1 - Stacey

Être mal jugé par votre entourage apporte certains avantages. Ils n'attendent rien de vous, vous n'attendez rien d'eux. Aux yeux de tous, je suis une débauchée, une allumeuse qui prend plaisir à écarter les jambes devant n'importe qui. J'aime baiser, c'est vrai, mais pas avec tout ce qui bouge. Tous ces préjugés à la con sont faux. Une femme aimant ça n'est pas forcément une salope qui ne se respecte pas. Je déteste qu'on m'étiquette comme facile sous prétexte que je suis active sexuellement. Je ne suis pas un objet. J'ai été tant de fois utilisée, plus jamais je ne le serais.

Il y a des années de ça, je me suis promis que je ne laisserai plus la peur parler pour moi. J'en ai fini avec elle. Mon cœur a brûlé et s'est éteint pour qu'il n'y reste, que de lui, un petit tas de cendre et de fumée. Aujourd'hui, je suis bien mieux sans ce sentiment qui m'a pourri la vie.

Si on me considère comme fille de petite vertu, j'ai néanmoins des principes. Je sais poser des limites. Je m'assure que la personne avec qui je couche ne soit pas en couple, qu'elle me plaise et qu'elle soit à un âge raisonnable par rapport au mien. Plus important encore, je reste un minimum sobre pour garder le contrôle de la situation et ne pas me mettre en danger. Hélas, il arrive des moments où je regrette cette dernière règle par exemple, là.

Étendue sur le lit d'un type dont je ne me rappelle plus le prénom, j'attends qu'il jouisse pour qu'enfin, ce coït se termine. Pourtant, cela a débuté il y a à peine deux minutes. Le front luisant de sueur, il s'échine au-dessus de mon corps à plonger en moi et à ressortir dans un rythme régulier. Pour tromper l'ennui, j'ai compté les secondes qui séparent chaque va-et-vient dans mon intimité. Un, deux, trois, quatre, stop. Entrée. Un, deux, trois. Sortie. Un, deux, trois, quatre, stop. Toujours la même cadence. La mine concentrée, il me ferait presque de la peine à se donner autant de mal pour me contenter. C'est ma faute. J'aurais dû me méfier quand il m'a promis une nuit de folie, même si, en soi, il n'avait pas tout à fait tort. Je m'emmerde follement.

La tête enfoncée dans l'oreiller, je me retiens de bâiller. Je feins de gémir pour que le pauvre garçon ne soit pas distrait. Inutile de briser sa fierté, certains l'ont fragile. Mes petits bruits buccaux lui suffisent si j'en déduis à son sourire prétentieux. Pendant qu'il enchaîne ses mouvements de hanches répétées, je me mets à réfléchir.

La nuit est tombée depuis longtemps et je n'ai toujours pas mangé. À en croire les gargouillis discrets de mon ventre, la faim commence à pointer le bout de son nez. Le pire, c'est que je ne suis même pas certaine d'avoir encore de quoi me nourrir. Si mes souvenirs sont bons, il doit me rester du fromage dans le frigo, sauf si la date de péremption est dépassée. Je note dans ma tête que des courses sont à prévoir. Alors que je m'apprête à en dresser une liste, le visage du type change d'expression. Ses yeux se ferment en deux petites fentes et sa bouche s'entrouvre pour former un « O » parfait. Tous ses muscles se crispent sous le plaisir qu'il ressent. À la gueule qu'il tire au moment de l'orgasme, on pourrait croire qu'il est sur le point d'éternuer. Les sourcils froncés, je me penche sur le côté pour ne pas recevoir d'éventuelles projections de postillons. Quand enfin il termine par un long son rauque et profond, j'en soufflerai presque de soulagement. Au moins un de nous deux qui a pris son pied.

Habituée à jouer la comédie, j'affiche un faux air ravi sur mon faciès auquel il me répond par un clin d'œil arrogant. Tandis qu'il se rallonge à mes côtés, j'en profite pour me lever. Hors de question que je m'attarde plus que nécessaire.

Mon amant d'une nuit se redresse pendant que j'arrange mes vêtements. Dans la frénésie, c'est à peine si on s'est déshabillé. Ce n'est pas plus mal, c'est un gain de temps considérable.

— Hé, tu t'en vas déjà ? me demande-t-il d'une voix rauque.

— Tu sais ce qu'on dit ? Toute bonne chose à une fin !

La déception marque ses traits. Les lèvres pincées, il prend la parole au bout de quelques secondes :

— Il pourrait ne pas y en avoir... C'était chouette, non ? Tu ne veux pas qu'on poursuive la soirée ?

Perchée sur un pied pour mettre mon second talon, je souris avec gentillesse quand je lui adresse ces mots :

— Bien que la proposition soit tentante, je ne peux pas. J'ai des impératifs tôt demain.

Ce qui n'est pas vraiment un mensonge. Ma voiture émet un bruit bizarre qui m'inquiète et pour me rassurer, je compte l'emmener à la première heure au garage pour un contrôle.

— Ah d'accord, alors une prochaine fois ?

Je récupère mon sac échoué par terre pendant que je lui réponds :

— C'est ça. Une prochaine fois !

— Hé, on s'appelle ? lance-t-il quand j'enclenche la poignée.

— Ouais, ouais, avec plaisir ! A plus !

— Mais, tu n'as pas mon numéro !

Exaspérée, je roule des yeux et l'ignore en fermant la porte. Une fois à l'extérieur de la pièce, je pousse un long soupir. J'ai craint que le mec insiste pour que je reste, ou pire, qu'on se voit une nouvelle fois pour plus. Dommage pour lui, je ne suis pas de ces personnes qui veulent être en couple.

Je préfère vivre de sexe et d'accords que d'amour et de désaccords.

Mes yeux balaient le lieu pour trouver la sortie. S'il fait sombre, cela ne m'empêche pas de distinguer la fille plantée en plein milieu du salon. Un verre à la main, elle me regarde de haut en bas avec dédain. Je n'ai aucun doute sur ce qu'elle pense de moi. De ma crinière bleue, mes tatouages colorés, mon maquillage et mes fringues, je ne passe pas inaperçue. Ma robe, en plus d'être courte, est provocante. Ce soir, j'étais en chasse. J'ai mis toutes mes chances de mon côté. Cela peut bien la déranger, il n'y a pas de mal à se faire du bien. À sa tenue de nuit, j'imagine qu'elle habite ici.

Putain, j'espère que ce n'est pas sa petite-amie ! Cela rendrait l'instant encore plus embarrassant.

La nana porte un jogging qui a vécu des jours meilleurs et un tee-shirt blanc délavé. Sur son visage, une grimace. Les cheveux châtains attachés en un chignon lâche et décoiffé montrent qu'elle vient tout juste de sortir du lit. Une coloc du gars, peut-être ? Les yeux alourdis par le sommeil, elle me juge.

D'humeur joueuse et dans un sourire moqueur, je nettoie à l'aide de mon pouce, une trace imaginaire sur mes lèvres.

— Dégueulasse.

Ce genre de rencontre n'est pas inhabituelle. Être une fille avec une forte libido me catalogue d'office comme une salope, une pute ou autres insultes bien fleuries. Je m'en moque, j'en joue, même ! Mais son coup d'œil attristé qu'elle lance au-dessus de mon épaule clarifie la situation. Ce n'est pas sa copine, sinon elle aurait eu un tout autre comportement, mais elle éprouve des sentiments pour lui, c'est indéniable.

— Oh, je vois.

Confuse, elle m'observe, troublée.

— Tu es amoureuse de lui, c'est ça ?

L'étonnement et l'effroi se succèdent sur son visage alors qu'elle jette un second coup d'œil dans mon dos. D'un doigt posé sur la bouche, elle m'invite à me taire et chuchote sur la défensive :

— C'est Thomas, son prénom.

— Hmm. Et tu l'aimes ?

Quelques secondes et... :

— Non, absolument pas.

Les joues rouges et les yeux fuyants, j'ai du mal à la croire.

— N'espère pas qu'il va le deviner comme par magie. Tu devrais lui dire ou lui faire clairement comprendre ! Et encore, même avec des appels de phares, je ne suis pas certaines qu'il captera.

Elle lâche un hoquet moqueur et, agacée, réplique la tête haute :

— Je n'ai pas de conseil à recevoir de toi.

— C'est bien dommage !

La fille sursaute au bruit de la porte qui s'ouvre et me lance un regard alarmé.

— De quoi qui est bien dommage ? demande le fameux Thomas. Salut Fanny !

Je me tourne vers lui et, par solidarité féminine, contourne la vérité.

— Qu'elle n'arrive pas à trouver le sommeil. Il me semble que c'est la pleine lune, ça doit être pour ça !

— On n'a pas fait trop de bruit au moins ? questionne-t-il en se frottant les cheveux d'une main.

Consternée, je l'avise en écarquillant des yeux.

— Quoi ?

La lourdeur. Je me frotte le front d'une main, désabusée par lui. Il m'a fallu deux minutes pour comprendre qu'elle n'était pas indifférente à son égard. Si c'était marqué en lettres rouges sur son front, il ne le remarquerait même pas ! Ça me dépasse. Qu'est-ce qu'elle lui trouve ?

Fanny, troublée, déclare :

— Non, c'est... ça va ! J'avais de la musique dans les oreilles. Je n'ai rien entendu.

Sa voix toute timide m'exaspère. Un peu plus tôt, elle montrait les crocs et la voilà devenue stupide face à lui. L'amour rend vraiment con.

Cela devient encore plus inconfortable. C'est le moment parfait pour enfin les quitter tous les deux.

— Bon, je vais y aller. Et Fanny, vraiment, tu devrais suivre ce que j'ai dit pour... Tu sais... Dormir ?

— D'accord, merci. J'y penserais ! réplique-t-elle du bout des lèvres.

— Tu ne veux vraiment pas rester ? m'interroge de nouveau son colocataire, une lueur d'espoir dans le regard.

D'un grand sourire, je déclare faussement navré :

— Vraiment pas ! Mais rester ensemble, toi et Fanny. Je suis certaine que vous passerez une agréable soirée tous les deux.

Et voilà que je me la joue cupidon, c'est d'un pathétique. Dans un geste d'adieu, je m'enfuis de l'appart et de l'immeuble.

Au contact de l'air frais sur ma peau, je me sens de nouveau respirer. J'inspire une grande goulée, la tête levée vers le ciel et les paupières fermées. Il aurait mieux valu que je me contente d'un bon vieux sex-toy au lieu de cette étreinte décevante. Sortir n'était pas une bonne idée.

Quand je suis plus détendue, je retourne à a voiture. Thomas m'a proposé de partager la sienne, j'ai refusé d'emblée. Je veux pouvoir être mobile n'importe où et n'importe quand. C'est toujours utile, surtout dans ce genre de cas. À la minute où je m'assois, je ne perds pas de temps et allume le contact pour pouvoir m'en aller.

Sur la route depuis cinq minutes, un voyant affiché sur le tableau de bord attire mon attention. Je suis certaine qu'il était absent tout à l'heure. Sa couleur rouge n'est pas pour me rassurer, pas plus que son symbole. Celui du moteur.

Agacée, mes nerfs lâchent et mon poing frappe le volant.

— Putain !

Sans perdre une minute, je me range sur le côté de la route et arrête mon véhicule. Si je ne m'y connais pas en auto, je sais que ce symbole est mauvais. Cette journée finie vraiment en beauté. Une baise désastreuse et une caisse défectueuse. Pour couronner le tout, je vais sûrement devoir attendre un long moment avant qu'on ne vienne me remorquer. Une chance que je ne sois pas nerveuse à l'idée de m'attarder ici, seule dans la nuit, coincée dans ma petite Titine. Après quelques secondes de recherche et d'insultes proférées, j'extirpe mon portable de mon sac pour appeler un dépanneur. La conversation technique ne dure pas longtemps. J'apprends que je vais devoir patienter une trentaine de minutes dehors, avec un gilet fluorescent sur le dos, avant qu'on vienne chercher mon véhicule.

C'est la merde. La grosse merde.

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