17. Deuxième flashback (texte gagnant)

J'essaie de me concentrer. Je ne sais pas si c'est le souvenir provoqué par le maître des Loups ou cette extrême proximité avec Shawn, mais je pense à l'hiver.
Montage par Jelsaloveuse

Flashback par Chess-raconte

Le souffle d'une fraîche soirée d'hiver se glisse silencieusement dans mes cheveux. Il carresse mon visage pâle, doux, réconfortant. Je ne sais pas à partir de quel moment j'ai commencé à apprécier le froid. Il devrait me glacer le sang, me pousser chez moi, m'attaquer si fort que je voudrais m'en défendre à coup de gants et de bonnet ; pourtant je ne ressens que du plaisir au frisson délicat qui agite ma peau au contact des flocons tombant.

La neige est apparue tardivement, cette année, et elle me manquait. C'est pour ça que je me suis enfuie de la prison qu'on m'impose pour tout foyer depuis des années, afin de me réfugier sous la noirceur de la voûte nocturne. Là, mes amis Nuit et Silence me portent bien mieux conseil que tous les professeurs qu'on me trouvera ne le pourront jamais. Ils ne me pressent ni ne m'exhortent, se contentant d'écouter sans un bruit les prières et les plaintes que je leur adresse dans un souffle.

J'ignore combien de temps j'ai passé là, assise dans l'herbe humide de glace fondue, les yeux fermés sur un monde auquel je doute encore appartenir. Peut-être dix minutes ? Peut-être une heure, ou même deux ? Le temps est illusoir, et bien peu de chose face à l'infini de l'univers. Il se compte en grains de sable quand ce qui nous entoure représente un désert entier. Et un deuxième, et un troisième...

- Diane... Diane !

Un éclat de rire vient briser ma tranquilité, mais je n'affiche qu'une joie naïve. Je me retourne au son de la voix de mon ami. Shawn court vers moi, tout sourire, les joues rosies par le vent qui nous mord et les yeux brillants. Il a les mains serrées, comme s'il gardait un trésor précieux enfermé dans un coffret.

Mes yeux le scrutent au loin alors qu'il s'approche, tandis que mon cœur fait une embardée, comme chaque fois, ces derniers temps, que le mouton est près de moi.

Ça m'a prit comme ça, il y a quelques jours. Comme une maladie qui se loge dans votre corps et prend racine dans l'ombre. Elle grandit, de jour en jour, s'épanouissant dans vos organes sans que vous ne notiez sa présence. Et puis un jour, elle devient trop envahissante pour que vous continuiez à l'ignorer, et d'un seul coup, vous la laisser sortir. Il est à ce moment déjà trop tard pour s'en défaire, alors vous vivez avec.

Oui, c'est un peu ce qui s'est passé. Un jour, tout allait bien, puis le lendemain, pouf ! Des papillons dans mon estomac et mon cœur qui joue ce tango effrené. Toujours le même rythme, entêtant, lancinant, et qui j'en suis sûre, me déchirerait les entrailles si je le laissais exploser.

C'est ça, une maladie. Un virus qui me suis partout, où que j'aille et quoi que je rêve. Une tumeur qui s'est développée dans mon âme et refuse de la laisser en paix. Un cancer qui torture mon cerveau en le retournant de mille pensées inavouables, toutes plus sordides et gênantes les unes que les autres.

Mais pourtant, la maladie n'affaiblit-elle pas ? On m'a toujours dit qu'elle frappait les Hommes pour les pousser à bout. Qu'elle amenait le trépas, ou le répis du rétablissement. Ce que je ressens ne me mène ni à l'un, ni à l'autre. C'est plus grand, plus fort, plus effrayant. Mais en même temps, terriblement agréable.

Un regard et je m'emballe, un geste et je défaillis. Quelle ironie lorsque ce qui vous tue est à la fois ce qui arrête votre cœur et le relance ! Je pourrais rater trois battements de suite, il suffirait que je pense à ce sentiment et l'electrochoc serait instantanné. Ce que je ressens m'emplit à la fois de la détresse de l'Enfer et du bonheur du Paradis.

Non, je ne peux pas être malade. Tout simplement car si j'étais malade, il y aurait un remède. Or il n'en existe pas pour ce genre de mal. Et même s'il était réel, je ne suis pas sûre que je voudrais le prendre. Oui, je suis à la merci de mes désirs et le pire, c'est que je les laisse faire avec une joie malsaine.

Essouflé, Shawn ralentit et se stoppe devant moi. Il n'a pas quitté son air ravit, et le voir si jovial me tire un instant de la morosité dans laquelle mes sombres pensées m'ont plongée.

Une fois de plus, je pensais à ma différence. Pourquoi une enfant de treize ans devrait-elle connaître ce genre de tourments ? C'est injuste, j'ai la sensation qu'on force mon esprit vers une maturité adulte. Je voudrais être aussi insouciante que mon mouton, à rire et jouer, crier ma joie de vivre comme chacun de mes camarades le fait. Mais voilà, certains grandissent trop vite et voient leur innocence leur être arrachée bien avant l'heure.

Mon seul réconfort est cet ami qui m'est si cher, bien au-delà de tout ce que je pourrais aimer dans cette vie.

Une simple présence aurait-elle ce pouvoir ? Celui de donner une joie plus grande que la planète à une personne pour qui elle est spéciale ? En ce qui me concerne, il n'y a que lui qui l'a, et je veux qu'il continue à l'exercer. Avec lui tout devient plus facile et plus léger. Je ne sens plus le poids du rejet peser sur mes épaules comme le ciel sur celles d'Atlas. Je n'entends plus les gens qui se moquent ou qui chuchotent dans mon dos, croyant que je leur suis sourde. Je ne vois plus le mépris dans les yeux que j'ai le malheur de croiser. Il n'y a plus qu'un visage ami, qui me sourit et me prédit la vie.

- Regarde, chuchote Shawn en me fixant.

Il ouvre ses deux mains, et un papillon s'en échappe pour voleter autour de nous. Ses couleurs chatoyantes miroitent sous la faible lueur des éclairages artificiels, lançant des reflets irrisés sur tout solide qui croise leur route. On croirait voir un arc-en-ciel vivant, comme libéré du ciel, qui explorerait le monde avant de disparaître.

- C'est magnifique, je murmure si bas que seul mon ami peut m'entendre.
- Comme toi, fait le mouton.

Il me regarde avec un air que je ne lui avais jamais vu avant. Comme si j'étais unique et fabuleuse. Comme si j'étais à l'origine du jeu de lumière qui éclaire son visage. Comme si c'était moi, le précieux trésor...

- Tu es comme une étoile, Diane, souffle-t-il en s'asseyant à côté de moi. Scintillante et éclatante.

Je rougis de façon incontrôlée. Ce sorcier qui contrôle mes émotions vient encore une fois de chambouler mon organisme. Je ne sais plus où je suis, je ne sais plus qui je suis. Mais je sais une chose, c'est que si être un étoile signifie vivre dans le ciel loin de lui, alors même en étant libre comme l'air, même en étant admirée pour mon éclat, je ne veux pas en être une.

- Mais, poursuit-il, contrairement aux étoiles, toi, tu n'a pas un milliard de semblables pour t'égaler. Tu n'en a aucune, en fait.

Je me sens soudainement mal à l'aise. Ces mots, j'en ai rêvé. Ce regard, je l'ai imaginé des millions de fois, sans jamais m'approcher de la perfection que j'y vois à cet instant. Et pourtant, je ne suis plus si sûre de vouloir entendre ce qui doit logiquement venir ensuite.

J'ai peur. Peur de perdre ces sentiments qui me sont si chers si je les laisse paraître. Peur qu'aller si loin n'embellisse pas les choses mais ne les brise. Peur que la personne la plus chère à mes yeux me soit arrachée violemment...

- On... on devrait rentrer, je lâche piteusement. Je commence à avoir froid.

C'est pas vrai, bien sûr. C'est un mensonge grossier, idiot et flagrant. D'ailleurs, Shawn n'est pas dupe et je vois la déception remplacer l'adoration dans ses yeux gris si fascinants. Mais c'est pour le mieux. Rien ne changera, tout va rester comme avant. On restera les meilleurs amis du monde, "toujours ensemble, pour la vie et plus encore". On ne brisera pas cette promesse d'enfants, échangée deux ans plutôt et qui bat comme le cœur, dans ma poitrine, dont il m'a fait prendre conscience.

On va taire les autres sentiments, ceux qui n'ont pas de droits et qui pourraient tout gâcher. Ce sera peut-être douloureux, mais la fin de tout le serait bien plus encore. On peut reffrené les pulsions qui nous jettent dans les bras l'un de l'autres, les regards trop tendres et les mots trop doux. On peut encore sauver notre relation d'avant.

Oui, c'est pour le mieux. Mais même moi, je ne crois pas à la possibilité d'un "retour à avant".

Montage de MelleDream

Merci Chess-raconte pour ce texte poétique ! Votez pour l'encourager et allez voir ses autres histoires sur son compte !

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