Un dernier espoir /1

Qui sait jusqu'où on est capable d'aller pour ceux qu'on aime ? La famille, les amis, ces êtres prennent plus d'importance quand on risque de les perdre.

Il y a des personnes à qui on rechigne de rendre service, qu'on insulte sans s'en soucier, mais pour lesquelles on n'hésiterait pas à tout donner si elles en avaient besoin. Quand la mort guette, les liens se resserrent. Donner leur vie pour sauver ceux qu'ils aiment, personne n'aurait cependant cru devoir le faire si tôt.

Glaëlle a les mêmes yeux verts et les mêmes cheveux roux que son frère, Vrane. Jumeaux, ils partaient sur des chemins complètement éloignés à la fac. Ils vivaient loin l'un de l'autre, avant que leur monde ne vole en éclat. Mais depuis que l'Attentat s'est produit, que la société s'est effondrée et que son frère a contracté la maladie, Glaëlle n'a pas hésité une seconde à le rejoindre et à tout sacrifier pour lui.

— Pars sans moi, s'il te plaît.

La complainte du blessé est de moins en moins convaincante au fil des jours. D'un ordre ferme, sa parole s'est peu à peu réduite à un murmure. Sa faiblesse n'est cependant pas un obstacle pour Glaëlle, qui le comprend malgré tout. À vrai dire, la voix de son frère n'a même plus besoin d'atteindre ses oreilles pour qu'elle l'entende. Habituée, la jeune fille sait qu'il recommence à râler.

—Tu es en pleine forme, insiste Vrane. Tu peux t'en sortir !

L'intéressée lève les yeux au ciel. Partir sans son frère, ce n'est pas ce qu'elle appelle "s'en sortir". Même si la rouquine ne peut se reposer que sur de maigres espoirs, sur un sac de provisions toujours plus léger et sur un petit pistolet en plastique pour assurer leur survie à tous les deux —héritage de son passé de tireuse en compétition—, elle n'est pas prête de se laisser décourager. Elle a déjà pris sa décision : elle n'abandonnera pas le seul membre de sa famille encore en vie.

— Et puis quoi encore ? raille-t-elle, se concentrant sur le barillet de son arme plutôt que sur les absurdités de son frère.

Elle range trois balles dans les encoches. Ses boucles rousses ruissellent de pluie, sa frange détrempée plaquée sur son front luit à la lumière des lampadaires de la rue. Elle fait le même effet qu'une rescapée sortie d'un ouragan, avec ses bras tremblants et ses cernes s'amoncellant comme un empilement de petites bouées sur le haut de ses pommettes. Pourtant, même noyés par l'averse, ses yeux ne cessent d'étinceler dans la pénombre, abritant la flamme d'une détermination intouchable. Son espoir est la plus forte de ses armes.

— Tu crois vraiment que j'aurais fait tout ce chemin si c'était pour partir maintenant ?

Vrane se mord un peu plus la lèvre. Une entaille sur sa lèvre se rouvre, sa bouche prend le mauvais goût du sang. Le jeune homme montre cette méchante habitude depuis longtemps : dès qu'il est angoissé, il se mange la lèvre. Depuis quelques mois, c'est aussi dès qu'il a mal qu'il se mange la lèvre, car cela l'aide à contenir sa douleur. Même si cette fois, ce n'est plus seulement pour la faire taire qu'il se mord. Il est blessé, contagieux, impuissant, il a honte de sa position. Glaëlle n'est pas en sécurité avec lui, elle doit partir, en est-il convaincu. Il donnerait tout pour lui faire entendre raison.

La rouquine tourne la tête loin de lui, attendant de le voir rétorquer quelques idioties, comme à son habitude. Depuis le temps qu'elle l'accompagne et les efforts qu'il déploie pour la décourager, elle doit connaître ses répliques par cœur. Elle cesse donc de porter attention à ses paroles et fait rouler les balles dans son pistolet.

Elle sait que son obstination contrarie Vrane mais elle a appris à passer outre. Qu'est-ce qu'il s'imagine ? fulmine-t-elle. Qu'il y a une chance qu'elle le laisse tomber, tout faiblard qu'il est ? Non, il est son frère, il est la seule chose qu'il lui reste dans ce monde détruit et elle l'aime plus que tout. Aussi vrai que les héros des romans qu'elle lisait à la fac se battent pour ceux qu'ils aiment, Glaëlle n'est pas prête d'abandonner celui qui compte le plus pour elle. Pour Vrane, elle pourrait affronter toute l'armée et son foutu dictateur, elle est assez forte pour le protéger. Elle veut juste qu'il reste auprès d'elle.

— Glaëlle, s'il te plaît... supplie le rouquin à mi-voix, un poing serré sur son flanc douloureux. Part sans moi, je te ralentis.

— Je m'en fiche, que tu me ralentisses.

Ses paroles contredisent pourtant sa pensée, elle ne se fiche pas tant que ça du temps qu'ils perdent à cause de son handicape. Le temps presse, la jeune fille aimerait déjà être auprès des Briseurs.

C'est pour ça qu'ils sont partis de chez eux, qu'ils ont parcouru plus de la moitié du pays à pied et qu'ils se battent encore. Qu'ils arpentent ciel et terre à la recherche de quoi tenir les jours d'après, volant dans des supérettes et des maisons abandonnées pour manger. C'est pour atteindre ce groupe illicite qui a, à sa tête, une figure que toute personne encore vivante sur Terre vénère comme un Dieu : Solal Ennon.

En pleine études quand cette maladie diabolique a été créée, c'est ce jeune homme ambitieux qui a trouvé le courage de se lever face au régime totalitaire montant au pouvoir dans leur pays. Plus de la moitié de la population décimée, des tensions éclatantes, des gangs, des trafics révélés au grand jour et des groupes terroristes qui prennent du pouvoir à gérer sans qu'il ne prenne peur. C'est lui qui a redonné espoir aux quelques rescapés encore sains d'esprit et qui les aide à se battre depuis lors. Depuis six mois, la nuit, Glaëlle ne rêve plus que de Solal et de la sécurité.

Lui et son groupe, les Briseurs de pierre, représentent à ce jour le plus grand espoir de l'humanité. Ils sont la possibilité d'échapper au joug cruel de la dictature sévissant, de se battre contre les autres dirigeants du monde qui maintiennent un régime totalitaire en profitant de la pandémie et d'échapper aux affres de la violence des gangs. Mais surtout, avec les recherches actives qu'ils mènent de front, ils font miroiter à tous l'espoir d'être un jour soigné du Cœur de pierre. C'est bien la chose qui compte le plus depuis l'Attentat.

Glaëlle s'est fixé pour objectif qu'ils soigneraient son frère jumeau et veut intégrer leurs rangs. Elle veut les aider à ramener la paix sur le monde, elle veut se rendre utile et est prête à se battre à leurs côtés. Autant dire qu'elle ne compte pas s'arrêter avant de les avoir trouvés.

— Je me fiche pas mal du temps qu'on met, fait-elle remarquer à son frère. C'est toi qui risque de crever avant. Donc gère tes forces et ne parle pas pour rien dire, imbécile.

Le jeune homme fronce le nez, vexé, sans toutefois pouvoir dissimuler l'ombre d'un sourire naissant sur le rebord de ses lèvres.

— Je fais ce que je peux, tu sais... grogne-t-il, le front plissé par l'effort qu'il déploie afin de rester ne serait-ce qu'assis. Mais c'est qu'elle ne veut pas me laisser tranquille, cette saloperie ! C'est dangereux. S'il te plaît, sauve au moins ta vie, Glaëlle...

— Ne t'obstine pas ! râle la jeune fille avec un mouvement de recul, agacée de le voir tenir sa vie en si haute estime. Je t'ai déjà dit que je ne comptais pas te laisser tranquille.

— Glaëlle... je risque de te contaminer.

La jeune fille secoue la tête, leur conversation commençant à lui prendre la tête. Elle n'aime pas quand ce sujet revient sur la table, cela lui rappelle les risques qu'elle prend et elle ne veut pas y penser.

— Je n'ai rien pour l'instant, affirme-t-elle. Pas la moindre petite plaque, tout va bien ! Tu peux le comprendre, ça ?

— Mais si je t'infecte et que tu en meurs, je ne...

— Si j'en meurs, c'est qu'on n'aura pas trouvé les Briseurs et que tu seras six pieds sous terre depuis un bon moment, mon cher frère, gronde la jeune fille en reportant son attention sur la rue noyée dans la pénombre en contrebas de leur abris. Je serai morte de culpabilité avant d'être morte de cette foutue maladie, crois-moi.

Elle chuchote ces derniers mots comme une promesse. C'est vrai, songe-t-elle, comment pourrait-elle vivre sans son frère après s'être tant de fois juré de le sauver ?

— Fais pas l'idiote... grommelle-t-il à nouveau, sans parvenir à garder son aplomb cette fois.

Son regard retombe sur son flanc que sa chemise déchirée ne couvre plus qu'à moitié.

Rongée par la maladie, sa peau blanche a viré au gris. Dure comme du béton, toute sa côte s'est transformée en pierre. Il en va de même pour son bras gauche frottant mécaniquement contre la zone infectée, que la douleur des muscles étirés l'empêche maintenant d'utiliser.

Le Cœur de pierre, voilà sa malédiction. Cette terrible maladie que des terroristes ont créée et qui a dégénéré. Trop virulente, l'infection s'est répandue d'hommes en hommes comme une traînée de poudre à travers le monde, semant la douleur et la misère aussi impitoyablement que la mort elle-même. C'est une infection cruelle, qui statufie les Hommes sans leur laisser la moindre chance de survie. C'est un poison qui, au contact de la chair, transforme tout ce qui peut être vivant en pierre.

Hautement contagieuse, un unique frottement avec une surface infectée suffit à la pourriture pour se déposer sur la peau d'une nouvelle victime. Elle s'y établit, pénètre tissus organiques ainsi que vaisseaux sanguins pour s'étendre et infecter définitivement le malade. Le corps se met alors à se solidifier, plus ou moins rapidement selon l'individu. Mais pour tous, peau, chair et organes se transforment bientôt en pierre, jusqu'à ce que l'infection atteigne le cœur et tue son porteur —d'où son nom. Les organes vitaux touchés, infonctionnels et irréparables, c'est la mort assurée. Muscles, tissus, tout devient roche. Et si on ampute, la gangrène éclot à un autre endroit sur le corps, rendant impossible tout type de traitement.

Cette tragédie, frère et sœur la connaissent tous les deux. Depuis qu'il a attrapé la maladie, Vrane est condamné.

☽☼☾

Hellooo !!

Première partie du premier chapitre, plutôt riche en informations il faut dire. Voilà à peu près le format que je vous propose. Ça coupe un peu au milieu, mais la suite arrive bientôt. Sauf exception, je ne tiens pas à faire des parties plus longues. 

C'est tout pour moi !

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