Chapitre 12
Ça devait bien faire une heure que je ruminais lorsque Meriel entra. Il se figea à l'entrée et ferma doucement la porte.
- Qu'est-ce qu'il se passe ?
Je me figeai et l'observai une fraction de seconde avant de reprendre mes aller-retours le long de la pièce. Comment allais-je bien pouvoir faire ça ?!
- Que t'a dit Gabriel ? tenta mon coéquipier.
- Que je devais retrouver ses foutus livres ! explosai-je. Et il veut que je fasse comment ? Je ne peux même plus me protéger ! Si je me retrouve face à des démons, il veut que je fasse quoi ? Que je leur demande de rendre le livre gentiment ? Et encore ! C'est si j'arrive à en retrouver un !
Je cillai bêtement lorsque Meriel apparut devant moi et posa ses mains sur mes épaules pour m'empêcher de continuer à user le parquet. Son visage devint flou, ma rétine ayant du mal à s'adapter à sa soudaine proximité.
- Calme-toi ! S'il t'a chargé de retrouver ses livres, c'est qu'il t'en sait capable. Maintenant, dis-moi tout ce que tu sais et on verra ce qu'on peut faire. D'accord ?
J'opinai et m'affaissai dans l'unique fauteuil de la pièce. Meriel se percha sur l'accoudoir, aussi fin et étroit qu'il soit. Il apparaissait même à l'aise, comme s'il avait droit à un siège à lui. À sa place, je n'aurais pas cessé de gesticuler pour tenter d'être confortable. Pas lui. Il était trop digne pour ça.
Je me résignai à tout lui raconter. Il ne broncha pas lorsque je laissai ma tête appuyer contre son bras. J'eus même l'impression qu'il orientait son corps légèrement différent pour rendre la position plus agréable pour moi. Était-ce à cause de ce genre de petites attentions que Gabriel avait fait ses déductions sur Meriel ?
- Je vais y réfléchir et je te dirai si je trouve un moyen de faire. Comme tu l'as dit, je ne peux pas parcourir la Terre. Je dois garder un œil sur Declan et Ava. On ne peut pas demander à Daphiel ou Maliel, c'est trop dangereux. Il ne reste que toi qui, éventuellement, pourrait mais comme tu ne parviens pas à atteindre ton énergie, tu ne pourrais pas te défendre...
Son regard se perdit au loin, laissant ses réflexions prendre le dessus sur tout le reste. Je l'observai, les yeux dans le vague, ses lèvres vibrant au son de mots jamais prononcés qui défilaient dans son esprit. Il avait un maintien aristocratique, très digne et raide. Appuyé contre lui comme je l'étais, je pouvais sentir la raideur dans ses épaules, dans son dos. À croire qu'il ne se détendait jamais.
- Je vais tenter de trouver une solution, finit-il par dire. Je dois retourner sur Terre pour le moment. Je ne peux pas laisser Declan et Ava sans surveillance, encore plus maintenant que les démons ont ces livres entre les mains et que nous ignorions ce qu'ils veulent en faire.
Je me redressai et le laissai se lever.
- Je reviens dès que j'ai une idée plausible. Essaie d'en apprendre plus sur les livres de ton côté.
- Sois prudent.
Il se retourna avec un faible sourire.
- Toujours.
Il sortit sans ajouter un mot de plus. Je soupirai. Si Meriel lui-même ne trouvait pas de solutions à mon problème, je ne savais pas comment j'allais faire. Gabriel attendait de moi que je retrouve ses livres. Comme si j'avais les moyens de le faire ! Cette fois, j'étais seul. Meriel devait protéger Declan. Je ne pouvais pas m'attendre à ce que l'on puisse reproduire ce que nous avions organisé pour aller contre les démons. À ce temps-là, je pouvais aller sur Terre comme je le voulais.
Désœuvré et trop agité pour espérer faire passer le temps en dormant, je rejoignis les Cupidons. Ça faisait quelques jours que je ne les avais pas vus. Leur accueil fut... débordant de joie et de chaleur. Visiblement, je leur avais manqué.
J'accueillis leur babillage avec un sourire, étonnamment heureux d'être retour dans cette machine bruyante et perpétuellement en fonctionnement. Je regardai Blossom, Azur, Horizon, Lemony, Berry, Tulipe, Pepper et tous les autres défiler. Ils revenaient de leur mission, me sautaient dessus et me demandaient où j'étais passé avant de repartir sur Terre répandre l'amour.
Je retrouvai mon banc avec un certain plaisir. Je me laissai oublier la demande de Gabriel, les mouvements des démons, tout ce que j'avais en tête. Je dus toutefois l'avancer de quelques centimètres pour être certain de ne pas brûler le mur par inadvertance.
Cosmo ne tarda pas à voleter jusqu'à moi, un large sourire sur le visage, les yeux pétillants de joie.
- Enfin, tu es de retour ! Nous commencions à croire que tu avais été libéré ! J'ai l'impression que beaucoup de choses se sont passées depuis que tu nous as quittés la dernière fois.
- On peut dire ça.
Les Cupidons avaient assisté à ma perte de plumes. Ils savaient qu'il y avait quelque chose qui clochait avec moi. Ils n'avaient de contact avec avec personne en dehors de Sabathiel donc je doutais que Michael me blâme d'être venu ici. Ce n'était pas comme s'ils pouvaient le répéter partout.
- Je ne pense pas t'avoir jamais vu avec l'esprit tranquille, dit Cosmo. Y aura-t-il un jour dans ta vie où tout ira bien ?
- Honnêtement, je n'en sais rien. J'en doute. Rien n'a jamais été et je suppose que rien n'ira jamais.
- Ne dis pas ça. Tu n'y crois pas. Pour l'instant, tu es dans un sac de nœud mais une fois que Lucifer ne sera plus de ce monde, tu pourras profiter de ta nouvelle vie.
- Comment tu sais pour Lucifer ?
- Qui l'ignore ? Ce n'est pas comme si tu avais été discret en organisant ta petite armée. Celui qui n'est pas au courant de ce qu'il se passe exactement sur Terre vit dans une bulle.
Je ne pus que rire. Qu'avais-je cru ? Ils passaient leur vie sur Terre ! Évidemment qu'ils étaient au courant des événements !
Je bondis sur mes pieds.
- Vous passez votre temps sur Terre ! m'exclamai-je.
- Je ne pensais pas que c'était quelque chose que tu ignorais jusque là, répondit Cosmo, moqueur.
Je secouai les mains pour qu'il se taise et me laisse réfléchir. Comment avais-je pu ne pas y penser ? C'était juste sous mon nez ! Maintenant que je le voyais, c'était tellement évident !
Les Cupidons ne faisaient que descendre sur Terre et remonter. C'était un cercle qui ne s'arrêtait jamais. Ils étaient discrets, rapides. Les démons ne s'en prendraient pas à eux, pensant qu'ils faisaient simplement leur travail. Sans compter qu'ils étaient petits et rapides. Quand bien même un démon s'en prendrait à un Cupidon, il y avait très peu de chance qu'il parvienne à quoi que ce soit.
C'était parfait. Encore fallait-il voir s'ils seraient d'accord pour m'aider. Ils n'avaient rien pour se défendre, après tout.
Il fallait que j'en parle à Meriel. J'étais persuadé que c'était la solution que nous cherchions mais il se pouvait que j'aie manqué un détail qui la rendrait impossible. Meriel saurait évaluer toutes les possibilités.
- Il faut que je descende, dis-je. Discrètement.
- Tu peux descendre avec l'un d'entre nous mais tu n'auras pas longtemps. Juste le temps qu'il remplisse sa mission.
Cosmo n'avait même pas hésité. Ça renforçait mon impression d'avoir trouvé la solution parfaite.
Ça devrait être suffisant.
Aussitôt, il organisa ma descente. J'allais descendre avec Tulipe. Elle m'offrit un large sourire, toute guillerette d'avoir un passager pour sa mission.
- Je suis celle qui travaille le plus près de ta destination. Je t'y dépose, pars faire ce que j'ai à faire et je reviens te chercher. Que tu aies terminé ou non, nous repartons, d'accord ? Tu auras une dizaine de minutes.
- Je devrais m'en sortir.
J'appréciais le fait de descendre avec Tulipe. Elle était directe et concentrée sur son travail. Avec elle, il n'y aurait pas d'entourloupe. Elle était trop droite pour ça. Je pris sa petite main et elle m'entraîna vers un trou dans le sol. Mon estomac me remonta dans la gorge. Tout ce que je voyais, c'était un nuage. Il était opaque mais je n'osais imaginer la chute qui nous attendait. J'allais vomir.
Je détendis mes ailes. J'espérais vraiment retrouver mes vieux réflexes d'atterrissage.
Tulipe n'attendit pas que je sois prêt. Elle sauta et m'entraîna avec elle par la main. Un cri s'étouffa dans ma gorge tandis que nous chutions. D'instinct, mes ailes s'étendirent dans mon dos pour offrir plus de résistance à l'air et m'empêcher de percuter le sol à toute vitesse.
Nous entrâmes dans un canal d'air qui freina notre chute et nous permit d'atterrir tout en douceur sur le seuil de la maison d'Ava.
- Dix minutes, répéta Tulipe avant de disparaître.
La porte s'ouvrit et Ava apparut dans l'entrebâillement. Elle avait ramené sa longue chevelure lavande en une queue de cheval haute. Ses yeux bleu-gris étaient écarquillés de surprise. Elle était toujours aussi pâle et fatiguée. Un large sourire vint illuminer son visage.
- Rahel !
Si elle avait pu, j'étais certain qu'elle m'aurait sauté dans les bras. J'étais content de la voir mais pas au point de passer entièrement dans son plan de réalité pour pouvoir la laisser m'enlacer.
- Qu'est-ce que tu fais là ? Entre !
Je passai le seuil. La maison n'avait pas tellement changé si ce n'était que la sorcellerie était plus présente qu'avant. Bougies, cristaux, herbes... L'odeur était lourde et florale.
Derrière elle, trois silhouettes apparurent. Meriel était le dernier. Devant lui, Declan était raide. Il regardait droit dans ma direction. Il me reconnaissait, je n'avais aucun doute là-dessus. Pas au vu du sourire qu'il arborait.
- De retour ? lança-t-il.
- À quoi vous parlez ? questionna la femme à côté de lui.
Je supposai que c'était Raquel, la petite amie de Declan. Je l'observai. Elle avait un court carré de cheveux noirs, des yeux noisette, une peau uniformément brune aux reflets dorés, des hanches larges et un corps souple. Je supposais qu'elle pouvait apparaître comme très belle. Elle avait froncé les sourcils, cherchant du regard ce qui attirait l'attention de ses comparses.
- Que fais-tu ici ? siffla Meriel. Tu ne devrais pas être descendu ! Réalises-tu les risques que tu as pris ?
- J'avais besoin de te parler. C'est urgent. Je n'ai pas beaucoup de temps.
Ni Ava ni Declan n'eurent le temps de réagir qu'il m'entraînait dans une autre pièce. L'une de mes ailes effleura Raquel et roussit la manche de son t-shirt. Elle poussa un cri aigu.
- Désolé ! lançai-je par-dessus mon épaule.
Meriel claqua la porte derrière nous. Raquel glapit une seconde fois. Declan et Ava lui avaient-ils seulement parlé de ce qu'il se passait dans leurs vies ?
- Alors ? De quoi voulais-tu parler ? Qu'y avait-il de si important pour que tu descendes sur Terre en dépit des risques ?
- Je suis descendu avec Tulipe. Je ne courais aucun risque. Elle m'aurait ramené aussitôt s'il y avait eu un problème.
- Tu ne réponds pas à ma question.
Je roulai des yeux. Il était franchement agaçant, parfois. Cependant, je ne pus que voir l'appréhension dans son regard. Le turquoise était nuancé comme rarement, immanquable.
- J'ai trouvé la solution. Pour chercher les livres. C'était tellement simple que je n'en reviens pas qu'aucun de nous deux n'y ait pensé plus tôt !
Il fronça les sourcils, tentant probablement de deviner ce dont je parlais. Je souris en réalisant qu'il ne parvenait pas à trouver. Pour une fois, j'étais celui avec la solution.
- Quels anges passent la majorité de leur temps à parcourir la Terre pour remplir leurs missions ?
- Les gardiens mais...
- Non. Les gardiens ont un continent qui leur est attribué. Ils ne sillonnent pas la Terre.
- Ne peux-tu pas te contenter de me donner la réponse ? Il me semble t'avoir entendu dire que tu n'avais pas beaucoup de temps.
- Rabat-joie.
Il haussa un sourcil.
- Je parle des Cupidons ! Ils sont discrets, rapides et ils vont partout dans le monde. Qui de mieux pour le job ?
Meriel demeura silencieux un instant. Je pouvais voir les rouages tourner à toute vitesse dans son crâne. Je patientai pendant qu'il analysait mon idée sous toutes les coutures et imaginait toutes les possibilités.
- Je suppose que ça pourrait fonctionner, finit-il par consentir. J'admets que je n'aurais jamais pensé à des bébés en couche-culotte pour faire de la recherche.
- Ils sont très intelligents pour des bébés en couche-culotte. Je n'ai aucun doute que, s'ils sont d'accord, nous aurons rapidement une idée d'où se trouvent les livres.
- Je l'espère.
La porte s'ouvrit avant qu'il ne puisse continuer. Ava entra prudemment.
- On peut entrer ?
- Oui, on a fini. Pas vrai ? ajoutai-je en me tournant vers Meriel.
- Je suppose.
Elle arbora un sourire et vint s'installer contre une fenêtre. Au-dessus d'elle pendait une bourse en soie. Une amulette de sorcière pour protéger la maison.
- Est-ce qu'on doit s'inquiéter de te voir de retour ?
- Je ne fais que passer, assurai-je. Il fallait que je vois Meriel. C'était important.
Declan entra, tirant Raquel par la main. Elle regarda autour d'elle, cherchant à nous localiser – vainement.
- Rahel ? questionna-t-il. Tu es de retour ? Ça veut dire que l'autre taciturne va débarrasser le plancher ? Que cette histoire d'archange ne t'empêche pas de travailler sur Terre ?
Je pouffai face à la tête de Meriel. Je lui donnai un coup d'épaule moqueur et il me fusilla du regard.
- Pas de commentaire.
- Je n'oserais jamais !
Je laissai Ava expliquer à mon ancien protégé que je ne faisais que passer pendant que je taquinais Meriel qui ne fit que grommeler en réponse.
- Il y a réellement deux anges dans la pièce ? souffla Raquel, dubitative.
- Un ange et un archange, corrigea Ava. Rahel est celui qui a brûlé ton t-shirt. Ses ailes sont faites de feu. C'est dommage que vous ne puissiez pas le voir, tous les deux. C'est absolument magnifique.
- Ne va pas lui donner la grosse tête, pesta Meriel.
Quelque chose se passa alors. Un échange de regard entre eux deux. Une histoire que je ne saisis pas. Ça me mit mal à l'aise. Depuis quand étaient-ils assez complices pour communiquer par un simple regard ?
- Tu dois bien admettre que ses ailes sont superbes.
Meriel n'eut pas le temps de répondre. Tulipe apparut en plein milieu de la pièce, ses petites ailes battant follement.
- Tes dix minutes sont passées ! Il faut qu'on remonte !
Elle m'attrapa par la main et je me sentis aspiré par un vent montant puissant. J'eus à peine le temps de saluer Meriel et les trois humains que je me retrouvais chez les Cupidons. La fierté que j'avais ressentie à l'idée d'avoir résolu le problème avant Meriel s'était évaporée. Elle était remplacée par le goût amer que la complicité entre Ava et Meriel avait laissé.
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NdlA : Ca vous a plu ?! Dites-moi ce que vous en avez pensé !
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