Chapitre 1

La cacophonie allait me rendre sourd. Les cris, les rires, la généralité du chahut remplissait la pièce où j'étais enfermé vingt heures par jour. Ces vingt longues heures étaient entrecoupées de pauses d'un quart d'heure pour me garder sain d'esprit. Pour essayer, du moins. Je n'étais plus certain d'avoir toute ma tête après quatre mois à ce rythme.

Généralement, les Cupidons étaient plus ou moins supportables. Certains moins que d'autres mais globalement, je parvenais à tenir le coup. Il y en avaient quelque uns qui pouvaient être attachants, dans une certaine mesure.

Toutefois, il y avait deux périodes dans l'année où ils étaient intenables. La Saint Valentin et la période de Noël. Évidemment, ils étaient incommensurablement romantiques. Ce n'était pas pour rien qu'un majorité des films de Noël étaient des romances écœurantes et que la Saint Valentin devenait si prévalente. Ils se faisaient un devoir de contaminer un maximum de personnes.

Bêtement, j'avais pensé qu'ils travaillaient comme dans les histoires connues des humains. Un arc, des flèches, rien de plus. Juste du hasard, une intuition surnaturelle qui pouvait parfois se tromper.

J'avais eu tort. C'était un travail bien plus complexe qu'il n'y paraissait de faire naître l'amour chez les humains. Je n'avais pas réalisé à quel point c'était difficile avant d'être rétrogradé ici, injustement puni par l'Archange Michael. Les humains étaient arrivés à un moment de leur évolution où ils n'étaient plus connectés à leurs émotions. Ils les mettaient de côté au profit de besoins matériels, d'une quête du bonheur mal engagée dès le départ et qui ne mènerait à rien.

Les Cupidons faisaient de leur mieux en descendant sur Terre pour réveiller le cœur des mortels et les reconnecter à leurs émotions. Plus souvent que pas, ils échouaient. Les liens qu'ils créaient ne tenaient pas. Leurs pouvoirs n'étaient de la même envergure que ceux des archanges ou des sorciers. Ils ne pouvaient rien forcer. Simplement aider, donner un coup de pouce à des alchimies déjà existantes.

De même, ils avaient beau avoir l'apparence de bébés ailés, ils étaient très matures. C'était une chose à laquelle j'avais encore du mal à me faire. Ils connaissaient leur travail et je ne comprenais pas pourquoi ils avaient besoin de moi. Je ne servais à rien. Ils avaient des responsables qui les dispatchaient sur un maximum de zones et qui géraient toute la paperasse.

À moins que ça ne soit ça, le problème. Ils étaient autonomes. S'ils ne voulaient, ils pouvaient se détacher des Cieux et travailler de façon totalement indépendante. Ça ne devait pas plaire à Michael. S'il était capable de punir quelqu'un qui avait participé au sauvetage de la Terre d'une invasion démoniaque, je n'osais imaginer ce qu'il pourrait envisager contre les Cupidons.

Je me massai les tempes et observai Cosmo, le leader des Cupidons, en train de donner les ordres aux autres. Il m'était encore difficile de le différencier des autres. Honnêtement, que quelqu'un ose me dire que tous les bébés ne se ressemblent pas. Les Cupidons étaient tous joufflus et roses et potelés avec les yeux bleus et de petites ailes blanches et duveteuses. Lorsque j'avais commencé à travailler avec eux, ils s'étaient retrouvés obligés de porter une pancarte autour du cou avec leur prénom. Certains en portaient encore.

Retenir les prénoms des Cupidons était facile. Ils ne suivaient pas la règle des anges. Alors que nous portions tous un prénom terminant par « -el », les Cupidons avaient des prénoms plus... originaux. Cosmo, Flax, Berry... Ils ne suivaient aucune règle. Toutefois, ils étaient souvent relié à la terre, à la nature. Ils avaient toujours su quel était leur nom et ignoraient d'où il venait et ça ne les intéressait pas de le savoir. C'était frustrant.

Je continuai de me masser les tempes, essayant tant bien que mal de faire passer ma migraine. Je ne cessais de penser à mes amis. À Meriel, Declan et Ava. J'étais inquiet.

Lucifer était en liberté sur la Terre. Il voulait se venger. C'était à cause de NOUS qu'il ne pouvait pas réussir son plan et détruire les humains en rouvrant les portes des Enfers. Grâce à Ava, la sorcière de meilleure amie de mon ancien protégé, nous avions scellé la dernière porte en Estonie. Désormais, il était bloqué, incapable de repartir en Enfer, isolé avec quelques démons mineurs.

Pour l'avoir affronté en face à face, je savais combien il était terrifiant. Meriel n'avait pas la force de lutter contre lui. Il était assez stratège pour réussir à se dissimuler mais, si Lucifer l'attrapait, il le tuerait sans aucun effort. Et si Meriel mourrait, Lucifer pourrait se débarrasser d'Ava, la seule personne sur Terre qui aurait une chance de le vaincre.

Dire que j'avais empêché une invasion démoniaque et que j'avais été rétrogradé pour ça. J'étais toujours amer de la décision de Michael. L'Archange des Chérubins, Gabriel, m'avait laissé entendre que j'avais de la chance. Il n'avait pas totalement tort puisque, à l'origine, Michael voulait tout simplement m'envoyer dans les limbes. Là d'où j'avais été tiré pour devenir un ange gardien.

J'aurais préféré avoir quelque chose à faire pour cesser de m'angoisser. Je n'avais pas le moindre contact avec quiconque d'autre que les Cupidons et Hamuel, mon superviseur. Lui et moi ne nous appréciions pas le moins du monde. Dès que nous nous étions rencontrés, le courant n'était pas passé. Il m'avait pris de haut, comme si j'étais un moins que rien tandis que lui était le meilleur ange des environs.

Hamuel avait l'air d'un vieux bibliothécaire dont le corps aurait oublié de rider. C'était étrange. Ses cheveux blancs, son regard indigo, sa façon de parler, tout disait qu'il était âgé mais son corps paraissait étrangement jeune. Ça me faisait un drôle d'effet lorsque je le regardais. Ça ne m'empêchait pas de lui répondre dès qu'il commençait à me courir sur le haricot. Il avait beau être un Domination, ce qui le plaçait bien plus haut que moi, il ne me faisait pas peur. Le résultat d'avoir combattu Lucifer. Plus aucun ange ne m'effrayait si ce n'était, peut-être, pour Michael.

- Tu mets des plumes partout, pesta Berry. Arrête de gratter tes ailes !

Je cillai, revenant à la réalité. Berry flottait devant moi. Je la reconnaissais à la petite cicatrice qu'elle avait sur la joue. Elle se l'était faite en bataillant avec un autre Cupidon. Il l'avait poussée et elle avait heurté un meuble et s'était profondément entaillé la joue et la pommette.

Elle m'avait raconté cette histoire comme si elle avait vécu l'aventure la plus épique de sa vie. C'était aussi ce qui la caractérisait. Son extravagance, sa façon de faire du moindre événement un conte. Ça m'aidait à la reconnaître.

- Elles me démangent, rétorquai-je. C'est de pire en pire. Elles n'arrêtent pas de tomber et ensuite, ça me gratte. Comme si j'étais en train de cicatriser ou je ne sais quoi. Tu ne peux pas imaginer à quel point c'est atroce.

- Tu devrais utiliser ta prochaine pause pour aller demander à un Vertu ce qui ne va pas, pépia Pepper, voletant autour de moi comme un agaçant moustique.

J'y avais déjà songé mais je n'avais pas tant envie de passer le peu de temps que j'avais pour moi dans la Serre, avec des Vertus stoïques et avares de mots. Toutefois, mes ailes étaient dans un si sale état que je n'allais plus avoir le choix.

J'ignorais ce qu'il se passait mais ça ne m'aidait pas à me détendre. Je n'arrivais pas à imaginer ce qui pouvait causer une telle réaction. Tout ce que je savais, c'était que ça n'avait rien bon.

- Vous m'épuisez trop pour que j'y pense.

Ils me passèrent la langue et s'éloignèrent. Ils n'étaient pas toujours immensément matures. Surtout lorsque je leur lançais de petits piques pour qu'ils cessent de m'ennuyer.

- Pepper a raison, tu sais, glissa Cosmo.

Le chef des Cupidons s'installa à côté de moi. Il paraissait ridicule, assis dans la chaise à côté de moi, si petit dans un siège si grand.

- Tu devrais aller voir ce qu'il se passe avec tes ailes. Ce n'est pas normal que tu perdes tes plumes. Même si tu es le plus grand angoissé que je connais.

J'enfonçai mon visage dans mes mains. Cosmo savait qu'il s'était passé quelque chose chez les anges. Les Cupidons étant à l'écart, ils n'avaient pas été affectés par la crise. Cependant, Cosmo n'était pas stupide et il savait qu'il s'était passé quelque chose. Je n'avais pas encore osé lui en parler. Comment allait-il réagir en sachant que des démons rôdaient sur Terre ? Que Lucifer rôdait sur Terre ?

- Tu finiras par me le dire. Après tout, tu n'as pas beaucoup de monde à qui parler.

- Merci de retourner le couteau dans la plaie, c'est toujours agréable.

- Ne m'en veux pas, je veux juste que tu te décides à vider ton sac. Les anges ne sont pas censés être aussi stressés, pour ce que j'en sais. Et je sais qu'il s'est passé quelque chose. Je ne suis pas idiot.

- Personne ne dit que tu es un idiot.

- Pas besoin de le dire. À chaque fois que tu tentes de détourner le sujet, tu me prends pour une buse.

- Les buses sont très intelligentes donc ton analogie ne fonctionne pas.

Cosmo se mit à rire en secouant la tête. Il s'envola et vintvoleter devant mon visage. Je détestais lorsqu'ils faisaient ça et ils le savaient. Cosmo s'amusait particulièrement avec ça.

- Tu recommences. Mais d'accord. Tu ne veux pas en parler. Comme à chaque fois.

Je lui jetai un regard fatigué.

- Crois-moi, tu ne veux pas savoir. Je t'assure.

Il ne parut pas me croire. Ça ne m'étonnait pas. Au contraire. Il ne pouvait pas imaginer la moitié de ce qu'il s'était passé durant ma mission. Ma toute première. Et je m'étais retrouvé devant Lucifer. Il ne me croirait jamais si je lui racontais. Rien que dans ma tête, ça paraissait incroyable. Ça avait beau m'être arrivé, j'avais parfois du mal à me rappeler que je ne l'avais pas imaginé.

Et que ce n'était pas fini.

- Je me doute que c'est quelque chose de gros, tu sais. J'ai appris à te connaître en quatre mois. Tu ne réagis pas à grand chose. Pepper et Berry et Flax t'ont fait la misère à ton arrivée et tu n'as pas bronché.

- À eux trois, ils ne sont pas pires que Meriel tout seul.

- Qui est Meriel ?

Durant quelques secondes, les mots me manquèrent. Ma relation avec Meriel était complexe. Au départ, je le détestais tant il m'énervait. J'avais un mot pour le décrire : imbuvable. Je ne pouvais pas le décrire autrement.

Après tout ce qui était arrivé sur Terre, mon point de vue sur lui avait changé. Ça ne rendait pas la définition de notre relation plus aisée. Nous avions travaillé de concert pour réussir la prouesse qui était attendue de nous en dépit du manque de soutien de nos supérieurs. Pendant un moment, je l'avais considéré comme un ami. Nous avions partagé quelque chose qui avait forgé de profonds liens.

Cependant, nous parlions de Meriel et, avec lui, rien n'était simple. À l'heure qu'il était, il se trouvait sur Terre, à veiller sur mon ancien protégé et sur sa meilleure amie. Il n'avait pas été puni pour avoir volé un dossier dans le bureau de notre chef mais j'avais été rétrogradé pour avoir orchestré une offensive contre les démons. J'ignorais comment il avait pris la nouvelle. Si les choses avaient changé.

- Mon partenaire dans le crime, finis-je par répondre avec un demi-sourire.

Cosmo m'observa sans répondre.

- Je suppose que lui n'a pas été rétrogradé.

Je soupirai. Fichue manie qu'il avait de lire le langage corporel  et les plus petites inflexions dans la voix.

- Non. Il s'occupe de mes charges.

- Je croyais que les anges gardiens ne s'occupaient que d'une personne à la fois ?

- J'étais censé m'occuper d'une seule personne.

Il attendit la suite que je me refusai à dire. Si je commençais à lui révéler de petites informations, il aurait tôt fait de me tirer les vers du nez. J'avais appris à être prudent autour de lui. Il savait faire parler. Il n'avait pas trop le choix. Les Cupidons n'aimaient pas dire qu'ils avaient fait une boulette. Cosmo les amenait à avouer sans le moindre effort à travers ses questions. J'essayais encore de comprendre comment il faisait pour obtenir de tels résultats. Ça pourrait m'être utile.

- C'est toi qui vois, finit-il par soupirer. Je suis patient.

Je roulai des yeux sans répondre. Il partit en voletant joyeusement pour aller discuter avec un Cupidon qui venait de rentrer de mission. J'appréciais le fait qu'ils aient une Salle des Descentes personnelle. Je ne m'y étais pas attendu alors que j'aurais dû. Ça aurait dû être une évidence puisque je n'avais jamais vu le moindre Cupidon dans la Salle des Descentes dirigée par Rikbiel.

J'entendis le cliquetis significatif de ma libération temporaire. Hamuel apparut sur le seuil, le visage fermé. Il avait ramené sa tignasse blanche en un catogan sur sa nuque. Ça le rendait encore plus dur, plus sévère.

- Tu peux y aller. Je t'attends dans un quart d'heures.

Je ne dis rien, agitai la main vers les Cupidons qui répondirent avec l'enthousiasme d'enfants hyperactifs, et quittai la pièce.

Les quartiers des Cupidons étaient à l'écart du reste des anges, séparés par une passerelle qui continuait de me donner le vertige. Cette séparation avait été crée parce qu'ils causaient trop de soucis aux anges. Leur énergie débordante les amenait à toujours vouloir être distraits, à toujours vouloir jouer. Sauf que les anges étaient sérieux et disciplinés comme ces robots que les humains avaient appris à créer.

Par chance, le couloir me menait directement à mes nouveaux quartiers pour être sûr que je ne croise personne. Michael et Gabriel prenaient cette punition très au sérieux. Je doutais qu'ils aient fait ça parce qu'ils savaient que je ne cessais jamais de me perdre aux Cieux. J'avais beau y être depuis plus d'un siècle, sans aide, j'étais incapable de me repérer.

J'aurais aimé avoir un miroir. Les Cieux n'en recelaient aucun. La seule fois où nous pouvions voir notre reflet était à notre arrivée, si l'on décidait de changer de visage, de corps. J'avais besoin de voir l'état de mes ailes. Voir si c'était aussi terrible que Cosmo l'avait laissé entendre.

J'avais conscience que je perdais des plumes. C'était un problème que j'avais prévu de régler avec Meriel. Nous n'avions pas eu le temps de nous en préoccuper auparavant à cause des démons. Puis, je m'étais retrouvé tout seul, bloqué avec des Cupidons qui me tapaient sur le système. Mes ailes étaient devenus un inconvénient secondaire. La colère que j'avais contre Michael et Gabriel était plus grande que mes questions à propos de mes ailes.

J'allais devoir me résigner à aller voir les Vertus. C'était mon unique moyen de savoir ce qu'il se passait. Cependant, ça allait devoir attendre. Je pouvais sentir l'énergie bouillonner dans mon sang. Elle était là, sous ma peau, en train de pulser, cherchant à s'échapper. Il fallait que je la laisse sortir sinon, ça allait exploser. Je continuais de voir Meriel percuter le haut de cet arbre, la première fois que mon énergie avait explosé sans que j'aie le moindre contrôle dessus.

En quatre mois, j'avais appris à la contrôler, à l'amplifier, à la réduire, selon mes besoins. C'était le seul moment où être aussi isolé était pratique. Je pouvais m'entraîner tout seul dans l'éventualité où je devrais affronter Lucifer une seconde fois.

L'électricité commença alourdir l'air de la chambre. Des étincelles commencèrent à exploser partout autour de moi jusqu'à ce que je sois vidé de tout surplus d'énergie. Je relâchai un long soupir et levai les yeux vers l'horloge.

Hamuel allait me tuer. J'avais déjà cinq minutes de retard.

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NdlA : CA Y EST ! Il est là ! Ce premier chapitre de la suite de A SEASON IN HELL ! Qu'est-ce que vous en pensez ? Dites-moi tout ! Je suis vraiment curieuse ! J'ai perdu l'habitude d'avoir vos retours sur mes chapitres ! XD

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