1.

La porte se referma dans un grincement sinistre derrière le corps tendu de Kyo et un cliquetis de clé lui assura que l'issue venait d'être verrouillée. Sans que personne n'en soit témoin, il sourit en coin devant son nouveau terrain de jeu

Il venait d'être changé de cellule pour la énième fois et ne manifestait ni tristesse ni enthousiasme. Pour peu, il considérerait ce comportement comme de l'indécision de la part de ses geôliers. Craignaient-ils de le voir leur fausser compagnie ?

Kyo laissa couler une œillade circulaire le long de la pièce. Celle-ci lui paraissait bien semblable aux précédentes, à toutes celles qu'il avait occupées depuis son admission dans cette prison. Une cellule ridiculement petite et étroite, presque étouffante et peu entretenue. Le confort des prisonniers était visiblement le cadet des soucis de ses dirigeants. L'important consistait à les isoler du monde extérieur. Il serait regrettable que la folie de ces lieux vienne à déteindre sur le monde parfait que le Royaume s'engageait à construire. Un monde où les criminels n'auraient pas leur place.

Quoi d'étonnant ? Les personnes admises ici ne reverraient jamais la lumière du jour et personne ne songerait à s'apitoyer sur leur sort. Aucune ne serait exécutée, mais un sort bien pire que la mort leur était réservé. Celui de vivre avec ses crimes, de survivre jour après jour sans but, sans espoir et dans la misère la plus unanime.

Un vrai palace !

Kyo se sentait d'humeur joyeuse, son sens de la dérision ne le quittait d'ailleurs jamais. Un humour grinçant qu'il avait appris à maîtriser. Une arme presque aussi affutée que celles qu'il affectionnait tant. Il avisait cette nouvelle cellule avec une grande conviction. Son visage fermé, forgé par les coups durs et la violence, se fendit d'un sourire de requin. Son esprit vif ne voyait pas l'horreur qui se peignait devant ses yeux. Cette couche faite de pailles empestait la sueur et le moisi, mais il s'assit dessus malgré tout. Un nuage de poussière se souleva sous son poids.

Charmant.

Son regard sombre se posa sur chaque composant de la pièce. Les pierres irrégulières et grisâtres, les barreaux qui laissaient entrevoir une autre cellule juste en face et une bassine d'eau déposée dans un coin. Rien de plus, rien de moins. À l'exception de l'humidité qui voyait naître des gouttes d'eau putride qui ruisselait le long d'un des quatre murs. Le strict nécessaire lorsque l'on savait que des gardes se risquaient deux fois par jour dans ces quartiers. Une fois pour la nourriture et une deuxième fois pour les besoins naturels. De quoi se dégourdir les jambes et croiser la route des autres prisonniers.

Mes, ô combien agréables, camarades ! C'est qu'ils me manqueraient presque, les bougres !

Kyo avait toujours entretenu des relations controversées et complexes avec les autres condamnés. D'ordinaire bavard, il avait vite compris qu'ici, se taire restait la meilleure solution. Il restait donc muet et répondait seulement aux affronts de ces criminels. Il ne les craignait plus, c'était lui qui leur inspirait la peur, non l'inverse, et il en tirait une fierté presque interdite.

L'homme ne comptait pas plus d'une vingtaine d'années, lui attribuer un âge précis tenant de l'impossible, et toute la prison connaissait son nom. Il avait rapidement été banni des cellules collectives, jugé trop dangereux par les gardes et pour les autres détenus. Une aubaine à ses yeux, il préférait de loin le calme qui lui était octroyé ici. Ce silence salvateur qui lui permettait de réfléchir sans se trouver dérangé par des hommes mal éduqués et incapables de se taire.

Cette bande de cons sans cervelle !

L'homme, une fois bien installé sur son fin matelas de paille, laissa libre cours à ses réflexions. Loin de pouvoir se considérer comme idiot, il faisait appel à toutes ses capacités intellectuelles. Avant la prison, il était plutôt habitué aux décisions hâtives et à l'action immédiate. Ces folies ne lui étaient pas permises ici et il l'avait bien vite compris. Il se devait de compter sur tous ses atouts et non uniquement sur l'art de tuer dans lequel il excellait.

Beaucoup l'ignoraient, mais Kyo effectuait des exercices destinés à ne pas perdre la forme physique exemplaire qui était la sienne à son arrivée. Aucun de ses camarades n'y voyait un quelconque intérêt, persuadé que les sombres et humides cellules de cette forteresse seraient leurs tombes.

Il replia ses jambes sous son corps sans égard pour ses articulations douloureuses. Son corps finement musclé perdait en masse et il se savait moins fort qu'à son admission. Cette prison entravait chacun de ses mouvements comme chacune de ses pensées. La plupart de ses résidents finissaient par s'habituer à l'idée d'y périr tôt ou tard. Il arrivait néanmoins que certains tentent l'escapade, essayant de s'échapper de cet enfer.

L'espoir fait vivre, ils l'ont compris au moins.

Aucun n'y était parvenu et les dépouilles détruites revenaient automatiquement en ces lieux. S'ils parvenaient à franchir l'enceinte de la prison la plus sécurisée du Royaume, ils ne s'aventuraient pas bien loin et n'avaient pas le temps de savourer le goût de leur liberté retrouvée. Une chasse à l'homme était lancée et l'audacieux était abattu dans un délai ridicule. Cela suffisait à persuader les autres de ne pas tenter le sort. Le destin se refermait autour d'eux, il était dérisoire d'essayer de le berner.

— Hé, K. !

L'interpellé se redressa immédiatement, alerte. Ce nom éveillait la peur chez ses semblables, le nom de l'assassin qu'il était derrière son visage fermé et aux courbes harmonieuses. Ces traits gracieux, presque raffinés, lui avaient permis de duper, de tromper, de corrompre. Dans la cellule d'en face, il distingua une silhouette familière. Un homme tenait les barreaux entre ses mains fortes et observait son homologue d'un œil vif et amusé.

— Viktor, le salua celui-ci, d'une voix enjouée.

Ce prisonnier était certainement le seul qu'il appréciait un tant soit peu. Un joyeux luron capable de donner le sourire à n'importe quel énergumène, aussi austère soit-elle.

Bah tiens ! Qu'est-ce qu'il fout là, lui ?

— T'as encore changé de cellule ? Qu'est-ce que t'as fait, cette fois ?

Les lèvres fines de Kyo s'étirèrent dans un rictus carnassier qui ne laissait aucun doute sur l'objet de sa venue. Le visage de son ami, rond et souriant, se détachait du métal froid.

— À ton avis ?

— Laisse-moi deviner : il est mort entre les mains des infirmiers ? rit-il, s'amassant contre l'issue.

L'homme aux traits gracieux et aux yeux finement étirés jusqu'à ses tempes se leva de sa couche et s'avança lentement vers la porte. Une démarche féline qui lui seyait si bien, sa silhouette sculptée absorbait chaque pas avec souplesse. Son visage connu de tous arborait une expression mutine, à mi-chemin entre l'humour et la menace.

T'as tout compris, mon pote !

— Seulement à moitié. Du moins, il respirait encore quand les gardes sont venus le chercher. Pour ce qui est du reste, c'est plus mes oignons !

Viktor éclata de rire. Ancien tueur à gage, il était l'un des plus vieux pénitenciers et conservait une santé irréprochable malgré l'hygiène déplorable des lieux. Il était parvenu à se lier d'amitié avec l'un des prisonniers les plus inaccessibles de l'histoire de cette forteresse.

— Ah, je te reconnais bien là ! Tu l'as bien mérité, ta cellule privée.

Kyo eut un petit ricanement, échangeant un regard complice avec son interlocuteur avant de regagner sa place au fond de la pièce. Sa tête reposa contre la pierre froide et il lâcha un sourire plus calculateur lorsque l'autre se fut réfugié dans l'ombre de sa cellule à son tour.

Les réflexions apparurent une nouvelle fois et il les laissa le submerger sans angoisse. Il connaissait chaque personne résidant à cet endroit et pouvait retracer les couloirs de ce centre pénitencier sans souffrir la moindre erreur. Un savoir qu'il avait entretenu durant de longues semaines, confectionnant un plan dont personne ne saurait jamais rien. Derrière ce visage impassible tantôt fendu par un rictus moqueur se cachait un stratège hors pair.

Il avait élaboré un plan qui reposait en grande partie sur la chance et sur sa propre audace. Un plan bancal, il en avait conscience, mais qui valait davantage que les ébauches qui avaient traversé son esprit. Corrompre un gardien, en soudoyer un autre, jouer avec les sentiments, rien de bien concret et qui saurait lui promettre la liberté convoitée.

Mon gars, tu te figures même pas une seule seconde de ce qu'il va bientôt se passer.

Viktor ne pouvait se vanter d'une réelle intelligence. Simple d'esprit, Kyo l'appréciait seulement pour sa capacité à parler sans réfléchir et pour sa fidélité sans tâche.

La nuit tombait et l'obscurité totale suivit la pénombre perpétuelle. La fraîcheur arracha un frisson à au détenu qui se recroquevilla sur lui-même. La brise glaciale et la faim le pesaient à présent plus qu'à n'importe quel autre moment de la journée. Il endurait la peine que partageait chacun des meurtriers renfermés par ces murs.

C'est une fois la nuit tombée que l'absence de soleil est la plus insupportable.

Kyo haïssait les longues heures qui précédaient le crépuscule. Une éternité d'errance à ses yeux. Des murmures lui parvinrent, des paroles inintelligibles venues des cellules voisines. Il mourait d'envie de leur hurler de se taire, de leur faire ravaler ces mots dépourvus de sens à grand réconfort de la violence dans laquelle il avait bercé ses jours. Il se retint.

Les rats grouillent même la nuit.

Il ne cherchait pas le sommeil, mais il savait par avance que Morphée viendrait le cueillir avant l'aube malgré ses faibles illusions. Les cauchemars allaient bientôt s'éprendre de son esprit vulnérable et il en connaissait la teneur. Des fuites auxquelles on mettrait un terme dans la plus grande violence. Des espoirs brisés, des démons qui viendraient le hanter jusque dans l'inconscience.

Les barreaux face à lui l'étouffaient, bridaient chaque part de son être jusqu'à le rendre fou. Son évasion tenait de l'évidence même s'il devait en payer le prix fort. Il refusait de passer le restant de ses jours à croupir dans les bas-fonds. Il refusait d'abandonner ce qu'il restait de ce corps jeune, de cette esprit délurée, aux méandres de ces cachots.

Son plan avait été minutieusement réfléchi et Kyo n'avait pas choisi le lendemain par simple hasard. Viktor, les yeux et les oreilles de Madélor, l'avait prévenu de l'arrivée d'un nouveau pensionnaire. La vigilance des gardes serait donc moins importante dans le reste de la prison puisque les soldats se réuniraient pour accueillir ce criminel de grande envergure et dont Kyo ne connaissait rien. Quelle importance ? Lui ne pensait qu'à cette incroyable opportunité.

D'apparence calme et inactif, Kyo masquait ces envies inopinées et cette rébellion muette. Il voyait plus loin que cette cellule, il aspirait à un avenir meilleur et à fuir cette existence qu'il préférait oublier. Il nourrissait des désirs fous que cette geôle détruisait. Une seule solution s'offrait à lui et il en acceptait tous les dangers.

Demain, ce sera quitte ou double !

Un sourire s'étendit sur ses lèvres alors que ses paupières se faisaient lourdes. La fatigue l'emportait, lui et ses rêves. Lui, un criminel qui conservait une étrange et sournoise humanité. Lui, un homme prêt à tout pour s'échapper de ce calvaire quotidien. Lui, un animal en cage.

Demain, je serai libre !


Et le chapitre 1 est en ligne !

Je vous présente donc K. (ou Kyo pour les intimes mais il trouve que ça fait trop gentillet alors le vexez pas). Un type adorable qui a le coeur sur la main et qui n'a jamais fait de mal à qui que ce soit :p

Les parties en italique regrouperont les pensées de ce cher bonhomme et oui, immersion directe pour son intimité ! (c'est qu'il a le sens de l'humour !) N'hésitez pas à donner votre avis, à lâcher le vote qui embellira ma soirée et à signaler votre présence, ça me fera très plaisir !

Je vous dis à très bientôt et vous embrasse très fort ~

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