11.
Deux jours s'écoulèrent et plongèrent Kyo dans une ébauche de quotidien qui l'irrita malgré son étrange douceur. Il dut rester alité et, après quelques tentatives d'évasion ratées, il fut forcé de se rendre à l'évidence, son médecin avait donné des ordres et ne le laisserait pas s'y soustraire.
La prison en un peu mieux, avec des repas corrects et un peu plus de soleil.
Abby rendait régulièrement visite au patient de son frère, bien plus expressive et sympathique que son aîné. Également plus bavarde, elle semblait ravie de ce sang neuf à l'intérieur de ces murs, comme si l'ancien prisonnier représentait un sujet d'étude particulièrement passionnant. Ignorant le potentiel danger, elle se disait prête à accueillir soldats et chasseurs de prime pour les renvoyer d'où ils venaient. Kyo avait cerné les grandes lignes de sa tempétueuse personnalité et il ne s'étonnait plus d'y percevoir un tel fossé avec celle de son frère.
Comme total opposé, celui-ci paraissait se complaire dans l'ombre de cette femme. Presque taciturne, il évitait toute forme de discussion, avalait les mots, les syllabes et n'en ressortait que ce qui devait absolument être dit. Son attitude effacée n'égalait pas sa cruelle indifférence. Il agissait en professionnel, comme l'homme forgé par le quotidien qui y percevait une sécurité rassurante. Kyo comprenait désormais pourquoi le médecin voyait en lui une telle menace et pourquoi il se bornait à afficher ce dégoût étudié, cette retenue fabriquée de toute pièce. Le criminel s'amusait à entamer des conservations, à pousser son sauveur dans ses retranchements et l'observer fulminer dans sa barbe. Un divertissement efficace puisque la réticence de Sheran sautait aux yeux au moins autant que son sempiternel agacement.
Le blond rendit visite à son patient après le repas de midi, guidé par le devoir bien plus que par l'envie. Rassasié, l'ancien prisonnier paraissait presque attendre sa venue. Il ne somnolait pas et guettait la porte avec une insistance dérangeante. Ses cheveux coulaient le long de son visage jusqu'à masquer l'intensité de son regard d'obsidienne. Vêtu pour tout habit de son bandage qui recouvrait sa blessure encore fraîche et l'ensemble de son omoplate, il croisa immédiatement le regard de Sheran. Un sourire fleurit à ses lèvres, plein de satisfaction. Un rictus moqueur, badin, à l'image même de son possesseur.
— Je viens pour changer tes bandages, annonça Sheran, d'une voix éteinte.
Évidemment, quoi d'autre pourrait te faire venir ?
— Je suis tout à toi, répliqua immédiatement Kyo.
Et hop, le sous-entendu ! Allez quoi, fais-moi le plaisir d'un rougissement, qu'on rigole un peu !
Mais le médecin ignora la remarque et s'assit sur le bord du lit, si près du bord qu'il aurait tout aussi bien pu s'installer par terre. Parfaitement à son aise, Kyo gigota pour se trouver une position plus confortable sans jamais cesser d'arborer cette belle assurance. Sheran ne lui décocha aucun regard et évita soigneusement de croiser le sien. Il défit le bandage et la surface immaculée laissa place à un linge perlé de sang. Loin de s'émouvoir, il acheva de soulager son patient du pansement souillé et examina la blessure bien nette avec attention. Kyo avisa son expression autant par intérêt pour ce visage particulier que pour se distraire de la douleur. L'autre palpa précautionneusement les bords de la peau meurtrie et vérifia qu'il n'y ait aucun départ d'infection dans le processus de cicatrisation.
— La cicatrisation va prendre du temps, mais elle a déjà commencé. Les risques d'infection vont diminuer jusqu'à disparaître.
— J'suis tiré d'affaire, alors ?
— Mmh.
Eh bah, y'a des choses qui changent pas ! Même mes camarades à Madélor étaient plus éloquents !
Et pour preuve, Sheran s'était contenté d'une réponse inarticulée et d'un hochement de tête minime. Il semblait que chaque mot lui était compté et lui coûtait bien plus qu'un peu de volonté. Kyo n'y prêtait déjà plus attention. Il songeait à sa liberté, celle qui avait failli lui être volée à peine l'eut-elle effleurée. Plus vite il serait remis sur pied, plus vite il traverserait cette forêt maudite pour y cueillir la promesse de sa nouvelle vie.
— Je peux sortir un de ces quatre ?
— Toujours cette histoire de soleil ? ironisa Sheran, faisant abstraction de sa promesse de parfaite indifférente.
— Ouais. Le soleil, et puis tout le reste. Vous autres ne savez pas voir la beauté, vous l'avez sous le nez toute l'année, vous finissez par oublier qu'elle existe. Moi, je veux en profiter !
S'il n'avait pas espéré une réponse argumentée à ce reproche indirect, le silence placide et insensible de Sheran agaça prodigieusement Kyo.
Avec ton autorisation ou non, je finirai par mettre le pied dehors, alors vaut mieux que t'y mettes du tien et que j'ai pas à désobéir aux ordres de mon séduisant médecin.
Le blond accusa une moue songeuse. Kyo espéra que ce semblant d'expression mène à une réflexion et à ce que sa requête soit prise en considération. Les sourcils toujours joints, Sheran finit par suspendre ses soins pour s'enquérir, de cette voix qui râpait à chaque mot jusqu'à vider ses paroles de toute essence :
— Te dire non ne servira à rien, j'imagine?
— Non, répondit Kyo sans jamais hésiter. Ça ne servira à rien du tout.
— Évidemment, grogna l'autre, son coton suspendu à quelques centimètres de l'épiderme de son patient.
— Tu as bien deviné apparemment. L'autorisation de mon médecin préféré serait quand même sympa, je culpabiliserai peut-être un peu moins.
Les deux hommes se jaugèrent et une tension grandissante apparut. Le fugitif avait repris du poil de la bête et si son hôte demeurait impressionnant de par sa taille, il ne faisait de toute évidence pas le poids face à un être de la trempe de son adversaire.
— Alors ? demanda encore Kyo, avec impatience.
Le médecin, sans jamais se presser, acheva ce pourquoi il avait rendu visite au blessé. Il désinfecta la plaie, sans doute tira-t-il une certaine satisfaction de la crispation douloureuse de Kyo, du moins ce dernier en eut-il la certitude, et remplaça le bandage souillé par un pansement propre. Chaque geste était maîtrisé, savamment étudié jusqu'à se départir de la moindre chance d'erreur.
C'est qu'il m'ignore vraiment, ce con !
Sheran se lava ensuite les mains à la bassine qu'il avait apportée avec lui. Il retira le sang coagulé de sous ses ongles, frotta longuement ses doigts interminables, écopant d'un regard courroucé et d'une flopée de jurons. Enfin, ses orbes se plantèrent dans ceux du criminel. Une intensité nouvelle lui imposa le silence et l'immobilité tandis que l'impertinent réalisait qu'il avait cherché cette œillade depuis que Sheran avait mis les pieds dans sa chambre. Kyo retint sa respiration et ne cilla pas, il soutint les yeux clairs et tous les reproches qui en découlaient.
— Tu arrives à te lever seul ?
— Quoi ?
L'incompréhension permit à Sheran de posséder un terrain d'avance et même de s'en vanter. Sa gloire esquissa un léger sourire sur ses lèvres fines et joliment ourlées. Une faible victoire face à toutes les bravades de Kyo, mais une bien délicieuse vengeance.
— Je disais vouloir sortir.
Il m'a bien eu cet enfoiré !
Un rictus satisfait et jubilatoire grignota néanmoins la bouche de l'homme. Depuis le temps qu'il attendait ça !
— Sérieux ? Maintenant ?
Sheran haussa les épaules, prêt à quitter la pièce sans l'attendre puisque son vis-à-vis ne paraissait pas décidé à le suivre. Il jouait et il jouait juste, au grand désespoir de Kyo.
— Évidemment, j'attends que ça depuis des semaines.
L'autre passa les jambes du côté droit du lit, ignorant de son mieux la douleur vive qui lui fit le plaisir de son retour. Il parvint à ravaler le moindre son, son visage se tordant d'une infime grimace. Kyo avait vu la souffrance s'amoindrir, mais il était bien trop tôt pour qu'elle ne disparaisse. Il vivrait avec elle pendant encore de longs jours jusqu'à en faire une amie. Une amie, ou bien une alliée. Il la dompta d'un battement de cil et reporta son attention sur le centre de toutes ses pensées :
— Bon, on y va. Je suis prêt moi, et c'est toi qui traînes.
Sheran décida de ne pas surenchérir, conscient que Kyo y verrait une forme incontestée de victoire. Il se leva, imité par son patient qui se redressa sur ses jambes chancelantes. Son regard de spécialiste ne put passer outre l'expression de supplice qui se peignit sur le visage aux traits délicats. Ce dernier manqua d'ailleurs de perdre l'équilibre, un vertige le prenant par surprise. Le médecin le rattrapa avant qu'il n'atteigne le sol et empoigna son épaule intacte avec fermeté.
— K., inutile de se forcer si tu n'en es pas capable.
Et c'est le cas, je suis parfaitement en forme !
— Je vais bien, assura Kyo, qui y avait vu une forme infime de provocation.
L'homme hésita avant de donner raison au blessé et de baisser les bras. Contrecarrer sa volonté ne lui apporterait rien et combattre les convictions d'un tel individu relevait de l'impossible.
— On y va, mais à ton rythme, affirma Sheran, une douceur incontrôlée transpira sa voix.
Au pire, si je m'endors, tu pourras toujours me laisser dehors.
Oui, il faut croire que Kyo sait se montrer persuasif :3
J'aime beaucoup écrire les dialogues entre ces deux là, leurs joutes verbales m'amusent énormément XD
Le prochain chapitre sera dans la continuité de celui-ci alors je vous laisse deviner ce qu'il se passera. Oh, et, un petit moment confession :p
Biiises ~
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