Course poursuite

Ange a toujours considéré Navinn comme un ennemi redoutable. Dans sa tête, il était un idéal qui ne faisait pas d'erreurs. Un garçon élevé depuis son plus jeune âge pour gouverner, avec un esprit trop formaté pour être sujet à la faiblesse. N'ayant peut-être pas la bonne manière de penser, mais ayant toute la stratégie et la fermeté nécessaires pour l'appliquer. Il ne semblait souffrir d'aucun défaut pour l'arrêter.

Mais finalement, il faut croire que lui aussi pouvait faire des erreurs.

Il n'est pas interdit d'aimer, ce n'est pas un crime et ça ne devrait pas être une faiblesse, même en temps de guerre. Mais il faut savoir garder le plus précieux en sécurité quand les ennuis s'annoncent. Navinn a mal joué en laissant Kia traîner dans ses pieds, c'est pour ça qu'il a perdu, évalue le Briseur aux cheveux blancs. Il doit cependant avouer que Kia est particulièrement douée pour traîner dans les pieds des gens. Si cette manie l'a toujours énervé, surtout quand elle paralysait Solal, elle s'est révélée très utile aujourd'hui. Comme quoi, reconnaît-il. On peut trouver des avantages à tout.

Ange serre plus fort son arme dans son poing, restant collé au flanc de Solal. Attentif, il guette le moindre signe de la part de l'adolescent roux dressé à côté de Navinn. Même si le soldat garde son arme pointée sur le chef des Briseurs, il ne semble pas prêt à tirer tant que son dictateur est menacé. Mais Ange ne laisse pas pour autant sa méfiance s'endormir. Il a assez affronté de combattants de l'armée pour savoir qu'ils ne sont pas du genre à avoir de la pitié ou de la fidélité. Le Briseur ne sait pas exactement ce qu'a promis Navinn à ce rouquin, mais il se doute que son allégeance ne doit être que passagère. Mieux vaut garder ce gars à l'œil avant qu'il ne décide de trahir son chef pour tuer Solal.

Quant à Navinn, il est réduit au pire des rôles : attendre que les autres décident pour lui. Le garçon gît au sol, à leur merci. Ange aimerait que Solal tire une bonne fois pour toute mais il n'ose pas lui forcer la main. Il n'y a que son chef qui a le droit de vie et de mort leur ennemi et ce serait mal joué que de le presser.

Mais Solal a aussi des faiblesses, il est trop bon. C'est un idéaliste qui ne peut pas s'empêcher de faire attention aux autres. Navinn est plus petit que ce à quoi il s'attendait. Il n'a pas de crocs aiguisées, son regard n'est ni cruel, ni éteint, et son sourire n'est pas même pas feint. C'est juste un garçon comme tant d'autres, avec ses cheveux blonds et ses yeux d'un bleu innocent, si vulnérable dans sa position que Solal ne peut qu'hésiter à l'abattre. C'est plus difficile de tuer une cible quand elle nous regarde en face, quand elle a douze ans et que ses yeux reflètent le bleu du ciel. Les Briseurs l'ont longtemps idéalisé, mais le dictateur n'est en réalité qu'un enfant.

Navinn a surtout été capable d'aimer, s'inquiète Ange. C'est sans doute ce qui est le plus déstabilisant. À vrai dire, il avait prévu cette alternative en donnant son accord au projet de Kia. Pourquoi ne pas parier sur l'amour, après tout ? C'était une carte en plus dans leur jeu. Mais il a tout de même été surpris de la voir si bien marcher, c'est dire qu'elle était puissante. Finalement, Navinn n'était pas un monstre. Ange ne dirait pas être déçu, du moins s'était-il trompé. Heureusement, cette erreur joue en leur faveur. Grâce à cela, les Briseurs ont gagné.

Mais sans prévenir, Kia se retourne et part en courant. Le mouvement attire l'œil d'Ange qui la regarde filer dans les couloirs, suivie de près par Ombre qui envoie contre un mur un soldat tentant de leur faire barrage. Le Briseur se mord la lèvre, maudissant son inattention, et se retourne vers ses deux adversaires avec son arme brandie. Il ne manquerait plus que cette distraction permette à Navinn de s'enfuir.

— Claude ? appelle cependant le jeune dictateur, sans bouger d'un pouce.

Une bouffée de chaleur envahit le visage d'Ange, la peur se rappelle à lui aussi rapidement que tombe la foudre. Son ennemi va contre-attaquer, que prépare-t-il ? s'effraie-t-il.

Le soldat roux hésite un instant. Mais après un rapide regard pour son chef, il s'engage à la poursuite de Kia et d'Ombre à travers la Forteresse. Le sang d'Ange bat à ses tempes, il ne comprend pas ce qu'il se passe. Ce n'était pas prévu, que Kia se fasse la mal, s'alarme-t-il. Ni que Navinn envoie son plus puissant allié à sa poursuite.

Le Briseur sent sa panique affluer, il doit ravaler sa salive pour tenter de la réprimer. Leur ennemi est sans défense devant eux, il va mourir ! tente-t-il de se rassurer. C'est la fin de la partie, l'avantage est de leur côté.

Pourtant, Ange sent qu'ils n'ont jamais été aussi près de perdre.

Navinn fait danser son regard amusé entre les deux Solal et lui. Un nouveau sourire naît dans ses grands yeux, il n'a plus rien d'un condamné à mort.

Le cœur d'Ange s'affole. Non, en réalité, leur ennemi n'est pas faible, réalise-t-il. Navinn n'a pas à susciter de pitié. Navinn fait des erreurs, mais ses plans sont bien plus robustes qu'il n'y paraît. Navinn est toujours plus fort qu'eux !

Il n'est pas qu'un enfant, il n'a jamais été qu'un enfant. Et eux, que lui ont-ils encore laissé faire ?

☽☼☾

— Kia !

Le cri de Glaëlle emplit le bureau. Motivée par l'adrénaline qui n'est toujours pas redescendue, la jeune fille se précipite à la poursuite du soldat roux qui s'est lancé derrière les deux Briseuses fuyantes. De ce qu'elle a vu pendant la bataille, ce gars-là est un danger ambulant. Il est violent, sanguinaire et fort, Glaëlle ne sera pas de trop pour l'arrêter. Elle s'est bien battue, elle refuse que des personnes qu'elle peut encore sauver meurent sans rien tenter.

La rouquine est la seule à agir. De tous les Briseurs encore debout, aucun ne bouge. Solal ne prend même pas la peine d'ordonner la rescousse de Kia. Ange reste près de lui, Isaac est hors jeu et personne d'autre ne semble s'inquiéter du sort des deux fuyardes. Personne à part Glaëlle, qui ne peut décidément pas les laisser seules. Elle n'hésite donc pas à filer, parce qu'il n'y a bien qu'elle qui semble disposée à agir. Elle ne peut pas laisser Kia se faire tuer !

☽☼☾

Ammond se remet à peine de la rouste que lui a infligée l'autre Briseuse qu'il voit Claude lui passer sous le nez, suivie de près par une troisième ennemi qui s'enfile dans les couloirs tortueux de la forteresse.

— Glaëlle ! appelle-t-on. Reviens !

Ammond passe une main sur son visage, plus qu'excédé. Il ne devait laisser passer personne, quel incapable ! s'énerve-t-il. Soucieux de tenir son rôle, il n'hésite pas plus longtemps. Il époussette ses bras couverts de poussière et se livre corps et âme à la poursuite des intrus.

La dernière à partir, la rouquine, est la plus facile à rattraper. Hésitante dans sa course, ne sachant pas exactement où aller, elle tombe bientôt entre ses griffes. Ammond ose espérer que Claude saura s'occuper des deux autres car lui, tandis qu'il neutralise cette Briseuse, il ne peut rien faire de plus.

— Arrête-toi ! lance-t-il à la jeune fille.

Comme si elle allait obtempérer bien gentiment ! se navre-t-il. Elle accélère, au contraire. Heureusement, Ammond est bon coureur et a tôt fait de la rattraper. Ce n'est qu'après qu'il se souvient qu'il était équipé d'un pistolet. Quel bel imbécile il fait, il aurait pu l'avoir à coup sûr malgré la distance, s'énerve-t-il. Maintenant, il est forcé de se battre à mains nues. Enfin, ce sera vite réglé, se rassure-t-il tout de même.

Le jeune fille glapit quand il lui saute dessus, mais a tôt fait de se reprendre. Elle se retourne, entraînant le jeune homme avec elle pour le plaquer au sol. Il se fait avoir en une poignée de secondes. Sans arrêter de se débattre pour autant, la rouquine se retrouve obligée de maintenir sa prise pour ne pas qu'il s'enfuit.

— S'il-te-plaît, ne bouge plus, lui demande-t-elle en grognant.

Le jeune homme étouffe. Il se contorsionne, tentant tant bien que mal d'échapper à l'étreinte serrée de la Briseuse, sans succès. Mais ce n'est pas si grave, songe-t-il. Tant qu'elle l'immobilise, elle ne va pas plus loin. C'est un plan comme un autre pour l'immobiliser.

— J'ai pas envie de te tuer ! râle-t-elle quand elle s'aperçoit de sa stratégie. Allez, arrête un peu.

Ammond se débat de plus belle, sourd à ses appels. Il ne peut tout de même pas réprimer un frisson quand la combattante lui place la lame de son poignard juste sous la gorge.

— Pourquoi tu t'acharnes ? s'énerve-t-elle. Je vais te tuer si tu continues ! Tu ne vas pas me dire que tu veux donner ta vie pour le dictateur, quand même. Il te paye si bien que ça ?

— Non ! s'offusque Ammond dans un sursaut.

Il la sent comprimer progressivement ses poumons : elle tente de lui faire perdre connaissance. Il commence à paniquer. Comment le punirait Navinn s'il échouait ? s'effraie-t-il. Il n'a pas envie de s'y risquer. Il doit vaincre cette ennemie pour sauver sa fiancée.

— Mais il est toujours mieux que vous, sales monstres ! aboie-t-il plus fort.

Sa voix chargée de véhémence surprend la Briseuse, qui relâche quelque peu la pression sur sa poitrine.

— Comment ça ? répète-t-elle.

Est-ce vraiment une question ? Peu importe, Ammond répond tout de même :

— Vous m'avez pris ma Fiona ! crache-t-il. Vous menez vos expériences inhumaines sur de pauvres malades qui n'ont rien demandé ! Je n'ose pas imaginer toutes les horreurs que vous leur faites subir. Moi, je peux pas accepter ça !

La jeune fille le contemple avec de gros yeux, sincèrement surprise.

— Attends, tu connais quelqu'un chez nous ?

— Oui, quelqu'un de malade qui souffre atrocement entre vos mains ! Vous allez voir, je vais la sortir de là !

Le rouge monte soudain aux joues de la rouquine. Elle saisit Ammond par le col pour le soulever et le monte à sa hauteur. Il est très léger. Le jeune homme grimace, sentant douloureusement son dos se contorsionner pour la suivre.

— Tu déconnes, mec ! raille-t-elle. Tu crois vraiment à ces bêtises ? Je vais peut-être t'apprendre un truc : les Briseurs, ils les soignent, les malades. Et tu ne peux pas savoir le nombre de personnes qui rêvent de les rencontrer rien que pour ça !

Le soldat se renfrogne. La jeune fille s'empourpre, elle est à deux doigts de lui écraser la tête sur le sol de frustration.

— J'ai tout sacrifié pour qu'ils s'occupent de mon frère, moi ! s'écrie-t-elle. On a traversé tout le pays alors qu'il était malade, on aurait pu mourir des milliers fois juste pour avoir une petite chance de les rencontrer ! Et toi, tu oses leur cracher dessus alors qu'ils ont pris en charge un de tes proches ? C'est pas croyable ! Quel abruti !

De colère et devant la mine répugnée de son adversaire, la jeune fille cède. Elle projette la tête de son adversaire contre le sol.

— Les Briseurs forcent pas les gens à être soignés, je te signal, ils ont bien assez de volontaires comme ça. Ta copine était forcément d'accord ! Et puis tu n'as pas compris qu'ils sont sa seule chance de survie ? Si tu veux la sauver, pourquoi tu aides Navinn ? Qu'est-ce qui cloche dans ta tête, abruti !

— Il m'a promis que je la récupérerai ! braille le soldat. Que s' il gagnait, il me laisserai aller la chercher ! Je l'aime, je l'aime de tout mon coeur, je ferais tout pour elle. J'ai un cœur, moi ! Même si vous lui avez lavé le cerveau, je la sauverai quand même ! Si on vainc les Briseurs, elle sera tirée d'affaire !

La rouquine éclate bruyamment de rire.

— Mais qu'est-ce que tu peux être bête ! se moque-t-elle. C'est donc ça qu'il t'a promis ? Et tu le crois vraiment ? Si Navinn gagne, il tuera juste ta copine avec tous les autres malades, mon pauvre gars. C'est ses restes que tu vas récupérer, oui !

Ammond cesse de se débattre, c'est comme si la force qui l'animait s'éteignait soudain. Il se transforme en masse inerte incapable de se mouvoir. Cette combattante a raison, réalise-t-il. Navinn tuera sa fiancé au même titre que le font les Briseurs. Le soldat doit se rendre à l'évidence : il ne peut sauver sa Fiona. Son cœur est à vif, il n'y a plus rien pour le protéger du désespoir.

La jeune fille le regarde en fronçant le nez, puis finit par le lâcher pour se lever. Elle a déjà trop perdu de temps ! s'alarme-t-elle. Debout devant son adversaire, elle se dépêche de recharger son pistolet pour partir rattraper les autres.

— Attend ! lui demande alors Ammond en attrapant sa cheville.

La jeune fille manque de tomber, et manque aussi de lui décocher un bon coup de pied dans la tête par colère. Que lui veut-il encore, ce déchet ?
Elle se calme cependant quand elle entend sa demande :

— Tu veux les sauver, c'est ça ? Alors laisse-moi t'accompagner ! Je sais où est la machine, on pourra la détruire.

La jeune fille s'arrête et l'observe, de plus en plus conquise par son regard vengeur. Il représente peut-être un danger pour les Briseurs, songe-t-elle. Mais il l'est davantage pour l'armée dans l'immédiat. Elle reconnaît que son aide ne serait pas de refus, surtout si elle peut lui permettre de sauver Vrane.

Kia ou son frère ? en vient-elle à se demander, en jetant un coup d'œil dans le couloir devant elle. Lequel des deux devrait-elle sauver ? Malgré quelques problèmes de conscience, le choix est vite fait, finalement. Sans compter qu'elle n'a aucune chance de rattraper les Briseuses et leur poursuivant, après s'être arrêtée aussi longtemps avec ce soldat. Si elle a une chance de sauver Vrane, elle doit la saisir, décide-t-elle en serrant les poings. Kia ne lui en voudra pas. La jeune fille prend donc son prisonnier pour guide, et ils filent tout droit vers la salle des machines.

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