Ils ne retournèrent pas dans leur chambre. 

Au contraire, le soldat les ramena vers les grandes salles communes. Dans l'une d'entre elles, la lumière n'avait pas été allumée et l'obscurité était presque totale. Ce fut celle où on leur indiqua de s' asseoir, à même le sol. Les autres clones étaient déjà là, comprit Ava en remarquant d'autres formes sombres dans la pénombre. 

Scott s'assit à sa droite, et Luca, derrière elle. 

La voix des hauts-parleurs, toujours la même:

- Restez assis. Ne bougez pas. Ne parlez pas. Ne vous endormez surtout pas.

Ava chercha à croiser le regard de Luca et Scott, mais l'obscurité était trop profonde. 

Elle était éreintée, elle avait tellement sommeil... Elle sentit une main effleurer son dos. 

Celle de Luca. 

Elle ne devait pas s'endormir.

Surtout pas. 

Pourtant, au bout d'un certain temps, ses paupières commencèrent à se fermer d'elles-mêmes. 

Elle secoua légèrement la tête pour tenter de se réveiller... C'est alors qu'elle entendit un coup de feu, résonnant dans la salle comme un coup de tonnerre. Elle sursauta violemment. Que... que s'était-il passé? 

Sur sa droite, elle entendit un choc sourd, comme un corps s'affaissant au sol, puis des chuchotis terrifiés.

- Silence. Maintenant, vous savez pourquoi il ne faut pas vous endormir. 

Ava sentit une brusque nausée l'envahir. Un clone avait eu le malheur de s'endormir. Et il avait été exécuté. Mais pourquoi tant de monstruosité? Pourquoi les traiter de cette manière? 

- On va passer cette nuit, chuchota Luca d'une voix presque inaudible. On va y arriver.

Ava essaya de s'en persuader, elle aussi. Le coup de feu l'avait réveillée, tout compte fait. 

Mais elle ne pouvait s'empêcher de penser qu'elle avait failli être à la place de celui qui avait été tué. Elle ne pouvait se permettre que cela recommence.

Elle ne pouvait pas se le permettre. 

Elle ne pouvait pas. 

Elle se força à garder les yeux ouverts.

Une minute.

Puis la suivante. Elle se concentrait sur les respirations des autres autour d'elle. Les battements de son propre cœur. Elle était vivante.

Jusqu'à ce qu'un nouveau coup de feu éclate. La nausée revint de plus belle. Mais elle n'avait pas le choix, elle devait rester éveillée et continuer. 

Elle était forte. 

Elle allait survivre. S'appesantir sur ceux qui mouraient ne lui servirait à rien.

Deux autres coups de feu eurent lieu avant la fin de ce qu'elle supposa être la nuit. 

Mais c'était fini. Cela ne lui importait plus.

Elle allait vivre, réalisa-t-elle avec un certain vertige lorsque les néons de la salle se rallumèrent finalement. Elle vit alors les corps, mais n'éprouva rien, cette fois-ci. Elle se leva et regarda Scott et Luca. Ils étaient vivants, tous les trois. Elle ne devait pas en demander plus. Dans le monde dans lequel ils vivaient, elle ne pouvait tout simplement pas en demander plus.

Ils eurent droit à quelques heures de sommeil, puis durent reprendre leurs tests. Ceux-ci durèrent plusieurs jours, peut-être cinq. Une journée de tests, maniement d'armes, repérage, connaissance de véhicules militaires... Ceux qui ne connaissaient pas les informations d'instinct étaient emmenés par les gardes. 

- Ils les tuent, dit Luca lors du troisième jour. C'est évident. 

- Mais alors, Pearl, murmura Scott en pâlissant.

- Désolé, Scott. Mais elle est morte. 

- Je vais...

La fureur brillait dans les yeux de Scott. 

Flamboyait, même.

- Non, tempéra Luca. Personne ne va rien faire pour le moment. Ce n'est pas prudent. Mais on leur fera payer plus tard, OK?

Scott finit par hocher la tête:

- OK. Mais pas trop tard non plus. 

- Promis. Mais visiblement, on peut aussi mourir comme ça, sans avoir rien demandé, et ça me rend fou. J'ai entendu des savants en parler, il s'agirait d'une déficience immunitaire présente chez certains d'entre nous...

- Magnifique, dit Ava. Il n'y a plus qu'à attendre et voir, alors. C'est tellement optimiste. 

- Avec un peu de chance, on pourra leur faire payer avant de crever, souffla Scott. 

Ava était bien d'accord. Et pourtant, au fond d'elle, elle ressentait cette rage étrange. 

Elle voulait se venger, certes. Mais plus encore, elle voulait vivre.

Elle sut le matin du jour de l'annonce qu'il allait se passer quelque chose de nouveau. 

On les entraîna, eux les quelques quinze clones restants, vers une partie du complexe qu'elle n'avait encore jamais vue. Un long couloir illuminé de spots qui crépitaient et produisaient une lumière fantomatique.

Au fond de ce couloir, une porte blindée. 

- Qu'est-ce que c'est encore que ça? marmonna Scott.

- On l'appelle l'électrise... répondit un scientifique. Elle va juger si vous êtes aptes à gagner le monde qui se trouve au-dessus de nous. Vous n'avez qu'à traverser.

Sans hésiter, Luca avança et traversa les rayons de lumière. Arrivé de l'autre côté, il se tourna vers Ava et Scott et leur sourit. 

Sans plus hésiter, la jeune fille traversa à son tour. Elle ressentit un bref picotement au creux de son ventre, puis plus rien. Enfin, Scott s'avança, et passa sous l'électrise... Mais alors, il tressaillit violemment et s'effondra au sol.

- Scott! cria Ava, horrifiée. 

Que s'était-il passé? Elle avait le cœur au bord des lèvres. Elle ne comprenait plus.

- Emmenez le corps. Il ne pouvait supporter le monde extérieur. 

En Ava, quelque chose se brisa, ou disparut. 

Luca la prit par le bras:

- Viens. 

Un garde ouvrit la porte blindée et leur fit monter un escalier. En haut... 

En haut, se trouvait une grande esplanade qui surplombait une ville, mais Ava ne savait pas laquelle. 

Le soleil se couchait à l'horizon. 

Le soir. C'était le soir.

- Luca, dit-elle. 

Elle avança vers le bord de l'esplanade. Puis elle s'assit, pour contempler cette vue dont elle avait tant rêvé.

Le ciel. Le ciel était partout.

Mais Pearl et Scott manquaient à l'appel.

Luca s'assit à côté d'elle.

Pour l'instant, ils étaient seuls, seuls avec le chagrin de la perte, mais aussi seuls avec ce monde qu'ils découvraient et qui était si beau.

Si beau qu'Ava eut furieusement envie de vivre. 

Luca la serra contre lui, prouvant que malgré les morts, malgré la souffrance, ils étaient vivants. 

Sous les rayons sanglants du soleil déclinant, les cheveux de son ami étaient presque rouges. 

Ava le contempla, puis passa ses bras autour de son cou et l'embrassa. Parce qu'ils étaient vivants. 

Un bref instant, Luca lui rendit son baiser, mais finit par la repousser:

- Arrête, Ava.

- Quoi?

- Tu ne m'aimes pas. Pas comme ça, je veux dire. 

Il secoua doucement la tête. 

- Et alors? dit Ava. 

- Un jour, j'espère que tu rencontreras quelqu'un que tu choisiras d'aimer. L'amour est quelque chose de magnifique.  

La tête d'Ava bascula sur son épaule. Elle était éreintée. Luca l'installa délicatement contre sa poitrine:

- Repose-toi un peu. Je pense que tu en as besoin. Ne t'inquiète pas, je veillerai sur toi.

Ava dormait déjà.