Saison 7 - Épisode 7 : Le chant d'une sirène
Le vent soufflait suffisamment fort pour lester les tympans de Rosélia. Les particules de neiges se mélangeait au brouillard ambiant qui ne cessait d'estomper l'igloo. Elle manqua de glisser en posant un premier pied sur une flaque d'eau qui s'était transformé piste de patinage avec le temps.
Elle claqua la porte avant de lui donner son dos. Soupirant une vaste buée d'air frais, Rosélia poussa un cri de satisfaction.
— Chéri, je suis rentré ! La vache, il y a carrément une tempête, dehors ! Si tu avais vu ça...
Pendant qu'elle se relevait, une silhouette inhabituelle se dessinait sur le sofa. Les jambes en croix s'accompagnèrent d'un tintement inconnu à l'igloo.
— Voyons, Rosie, tu m'invites pas à prendre le thé ? Surtout avec une fraicheur pareille, j'ai bien cru que j'allais y perdre mes ailes ! s'exclama une voix de femme.
Rosélia pensa d'abord à une maîtresse, puis se souvint d'un timbre familier. Elle fronça des sourcils, encore déconcertée, avant de défricher le corps de Zarina dans l'obscurité du salon.
— Oups, que suis-je bête ! s'exclama cette dernière pendant que Rosélia restait bouche bée. Je suis vraiment désolée, j'avais beaucoup trop froid et je ne pouvais pas t'attendre alors je me suis pris une tasse de chocolat.
— Ca alors...
— Mais je ne suis pas impolie pour autant, je t'ai préparé une tasse, à toi aussi.
Elle lui tendit sa soucoupe avec un sourire sournois. Rosélia, qui allait saisir la tasse, s'immobilisa.
— Désolée, mais je prend mes chocolats sans sucre. Ca fait grossir.
— Wow, tu as réussi à sentir le sucre d'ici.
— Je ne sens que ça, Zarina.
— Tans pis, ça en fera plus pour moi...
La fée descendit le fond de chocolat qu'il lui restait, son regard perçant ne quittant pas Rosélia des yeux.
— Mais pourquoi tu gardes du sucre chez toi si tu n'en consomme pas ? Tu n'es pas logique, ma Rosie ! Et dire que je pensais qu'après toutes ces années, tu avais enfin arrêté de faire tous ces régimes stupides...
— Je ne vis pas seule, ici.
— Oh, tu parles de ce « Sled » ? C'est bien ça ?
Une pulsion de panique monta jusqu'à la gorge de Rosélia. Elle se sentie lacérée par sa réponse et enfila finalement une gorgée de chocolat pour faire passer la toux.
— Comment tu l'as su ?! Tu le connais ?
— Faut te calmer, Rosie... soupira Zarina en réprimant un rire. Je t'ai entendu dire son prénom, alors j'ai supposé tu le croyais ici à ma place. C'est tout.
— Ah, d'accord... excuse-moi, se refrognait la femme. Je ne sais pas à quoi j'ai pensé. Je suis un peu surmenée avec le Tournoi des Fées, ça doit être pour ça.
— Oh, oui, ma pauvre. Sans doute.
— Mais qu'est-ce que tu es venue faire ici ? demanda Rosélia sans prendre de pincette.
— Je n'ai pas le droit de rendre visite à ma meilleure amie après trois ans sans signe de vie ?! Tu me surprends beaucoup, Rosélia.
— Excuse-moi ! Je me suis mal exprimée... c'est pas ce que je voulais dire.
— C'est à force de traîner avec cette bande de cruches. Ca ta rendu désinvolte, peut-être ?
Zarina lui faisait un geste de la main qui semblait la décharger de toute offense personnelle. Rosélia refrogna sa colère en fracassant la tasse sur la table basse qui centrait le salon.
— Je peux comprendre que tu n'ai pas digérée tout ce qui s'est passé, mais ça ne te donnes pas le droit de juger mes amies.
— Deux poids deux mesures, souffla Zarina. Je ne te savais pas aussi déterminée lorsqu'il s'agit de défendre tes amies.
— Tu es venue pour me tourmenter ou quoi ? Qu'est-ce que tu veux au juste ?
Zarina se lécha la lèvre inférieure pour essuyer le résidu de chocolat qui lui restait sur la bouche. Rosélia cru apercevoir un sourire se contracter au mouvement de sa joue.
— Ce Sled, c'est une Fée de l'Hiver, je suppose ? C'est la seule chose qui pourrait supposer le pourquoi du comment tu as décidé de quitté ta jolie maison pour vivre en ermite dans ce bloc de glace complètement glauque.
Elle se leva et commença à faire une sorte d'expertise de la maison. Quelques rayures sur la givrure sillonnaient ses pas, donnant à Rosélia la sensation que Zarina faisait exprès de trainer les talons contre le sol. Et pendant que le sol crissait de douleur, elle y planta son épée sur l'arête, pile entre deux murs.
— Wow ! Elle est plus balaise qu'elle en a l'air, cette maison de glaçon.
— Arrête ça, s'il te plaît !
Rosélia sentait ses tripes lui remonter dans la gorge lorsque Zarina se posta face au meuble photo. Elle caressa de l'index un assortiment de tasse que le couple s'était passionné à faire puis arrêta de fouiller une fois après avoir attrapé un cadre photo où les amoureux préfiguraient. Sled, lancérant sa compagne dans le dos, penchait sa tête vers la sienne, tandis que l'on voyait les Fées de l'Hivers patiner en arrière-plan sur une piste ensoleillée par le reflet du jour sur les nuages.
— Oh, si c'est pas mignon ça, j'me taille les veines avec mon épée, gazouillait la femme en regardant le cadre sous tous ses angles. REFLEXE !
Prise d'un sursaut, Rosélia n'eut pas le temps de réfléchir que son corps s'élança dans les airs, à l'instar d'un footballeur américain prêt à tout pour marquer son dernier but. Elle attrapa le cadre qui faisait maintenant office de frisbee et retomba contre la table basse dans un fracas assourdissant.
— Zarina, saleté !
Mis à part quelques égratignures sur les avants-coudes, Rosélia remerciait la Deuxième Etoile de ne pas se sentir plus amochée qu'elle ne l'était.
Prise d'un spasme de l'hémiface, la Fée des Jardins se releva. Tout en encastrant le cadre photo entre ses seins, elle tourna l'angle de la pièce à trois cent soixante degrés sans apercevoir Zarina.
Quand elle réalisa que son ex-meilleure amie avait quitté son igloo, le premier réflexe de Rosélia fut de ranger le salon au détail près pour ne pas éveiller les inquiétudes de Sled lorsqu'il allait rentrer du travail.
***
Il n'était pas revenu ici depuis deux ans, maintenant et avec raison. Rien que l'odeur de poisson frais qui se calquait au bourdonnement d'une troupe de moucheron lui faisait frissonner l'échine.
Harry prit du temps pour trouver un endroit où se poser. Le Rocher du Crâne était certainement l'endroit qui avait le moins sa place au Pays Imaginaire. Un endroit lugubre qui donnait la sensation d'être emprisonné en enfer, avec ses roches carbonatées menaçant de s'écrouler, lui servant de mur à échos, ou encore le nid de chauve-souris endormis tenant lieu de plafond.
Il tenait une position à peine confortable sur un pic de roche. Le garçon jura presque entendre l'une de ses chevilles craquer pendant qu'il tentait de fouiller la grotte. Il n'y voyait rien d'autres que des parcelles d'ombres qui gagnaient les profondeurs de la grotte, avec l'étrange sensation que de grands yeux se mettraient à l'observer depuis les ténèbres.
— Argh, si seulement j'avais Iridessa avec moi... soupira Harry en pensant au talent de la Fée des Lumières.
— Tu penses sincèrement que tu aurais réussi à emmener une froussarde pareille jusqu'ici. Mon pauvre trésor, tu es bien optimiste...
Il hoqueta face à la voix qui émergea à la surface. Une silhouette apparu jusqu'en bas, là où il était encore possible de sentir l'eau maléfique couler sous ses semelles et voir des résidus d'algues s'accrocher désespérément au bord des roches.
— Qui a dit ça ?!
Un ricanement s'étira jusqu'à lui par le force de l'écho.
— Répondez !
Harry entendait du mouvement dans l'eau, comme des éclaboussures à quelque chose qui ligotaient en permanence.
— Est-ce que vous êtes une sirène ? Je... je sais qu'il y en a beaucoup, au Pays Imaginaire !
— On peut dire ça, répétait la voix.
Le son qui s'échappait de sa gorge était aussi doux que le chant d'une sirène. Ses ricanements qui pourraient sembler intempestifs, devirent une véritable mélodie à mesure qu'Harry s'habituait à l'entendre.
— Oh non... est-ce que je serai dans une hallucination ?
— Pourquoi tu fais cette tête ? lui demanda la sirène. On est au Pays Imaginaire, comme tu l'as si bien dit. Il n'y a pas meilleur endroit pour rêver.
— Entre rêver et délirer, il y a deux mondes... soupirait Harry avant de reprendre brusquement. Mais attendez, ça veut dire que vous arrivez à me voir ?! Où êtes-vous ?
— Voyons, Harry, fais fonctionner un peu ta cervelle de moineau ! Tu l'as dis toi-même, non ? Je suis une sirène ! Où est-ce qu'une sirène pourrait se trouver dans le Rocher du Crâne ? Ma parole, c'est amusant de voir que tu es perché jusqu'en haut de la grotte mais que tu n'arrives toujours pas à me voir.
Franchissant les limites de son champ de vision, Harry plissa les yeux à presque s'endormir. Il chancela legèrement en se penchant vers le fond de la grotte.
— On dirait un aigle raté ! s'exclama la sirène avant d'éclater de rire.
Quelque chose créait des ondes dans la crevasse d'eau qui s'infiltrait au Rocher. Il se suivait de giclées hasardeuses.
— Ici !
A la vitesse d'une fusée, Harry créa une tornade dans son sillage qui s'écoula en une particule de roche. Il fondit jusqu'à la surface, là où le sable, les algues et le bords des roches étaient réduits à la pire promiscuité du Pays Imaginaire.
— Oh... c'est vous...
Il ne s'agissait pas d'une sirène. Zarina était assise sur l'insignifiante parcelle de sable bientôt épargnés par les recoins rocheux, ses pieds trempaient dans l'eau pendant que les bottes respiraient à quelques mètres d'ici.
— C'est hyper dangereux, qu'est-ce que vous faites ici ?!
— Oh, ronronna la jeune fille. Rien de spécial, j'aime bien venir là pour me détendre. Et puis il faut admettre qu'il y a quasiment personne et que ça tombe bien vu qu'il m'arrive de devenir sociopathe en fonction de mon humeur.
Harry ne savait quoi faire. Son corps ne lui obéissait plus et ne faisait que simuler des tremblements jusqu'aux os. Sa langue peinait à sortir de sa bouche, les mots qu'il aurait aimé partager finissaient bafouillés.
— Mais... tu es... où sont tes vêtements ?
Il rougît brusquement du visage et plaqua deux mains sur ses joues pour éviter qu'elle ne le remarque. Chose raté vu le rire qu'il venait de provoquer chez la fée.
— Tu sais que t'es un petit rigolo, toi ?
— Je suis désolé. C'est la première fois que je vois une fée avec des sous-vêtements humains... que je vois une fée en soutien-gorge à part ma femme, bien sûr ! Eh... ça fait vraiment bizarre.
— T'es sûr que t'es marié ? La vache, on dirait que tu n'as jamais vu le corps d'une femme.
— Justement j'ai dis que...
Sans prévenir, elle lui coupa la parole avec un clin d'œil et l'attrapa par la cheville. Harry glissa sur le sol et était désormais assis, au même niveau que la mystérieuse Zarina.
— Je te sens tendu, déshabille-toi et viens faire trempette avec moi.
— Quoi ?! s'étrangla Harry. Euh, non, non, non, non ! Je ne peux pas ! Il faut que je fasse mon...
Il perdît le fil de sa pensée quand le grain de beauté sur son visage attisa son attention, puis les yeux marron noisette qui brillaient comme des phares. Harry redécouvrait la sensation de raideur qu'il avait expérimenté la première fois qu'ils se rencontrèrent. Quand elle lui caressa le bras...
— Ici le Pays Imaginaire !
Lorsqu'il retrouva ses esprits, la situation s'avérait bien pire qu'avant. Zarina était à califourchon sur lui, ses mains s'agitant devant son visage et qui lui effleurait presque le nez.
— Argh ! Oui, ça va, merci !
Pris de panique, Harry attrapa Zarina par les hanches.
— Wow, tu sais prendre des initiatives, champions ! J'aime ça !
Se rendant compte que ce n'était peut-être pas la meilleure chose à faire pour la dégager d'au-dessus de lui, il plaqua ses mains derrière son dos et les laissa s'enfoncer dans le sable.
— Oh non, tu commençais si bien...
— Je dois m'entraîner pour le tournoi. Je suis venu ici spécialement pour ça.
Le cœur de Harry manqua un battement en la regardant secouer ses cheveux flamboyants en arrière. Toujours assise sur lui, Zarina le regarda avec un sourire malicieux et plaqua une main contre son torse.
— Le tournoi, c'est bien ça ? sifflait-elle en continuant de le caresser. Hum... pas mal.
Harry donna presque un claquement de dents en guise de réponse.
— Pourquoi tu trembles, tu manques déjà de force ? Pourquoi tu transpires, tu as déjà chaud ? On vient à peine de commencer. A moins que...
Soudain, il sentit comme un serpent se lover sur sa jambe. Elle continuait de le parcourir. Harry avait la sensation d'une caresse agréable mélangé à de la peur. Le serpent ouvrit la gueule et s'accrocha pile à son entrejambe.
Un gémissement s'échappa sous les murmures de Zarina. Elle empoignait l'entrejambe du garçon avec la force d'une étreinte.
— Championne du Tournoi des Fées de l'année 1907. Première d'office avec Gary, si je ne me trompe pas...
Elle continuait de parler pendant que Harry respirait par la bouche.
— Les Fées Gardiennes de Poussières m'avaient acclamées, ce soir-là. Je crois que c'était bien la seule fois où tous ces minables ont daignés me respecter...
Harry battait sa main droite dans le sable, comme pour signifier à Zarina qu'il s'avouait vaincu.
— Tout ça pour dire que je pourrais devenir ta coach, si tu veux, termina la fée en frôlant ses lèvres aux siennes.
Le serpent lâcha son emprise, Harry se mit à inspirer bruyamment par la bouche.
— Mais pourquoi vous voudriez m'aider ? Je ne suis même pas une fée de votre talent.
— Qu'est-ce que le talent ? Il n'y a que les faibles d'esprits pour se cantonner à une seule et unique chose. Nous avons la conscience d'un être humain et les pouvoirs d'un dieu. Pourtant, on continue de se comporter comme des vulgaires fourmis ouvrières de bas-étage.
Harry en resta bouche bée.
— Je ne sais pas pourquoi, mais tu as cette petite chose qui te rend exceptionnelle. Cette chose qui te distingue des autres fées. Toi et moi, on est pareils. Je suis sûr que tu l'as ressenti chez moi, aussi.
— Pardon ?!
— C'est marrant mais je dirais presque que c'est comme si nous étions des âmes-sœurs.
Il ouvrit la bouche, s'apprêtant à inspirer de l'air pour parler.
— Ton corps parle à ta place, n'essaye pas de me mentir, champion.
Harry n'était pas bête. Il savait pertinemment qu'elle faisait référence à la sensation étrange qui brûlait en lui à chaque fois qu'il la voyait – ou l'imaginait à ses côtés.
Zarina retourna s'asseoir face à lui, davantage enfoncé dans l'eau du Rocher.
— Vous ne devriez pas patauger si profondément ici. L'eau provoque des hallucinations une fois avalée.
— Oh, mon pauvre ! gazouillait Zarina. Tu n'as même pas compris le potentiel énorme qui se dégage de cette grotte.
Il sursauta en sentant quelque chose lui toucher la jambe. C'était le pied de Zarina qui venait de se cambrer sur sa cuisse.
— C'est vrai que pour les gens qui ne comprennent pas les vertus du Rocher du Crâne, on peut vite penser qu'il s'agit là de simples illusions.
— Qu'est-ce que vous sous entendez ? demanda Harry en fronçant des sourcils.
— Tu tiens vraiment à le savoir ?
Il hocha machinalement de la tête avec une volonté qui se distinguait à son attention sur la jeune femme.
— Très bien...
Elle leva son pied de la cuisse du garçon, maintenant au niveau de son visage.
— Dans ce cas, tu comprendras pourquoi j'ai réussi à remporter le Tournoi des Fées.
D'un coup, elle planta son orteil mouillé dans la bouche du garçon. Il coupa sa respiration par réflexe et sursauta en arrière, le visage décomposé.
— Crois-moi, champion, tu ne regretteras pas d'avoir fait de moi ta coach !
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