4.
La respiration irrégulière et les battements désordonnés du cœur du fugitif paraissaient lui hurler de réagir. La douleur cuisante le lui empêchait, et ses forces abandonnèrent la lutte à leur tour.
Putain, qu'est-ce que tu fous ? C'est pas le moment de laisser tomber.
Les genoux fléchis, il osa un regard derrière son épaule blessée. En haut des marches et à quelques dizaines de mètres, la poignée de soldats l'observait. Sans même distinguer le rictus qui déformait leurs traits, il les maudit de toute son âme.
Kyo inspira profondément, comme pour repousser la souffrance qui s'éprenait de son corps meurtri. Soudain, plusieurs gardes apparurent à l'angle du bâtiment, se pressant dans la brèche de l'issue principale. Lourdement armés, ils ne tardèrent pas à découvrir la silhouette courbée du fugitif et l'un d'eux beugla :
— Il est là ! Ne le laissez pas fuir !
Cet ordre déchira l'air et anima le prisonnier d'un léger sursaut. Il devait fuir, saisir la chance minime de survivre à son évasion.
Aucun regret, Kyo, qu'ils t'attrapent ou non.
Aussi vif qu'il le put, il s'élança en avant, occultant la souffrance qui irradia dans son organisme. Il pénétra dans la forêt et les arbres centenaires s'élevèrent autour de lui, comme pour le protéger de leur sagesse. Une enveloppe organique de sérénité qui ne tarderait pas à se briser sous les afflux barbares des gardes. Une odeur agréable lui emplit les narines et il faillit s'arrêter pour profiter de ce cadre superbe. Il n'eut pas le loisir de s'y attarder davantage et reprit à regret sa course de survie.
L'adrénaline signa son grand retour dans les cellules de son être et ses effets bénéfiques narguèrent les ravages de la douleur. Ses membres nettement moins lourds, les mouvements devinrent moins difficiles et le rythme plus soutenu. Il pouvait percevoir les bruits de pas des soldats martelant le sol. Les ordres lancés à la hâte, la végétation piétinée et leur présence synonyme de danger.
Il faut que je les sème, la forêt est à mon avantage.
Il aurait souhaité en être certain. Il se savait peu habitué aux terrains accidentés où la nature avait repris tous ses droits. Il trébuchait d'ailleurs régulièrement sur les racines énormes qui sillonnaient le sol couvert de verdure. Il ne laisserait rien stopper sa progression, la mâchoire crispée pour endurer les signaux affolants de la douleur. Un sang chaud se répandait et inondait le vêtement rêche de bagnard. Le liquide vital s'écoulait et signait, à court ou moyen terme, une lente agonie.
La douleur ou ses suppôts de merde ! À toi de voir !
Son sens de l'humour n'avait pas entièrement déserté le champ de bataille dérisoire qu'il traversait. Les images bien trop semblables de ses cauchemars s'imposèrent à lui. Le dénouement sera-t-il identique ? Tout semblait s'y prêter, l'angoisse et les pas précipités derrière lui, la peur et la menace omniprésente. Kyo imagina bien malgré lui un seul agresseur et un regard sans fond. Un être venu d'ailleurs dans le simple but de le détruire. Un mirage qui n'existait que dans son imagination. Il ne manquait plus que la silhouette et le souffle fétide, la main s'abattant sur son épaule déjà blessée. Le scénario se construisait, la fatalité s'accomplissait.
Arrête d'y penser, c'est pas le moment de se faire dessus !
Toute la force de sa conviction fut inutile. La panique incontrôlable investissait son organisme et il en perdit l'ensemble de ses moyens. Ses propres pas devinrent ceux de ses agresseurs et il n'y vit aucune espèce de différence.
L'énergie se ternit et la substance miraculeuse qui l'avait fauché peu avant ne put compenser ce manque cruel de force brute. Son dernier repas remontait à la veille et la perte de sang n'aidait en rien sa progression. L'ennemi approchait, encore et encore, il semblait même au fugitif que son souffle s'échouait sur sa nuque. Inconsciemment, il se tenait prêt à recevoir le choc d'une main s'abattant sur son épaule meurtrie.
Kyo s'arrêta finalement en contrebas d'un petit talus, incapable de poursuivre à ce stade. La respiration haletante, il ne tarderait pas à se trahir. Il plaqua une paume encore forte sur sa poitrine et une seconde dans son dos. L'hémoglobine tachait le tissu sur plusieurs centimètres d'une couleur proche du noir. La flèche s'était brisée, mais la pointe demeurait à l'intérieur. Il hésita, les doigts enroulés autour de la tige coupée qui ressortait sur plusieurs centimètres. Devait-il la retirer en espérant que son geste n'entraînerait pas une hémorragie qui lui serait fatale ?
Il avait réussi à établir une distance raisonnable entre les soldats et lui. Le prisonnier pouvait difficilement s'en vanter alors qu'il se voyait incapable de poursuivre sa route. Il se sentait sur le point de s'évanouir, de lâcher prise, en proie à un état de faiblesse inédit. Sa main retomba après que les muscles tendus de son bras aient protesté devant cet effort. Il ne pouvait s'adosser aux fourrées et chaque geste voyait danser des points noirs dans son champ de vision. Il ne tiendrait plus bien longtemps ainsi, la conscience s'éloignait déjà.
C'est pas le moment de flancher, ils vont arriver d'un moment à l'autre.
Les pieds du criminel accrochaient le sol, comme s'il se débattait ou tentait de s'enfoncer davantage contre la butte de terre et de ronces. Il ignora les griffures, la main plaquée sur sa bouche afin de ne laisser s'échapper aucun bruit. Les soldats approchaient et découvriraient sa cache d'un moment à l'autre.
Le décor se troubla devant ses yeux, les arbres s'inclinèrent et le ciel se courba sous un poids inventé. Une plainte s'éleva, semblable à celle d'un animal blessé. Il se sentait faible, plus faible qu'il n'avait jamais été. Il n'avait plus la force de se relever et l'illusion de poursuivre sa fuite constituait une véritable utopie.
Alors j'vais vraiment crever ici. Faciliter la tâche à tout le monde pour qu'ils puissent ramener ma dépouille directement. Ça va vraiment se terminer comme ça ? Putain !
Kyo le refusait purement et simplement. Il lutta contre l'inconscience qui endormait déjà les extrémités de son corps. Un froid mortel s'insinua en lui, un souffle glacial qui s'apprêtait à lui prendre la vie. Aucune sensation ne lui parvenait de ses doigts et bouger ses jambes se transformait en véritable défi. Tremblant sur le sol encore couvert de rosée, le fugitif se complaisait dans sa terreur. Son agresseur, celui de ses cauchemars, allait le retrouver, poser sa main glaciale sur lui avant qu'il ne sombre dans le néant. Il n'y avait qu'une seule fin possible, la plus terrible. Un baiser capturerait ses lèvres et aspirerait les dernières volutes de vie sur son corps à jamais figé.
Soudain, une silhouette s'imposa à son champ de vision réduit. Il distingua difficilement ses traits, reconnaissant à grande peine les courbes généreuses d'une femme. Il la détailla davantage, notant rapidement ses cheveux fauves et son allure de sauvageonne. Il balbutia :
— S-S'il vous plait...
L'expression de l'inconnue se fit dubitative et illustra son incompréhension. Il n'y avait pas de temps à perdre et le prisonnier captait les vibrations grandissantes du sol où il était prostré. Les gardes étaient tout proches ! Il reprit alors, rejetant la fierté qui aurait d'ordinaire tu de telles paroles :
— Ils arrivent... Ils vont me... tuer et je suis... blessé ! Je-... S'il vous plait, aidez-moi...
Elle dévisagea un court instant son homologue, recueillant ses aveux sans risquer le moindre geste. Elle parut peser le pour et le contre. Les traits du jeune homme se tordaient de douleur et son teint pâle ne laissait aucun doute sur son état. Sur le point de s'évanouir pour de bon, il implorait égoïstement la pitié de cette femme.
— Qu'est-ce qu'ils te veulent, ces types ?
Ma peau, mes fesses, tout ce que tu veux !
— Ils veulent me tuer, répéta Kyo, bien conscient que l'interrogation visait plutôt un autre type d'explication.
Elle ne semblait pas franchement convaincue et l'autre se permit de la dévisager, incapable de savoir comment la persuader. Ses traits durs et son arme, un couteau fermement tenu dans sa main droite, faisaient d'elle quelqu'un d'apte au combat. Elle représentait son ultime chance de s'en sortir pendant que son champ de vision se refermait toujours plus. L'obscurité le rongeait et il se rattachait à cet espoir sordide. Qui apporterait son aide à un mourant, un bagnard de surcroît ?
— J'vous en prie...
T'es ma dernière chance, j'vais crever si tu m'aides pas.
La femme se redressa, dardant un regard déterminé sur le misérable mortel qui jonchait le sol tel un déchet. Le corps de l'homme fut secoué par une toux silencieuse et qui déploya une fleur rouge. Une rose dont les épines s'enroulaient autour de son cœur vulnérable. Il n'exagérait en rien sa souffrance qui atteignait un seuil indescriptible. Chaque mouvement lui infligeait une torture sans fin et il se sentait déjà mourir.
— Fais pas de bruit et tâche de pas mourir avant que je ne revienne.
Kyo mentirait s'il prétendait ne pas avoir pensé, rien qu'une seconde, que cette inconnue allait l'achever d'un coup de dague en pleine poitrine. Une solution efficace qui lui offrirait le repos et qui éteindrait, avec elle, toute forme de souffrance terrestre. Il en vint presque à l'espérer, ivre des plaintes de ses membres endoloris. Elle pinça les lèvres et l'homme opina très faiblement, apportant son accord muet.
Je vais essayer de ne pas... crever, c'est promis !
La dernière image qui s'imposa au prisonnier avant que l'inconscience ne le happe fut celle de la femme qui se jetait à la rencontre des soldats. Un cri de guerre résonna ainsi que le son de la lame entamant férocement la chair. Kyo abandonna la lutte. Il se laissa engloutir par le néant, certain que cette mystérieuse sauveuse viendrait à bout de ses supposés ennemis, qu'importait qu'il soit encore présent pour l'en féliciter.
L'apparition de ce nouveau personnage... féminin ! Elle a du caractère, comme vous pouvez le constater. Je garde volontairement une part d'ombre, mais ça ne devrait pas durer très longtemps.
Le prochain chapitre verra l'apparition d'un troisième personnage important. Vos pronostics ? Une autre présence féminine ou une dose de masculinité supplémentaire ? Comment imaginez-vous ce personnage ? Ça m'amuse de connaître vos idées ;3
Une vague d'amour sur vous ~
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