Chapitre quatorze

"C'est toi Emma?"

Elle entreprit de ne pas répondre bien sûr, mais Henry la devança en s'avançant un peu, un sourire en coin sur le visage.

"C'est elle." lança-t-il.

"Tu as un frère?" lui demanda la rousse à droite, surprise.

Elle secoua la tête négativement, tandis que le gamin à côté la hocha, serrant sa main plus fort dans la sienne, ce qui lui arracha un faible sourire, qu'elle ravala vite en reposant son regard sur la très probable peste en face d'elle.

"Tu sais ce qu'il a, le nouveau?" lui demanda-t-on.

"On se demandait ce qu'il avait." dit celle qui l'avait abordée.

"En quoi ça te regarde? Tu ne sais même pas comment il s'appelle." cracha Emma.

Elle ne supportait pas les gens qui faisait sembler de s'intéresser, pour ensuite raconter n'importe quoi à la moitié du lycée.

C'est ce que faisait Anna parfois, et ça avait été le sujet de nombreux conflits.
Une fois, alors qu'elle ne connaissait le groupe que depuis quelques semaines, elle avait entendu la jeune fille parler d'Ashley, cette fille qui avait arrêté le lycée à cause du harcèlement, et cela l'avait mise hors d'elle. Elles ne s'étaient plus parlé durant plusieurs jours, jusqu'à ce qu'Anna reconnaisse ses tords auprès d'Emma et surtout auprès de la principale concernée.

"On pensait que tu savais ce qu'il se passait, je l'ai vu en allant chercher ma sœur tout à l'heure." expliqua la rousse.

"Tu l'as vu où?" s'enquit Emma, les sourcils froncés.

Et pourquoi était-il avec la sœur de cette garce, surtout?

Elle secoua presque imperceptiblement la tête pour ravaler cette stupide réflexion.

"A l'hôpital. Ma sœur est infirmière."

Elle crut le temps d'un instant que ses jambes allaient lâcher, mais elle se reprit rapidement. C'était peut-être rien, il faisait peut-être simplement un contrôle de routine, il devait en avoir souvent pour sa maladie.

"Il est arrivé en brancard, on se demandait s'il avait eu un acci..."

Elle n'écouta pas la fin de sa phrase, portant sa main à sa bouche, son cœur sembla même s'arrêter sur le moment.

Elle poussa les filles qui se tenaient devant elle, entraînant Henry avec elle, se mettant à courir jusqu'à sa voiture.


¤¤¤¤

Les portes s'ouvrirent et l'odeur presque nauséabonde parvint au nez d'Emma. Elle regarda un instant les gens assis, le visage tordu par l'inquiétude, comme devait l'être le sien.

Elle ne savait pas à qui s'adresser, ni quoi faire, ni où aller ni rien de ce genre.

Henry arriva à peine trente secondes plus tard, et d'un calme désarmant, il s'avança dans la pièce, attrapa à nouveau la main d'Emma et la conduisit jusqu'à une salle adjacente à celle par où elle était entrée.

Elle marchait en rond depuis à peine quelques minutes mais cela lui sembla être de longues heures, interminables.

Henry quant à lui, mangeait tranquillement son chocolat, assis sur une des chaises. D'une certaine manière, le fait qu'il soit si calme l'apaisait, la forçant à ralentir ses pas, puis finalement à s'asseoir à côté de lui.

"Ça va aller..." murmura-t-elle.

Elle prit de grandes inspirations pour tenter de retrouver une respiration normale, continuant de répéter encore et encore que tout irait bien.

Et avant qu'elle ne s'en rende compte de lourdes larmes perlaient sur son visage, rendant ses joues brillantes sous la lumière des néons.

A chaque minute qui passait, le cœur d'Emma se serrait un peu plus, et elle n'arrivait pas à cesser de pleurer.

Elle se foutait bien qu'elle soit devant un tas de gens, tout ce qu'il lui importait était Killian à cet instant.

"Emma? Ça va aller tu sais." lui dit Henry en posant sa main sur la sienne, une fois qu'elle eût arrêté de le répéter.

"Mais... Et si... si je n'avais pas le temps de lui dire..." sanglota-t-elle.

Ses pleurs redoublèrent et elle laissa tomber sa tête entre ses mains, ses épaules se secouant frénétiquement.

Elle ne croyait pas en Dieu, ni en rien de surnaturel ou d'incroyable, mais à cet instant, elle pria.

Elle pria pour avoir le temps qu'il leur manquait.

Elle avait fini par s'endormir sur les chaises de la salle d'attente, et Henry la réveilla tandis que le soleil commençait à se lever.

"Emma on doit rentrer, ils vont voir que nous sommes partis sinon."

Elle se releva brusquement, guettant si il y avait quelqu'un d'autre qui pourrait lui donner des informations sur Killian, l'infirmière de nuit n'étant pas particulièrement coopérative, mais le guichet était fermé.

"Je te raccompagne au foyer." accorda-t-elle en attrapant sa veste, sortant ses clés de voiture.

Prendre un peu l'air lui ferait du bien de toute façon, elle avait l'impression d'étouffer là-dedans.

Elle conduisit en silence jusqu'au foyer, ses doigts pianotant nerveusement sur le volant alors qu'Henry ne cessait de la fixer.

Elle s'arrêta un peu en contrebas de la rue afin qu'on ne les voie pas, puis elle fit signe au petit de descendre et il secoua la tête, surpris.

"Tu viens pas? Tu vas te faire prendre!" s'exclama le garçon.

"Je m'en fiche, je dois le voir." affirma-t-elle fermement.

Henry esquissa un léger sourire, puis hocha la tête, sortant de la voiture.

Elle ne partit qu'une fois qu'elle le vit remonter dans la chambre, et elle ne put s'empêcher d'être une fois de plus impressionnée par l'agilité dont il faisait preuve.

Elle comprenait pourquoi les services sociaux pensaient ses grands-parents s'occupaient mal de lui, il avait visiblement tout fait pour qu'on pense que ce soit vraiment le cas. S'il fuguait souvent, il n'y avait pas de doutes qu'on devait se demander pourquoi.

Emma retourna ensuite à l'hôpital, recommençant à marcher sur place, résistant à son envie de frapper les infirmières qui passaient sans lui accorder la moindre importance lorsqu'elle tentait d'avoir des nouvelles de Killian.

Elle attendit ainsi probablement une heure de plus, avant que les infirmières de nuit aient fini leur service et que d'autres arrivent.

De ce fait, une brune âgée de la trentaine qu'elle avait vue rentrer en habit de ville ressortit du vestiaire vêtue de bleu, la regarda un instant avant de se diriger vers elle.

"Bonjour, je..."

"Killian Jones." murmura-t-elle d'une voix presque suppliante. "Dites moi que vous avez des nouvelles s'il vous plaît."

"C'est le jeune homme qui est arrivé hier soir?" demanda-t-elle.

Sa voix et sa prestance étaient apaisantes, et son regard empli de gentillesse, si bien qu'Emma regretta sa précipitation.

Elle en avait juste marre de ne pas savoir.

L'infirmière lui sourit lorsqu'elle hocha la tête.

"Je vais me renseigner auprès de mes collègues, va chercher quelque chose à la cafétéria, j'en saurai plus quand tu reviendras, d'accord?"

Elle souffla un peu, tentant de relâcher la pression, puis hocha la tête.

¤La veille¤

Killian regarda la voiture jaune s'éloigner, fourrant les mains dans ses poches.

Il resta longtemps dehors, jusqu'à ce qu'il soit trop fatigué pour rester davantage debout, en vérité. Il rentra finalement chez lui, et lorsque sa mère le vit, elle se précipita vers lui.

Elle prit son visage en coupe, lui faisant un de ses sourires qui lui faisaient oublier le temps d'un instant qu'il était malade.

Elle sonda son regard et cela lui suffit pour comprendre la raison des larmes de son fils, elle lui murmura:

"Tu devrais lui dire Killian."

Il soupira, tentant de retenir ses larmes.

Le jeune homme finit par s'éloigner de sa mère, et monta dans sa chambre, sans un mot.

Il savait que s'il tentait de parler, il ne serait plus capable de les contenir. 

Il n'avait pas réalisé à quel point il tenait à elle, en réalité, et il était si effrayé de la perdre.

Et pourtant c'est ce qui arriverait s'il continuait à lui mentir, et aussi s'il lui disait la vérité. 

Killian n'avait pas d'issue.

Il entendit quelqu'un toquer doucement à sa porte, puis sans attendre sa réponse, Liam entra, s'asseyant sur son lit, juste à côté de là où lui était assis, la tête entre les mains. 

Son frère posa sa main dans son dos, le frottant comme il avait l'habitude de le faire lorsqu'il était petit et qu'il pleurait l'absence de leur père.

Dieu qu'il lui manquait. Ses grands yeux bleus dont il avait hérité, sa voix apaisante et les contes qu'il lui racontait le soir, la façon dont il parlait de l'océan ou les balades en mer, les après-midi à retaper le Jolly Roger ou faire la cuisine, les soirs où il le bordait, ou les regards tendres qu'il lançait à sa mère. Tout lui manquait.

Cela devait manquer à Liam aussi, bien qu'il n'en montre rien. Il était bien trop fier et avait eu trop longtemps de la rancœur pour son père pour montrer le moindre sentiment envers lui. Pourtant, Killian savait que la mort de Brennan les avait affecté tous les deux. 

Killian s'était replié sur lui-même, était devenu un petit garçon sans aucun espoir, tandis que Liam était devenu une caricature d'un père. Trop protecteur -et cela bien avant qu'il n'ait appris pour la maladie de son cadet- mais pas assez bienveillant, égoïste et fier, sans pour autant se montrer assez détestable pour qu'on ne l'aime pas.

Ainsi, lorsque Killian était solitaire et n'avait qu'une poignée d'amis, Liam s'était entouré d'une bande de chiens collés à son cul, sans être le groupe qui martyrise les plus faibles.

Si les traits de la personnalité de l'aîné n'avaient pas changés, une fois la leucémie découverte, il avait bien vite lâcher tous ses soit-disant amis, pour s'occuper à plein temps de son frère comme la caricature paternelle qu'il était. Pourtant, le malade, durant ses trois interminables années de chimio, n'avait fait que repousser son frère, et cela continuait encore maintenant.

Mais cette fois, Killian se laissa faire, et accepta l'aide de Liam, se laissant reconforter.

Et ça aurait pu marcher si Liam n'était pas un crétin infini.

"C'est à propos de ton amie?" demanda-t-il, et Killian hocha la tête.

"Elle m'en veut, je ne sais pas quoi faire pour que..."

"Tu n'as pas le droit Killian." le coupa son frère. "Peu importe ce qu'elle représente pour toi, tu n'as pas le droit la laisser s'attacher à toi."

Le plus jeune se leva brusquement, la colère hérissant ses poils.

Il en eût même la tête qui tournait.

"Je ne suis pas encore mort bordel!" hurla-t-il.

Liam répliqua mais il n'entendit rien, et il comprit alors: quelque chose n'allait pas.

Il se sentit partir, sa chute fut longue et le choc lorsqu'il atteignit le sol fut brutal. La dernière image qu'il eût avant que tout ne devienne noir fut le visage de son grand frère horrifié, criant à l'aide.

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