30. kaffee fertig

- Rien de neuf ?
Il secoue la tête avec un soupir.
- Rien. Et toi ?
- Il refuse de parler.

Taehyung pose son téléphone sur la table, agacé, et croise les bras. En face de lui, Hoseok descend son café en un coup et pianote sur la table, nerveusement.

- Je veux bien comprendre que quelque chose se soit mal passé, mais la tension entre ces deux abrutis est tellement terrible que j'ai l'impression que Jimin a tué toute la famille de Yoongi, marmonne ce dernier.

Taehyung soupire en même temps que Hoseok.

- Hier, il n'est même pas rentré, il est juste revenu ce matin avec son T-shirt à l'envers et de l'eyeliner partout sur le visage, se rappela-t-il en se frottant les tempes.
- Écoute, lui au moins, il essaie de se changer les idées, raisonna Hoseok. Ça fait des jours que je fais la maman oiseau et que j'apporte à manger à l'autre constipé émotionnel cloîtré dans son studio. Je sais même pas s'il a pris une douche qui remonte à moins de deux jours.
- Mais quelle horreur. Faut qu'on fasse quelque chose.

_____________________

L'hiver battait encore son plein dans la grande ville, remarqua Yoongi. Il se tourna vers la porte close de son appartement, tenté par l'idée de sonner sans arrêt jusqu'à ce que Hoseok cède et lui ouvre, mais cela aurait voulu dire sacrifier le faible restant de dignité qui lui restait. À la place, il fourra ses mains dans ses poches, soupira, et repassa en revue ses options, peu nombreuses. Il avait le choix entre passer le reste de la soirée assis sur les marches de son palier, ou suivre les conseils qui lui avaient été répétés depuis son retour, ressemblant tous un peu à "sors, vis un peu, arrête de te cacher comme un criminel !"
Ces mots lui revenant en tête, il sentit son agacement reprendre le dessus. Ce n'était pas comme s'il se clôturait dans son studio à cause de ce qui c'était passé, ce n'était pas comme si c'était la première fois qu'il disparaissait de la surface de la planète pour se concentrer sur ses compositions.
Peut-être était-ce tout de même la première fois qu'il se barricadait ainsi sans une once d'inspiration dans son esprit, murmura une voix dans ses pensées.

Aujourd'hui, Hoseok était passé à l'artillerie lourde, forçant Yoongi à prendre une douche, à passer sous le rasoir et à s'habiller convenablement avant de le jeter hors de son propre appartement duquel il refusait de sortir maintenant. Pendant d'interminables minutes, Yoongi avait considéré l'idée de sonner chez sa voisine puis de grimper chez lui en passant par son balcon; mais il n'était pas encore assez fou pour ça, juste un peu triste.

Il renifla, agacé. Très bien.

Tant qu'à faire, puisqu'il n'avait plus rien à perdre, autant en profiter pour se dégourdir les jambes et vadrouiller dans la ville. Peut-être même qu'il aurait le courage de s'incruster dans une soirée; il se rappela avoir vu passer une invitation chez Namjoon de la part de Seokjin, quelques jours auparavant. En réalité, il ne se souvenait plus de la date exacte figurant sur ladite invitation, mais s'il avait de la chance, et bien elle serait encore en train de battre son plein, et sinon il lui suffirait de faire demi-tour et de dire à Hoseok qu'il avait passé la dernière demi-heure dans une soirée et non pas dans les rues de Séoul comme un vagabond.

Le jeune homme tira son téléphone de la poche de son pantalon, se mettant en marche simultanément. Son doigt trouva presque instinctivement son application GPS, et il suivit les instructions de la voix monotone, marchant à son propre rythme jusqu'à ce qu'il ne s'engouffre dans un quartier qui ressemblait au sien, larges rues et vastes habitations.
Étouffée par la distance, s'écoulant par portes et fenêtres ouvertes malgré le froid hivernal, on discernait de la musique. Yoongi identifia la villa de Namjoon, illuminée par un bon nombre de stroboscopes et où entraient encore des invités enthousiastes parmi lesquels Yoongi reconnut quelques visages familiers.
Le jeune homme fronça les sourcils, hésitant un instant; puis il haussa les épaules, rempochant son téléphone. Rien à perdre.

À l'intérieur, comme c'était visiblement le cas à chaque fois que Namjoon organisait une soirée, les lieux étaient occupés par une foule enthousiaste. Il se faisait tard, alors bon nombre de personnes animaient la piste de danse, corps et rires mêlés ensemble au rythme d'une chanson aux basses vibrantes et aux paroles sensuelles.
Yoongi se demanda un instant ce qu'il faisait là, mais l'appel du bar le tira hors de son hésitation. Après quelques minutes d'attente, il avait une bouteille à la main et les idées moins noires. S'il n'avait pas arrêté de fumer, il se serait sans doute posté sur le balcon; il se contenta d'un des bancs près de la piscine de Namjoon, s'adossant contre un muret de pierres. D'ici, la musique était toujours discernable mais était bien moins étouffante qu'à l'intérieur; juste assez pour lui vider la tête et lui changer les idées.
Yoongi porta la bouteille de verre brun à ses lèvres et descendit quelques gorgées, ses yeux parcourant les groupes dispersés dans le jardin, la plupart d'eux attroupés autour de la piscine dans laquelle quelques courageux avaient décidé de faire trempette. La surface de son eau reflétait les lumières colorées de la soirée, scintillant d'une manière presque fluorescente et captivant Yoongi.
C'était une bonne distraction, se dit-il, l'alcool commençant à le détendre. Au moins il n'était pas face à une page blanche, vide de mélodies. Une bonne heure passa ainsi, Yoongi faisant quelque aller-retours entre le bar et le banc pour se resservir quand il vidait une bouteille, déclinant poliment les avances plus ou moins subtiles d'inconnus. Une heure de plénitude relative. Soixante minutes de paix.

Le calme avant la tempête.

- Et le revoilà.
- Je me disais aussi que la soirée était un peu silencieuse.

Yoongi jeta un regard curieux aux deux jeunes femmes qui discutaient, adossées au mur sur sa droite, mais son attention fut vite attirée par un rire qu'il connaissait bien, venant d'une personne qui se tenait quelques mètres plus loin.
Kim Namjoon, un énorme sourire aux lèvres était entrain de demander au DJ de sa soirée d'augmenter le volume de la musique. Quand celui-ci s'exécuta, le jeune homme se retourna et leva son verre en direction de la villa.

- Éblouis-nous ! lança-t-il alors à une personne à l'intérieur de bâtisse; Yoongi leva ses yeux mornes dans la même direction.

- Hyung ?

Avant d'avoir pu assouvir sa curiosité, l'interpellé détourna son regard, le posant sur Namjoon qui venait de prendre place à ses côtés. Le plus vieux le salua d'un vague sourire que Namjoon retourna volontiers; il avait l'air un peu surpris de le voir. Cela faisait un moment qu'ils ne s'étaient pas vus face à face, mais ils avaient échangé assez de messages amicaux pour que Yoongi le considère comme quelque chose de plus que l'ami d'un ami.

- Qu'est-ce que tu penses de cette petite soirée ?
- Tu vois toujours les choses en grand, Namjoon. C'est impressionnant.
- Tu me flattes. C'est presque un honneur d'entendre que t'as choisi ma fête pour ta réinsertion sociale, le taquina Namjoon, Yoongi esquissant un sourire.
- Je vois que les rumeurs se répandent vite quand on connaît Jung Hoseok.
- Surtout quand il est inquiet, c'est une passoire dans ces moments là.
- Je parie qu'il a dramatisé toute l'affaire alors que finalement, rien ne s'est passé, soupira Yoongi.
- Tout ce que j'ai entendu dire, c'est que tu t'étais engueulé avec Jimin. Visiblement ça s'est arrangé, non ?

Yoongi rit sèchement, puis porta sa bouteille à ses lèvres.

- Tiens, j'étais pas au courant. Aux dernières nouvelles on en était au stade où on se connaissait pas.
- Merde, je pensais que vous êtiez venus ensemble. J'étais à deux doigts de demander un toast pour vous, imagine la boulette, rit Namjoon, secouant sa tête. C'est le destin, alors ?
- Venus ensemble- il est là ? C'est une blague ? s'exclama Yoongi, les yeux ronds.
- T'as du me descendre un pack entier de ces bouteilles pour ne pas le remarquer arriver, Yoongi-hyung.

Le concerné, ramené à la réalité même si ses pensées restaient embrumées par l'alcool, commença à scruter de nouveau la foule autour de lui. Le jardin restait dénué d'intérêt, mais un attroupement s'était formé à l'intérieur de la villa, devant les portes ouvrant sur le patio.

Quelques pas plus loin, perché sur un comptoir, sous les applaudissements et les encouragements d'un nombre croissant de personnes, se mouvait un jeune homme, son corps ne faisant qu'un avec la mélodie suave, ses pas et ses gestes si vastes si fluides qu'il semblait prêt à s'envoler. Il virevoltait en évidence, là où les yeux de tous pouvaient se river sur lui, et ses pas étaient si délibérément libres, valsant avec le risque du vide et la possibilité d'une chute toute aussi libre que le danseur l'était, que le coeur de Yoongi se serra d'inquiétude.

C'était lui.

Il n'y avait que lui pour captiver et charmer d'un simple geste, que lui pour avoir cet effet sur Yoongi, après tout. Loin des yeux, pour une cinquantaine de jours; loin du coeur, jamais.

Inspirant profondément, Yoongi posa ses yeux sur lui. Lui, et son sourire resplendissant qui semblait le rendre intouchable, comme un rêve d'une vie passée, une illusion faiblissante. Yoongi se leva sans même s'en rendre compte, et sans un mot pour un Namjoon confus, s'approcha du comptoir où il se tenait, ses pas aussi assurés que s'il avait déjà vécu cet instant des dizaines de fois.

À présent, il se tenait assez près pour discerner clairement ses traits, ce qu'il fit silencieusement, faisant abstraction des rires autour de lui, de la foule en mouvement amassée autour du comptoir, des inconnus courageux qui avaient décidé de grimper aux côtés du danseur pour lui tenir compagnie.
Maintenant qu'il avait l'original sous les yeux, Yoongi se rendit compte que ses souvenirs ne lui arrivaient pas à la hanche. Si le noir de jai qui colorait ses cheveux auparavant flattait ses traits, le rose pâle qui l'avait remplacé semblait les embellir.

- Park Jimin, murmura Yoongi, son nom lui échappant avec tout le naturel du monde.

Peut-être fut-ce parce qu'il l'avait entendu, peut-être était-ce juste une coïncidence: Jimin croisa le regard de Yoongi, écarquillant les yeux après quelques secondes de stupeur.
Pendant un instant, ils se trouvèrent tous deux muets, incapables de se détacher du visage de l'autre; puis Yoongi se sentit lacher prise.
- Jimin-ah! tenta-t-il de l'appeler, malgré la musique qui se faisait de plus en plus assourdissante. Il avait eu le temps de ravaler sa fierté, et s'expliquer avec le jeune homme lui paraissait presque vital.

Jimin sembla hésiter, mais il ne tarda pas à sauter lestement du comptoir, dans la direction opposée, se mêlant à la foule dans une tentative de fuir. Yoongi réagit immédiatement, partant à sa poursuite, écartant quiconque se tenait sur son chemin sans grande politesse.
Ils ne continuèrent pas bien longtemps; quand Yoongi mit le pas sur le palier de la villa, le froid nocture plus salvateur que cruel, Jimin l'y attendait, adossé contre la façade du bâtiment, les yeux fixés sur le sol.  Après tout, il n'avait jamais été du genre à fuir, se dit Yoongi.

C'était étrange.

Maintenant qu'il se tenait là, prêt à l'écouter, Yoongi ne savait plus quoi dire, face à face avec l'énormité de ce qu'il s'était promis de ne pas lui avouer, rendu muet par la peur de ce qui pourrait venir après. Il avait vécu en suspens ces derniers mois, comme la dernière note d'une chanson qui au lieu de l'achever s'étendrait indéfiniment, incertaine.

- Qu'est-ce que tu me veux, hyung ? demanda Jimin, fatigué du silence, levant finalement ses yeux pour affronter le regard de l'autre. Il semblait exaspéré, triste, mais on lisait également de la colère dans ses traits. Ses yeux reflétaient une ribambelle de couleurs, toutes plus froides les unes que les autres.

- Est-ce que... est-ce que ça te dérangerait de marcher un peu avec moi ? J'ai beaucoup de choses à te dire.

- Maintenant ? s'étonna Jimin. Yoongi se rendit compte de la stupidité de sa proposition quand il remarqua enfin que Jimin semblait trembler de froid, vêtu d'un simple T-shirt blanc.

- Merde, prends mon manteau, je suis désolé, proposa Yoongi, commençant déjà à le défaire; il s'arrêta net quand Jimin le foudroya du regard.

- Garde ces conneries pour le prochain dont t'auras besoin pour amuser la galerie à Daegu.

Yoongi sentit la réponse acérée prête à fuser de ses lèvres, mais la retint à temps. Ils avaient besoin de parler, pas de ça.

- S'il te plaît. J'ai juste besoin d'un moment.

_______________________


C'est une rue plus loin, que Yoongi emmène Jimin, le brouhaha de la soirée seulement vaguement discernable, étouffée par le silence alentour et les pas des deux jeunes hommes sur les pavés de Séoul.
Le silence autour d'eux est palpable, un silence qui résulte d'un sentiment de solitude incongru, celui de deux personnes qui se demandent encore si elles sont vraiment là, et surtout comment elles se sont retrouvées à danser sur les limites de l'inconnu et de l'amant.

- Qu'est-ce que tu voulais me dire ? demande Jimin, sa voix se brisant légèrement, affaiblie par les soirées passées à hurler les paroles de chansons vaines d'intérêt, entouré par des inconnus.

Yoongi se racle la gorge. Par où commencer, si ce n'est-ce cela.

- Je voulais te demander pardon. Pour toutes les conneries que j'ai pu dire. Pour la manière dont j'ai réagi dans le train, comme si j'avais le droit de te dicter tes actes.

Jimin reste silencieux; il semble pris de court par les excuses, par ce qui s'annonce comme la fin du cercle vicieux d'orgueil dans lequel ils s'étaient plongés mutuellement.

- Je ne vais pas te forcer à me pardonner. Mais je voulais que tu saches que je m'en veux, de t'avoir embarqué dans une connerie terriblement longue et compliquée, d'avoir abusé de tes efforts qui ont littéralement sauvé toute la combine.

- Sans moi, Soyeon t'aurait grillé à la gare le premier jour, remarque Jimin, hôchant la tête ce qui amuse Yoongi. Après quelques secondes, il reprit: Je m'excuse aussi, de t'avoir blâmé pour tout ce qui allait mal.

Ils continuent de marcher, s'éloignant sans même s'en rendre compte de la villa de Namjoon, trop préoccupés par ce qui se déroule devant leurs yeux.

- Je comprendrais, si tu voulais ne plus jamais me revoir, même si j'ai l'impression qu'on se tient bonne compagnie, déclare Yoongi, alors qu'ils traversent un passage piéton, les phares de quelques rares voitures repeignant les couleurs de la rue de teintes éphémères, de temps en temps.

- Il... il me faut un moment, dit Jimin. Un moment pour me retrouver, que je définisse ce que je veux. Mais je sais très bien que je ne veux pas que tu disparaisses de ma vie, même si ta place y est encore floue, avoue-t-il.

Sans s'en rendre compte, ils se sont arrêtés pour se faire face à face, seules statues de marbre au milieu d'un quartier déserté. Jimin dont les épaules sont recouvertes d'un des manteaux de Namjoon qui ne semble pas lui tenir assez chaud, mais qui ne l'empêche pas de rayonner; Yoongi, hésitant et sondeur, courageux et terrifié. Un bon mètre les sépare toujours.

- Qu'est-ce que ça veut dire pour nous ? finit par demander Jimin.

- Et si on recommençait à zéro, en l'écrivant au fur et à mesure cette histoire au lieu de l'imaginer ? sourit Yoongi.
L'espoir sur ses traits est flagrant. Jimin lui rend son sourire, incertain.

- Amis ? demande le plus vieux.

Quelques secondes s'écoulent; quand Yoongi jette un regard à l'autre, vaguement inquiet, il voit les yeux de Jimin s'attarder un quart de seconde trop longtemps sur ses lèvres, illisibles, sombres. Dans un mimétisme involontaire, Yoongi humidifie ses lèvres.

- Est-ce que je peux t'embrasser une dernière fois avant ?

Peut-être n'étaient-ils pas aussi sobres qu'ils pensaient l'être. Yoongi écarquille les yeux, incrédule, mais il n'y a que de la franchise dans la demande du plus jeune, mêlée à de la nostalgie.

- Je- on n'est pas sobres, Jimin-ah, tente-t-il.

- De toutes façons, ça comptera pas.

Bizarrement, ces mots le soulagent et l'accablent. Jimin l'embrasse, lèvres froides et fine couche de gloss rencontrant les siennes, soleil et lune s'éclipsant l'un l'autre comme ils le font si bien. C'est une tornade de faim insatiable et de parfum, d'hésitation et de passion; c'est le fracas d'une vague contre un rocher, son dernier effort avant qu'elle ne retourne à la mer, impuissante.

Yoongi rend le baiser. Il savoure chacune des secondes qui suivent, parce que c'est la dernière fois qu'ils pourront prétendre qu'ils agissaient sous l'emprise d'un rôle joué.

Ils s'embrassent; et c'est la fin du début, le commencement de quelque chose de nouveau. Quelque chose de petit et misérable mais qui reste porteur de plus d'espoir que le pont d'allumettes chancelant  qu'ils avaient bâti entre eux, il y a une éternité.

Yoongi sourit, euphorique; et la chanson cesse d'être en suspens.

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