LÉNA

Un instant avant que leur fille ne leur tombe dans les bras, Léna avait regardé Mathieu. Et, tacitement, ils avaient choisi de garder le secret. 

Parce qu'il y avait dans les yeux de leur fille quelque chose qui rayonnait, un espoir que rien n'aurait pu éteindre.

Cynthia avait toujours été spéciale. Elle avait toujours su qui étaient réellement ses parents, qui elle était elle-même. Ce n'était pas quelque chose que Léna et Mathieu lui avaient caché. 

Mais à présent le compte à rebours avait repris... Ils étaient déjà tous sous le choc. Non, ce n'était pas aujourd'hui qu'ils le diraient à Cynthia. 

Les deux parents se contentèrent de serrer leur fille dans leurs bras, savourant l'instant, et le fait d'être réunis à nouveau. 

C'était la seule chose humaine qui demeurait dans ce paysage lunaire et froid qui les entourait, majestueux, immobile, totalement indifférent à eux, qui luttaient pour survivre.

ELEANOR

Elle se réveilla au beau milieu de la nuit. Non loin, deux voix chuchotaient, et elle reconnut celles de ses parents. 

- Tu sais exactement pourquoi je suis immunisée, disait sa mère. Toi, tu le sais. Un vaccin pourrait peut-être être élaboré à partir de...

- Ton sang? la coupa son père. Non. Je vais te paraître égoïste mais je refuse de voir des abrutis en blouse blanche te tuer à petit feu comme des vampires. Et tout ça pour quoi? Pour rien. Parce que cette maladie ne vient pas de notre monde. Et le remède ne s'y trouve pas non plus, malheureusement. C'est très clair pour moi. 

- Oliver...

- Tant que je serai en vie, je t'en empêcherai, mo álainn. Sois-en sûre. Le remède ne viendra pas de toi, s'il y en a un. Même si tu es ce que tu es. Il viendra de plus loin, bien plus loin...

Cette phrase laissa Eleanor complètement perplexe. Elle ne comprenait pas ce que son père sous-entendait. Mais la fatigue reprit très vite le dessus et, bien malgré elle, elle se rendormit.

LÉNA

Elle s'était endormie la tête contre le hublot, et lorsqu'elle se réveilla, la première chose qu'elle vit fut les deux personnes revêtues de parkas qui s'approchaient de l'avion. 

- Mathieu, murmura-t-elle, croyant d'abord à un rêve. 

Celui-ci se frotta les yeux, abasourdi, avant de marmonner:

- Mais... y a des gens! Hé, tout le monde, réveillez-vous! 

Ava, qui était la plus proche de la porte, se précipita pour ouvrir et, avant que Léna ait pu protester, arguant qu'ils ne connaissaient pas les arrivants, ceux-ci étaient grimpés à bord. 

Le premier retira sa capuche, révélant des cheveux d'une étrange couleur rouge à la coupe asymétrique. Il était bien plus jeune que ce à quoi Léna s'attendait: à peine vingt ans, visiblement.

- Vous avez de la chance qu'on ait vu votre fusée de détresse. Et nous aussi, indubitablement. 

Sa voix était grave, mais chaleureuse. 

- Moi, je m'en fiche, grogna celui qui avait gardé sa capuche. C'est ce timbré qui n'a pas voulu me lâcher jusqu'à ce qu'il vous ait retrouvés... et... Violet?

- Hein? marmonna l'espionne.

Le second homme repoussa à son tour sa capuche. Avec des cheveux bruns en bataille et un petit sourire incrédule, il devait avoir l'âge de Violet:

- Je suis Mike Winters. Ça fait bien quinze ans et je te croyais morte, Vi, mais...

- Violet, intervint Jules en fronçant les sourcils, c'est qui ce gugusse? 

- Mike? fit Violet. C'est vraiment toi?

- Ben ouais. Si on m'avait dit que je te trouverais là... 

- La vie est pleine de surprises. J'ai donc survécu à l'apocalypse et, relax Jules, ce gars est mon cousin. 

Mike et Violet se mirent à parler, si vite que Léna ne tarda pas à perdre le fil de la conversation. Le jeune homme aux cheveux rouges se tourna alors vers elle:

- Moi, je m'appelle Jakob Raeburn. Et j'ai besoin de votre aide pour être pris au sérieux par le gouvernement. Parce que j'ai un moyen de récupérer un remède. 

Tous cessèrent de s'agiter pour le dévisager.

- Voyez-vous, dit Jakob, je suis le descendant d'une très lointaine lignée, qui remonte à la création du monde... Et même des mondes précédents. 

- Au début, dit Mike, j'ai juste cru qu'il était cinglé. 

- Je ne suis pas... Bref, il y a eu trois mondes avant le notre, disparus il y a si longtemps qu'aucune trace n'en subsiste: le premier fut détruit par la glace, le deuxième par le feu, le troisième par une technologie trop importante, et le quatrième, le nôtre, sera décimé par la maladie si nous ne faisons rien. 

- Allons donc, lâcha Mathieu. 

- J'en ai entendu parler, mais je pensais que ce n'était que des histoires, dit Ava.

- Je vous assure qu'elles sont vraies, déclara Jakob Raeburn. Le troisième monde, vous le connaissez sous le nom de l'Atlantide, ou Atlantis.

- La cité engloutie, dit Cynthia, et Jakob opina avant de poursuivre:

- Mais en réalité, je suis moi un descendant de Mu, le peuple rival des Atlantes. La guerre qui a déchiré ces deux nations les a anéanties toutes deux, mais certains habitants de Mu ont réussi à fuir, et je suis leur descendant. Mon petit frère me dit souvent que notre histoire a l'air d'un délire, mais... C'est vrai. 

- Et? fit Zaïa. Qu'est-ce que ça nous apporte de savoir ça avant de tomber malade et mourir?

- C'est que... mes ancêtres possédaient le remède. Et, depuis que la météorite est arrivée, j'entends leurs voix dans ma tête, et... j'ai des visions. Ils étaient si avancés qu'ils possédaient le remède que nous cherchons en vain. Ils pourraient nous l'envoyer. 

- Nous l'envoyer? répéta Oliver, qui s'était approché d'eux.

- C'est là que ça devient encore plus tordu, prévint Mike. Accrochez-vous. 

- Le propre de ces civilisations était leur maîtrise absolue de l'aérospatial, reprit Jakob. Parfois, quand j'entends leurs voix, je peux aussi dialoguer avec eux. D'après ce que j'ai compris, mes très lointains ancêtres de Mu peuvent programmer une capsule satellite pour qu'elle s'éloigne de la Terre à leur époque, puis fasse demi-tour afin de revenir vers la planète à notre propre époque. 

- Avec le remède, dit Léna, dubitative.

- Oui.

- Mais, intervint Cynthia, ces civilisations ont vécu il y a combien de temps, au juste?

- Longtemps, admit Jakob. Très longtemps. Le temps pour leur monde de disparaître et pour le nôtre tel que nous le connaissons de se créer...

- A vrai dire, dit Mike Winters, si au début je ne le croyais pas, il m'a sorti des arguments très convaincants...

Léna l'encouragea à poursuivre d'un signe de tête, mais alors Jakob Raeburn se plia en deux, les yeux fermés. 

- Et voilà que ça le reprend, se désola Mike sans toutefois bouger d'un pouce.

La première à réagir fut Eleanor, qui tendit le bras vers le jeune homme pour le retenir.

- Non, Eleanor, chuchota Ava, comme si elle avait pressenti la suite. 

Car aussitôt qu'elle toucha le descendant de Mu, sa fille s'effondra à son tour, les yeux révulsés.

- Eleanor! crièrent Oliver et Angelo en choeur. 

Tout comme Cynthia, ils firent mine d'aller vers elle, mais Jules s'interposa, gardant son sang-froid comme à l'accoutumée:

- Je crois qu'il vaut mieux ne pas intervenir... Je ne sais pas ce qui lui arrive, mais je pense que ça n'arrangerait pas les choses...