24.

Kyo se réveilla le premier, tiré de son sommeil par les faisceaux de lumière qui réchauffaient sous visage. L'aube nue glissait sa tiédeur et le réveil, dénoté de l'énergie excessive d'Abby lui parut bien doux. Il s'étira paresseusement et nota, au passage, les quelques courbatures qui sillonnaient son corps. Les vestiges délicieux que la nuit lui avait laissés, en plus des souvenirs.

Très courte, cette grasse matinée !

Par réflexe, son regard dériva vers la présence inhabituelle à ses côtés. Sheran était allongé sur le côté, ses bras paisiblement enroulés autour de Kyo. Le sommeil lui avait ôté toute gravitée, toutes les expressions pensives ou durement inexpressives qu'il s'imposait. Enfin, le criminel le sentait entièrement nu, dépouillé de toute conscience. Du bout des doigts, il retraça les courbes brutes de ses traits.

Au terme de longues secondes, Sheran papillonna des paupières avant de nouer un contact solide avec le monde. Il quitta le refuge onirique pour recouvrer la clarté du jour. Ses orbes bleus trouvèrent le ciel étendu à quelques millions de kilomètres d'eux et la surface lisse refléta cette immensité. Kyo se languit des prunelles posées sur lui et de son attention jusqu'à ce que Sheran ne daigne lui accorder ce regard.

— Bien dormi ? s'enquit-il, un sourire léger aux lèvres.

— Peu.

J'en connais un qui vient de retrouver son sens de l'humour.

— Pas faux et je crois que je regrette un peu.

Sheran se redressa d'un bond comme si ces paroles venaient de le brûler. Ses prunelles effacèrent la lueur blessée qui y flotta pour y imposer son indifférence, à peine nuancée par un soupçon de déception. Troublé au point d'oublier la douleur aiguë qui vrillait ses hanches et ses reins, il dit :

— Tu n'es pas sérieux ?

Évidemment que je ne le suis pas ? Je lui fais quoi ? Je lui écrase la tête dans l'herbe pour voir s'il respire encore au bout de dix minutes ?

— Hé, détends-toi un peu !

— Ce n'est pas drôle, contra Sheran, de son accent dur.

Je retire pour le sens de l'humour. Il n'en a pas.

L'ancien captif secoua la tête avant de s'approcher de sa proie et de réduire à néant ses efforts pour s'éloigner. Il glissa sa main dans ses cheveux, juste à la naissance de la nuque, espérant calmer les ardeurs matinales alors qu'il ajoutait :

— Je suis fatigué, là. Et on a une journée à assurer encore et ça va pas être évident. On aurait mieux fait de dormir plus, c'est tout.

Sheran se détourna malgré tout, comme s'il prenait soudain conscience de son inacceptable nudité. Trop vite au goût de Kyo, il enfila ses vêtements et recouvrit chaque espace de peau si rapidement qu'il ne put y ajouter la contenance espérée. Sheran était gêné et il en oubliait tout ce qui avait été partagé, ainsi que l'idée évidente que ce corps n'était plus inconnu aux yeux de son amant. En fait, il ne le serait jamais plus.

— On devrait rejoindre ma sœur, elle s'est sûrement rendu compte de quelque chose.

Kyo se revêtit sans se presser et apprécia la caresse lascive du soleil sur sa peau encore nue. L'instant était bien trop beau pour être brisé.

— Tu te fais du souci pour rien. Elle est peut-être pas encore réveillée.

— Elle se lève toujours aux aurores.

Ça, fallait y penser avant.

Kyo, entièrement habillé, vola un baiser sur les lèvres de son amant. Comme un besoin vital auquel il accéda une courte seconde et qui lui donna une impression d'acquis, de réussite totalement grisante. Cette réussite se révélait encore incomplète, mais Kyo ne pouvait s'empêcher de la considérer comme la plus précieuse de toutes.

Ils retournèrent sur leurs pas, profitèrent davantage de la beauté du paysage. L'euphorie de la veille ne retombait pas encore, seules quelques inquiétudes s'y additionnaient. Sheran était un homme d'habitudes et Kyo formait l'exact opposé de ce qui l'attirait d'ordinaire, la précipitation dans laquelle cette ébauche de relation s'était faite l'impressionnait. Cela avait pris une telle importance en l'espace de quelques jours qu'il craignait que cela le dépasse, qu'il en perde tout contrôle... comme il avait succombé la veille. Il avait peur que cela se reproduise, des conséquences, de l'instabilité maîtresse dans laquelle il se construisait ce morceau d'unique. Le jour apportait avec lui son lot d'incertitudes, de craintes. De quoi effiler ce lambeau de bonheur.

— De quoi tu as peur ?

Sheran se tendit. Comment pouvait-il savoir ? Kyo dut sentir que son amant s'apprêtait à lui échapper, car il ajouta :

— Dis-moi.

— Abby, elle pourrait comprendre.

— Et alors ? Tu penses qu'elle désapprouvera ?

Ou t'as juste peur de t'afficher devant elle avec un homme ?

Une once d'amertume s'invita dans sa voix, il n'était pas parvenu à la taire tout à fait.

— Je ne sais pas, prononça Sheran.

Kyo caressa la joue du géant au cœur trop mou, au cœur de verre, comme pour le calmer, pour le distraire de cette angoisse naissante.

— J'ai pas envie d'avoir ce genre de discours, mais on va pas tarder à arriver à la frontière. Du temps, j'en ai plus. J'ai pas non plus envie de réfléchir à ce qui va se passer, mais c'est à toi de savoir ce que tu veux faire face à ta sœur. Le choix, tu l'as.

Comme pour ponctuer sa prise de parole, il enfouit ses mains dans les mèches soyeuses de Sheran et l'embrassa longuement, presque amoureusement.

Amoureusement ?

Le plus jeune chercha la réponse à formuler. Il réalisa que le temps lui manquait aussi et que cela avait tout pour l'affoler. Le bonheur ne tarderait pas à s'entacher et la séparation semblait déjà inévitable. Que ferait-il à l'instant où Kyo franchirait la frontière ? Serait-il capable de l'abandonner sans un regard et l'extraire de son existence comme de ses pensées ? Ou, dans le cas contraire, pourrait-il réellement quitter sa vie d'avant et Abby, par la même occasion ? L'incertitude, la chute, l'abîme, en acceptant de se joindre à l'expédition, en acceptant de céder à l'impulsion traîtresse de ses sentiments, Sheran avait épousé sa propre déchéance.

— On ne devrait peut-être pas...

— C'est pas trop tard pour y penser ? rétorqua Kyo, incapable de réfréner la dure émotion qui l'investissait.

— Ce n'est pas trop tard pour...

— Pour tout arrêter ?

Glacé, Kyo ricana. Il se maudit de se montrer aussi puéril, de réagir de la sorte. En d'autres circonstances, il n'aurait jamais fait de l'incertitude de Sheran toute une histoire. Mais voilà, le voir si hésitant ravivait ses propres lacunes, ses propres faiblesses, et la force de ses sentiments exaltée par leur nuit commune réclamait davantage que des compromis.

— Je ne sais pas, peut-être.

Kyo faillit marquer un point déloyal et répliquer que, cela, il aurait mieux fait d'y songer plus tôt. Cela lui parut illégitime et il se tut. Quelques pas de silence, de réflexion, d'errance. Ni l'un ni l'autre n'était vraiment prêt à formuler cette conversation laborieuse.

— Moi non plus, Sheran, j'en ai aucune idée.

Puis, tout bascula. Le blond fut propulsé contre la surface irrégulière d'un arbre par la poigne de Kyo et le choc lui coupa le souffle. Le criminel lui fit signe de conserver le silence intact, mais Sheran se pencha sur le côté pour y découvrir ce que son amant tentait de lui épargner.

À quelques mètres, sa sœur défiait du regard un soldat, un soldat armé aux intentions hostiles. Le ton montait, l'animosité avec lui, et Abby paraissait sur le point de faire usage de sa dague, soigneusement masquée derrière son dos. Il n'y avait aucune chance pour que cette curieuse conversation ne s'achève sans excès de violence et cela crevait les yeux.

Là, on est pas dans la merde !


Un chapitre à mi-chemin entre des confidences encore laborieuses et l'ouverture vers un chapitre avec pas mal d'action. Tenez-vous prêts !

J'espère de tout coeur que ça vous aura plu <3

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