OLIVER:

Cinq ans auparavant.

Point Hope. Alaska.

Oliver retira nerveusement le chargeur de son Sig Sauer, pour la énième fois.
Cela faisait cinq heures et trois minutes qu'Ava avait eu ses premières contractions.
Quatre heures et cinquante-six minutes que Violet et Katherine l'avaient emmenée à l'infirmerie.
Quatre heures et trente-deux minutes que Laura avait déboulé dans le couloir où Oliver attendait et lui avait reproché de ne s'intéresser qu'à Ava, ces derniers temps.
Quatre heures et trente minutes qu'Oliver lui avait avoué qu'il était fou d'Ava depuis qu'elle était arrivée. Que leur couple entre Laura et lui n'avait jamais été qu'une sorte d'arrangement.
Quatre heures et vingt-huit minutes que Laura lui avait jeté au visage que dans ce cas, elle préférait rompre avec lui, tout de suite. Elle était partie à  grands pas, rageuse, sa fierté meurtrie.
Depuis, il attendait nerveusement dans le couloir menant à l'infirmerie.

Il attendait depuis cinq heures et seize minutes lorsque Katherine sortit finalement, ses cheveux roux dépeignés, l'air exténuée:

- Putain, Oliver, on a eu de la chance. Elle a failli y rester.

Le cœur du jeune homme se serra:

- Mais elle va bien?

- Ouais, elle est fatiguée, mais ça va. Tu peux aller la voir.

Oliver se leva d'un bond et marcha jusqu'à l'infirmerie, dont il poussa la porte:

- Salut, dit Ava. 

Elle était allongée dans le lit, pâle et les yeux cernés.

"Mais au moins, elle est vivante, se dit Oliver."

Elle serrait son enfant contre elle, ce minuscule être qui avait failli lui coûter la vie. 

- Il s'appelle Angelo, dit Ava.

- Angelo, répéta Oliver, submergé par l'émotion. Angelo, né à Point Hope [Hope signifiant "espoir" en anglais]

- Disons qu'il me donne espoir, convint Ava. Je t'en prie, assieds-toi.

Oliver s'exécuta, mais alors, une douleur lancinante lui vrilla le dos, souvenir de la blessure par balle qu'il avait reçue en portant secours à Ava, lors de la mission où elle avait failli perdre son enfant. Une grimace involontaire lui échappa.

- Ça ne va pas? demanda Ava, l'air un peu inquiète. Fais-moi voir...

Oliver soupira et se retourna en soulevant sont-shirt à contrecœur. Il savait que sa cicatrice n'était pas très belle...

Ava poussa une exclamation stupéfaite:

- Tu devrais vraiment montrer ça à Katherine! ça ne devrait pas avoir cette tête... Mais... Attends, qu'est-ce que c'est que ça? 

Il comprit tout de suite que c'était la première fois qu'elle voyait son tatouage, celui qu'il avait fait faire juste après l'attaque des clones. Celui qui ressemblait à une croix traversée d'une flèche, mais qui représentait en réalité bien plus que ça...

- C'est un talisman runique, indiqua-t-il. Il fait fusionner trois runes viking. Tyr, qui favorise la détermination, Ewoh, la vie éternelle, qui représente la stratégie, la défense et l'éternité et Gyfu, qui... enfin bon, voilà , c'est un protecteur physique et spirituel, termina-t-il en remettant son t-shirt en place.

Il était à peu près sûr d'avoir rougi.

- OK, dit Ava en berçant Angelo. C'est intéressant.

- J'ai rompu avec Laura, tout à l'heure, finit par lâcher Oliver. 

La jeune mère écarquilla les yeux, visiblement très surprise:

- Hein? Mais pourquoi? Si ce n'est pas indiscret...

- Ava... Je me suis bien rendu compte quand on t'a trouvée à moitié morte que je n'avais jamais vraiment aimé Laura... ça n'a jamais eu rien à voir avec ce que je ressens pour toi, parce que je t'aime, comme je n'avais encore jamais aimé personne.

Ava s'empourpra, et finit par murmurer:

- Mais tu sais bien qu'il ne pourra jamais rien se passer entre nous!

Oliver avait espéré une réponse autre, mais aussi imaginé celle-ci, c'est pourquoi il répondit, ignorant sa déception:

- Je sais. Mais je serai toujours là pour toi, et Angelo aussi. Sois-en sûre.

Cela, au moins, n'était pas un mensonge.

LÉNA:

Léna fut réveillée par un bruit de pas précipités dans le couloir. Elle regarda l'heure: deux heures trente du matin. Elle se souvenait parfaitement d'où elle était. Au QG des rebelles. Dont Ava faisait partie.
Prenant garde à ne pas réveiller Mathieu, qui dormait toujours, elle se leva et marcha jusqu'à la porte, qu'elle entrouvrit.
Elle aperçut Ava et Oliver tourner au bout du couloir, visiblement très pressés. Curieuse, elle réussit à arrêter la personne suivante à passer devant elle, une petite jeune femme aux cheveux roux bouclés, ce qui lui rappela un peu Ginny. Mais contrairement à sa défunte amie, la nouvelle venue était plus petite et portait une paire de lunettes rétro. 

- Qu'est-ce qui se passe, en fait? demanda Léna. 

- Zaïa est revenue, avec Lou, qui faisait partie du groupe detrois qu'on avait envoyé en mission. Ses deux coéquipiers sont morts. C'était comme si les gens de Kriegs les attendaient sur le lieu de leur mission, paraît-il...

Le cœur de Léna se serra.

- Vraiment? J'arrive. 

Elle avait beau sortir tout juste du lit, peu importait: elle voulait savoir les détails de ce qui s'était passé. 

- Entendu. Je suis Katherine Moore, ajouta la jeune femme. Pilote. Et infirmière quand il le faut.

Elle soupira et amena Léna devant une salle de réunion. Ava et Oliver s'y trouvaient déjà , évidemment, mais Laura et Rhett étaient là aussi. Tous entouraient Violet et Zaïa, penchées toutes deux sur une fille aux cheveux blonds et frisés, qui secouait la tête en marmonnant:

- Ils ont ouvert le feu dès qu'on est arrivés. Il était censé n'y avoir personne, et la milice de Kriegs était là ! Ils ont eu Will et Stefan du premier coup...

- Merde, lâcha Oliver en se mordant la lèvre. Merde.

- Lou, est-ce qu'ils ont pu te suivre? demanda Laura sans perdre son sang-froid. 

- Je ne crois pas, répondit l'intéressée. J'ai fait un immense détour pour les semer. C'est comme ça que je suis tombée sur Zaïa...

- En tout cas, décréta Oliver, il faut que nous soyions prêts à changer de QG à n'importe quel moment. Si Kriegs parvient à nous repérer...

- Ecoutez-moi bien, lâcha brusquement Lou.

Tous les regards se braquèrent sur elle. 

- S'ils nous attendaient, c'est que quelqu'un leur a dit qu'on serait là . Il y a un traître parmi nous. ça me rend malade de le reconnaître, mais c'est la vérité. 

Le cœur de Léna rata un battement. Elle vit aussitôt Laura dévisager Ava avec insistance, mais celle-ci resta de marbre. Le déclaration avait plongé la pièce dans le silence, qui ne fut brisé que par l'intervention de Violet:

- Tu sais qui c'est? 

- Non...

- Tant pis, décréta Oliver. On a été unis jusque-là . Hors de question qu'on commence à se regarder comme des traîtres, maintenant. Je ne le supporterai pas. C'est peut-être faux,Lou. Juste un coup de malchance.

- Tu y crois? répliqua tristement la jeune femme.

- Oh, mais s'il y a un traître, on finira par le trouver, lâcha Laura. Je ne laisserai aucun d'entre vous courir le moindre risque. pas après tout ce qu'on a traversé ensemble. Je ne crois pas qu'il s'agisse de nos deux nouvelles recrues, même s'ils travaillaient pour Kriegs...

Elle indiqua Mathieu et Léna d'un geste dédaigneux, et, une fois de plus, cette dernière se sentit à deux doigts de lui faire ravaler son arrogance... Mais Laura n'avait pas fini de parler:
- A mon avis, c'est quelqu'un qui fait partie de notre groupe depuis plus longtemps... On finira bien par trouver. 

Son regard se planta dans celui d'Ava, menaçant. Mais l'amie de Léna ne broncha pas, et ne détourna même pas les yeux:

- Je n'en doute pas une seconde, rétorqua-t-elle posément. 

- En tout cas, dit Oliver, on est mal barrés. Voilà deux missions qui ont mal tourné, on vient de perdre des amis, comme si être à court de moyens ne suffisait pas... Je n'ai plusqu'à essayer de hacker quelques sites de banques...

- Tu es hacker? s'étonna Léna. 

- Ouep. Et pilote, aussi.

Il fit subitement une petite grimace et s'approcha de la porte de la pièce, qu'il ouvrit:

- Angelo, soupira-t-il, combien de fois t'a-t-on répété que c'est malpoli d'écouter aux portes? 

- Oups! lâcha le petit garçon, pris en flagrant délit d'espionnage.

Léna se dit qu'Angelo était décidément le portrait craché de son père. Ava croisa les bras:

- Depuis combien de temps tu écoutes comme ça, au juste? 

- Rien du tout! gémit Angelo. Et en plus, c'est vrai! Je voulais savoir si on allait devoir partir, c'est tout...

La mine d'Ava se fit soudain très triste, et elle alla prendre son fils dans ses bras:

- Je ne sais pas, Angelo. Je ne sais vraiment pas. Mais ne t'en fais pas pour ça. Tout se passera bien, mon cœur. Je ne laisserai jamais rien t'arriver.

- Je sais, dit Angelo. 

La voix de Mathieu résonna dans le couloir à cet instant précis:

- Bon sang, Léna, t'es où? 

- Excusez-moi... lâcha celle-ci à l'assemblée en sortant de la pièce. 

L'air affolé de Mathieu se dissipa lorsqu'il vit Léna:

- Tu vas bien! J'ai cru qu'il t'était arrivé un truc...

- Non, rien de grave, le rassura celle-ci. Enfin, on a quand même de légers problèmes...

- Oh, sans blague? 

Léna soupira et entreprit de tout lui raconter.

Le lendemain, tout le monde vaqua à ses occupations de manière quasi-normale: Violet, Zaïa, Luke et Alexander patrouillèrent dans les alentours, Lou et Katherine surveillèrent l'entrée du QG, Laura s'enferma dans la salle radio pour tenter de joindre d'autres rebelles, Rhett fit brûler le gratin, tandis qu'Oliver tentait de hacker les codes de la banque de Kriegs.
Le soir venu, tandis que quasiment tout le monde allait se coucher, il était toujours devant ses écrans.
Léna accompagna Ava au moment de coucher Angelo, qui avait sa propre petite chambre. D'une part, cela la sidérait de voir à quel point son amie était à présent une mère, à quel point elle aimait son fils à seulement vingt-quatre ans.

C'était quelque chose que Léna avait beaucoup de mal à concevoir, n'étant pas mère elle-même. Mais en tout cas, elle admirait beaucoup Ava...

- Bonne nuit, Angelo, conclut celle-ci en refermant la porte après avoir embrassé son fils. 

Léna et son amie se retrouvèrent seules dans le couloir. 

- Bon, Ava...

Léna tenait vraiment à poser la question, et à obtenir la réponse d'Ava elle-même:

- Est-ce qu'il y a quelqu'un dans ta vie? 

- Angelo, répondit aussitôt Ava.

- Non, je veux dire... Quelqu'un comme Oliver...

- Oh, lâcha Ava. Non. Et Oliver et moi n'avons rien à voir ensemble. Enfin, bonne nuit Léna. 

- Oui, bonne nuit à toi aussi.... 

Mieux valait ne pas insister...

Le lendemain matin, à 8h37 exactement, leur monde vola en éclats.