Prologue


Il était vieux, indubitablement. Ses pages commençaient s'écorcher et à jaunir. Sa couverture de cuire rouge semblait avoir tout vécu, les taches de gras et de peinture , les autocollants licornes ou dinosaures, les marques de doigts crasseuses et les plis.

Les générations aussi. Dans la famille, il semblait que le vieux carnet se soit passé de père en fils depuis des années, sans que personne n'ait la détermination d'y écrire plus de quelques jours d'affilée.

Ce qui était bien dommage, du moins du point de vue des feuilles lignées qu'il contenait, qui s'ennuyaient ferme lorsque personne ne venait gratter leur ventre de papier avec la pointe d'une plume trempé dans l'encre.

Quant au journal intime en lui-même, il y avait déjà bien longtemps qu'il n'avait rien eu de croustillant à se mettre sous les dents qu'il n'avait pas. Petit à petit, il en devenait neurasthénique et franchement bougon. À quoi cela servait-il d'avoir été relié avec minutie, d'avoir été capuchonné par une belle couverture en cuire teint avec soin et pourvu d'un ingénieux système de fermeture avec amour, si c'était pour finir en haut d'une étagère à prendre la poussière?

Il se souvenait très bien des dernières mains qui l'avaient saisi, ouvert. Une écriture tremblotante qui ne pouvait qu'appartenir à un humain d'un âge certain avait tracé minutieusement des mots en colonne, tandis que le carnet bouillonnait de rage. Une liste de commission.

Une. Liste. De. Commission !

C'était le contenu le plus intime qu'on lui avait livré depuis une dizaine d'années. Rien d'étonnant à ce qu'il soit au bord de la dépression si les seules infos dont il disposait étaient le nombre de fois qu'il y avait pas de viande au repas ( et donc de fois que la cousine végétarienne venait par semaine ) et l'état du transite intestinal familial...

Lui qui avait été conçu pour abriter les secrets, les confidences, les rêves les plus fous et être suivant comment asperger de parfum à la rose, se retrouvait relayé au rang de bloc-notes de base qualité. C'était ragent tout de même.

Le journal intime aurait pu dépérir ainsi encore bien des décennies si de nouvelles mains ne l'avaient pas attrapé un chaud après-midi d'été.

S'attendant au pire, il inspecta les doigts qui lui tournaient les pages. Ils étaient vifs précis et légers. Un ou une adolescente surement, étant donnée la taille des mains. Le vieux carnet adressa une prière muette au Dieu des papyrus et attendit. Quelques secondes plus tard, une plume ( un nouveau modèle à cartouche, lui sembla-t-il) vin chatouiller ses pages un rien décrépites. Il regarda les mots s'inscrire avec une délectation qu'il pensait avoir oubliée. Et lorsqu'ils furent écrits, il crut mourir de soulagement.

Cher journal...

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