19.
Après cette brève formalité, les heures de marche ne souffrirent aucune nouveauté sans qu'Abby n'autorise aux deux hommes de souffler ne serait-ce qu'un bref instant. Le décor lui, ne changeait pas. Les éternels arbres entouraient leur passage, servant de sentinelles à une fuite forcée. Des sentinelles qui murmuraient sous la caresse du vent.
Finalement, la jeune femme leur ordonna de quitter le sentier qui se faisait de plus en plus étroit et sinueux. Elle prétexta à juste titre le danger de demeurer sur le chemin tracé, un chemin qui pourrait bien les mener tout droit dans les bras des soldats de Déalym. Ils s'engouffrèrent dans les affres de Farétal, grimpant les pentes abruptes jusqu'à ce que les muscles demandent grâce et que l'esprit seul leur permette encore d'avancer. Chacun se gardait bien de se plaindre, Kyo en particulier qui maudissait pourtant cette forêt interminable, la douleur de ses membres fatigués, de son épaule et même Sheran qui ne lui adressait plus aucun regard.
J'sens que ça va être plus compliqué que prévu.
Sheran tut lui aussi ces plaintes litaniques. Il pouvait encore rebrousser chemin, tourner les talons et disparaître avant que sa sœur ne le remarque, trop affairée à leur ouvrir la route pour se préoccuper de sa présence. Les œillades insistantes que Kyo lui volait, comme pour leur rappeler ce qui les unissait, à tort ou à raison, l'empêchèrent de mettre ce plan risible à exécution.
Finalement, et au bout de longues et interminables minutes, Abby décida de s'arrêter pour la nuit. La chaleur étouffante de l'après-midi s'atténuait seulement et l'affluence de plantes aux couleurs vives et de petits champignons lui confirmaient la présence d'une rivière non loin. Elle gardait par précaution une carte de Farétal unique dans son genre que son père avait lui-même dessiné. Un artefact précieux qu'elle conservait sur elle en permanence.
— Bon, c'est fini pour aujourd'hui. On en a assez fait, il faudrait pas s'épuiser dès le premier jour.
Sans tenir rigueur de ses propos, Kyo abandonna son sac dans un soupir quasi triomphal.
Putain, j'y croyais plus !
Sheran fut plus modéré que son patient et déposa simplement son bagage personnel sur une pierre recouverte par une mousse tendre. À quelques pas, Abby s'activait déjà. Elle extirpa ses affaires de l'enveloppe de tissu et les disposa devant elle avec une aisance digne de l'habitude.
Le hors-la-loi se laissa choir sur le sol sans se préoccuper de la terre qui souillait les vêtements empruntés. Il ignora superbement la douleur qui enflammait son épaule, le regard fixé sur le néant, sur l'infini. Il songeait comme seul un être débordant d'humanité pouvait se vanter de réfléchir. Le criminel s'échappait, il n'avait plus rien à voir avec le monstre qui massacrait des individus avec la plus grande des violences. Le masque d'argile se fondait dans ce paysage à couper le souffle et dans les bribes inconscientes du cheminement qui l'attendait.
— Hé, les mecs, c'est pas le moment de se la couler douce ! Y'a du boulot avant qu'il fasse complètement nuit, alors on se remue un peu ! Rendez-vous utiles, il n'y a plus d'eau et elle ne va pas se chercher toute seule. La rivière ne doit pas être bien loin plus au Sud. Allez, on s'active !
C'est possible de la débrancher, juste histoire qu'elle se taise cinq minutes.
Péniblement, Sheran se redressa, imité par son vis-à-vis qui ravala une grimace.
— On y va, mais baisse d'un ton ou tu vas nous faire repérer, tempéra son frère avec humeur.
Ils obtempérèrent sans lui laisser le temps de surenchérir et s'éloignèrent entre les arbres. Deux gourdes en main chacun, ils atteignirent la rivière aux reflets étincelants en quelques minutes de cette marche pensive. Kyo s'agenouilla le premier et affronta bravement la douleur de son épaule, rafraîchissant ses mains, puis son visage, avant de se décider à remplir les gourdes de métal.
Alors que le blessé s'apprêtait à se relever, le médecin attrapa son poignet et profita de la faiblesse de ses jambes pour le déséquilibrer. Kyo retomba sur les fesses, abasourdi par ce geste, il réagit à retardement :
— Sheran ?
Qu'est-ce que tu fous exactement ?
L'interpellé, sans même songer à répondre, tâta l'épaule meurtrie de son patient avec une très grande précaution. Attentif aux réactions de son homologue, les sourcils joints par la concentration, son sens aigu de l'observation ne manqua pas le raidissement très net des traits du criminel, trop fier pour trahir davantage la douleur.
— On peut rien te cacher, hein ?
— Pas ça, en tout cas, rétorqua le médecin sans se dépourvoir de son expression fermée, imperméable.
Après une brève œillade comme pour s'assurer de son consentement, Sheran entreprit de retirer le vêtement et d'extraire toute idée ambiguë que ce geste pourrait comporter. Une multitude de mouvements souples suffirent à libérer la peau de l'homme où la flèche avait déchiré l'épiderme.
Note pour plus tard : arrêtez de jouer aux durs avec ce genre de personnes.
— Ça ressemble à quoi ? demanda encore l'ancien prisonnier, d'une voix détachée et dans l'espoir de détendre l'atmosphère.
— C'est moins moche qu'il y a quelques jours, mais je préfère garder un œil dessus, énonça Sheran, calmement.
Il sortit de sa besace une partie des médicaments qu'il avait emportés avec lui et appliqua un désinfectant sur la plaie aux bords boursouflés. Kyo réagit à peine, les traits détendus et les yeux clos, comme s'il priait. Une prière pour un être qui ne croyait en rien. Il ne rouvrit les paupières que lorsque Sheran lui annonça finalement :
— C'est terminé. Bois ça.
L'homme obéit sans rechigner et avala, sous le regard brûlant du blond la mixture immonde qui lui brûla la gorge.
Dégueulasse c'truc !
Kyo tira la langue, mais cessa son manège lorsque Sheran l'aida à enfiler son vêtement. Hypnotisé par le bleu pur de ses orbes, sa respiration se suspendit à ses lèvres un court moment. Sheran plongea dans l'immensité d'obsidienne des prunelles de l'ancien condamné. Une chute vertigineuse dont il ne sortirait pas indemne.
Ni l'un ni l'autre ne sut jamais qui prit la folle initiative de détruire l'espace entre leurs deux corps pour investir les lèvres tentatrices. Qu'importait, ce fut ensemble qu'ils se consumèrent. Sheran effleura l'âme sensible du criminel, soudain prêt à se damner avec lui. Kyo, diable parmi les démons qui peuplaient cette terre sous les traits des hommes, ne laissa pas l'autre se dérober. Ses doigts fourragèrent dans les mèches blondes et dorées tandis que son autre main se glissait contre le visage dans une caresse volatile, presque trop tendre pour lui appartenir.
Putain de merde !
Sans en prendre conscience, les doigts de celui-ci s'égarèrent le long de sa mâchoire taillée à la serpe jusqu'à la pointe tranchante de ses clavicules. Ces quelques caresses achevèrent de les enflammer, de les heurter d'un désir sans nom. Sheran tremblait de tous ses membres et sa figure de géant céda, se craquela, laissa apparaître l'étendue de sa touchante faiblesse. Les baisers s'enchaînèrent et chacun d'eux les soulageait de la tension accumulée.
Durant ces quelques poignées de minutes, la réalité s'estompa et ils s'oublièrent, eux et le monde. Abby qui les attendait à quelques centaines de mètres plus au Nord. Le danger qui rôdait partout, insidieux et pervers. La précarité folle de leur situation commune. Le sang qui couvrait toujours les mains pourtant délicates du hors-la-loi. Le statut d'inconnu qu'ils arboraient encore l'un pour l'autre. Et, surtout, la nature interdite des sentiments qui les unissaient désormais.
Le plus jeune s'écarta en premier, le souffle court et les cheveux emmêlés. Le menton tremblant, il s'empourpra violemment avant de ramasser les gourdes laissées au sol, y cherchant la contenance qui lui manquait. Il balbutia, rattrapé par la fraîcheur de cette première soirée :
— O-On devrait rentrer. Abby va s'inquiéter et...
— Quoi ?
Sérieusement, qu'est-ce qu'il me fout là ?
— Je... Oui, on devrait rentrer. Abby va s'inquiéter alors que... qu'il ne s'est rien passé.
Je publie en coup de vent, j'espère que ce chapitre vous aura plu :3
Kiss !
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