Kynvael:

ARTHUR:

Il finissait son service à sept heures du soir. Autrefois, son salaire lui suffisait pour payer le loyer et toutes leurs dépenses, à Eleanor et lui. Mais c'était du temps où la misérable somme d'argent laissée par leur père n'avait pas été utilisée. Arthur savait qu'il aurait dû contacter une aide quelconque. Il n'avait que vingt ans! Mais il avait tellement peur qu'on lui enlève la garde de sa petite sœur... Cela, il ne le supporterait pas. Il préférait donc se débrouiller par lui-même.
- Hé, Arthur!
Il récupérait son manteau et son sac et s'apprêtait à débaucher lorsque ses deux collègues, dans la vingtaine eux aussi, l'interpellèrent.
- Tu veux pas rester fumer une clope avec nous?
Arthur secoua la tête:
- Arrêtez, les gars. Vous savez bien que je ne fume pas...
En face de lui, le plus ancien leva les yeux au ciel.
- Ou boire un verre, peu importe. T'as compris ce que je veux dire...
- Désolé, je ne peux pas, marmonna Arthur. Je n'ai pas le temps, il faut que je rentre... Salut, les gars.
Il passa la lanière de son sac à son épaule et se détourna, se dirigeant vers la sortie du bar. Derrière lui, il entendit un dernier commentaire:
- Bon sang, mais quel rabat-joie! Tu n'étais pas aussi pénible, avant, Arthur!
Il l'ignora. Aucun de ses collègues ne pouvait comprendre. Eleanor et lui n'avaient plus rien.Et sa sœur était tout ce qu'il lui restait. Il devait se débrouiller pour qu'elle puisse continuer à aller en cours. Il lui était inconcevable qu'elle soit obligée de se mettre à travailler à quinze ans.
Arthur regarda sa montre. Il était sept heures dix-neuf. Il avait tout juste le temps de se rendre à son rendez-vous, à trois rues de là.
Il resserra les pans de son manteau. Un vent froid s'était levé sur les rues de la banlieue de San Francisco, et il décida de marcher plus vite pour se réchauffer.
L'homme l'attendait au coin d'une rue, scrutant les alentours avec méfiance. Lorsque les gens attendaient sa venue, ils étaient rarement décontractés, avait remarqué Arthur avec amertume. Mais il n'avait pas le choix. Lui et Ellie devaient survivre.
- Vous... commença l'homme en le voyant approcher.
- J'ai votre paquet, dit Arthur. Je suppose que vous vous souvenez du prix que nous avons fixé.
L'homme acquiesça et Arthur sortit une boîte cartonnée de son sac, de la taille de sa paume de main. Lorsque l'autre lui tendit l'argent convenu, la boîte changea demains. Là-dessus, Arthur se détourna. Voilà ce qu'il en était réduit à faire. 

Dealer, enfreindre la loi pour pouvoir rester avec Eleanor et que celle-ci ait l'enfance quelle méritait.

Mais sa soirée n'était pas finie. Il lui restait encore à descendre dans l'un des quartiers les plus mal famés de la ville, où il trouvait la plupart de ses acheteurs. Le lieu de rendez-vous était souvent le même, une grande boîte de nuit bondée la plupart du temps, le SEVENTH HELL. Ce soir-là, il entra parmi la foule, aussi nombreuse qu'à l'accoutumée. La plupart des personnes présentes savait ce qu'il venait vraiment faire ici. Il n'était d'ailleurs pas le seul dealer présent. 

Il n'était même pas le plus connu. Mais l'argent qu'il gagnait déjà de cette manière suffisait. Il savait qu'Eleanor n'aurait pas voulu qu'il prenne trop de risques. Il vendait toujours au même type de personnes. Ces hommes qui n'en pouvaient plus de leur travail. Et ces femmes qui sortaient pour oublier leur ennui. Parfois, il avait affaire à des jeunes, qui voulaient simplement s'amuser. Il ne leur disait pas que ce qu'il vendait pouvait ruiner leur vie. À quoi bon? Ils ne l'auraient pas écouté. 

Et Arthur avait besoin de cet argent.

Parfois, on lui payait un verre, plusieurs, même. Ces jours-là, il préférait ne pas s'en souvenir. Il laissait l'alcool l'abrutir, lui faire oublier à quel point la situation qu'il partageait avec Ellie était précaire. 

Mais dès qu'il revenait à lui, il se sentait irrémédiablement coupable, et c'était pire que tout. Ces soirs-là, il savait qu'Eleanor n'avait pas fermé l'œil, ne le voyant pas rentrer à l'heure convenue.

Mais au moins, il avait réussi à faire croire à Eleanor que c'était une connaissance à lui qui lui revendait la drogue. Qu'il ne risquait rien de ce côté-là. Elle l'avait cru. En réalité, c'était un mensonge. Il n'y avait aucune connaissance dans cette histoire. Il se rendait tout simplement au marché noir où circulait tout ce qui pouvait être prohibé. Sauf qu'il était hors de question qu'il révèle cela à Eleanor. Le marché noir était dangereux, et sa sœur n'imaginait même pas qu'il trempait dedans. 

La semaine précédente, il y avait eu une altercation, sans doute à cause d'une énième escroquerie. Trois hommes avaient été abattus. Il le savait car il s'y trouvait au moment où la scène avait eu lieu. Il avait quitté les lieux au plus vite, mais il ne pouvait s'empêcher de penser que ça aurait pu être lui. Il aurait pu prendre une balle dans la tête, et ce risque n'allait faire que se répéter, parce qu'il était obligé de se rendre dans ces endroits. 

Une voix le tira de ses réflexions, une petite voix timide:

- Excusez-moi...
Il était toujours dans la semi-obscurité de la boîte de nuit, près du bar, entouré de gens qui buvaient. Et cette petite jeune fille venait de se dresser devant lui, les yeux parfaitement clairs, aucunement embrumés par l'alcool, ses cheveux blonds impeccablement ondulés brillant sous la lumière des projecteurs. Elle portait une robe noire toute simple,et des ballerines sans talons, ce qui faisait qu'Arthur la dépassait de près de deux têtes. Lorsqu'elle riva son regard dans le sien, il comprit qu'il savait qui elle était.
- Arthur.
- C'est moi.
- Mon frère m'a donné de l'argent...
Il sentit son cœur se serrer:
- C'est pour toi?
- Non, c'est pour mon frère...
Elle indiqua de la tête un jeune adulte au yeux cernés qui attendait à une dizaine de mètres de là.
Arthur hocha la tête et ouvrit une nouvelle fois son sac pour en sortir le paquet habituel .
- Écoute, euh...
La fille le foudroya du regard et lui fourra l'argent dans la main.
- Ce n'est pas pour moi, je te dis! Et moi, c'est Kynvael.
Ébahi, Arthur la laissa prendre la boîte qu'il était en train de sortir de son sac.
- Ce n'est... pas commun comme nom, murmura-t-il.
Kynvael leva les yeux au ciel.
- Ouais. Ouais, je sais.
Cette attitude lui rappelait tant Eleanor!
- Kynvael... Quel âge as-tu?
- Seize ans.
Presque l'âge d'Eleanor. Ce n'était qu'une enfant.
- Tu ne devrais pas être ici, articula-t-il sans même avoir réfléchi.
Les yeux de Kynvael flamboyèrent.
- Ne me dis pas ce que j'ai à faire, je te prie. Tu ne me connais pas. Allez, salut. Et profite bien de la fin de la soirée.
Alors, elle se détourna, et la foule l'engloutit.


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top