2.
Les premières lueurs du jour défirent l'obscurité et tirèrent Kyo du sommeil après seulement quelques heures de répit. Les muscles engourdis par le confort vétuste de sa couche, il s'étira dans un grognement. Le silence quasi parfait qui l'enveloppait lui affirmait que les autres prisonniers profitaient encore de quelques minutes de repos.
Y'a que la nuit qu'ils arrivent à s'la boucler et encore !
L'homme se redressa lentement, l'esprit embrumé par les cauchemars. Pour certains, plonger dans les bras de Morphée permettait d'atteindre l'oubli, mais ce n'était pas son cas. Il haïssait les songes qui l'envahissaient aussitôt avait-il les yeux clos. Cette oppression et cette peur qui lui étaient étrangères lorsqu'il avait pleine possession de ses moyens. Le sommeil comprenait un abandon qu'il tenait en horreur.
Le détenu distinguait les timides raisons de l'astre qui se risquaient à l'intérieur de sa cellule. Les seuls qu'il était en droit de percevoir ici-bas, comme un aperçu de ce qu'il manquait. De la beauté d'un monde dont on l'avait privé. Une mélancolie sourde s'empara de lui jusqu'à résonner à ses oreilles pour écho interminable à la détresse de son cœur.
Kyo serra les dents jusqu'à ce qu'une douleur vive lui ouvre la mâchoire en deux. Les barreaux face à lui rappelaient tout cela, tout ce qu'un prisonnier souhaiterait oublier : sa propre condition. La froideur et la morosité des lieux le glaçaient, comme si l'on prévoyait de lui soustraire la moindre once d'humanité. Les plus grands criminels se retrouvaient détenus dans la prison de Madélor et comme pour beaucoup, les événements lui avaient échappé jusqu'à ce qu'il en perde entièrement le contrôle. Une succession d'erreurs et de situations tragiques expliquaient sa venue ici. Mais qui pouvait bien s'en inquiéter ? Il avait cessé d'exister à l'instant où il avait franchi le seuil de cette immense forteresse.
Il portait ses sentiments comme un fardeau. La plupart des prisonniers avaient tiré une croix définitive sur ce genre de faiblesses et l'espoir en faisait partie. L'espoir de s'en sortir un jour. L'espoir de quitter un jour ces murs et de reprendre le cours interrompu de sa vie. L'espoir de vivre, tout simplement.
Kyo soupira, repoussant loin de lui les déboires de son cerveau épuisé. Il devait à tout prix se concentrer, le moment tant attendu arrivait à grands pas et il n'aurait pas droit à une deuxième chance. À chaque fois qu'il pensait à ses projets d'évasion, les souvenirs de son rêve s'y couplaient. Il se revoyait accuser le pire échec de son existence et certainement le dernier. Il se noyait dans le regard sans fond de son agresseur et y perdait toute conviction. La peur grignotait alors toute la conscience de ce pauvre mortel.
Les minutes s'enchaînaient, identiques aux précédentes et accompagnées d'une tension implacable. Il s'imprégna de cet ennui, de ce temps qui semblait le narguer de toute son intouchable masse. Ses pensées se bousculaient à son attention et il peinait à satisfaire une imagination devenue débordante. L'angoisse s'installa alors, remplaçant ses réflexions pourtant louables.
Quitte ou double, mon vieux, t'as intérêt à pas te louper !
Il étendit ses jambes devant lui et ses articulations hurlèrent de douleur. Pour oublier ses tourments, il avait entrepris de reprendre chaque étape d'un plan d'évasion qui le torturait depuis de longues semaines. Il dessina sur le sol poussiéreux le trajet que le garde exécuterait pour l'amener au bourreau puis celui qu'il devrait faire pour s'échapper de cet enfer. Méticuleusement, il avait découvert le parcours le plus rapide et le moins dangereux pour sa survie.
Le bourreau était affublé d'un surnom qui lui seyait à merveille. Loin de l'image d'un être aux instruments de torture inventifs, il était l'un des plus vieux gardiens. De tous, il était le plus expérimenté et il avait, dans cet établissement, presque plus d'autorité que le directeur lui-même. Ceux dont la conduite mettait en péril l'équilibre de la forteresse et l'entente de l'ensemble des individus qui y séjournaient, termes que Kyo raillait sans rougir, écopaient immédiatement d'une correction. Cela se soldait, après de longs et interminables discours avec pour sujet la bonne conduite, par une sanction. Privation d'un repas, sorties interdites jusqu'à la fin du mois, l'imagination du bourreau était sans limites. Pourtant, pour la première fois depuis qu'il avait été incarcéré ici, Kyo se surprenait à bénir cet homme entre tous et pour preuve, il lui donnait inconsciemment la chance de sa vie.
Son estomac grogna en réponse à la faim qui ne le quittait plus. Depuis son admission à Madélor, son poids avait connu une chute importante, avoisinant le seuil critique d'une condition physique inquiétante. Il gardait une fine musculature, mais les os saillaient désormais sous sa peau. Des épines qui couraient sous son épiderme et qui lui rappelaient qu'il n'aurait bientôt plus la force de forcer la moindre escapade.
La cellule se voyait baignée d'une légère lumière et le soleil atteindrait bientôt son apogée. Des signes que le meurtrier avait appris à traduire et qui lui permettaient de prévoir bon nombre d'éléments. Le garde ne tarderait pas à faire son apparition et les choses sérieuses pourraient ainsi commencer. En échos à cette pensée, une agitation s'éprit du long couloir de cellules alignées. On faisait sortir les autres détenus. Tous, mais pas lui.
Encore un peu de patience, c'est bientôt l'heure.
Il attendait ce moment au moins autant qu'il le redoutait. Un espoir autant qu'un doute dans une existence qui avait cessé de porter ce nom. Quoi qu'il se produise, la réponse à ses questions le guettait et il ne s'endormirait pas dans cette cellule ce soir. Plus jamais il ne mettrait les pieds ici. Alors, la réussite ou l'échec ? La vie ou la mort ?
Lancez les pronostics, qu'on rigole un peu !
Cette fois, le dilemme se bornait à un simple constat : la liberté ou rien. Il n'en supporterait pas davantage, il avait déjà trop souffert pour subir un énième affront. Le regard sombre, Kyo darda son impatience sur la minuscule ouverture qui laissait échapper de faibles rayons de soleil. Cette chaleur lui manquait, tout comme les couleurs vives de la nature verdoyante. Dehors, la vie continuait sans lui, le temps n'attendait pas son unique retardataire et l'homme refusait de sacrifier sa jeunesse à ces murs grisâtres, à cette odeur d'urine et de crasse qui le prenait à la gorge, à ce que l'humain pouvait créer de pire.
De pire, sinon le meurtre. C'est bien pour ça qu'on nous entasse dans ce merdier, nan ?
La porte s'ouvrit dans un bref fracas et sans que l'intéressé n'ait pu prévoir l'entrée surprise du garde. Il se maudit pour son manque de concentration avant de reprendre son expression impassible. Ses traits harmonieux, mais couverts de crasse se fermèrent dans une moue parfaitement indéchiffrable. Seule la beauté de son visage persistait, indissociable et toujours autant indéniable.
— K., debout !
Le susnommé, répondant à son nom d'assassin, obtempéra sans même songer à protester. Il dévisagea l'homme face à lui et inscrivit au fer rouge chaque facette de son physique. Des cheveux bruns et mal entretenus retombaient en désordre sur les épaules larges de leur possesseur. Des yeux minuscules et méprisants étaient dardés sur celui du prisonnier. Un visage quelconque qu'il haït aussitôt.
— Et on ne traîne pas, ajouta-t-il, alors que Kyo prenait tout le temps nécessaire.
À vos ordres, chef !
Il ravala un sourire narquois devant les propos de cette escorte improvisée. Ils sortirent ensemble de la petite pièce et un couloir immense s'offrit à la vue du mécréant. Des dizaines et des dizaines de cellules s'alignaient et il pouvait capter des bribes de conversation. Déjà, l'individu le poussait méchamment pour l'empêcher de faire durer le plaisir.
— C'est bon, j'avance, gronda-t-il, dans un souffle.
J'disais juste adieu à ma bien-aimée cellule. Tu permets ? Adieu barreaux de merde, rats et odeur de pisse macérée !
Il croisa, derrière les barreaux, le regard de Viktor. Lui aussi avait eu le droit de rester dans sa cellule, sa vieillesse prématurée l'exemptant de la tâche pour laquelle les autres s'en étaient allés. Un sourire carnassier était pendu aux lèvres de cet étrange camarade et il paraissait ne rien ignorer du plan sordide construit par son cadet. Kyo avança d'un pas, puis d'un deuxième dans le silence inhabituel du couloir.
— Bonne chance, articula le plus ancien des détenus, sans trahir le calme fou des lieux.
De la chance, il en aurait bien besoin. Tous les prisonniers à l'exception de ceux incapables de se déplacer, et ceux qui étaient tenus à l'écart des autres, avaient été rassemblés dans l'immense cour de la forteresse. Ils accueillaient ainsi le nouveau venu, comme si leur misère servait à donner l'exemple au criminel nouvellement incarcéré. Comme si ce rituel permettait au meurtrier de comprendre que l'ordre régnait entre ces murs et qu'il était vain de penser pouvoir y semer le trouble. Une mise en scène ridicule dont Kyo se moquait ouvertement.
Ainsi, la sortie exceptionnelle qui le menait au bourreau pouvait se transformer et lui offrir la chance de tirer ses os de là. La plupart des gardiens étaient rassemblés dans la cour afin de surveiller tous ces esprits dangereux entassés dans un même endroit. La voie serait libre, ou presque. Madélor en personne lui servait une occasion rêvée sur un plateau d'argent.
Et j'compte pas cracher dessus !
D'apparence calme, il comptait les cellules jusqu'au moment où ils bifurquèrent à gauche, à l'endroit précis où des portes closes se faisaient bien plus espacées. Il déglutit péniblement, le cœur battant jusqu'à l'assourdir et gêner le passage de ses pensées.
Juste avant de planter ses pieds dans le sol et de s'arrêter, il ferma les yeux un court instant. Il rassembla tout ce dont il allait avoir besoin pour prendre de surprise cette enveloppe charnelle dirigée par la responsabilité et le devoir. Il pila alors brutalement, se retournant face au garde qui se tenait à un pas de lui. Le pauvre n'eut pas le loisir de comprendre ce qui lui arrivait que, déjà, Kyo lui assénait un coup de pied dans le sternum. Le choc occasionné le fit se ployer alors que sa seconde jambe fauchait sèchement les siennes. L'homme s'écroula lourdement au sol sans prononcer un son et son agresseur porta un dernier impact sur le haut de son crâne. Un impact qui aurait bien pu éclater l'os et répandre à terre la matière visqueuse qui y reposait. La menace n'en était plus une et l'individu ne se réveillerait pas de sitôt.
Merci pour la visite et pour l'amabilité.
Sans perdre une seule seconde en tergiversation, il fit demi-tour et atteignit en quelques enjambées la geôle de Viktor qui l'observait, visiblement satisfait de la prouesse de son camarade.
— J'peux essayer de te faire sortir, lança Kyo, sans se contraindre des formalités.
— Non, ç'fait trop de temps que je croupis ici. J'vais te retarder, pas la peine de t'encombrer d'un vieux débris comme moi. Toi, fonce et vis. C'pas le moment de discuter. File !
Le prisonnier se redressa, perdu dans un bref instant d'hésitation. Il se reprit bien vite et jeta un dernier regard à son aîné, un regard d'adieu. Puis, sans s'attarder plus longuement, il s'élança dans l'un des nombreux couloirs qui se dessinaient devant lui. Il savait exactement où il souhaitait aller et comment s'y rendre. Rien ne semblait pouvoir se mettre en travers de sa route, rien ne l'éloignerait jamais de la liberté qu'il convoitait.
Les pas du fugitif résonnaient en lui tout comme les battements désordonnés de son organe vital. Chaque part de son corps avait été sollicitée et il refusait de faiblir. L'effort bien qu'ardu le ventre vide valait la récompense qui se profilait. Il apercevait déjà l'objet de toutes ses convoitises au bout du couloir où son regard fixe lisait une porte. La seule issue non gardée de la prison. Aucun monstre ne se trouvait à ses trousses, mais il ressentait la même terreur brutale, la même complainte de son corps au seuil de sa ruine.
J'y suis presque.
Kyo accéléra encore l'allure, bandant les muscles dans une ultime poussée d'adrénaline dans son organisme. Un sourire interdit se forma au creux de ses lèvres jusqu'à grossir son cœur que beaucoup pensaient inexistant. La liberté était à portée de main et il l'espérait aussi fort que possible. S'il tendait le bras, il pouvait l'atteindre, il pouvait s'en saisir.
— Alerte ! Un prisonnier s'est échappé ! Aile gauche, sortie de secours. Alerte ! Un prisonnier s'est échappé ! beugla une voix que l'homme ne sut identifier et qui engagea sa perte.
Le temps sembla se suspendre, s'étirant à l'infini afin de ravager davantage Kyo d'un succès qui se dématérialisa en un instant. Le destin le nargua alors qu'un bruit strident s'éleva dans toute la prison, signalant à tous ses occupants ce qu'il se produisait. Signant aussi l'échec qui se construisait face au prisonnier.
Pitié, tout, mais pas ça...
Kyo ne perd pas de temps, n'est-ce pas ? C'est que le loulou a d'autres projets que de croupir en prison. Des adieux avec Viktor (j'ai ajouté le passage car j'ai remarqué que je ne lui avais réservé aucune "fin") et notre criminel s'élance déjà le plus vite possible vers la sortie.
La fin du chapitre est suffisamment explicite mais vous vous doutez bien que les choses ne vont pas se dérouler exactement comme prévues. Ça ne serait pas drôle, sinon et la difficulté arrive très bientôt. N'hésitez pas, en attendant, me donner votre avis et à voter, deux gestes qui me feront extrêmement plaisir !
Je vous embrasse ~
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