, Rahel. Tu vas faire une boulette, si tu t'entêtes.

Je lui jetai un regard noir lorsqu'il m'arracha mon feutre des mains.

- Dehors !

- De nous deux, je suis celui qui devrait donner les ordres, marmonnai-je.

- Quand tu auras remis ta tête sur tes épaules, on verra.

Il me poussa hors de la pièce et me claqua la porte au nez. J'aurais aimé l'insulter. Sauf que rien ne me vint, comme si mon cerveau avait effacé toutes les insultes que je connaissais. Ça n'était pas fait pour arranger les choses.

Je remontai le couloir et suivis le chemin que Michael avait pris pour atteindre le jardin merveilleux où il avait tenté de me faire trouver mon énergie. Je fus bien heureux de réussir à en retrouver le chemin. J'avais besoin de calme.

Le jardin était toujours aussi beau. Le soleil était haut dans le ciel et faisait resplendir les couleurs des fleurs et des feuillages. Le même intense sentiment d'émerveillement me prit aux tripes et je restai figé à l'entrée.

- Cet endroit est magnifique, murmura une voix derrière moi.

Le cri que je poussai n'eut rien de digne ni de masculin. Je dus émettre des aigus que j'ignorais pouvoir atteindre. L'éclat de rire de l'intrus me rassura. Je reconnus Meriel sans avoir besoin de me retourner. Il ne riait pas beaucoup et chaque occasion en devenait mémorable.

- Qu'est-ce que tu fiches ici ? l'apostrophai-je avec moins de verve que prévu.

- Je suis venu voir où tu en étais dans tes recherches. Je suis désolé de ne pas avoir pu venir plus tôt. Raquel possède une nature curieuse et je n'ai pas eu d'autre choix que de la satisfaire. Il semblerait que Declan soit le parangon du petit ami voulant réaliser tous les désirs de sa bien-aimée.

L'évocation de Raquel me fit grincer des dents. Je n'avais pas vraiment envie de parler d'elle et de son idylle avec Declan.

- Tu tiens encore à lui, n'est-ce pas ?

- De quoi est-ce que tu parles ?

- Declan. Tu tiens encore à lui.

- C'est du passé. Rien qui n'ait de l'importance. Rien qui n'en ait jamais eu.

- Tes sentiments ont de l'importance, Rahel. Il serait temps que tu t'en rendes compte. D'ailleurs, pourquoi ne m'as-tu pas dit que tu marchais la même route que moi ?

Je me laissai tomber sur un banc et ramenai mes genoux contre moi, mes talons s'enfonçant dans le bord de la pierre pour me retenir. Mes ailes m'enveloppèrent sans me brûler. Au contraire, elles diffusèrent une douce chaleur rassurante.

- C'est la première fois que ça m'arrive. Je n'ai jamais eu l'occasion, quand j'étais humain. J'étais trop occupé à tenter de trouver un endroit où m'abriter et une façon de me nourrir. Je n'ai jamais eu le temps de m'attacher à quiconque.

Prudemment, il s'assit à côté de moi, faisant attention à ne pas toucher mes ailes. Si elles ne me brûlaient pas, il n'était pas dit qu'elles en feraient de même avec lui.

- Ça ne change pas le fait que c'est important. Que tu dois reconnaître qu'il y a quelque chose.

- Il n'y a rien. J'ai peut-être eu un moment mais c'est terminé. Je ne veux plus en parler.

- Si tu peux m'assurer que tu vas bien, j'arrête d'en parler.

Je baissai une aile pour pouvoir le fusiller du regard. Il m'offrit un sourire amusé et complice que je n'avais jamais vu chez lui. Un sourire un peu triste mais qui illumina son visage toute entier. Il tendit la main et, du bout des doigts, effleura mes ailes. Je m'attendais à ce qu'il se brûle et se recule brusquement mais rien ne se passa.

Il passa sa main le long de mon aile, effleurant mes plumes comme si elles n'étaient pas faites de feu. Sa peau paraissait faite d'or là où les flammes l'illuminaient. Je sentais à peine son toucher tant il était léger et doux.

J'eus envie de lui demander ce qu'il faisait mais les mots restèrent dans ma gorge. Il paraissait aussi captivé que moi par ce qu'il se passait. Il avait un tel air sur le visage que je ne sus sur quoi me concentrer. Sa main qui caressait mes nouvelles plumes ou son visage.

Brusquement, il parut réaliser ce qu'il faisait et bondit sur ses pieds. Je n'aurais jamais imaginé qu'il puisse rougir aussi puissamment. Ses joues et son cou étaient aussi rouge que s'il avait couru un marathon en oubliant de respirer.

- Désolé ! Je ne sais pas pourquoi...

- C'était agréable, l'interrompis-je doucement.

L'admettre était embarrassant. Autant pour moi que pour lui. Si tant était que cela fusse possible, il rougit encore plus.

- Vraiment ?

Je hochai la tête. Prudemment, il se rassit à côté de moi. Il garda une distance entre nous. Je sentais pourtant que nous avions tous deux autant envie de la réduire.

Cette idée me terrifia. Je demeurai figé et silencieux à regarder mes mains mais je pouvais sentir mon pouls accélérer et la moiteur de mes paumes pressées contre mes genoux. Ça n'était pas bon signe. Si les choses avaient été aisées à ignorer avec Declan, je doutais de pouvoir faire de même avec ça.

Heureusement, Meriel ne parut rien remarquer. À vrai dire, tout le sang avait quitté son visage et il était raide, aux aguets. Je tentai de comprendre ce qui l'avait fait réagir. Vainement.

- Qu'est-ce que... ?

Il plaqua une main sur ma bouche et me poussa pour que je me lève. Je le laissai m'entraîner derrière un arbre au tronc si large que l'on aurait pu cacher une armée avec. Je compris rapidement le pourquoi de la manœuvre.

Raziel venait d'entrer dans le jardin. J'ignorais d'où il était arrivé car la seule entrée que je connaissais était à quelques mètres de nous. Ses ailes tourbillonnaient si vite qu'elles allaient me donner la nausée. Même ses yeux lançaient des étincelles. Il était de sale humeur. Mieux valait qu'il ne trouve pas.

Il s'arrêta près d'une fontaine et s'assit sur le bord. L'eau commença à bouillir et à s'évaporer en grands nuages de vapeur. Quiconque aurait le malheur de l'approcher finirait carbonisé.

Ce qui n'empêcha pas Meriel de se faufiler parmi les buissons et les bosquets pour s'approcher au maximum de mon substitut pour entendre ce qu'il se disait à lui-même. Je roulai et me résignai à attendre que mon ami revienne de son moment d'espionnage.

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NdlA : pourquoi j'ai peur de  @CHAVAlie et de @lanemon44 après ce chapitre ?

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