ELEANOR

Au fond d'Eleanor, quelque chose hurla. Une douleur lancinante explosa dans sa tête, puis s'évanouit, aussi vite qu'elle était apparue.

Ses yeux se posèrent sur Jakob et son père, roulés en boule sur le sol, tremblant. Ils ne semblaient pas se rendre compte de sa présence. Comme s'ils étaient traumatisés.

Elle entendit la voix de son frère:

- El'!

- Ne viens pas! cria-t-elle. Cynthia et toi, restez à l'écart! 

Elle se précipita vers Jakob, le plus proche d'elle. 

- Jakob, tu m'entends? s'écria-t-elle en lui attrapant les épaules pour le secouer comme un prunier.

Lorsqu'elle croisa son regard, elle faillit perdre espoir. Il avait l'air d'être complètement absent. 

- Jakob, insista-t-elle néanmoins. C'est moi, Eleanor. Rappelle-toi! Eleanor! 

Un éclair de compréhension brilla dans les yeux du jeune homme. 

- E...

Mais il était déjà en train de repartir. Et Eleanor ne devait pas le laisser faire! 

- Jakob, regarde-moi! Comment s'appelle ton petit frère? 

Dans l'urgence, c'était tout ce qu'elle avait trouvé pour lui rappeler qui il était, mais cela sembla marcher. 

- Il s'appelle... bredouilla Jakob. Il s'appelle Dave Raeburn. 

Eleanor l'aida à se lever.

- Est-ce qu'il te ressemble? demanda-t-elle.

- Un peu... Pas tant que ça... Mais...

Elle l'entraînait déjà hors de la grotte. Il n'y avait que quelques pas à faire. Et ils les firent.

Une fois dehors, Jakob se mit à tituber de plus belle, mais heureusement, Cynthia s' empressa de le soutenir. 

- Je retourne chercher Papa, décréta Eleanor. 

- Attends, je viens! ajouta Angelo. 

- Non! Non, je ne sais pas si tu pourrais être affecté toi aussi... C'est trop dangereux et incertain, reste là, je t'en conjure!

- Mais, Eleanor...

- Jakob a besoin de Cynthia et toi. Je reviens tout de suite.

Là-dessus, Eleanor pivota et se mit à courir vers son père, prostré sur le sol noir.

OLIVER

Il était seul.

Autrefois, des compagnons s'étaient tenus à ses côtés, mais à présent, il était seul.

Seul avec cette cathédrale de verre, qui semblait dévorer ses sentiments, ses souvenirs, ce qu'il était, son essence même.

Ç'aurait pu être terrifiant, s'il ressentait encore quelque chose.

Mais il ne ressentait plus rien.

Ses souvenirs valsaient devant ses yeux sans même qu'il y prête attention. Jusqu'à ce qu'un regard bleu croise le sien. Ava. Comment avait-il pu oublier Ava? Les enfants avaient réussi à quitter ce lieu, il en était certain. Mais Ava... Elle était loin, mais quelque part elle devait encore se battre, même si la cause était perdue d'avance.

Sauf que... Il était en train de mourir. Si elle était là... Est-ce que ça voulait dire qu'elle aussi...?

Il voulut dire son nom, une dernière fois, avant que sa voix ne meure avec lui:

- Ava...

- Non, papa, c'est Eleanor. 

Ce nom...

Eleanor. 

- Il faut qu'on s'en aille! 

Et brusquement, il la vit. Pas seulement ses yeux, mais ses cheveux d'or rouge, ses mains qui tentaient frénétiquement de le remettre debout. 

Sa fille, Eleanor Saorsa, les yeux brillants, aussi brillants que les cristaux de la grotte...

- Papa!

Il y avait tant d'urgence dans sa voix que quelque chose se réveilla complètement en lui.

- Tu as toujours le sac? demanda Eleanor. 

Il posa sa main sur celui-ci, un geste étrange, comme si, quelque part, il avait oublié comment le faire. 

- Oui. Oui, je l'ai. 

Ces quelques mots le sortirent de son état d'hébétude. Il se leva, et Eleanor agrippa son bras. Il lui sembla qu'elle allait le lui arracher. 

Il courut, ou plutôt trébucha jusqu'à la sortie, tandis qu'elle le guidait. Et lorsqu'enfin, le soleil balaya son visage, un bruit, un gémissement qui n'était pas de ce monde résonna.

ELEANOR

Angelo écarquilla les yeux:

- Vite! Il faut reculer! Vite! 

Cynthia et lui s'éloignaient déjà, poussant Jakob devant eux. Mais alors, Angelo stoppa après avoir lancé un regard à Eleanor et Oliver qui avaient pris du retard:

- Continuez, je vous rattrape! cria-t-il à Cynthia et Jakob.

Le coeur serré, Eleanor vit son demi-frère rebrousser chemin et revenir vers son père et elle. Le gémissement était à présent si aigu que la jeune fille devait se concentrer pour l'ignorer et pouvoir faire un pas. C'était intenable, c'était...

Angelo les rejoignit au moment où son père marmonnait:

- Ça ne va plus durer très longtemps...

- Hein? marmonna Angelo en écarquillant les yeux. 

- Baissez-vous! Immédiatement! 

Eleanor ne comprit pas ce qui lui arrivait lorsque son père la projeta en arrière. Elle atterrit lourdement sur le sol vaguement enneigé. Son père et Angelo se jetèrent à ses côtés.

Alors, le bruit cessa. 

Au moment-même où, derrière eux, la sculpture de verre sombre explosait. Eleanor sentit de minuscules éclats effleurer sa tête, mais ils ne la touchèrent pas vraiment. Au même instant, le sol trembla, alors que la chose au cœur de laquelle ils s'étaient trouvés quelques instants auparavant s' effondrait.

Lorsqu'elle se redressa finalement, seuls quelques morceaux brisés en subsistaient au sol. Jakob et Cynthia étaient indemnes, tout comme son père. Angelo, lui, avait été légèrement blessé au bras par l'explosion, mais il assura à Eleanor que tout allait bien. 

- Nous avons la météorite, dit Oliver. Il n'y a plus qu'à aller à Kourou et lui offrir son billet de retour. Le plus vite possible, parce que l'horloge tourne. Et vous avez vu. Le magnétisme a cessé. On va pouvoir décoller, je crois que la météorite s'est rendormie pour le moment...

- Tout à fait, dit Angelo. 

- Merci, Eleanor, souffla Jakob. Merci de m'avoir sauvé la vie. 

L'intéressée sourit:

- S'il fallait le refaire, je le referais sans hésiter. 

C'était la vérité. 

- Mais au fait, demanda Cynthia, comment as-tu fait pour ne pas succomber au magnétisme de la météorite, Eleanor? Oliver et Jakob...

- Oh, ça? répliqua Oliver. Je n'ai qu'une... hypothèse. Elle a la même immunité qu'Ava, aussi... fou que cela puisse paraître. Mais on verra ça quand on aura un peu plus de temps. Il faut vraiment y aller, maintenant. En route!

AVA

Trois jours. Trois jours qu'elle passait tous leurs tests, prises de sang, scanners, IRM. Et qu'elle en profitait pour repérer discrètement le complexe. Un garde la suivait la plupart du temps, toujours le même. Un peu plus jeune qu'elle, et elle avait bien remarqué la manière dont il la regardait. 

 Ava bailla ostensiblement. Comme elle l'escomptait, il ouvrit aussitôt la bouche:

- Désolé, il n'y a pas grand chose à faire par ici...

- Ce n'est pas grave, sourit-elle. Je parie que vous aussi, vous préféreriez être ailleurs...

Le garde haussa les épaules:

- Il y a quand même pire...

- Moi, c'est être enfermée entre ces quatre murs, tout le temps... Je n'en peux plus!

Elle vit dans le regard du garde qu'elle avait déjà gagné.

- C'est à dire que... murmura celui-ci avant de reprendre plus fort: si vous voulez, je peux sans doute vous faire sortir d'ici, pour un court instant...

-  Vraiment? J'ai entendu dire que le président avait un Falcon 7X... Je n'en ai jamais vu...

Le tout pour le tout.

- Oui, il est à la base, mais...

La base, où se trouvaient les autres hélicoptères. C'était bien là qu'elle devait aller. 

- Après, lâcha-t-elle, je peux évidemment comprendre que vous n'ayiez pas le droit de m'y emmener...

Il fit une grimace, puis finit par sourire:

- Pour une petite heure... Ça ira. Ce n'est pas non plus comme si on sortait de l'enceinte de la base... Venez avec moi.

Ava eut toute la peine du monde à contenir son excitation. Elle avait réussi! La première partie de son plan avait marché... Elle espéra que tout se passait bien pour ses amis et proches, où qu'ils soient, et suivit le garde.