Saison 7 - Épisode 12 : L'espion qui venait de très bas
Le mois de mars avait débuté dans une tribale infernale pour les Fées des Jardins. Entre ce mois et celui de septembre, les fleurs allaient se transformer en un véritable rotor au sein de leurs heures hebdomadaires de travail.
Toutes saufs les championnes du Tournoi des Fées, Rosélia et Chloé, qui bénéficiaient d'une importance médiatique suffisante pour se reposer sur des lauriers en observant leurs collègues à la tâche.
Rosélia, bien que dans la même position que Chloé, trouvait toujours le moyen de s'en éloigner avec au moins une centaine de mètre entre leurs tiges perspectives. Mais la psychopathe essayait à chaque fois de se rapprocher un petit peu plus afin de regarder le visage de cette dernière évoluer vers une teinte cramoisie.
— Dit-moi, Chloé...
— Je t'écoutes, ma belle, lui assigna-t-elle de son plus beau sourire.
— Pourquoi tu n'irais pas te faire foutre quelques mètres plus loin, même jusqu'au Grand Arbre de Poussière s'il le faut ?
— Tu m'en veux encore pour ce qu'il s'est passé avec Iridessa ? Laquelle d'entre nous n'a jamais fait une petite bourde ?
— Dans ton cas, on ne peut pas parler d'une petite bourde. Les personnes censées peuvent changer, mais lorsque l'on parle d'individus avec de réelles problèmes psychologiques qui les prennent en filature depuis leur naissance, on sait très bien que ça ne changera jamais et que leur place se trouve encore moins dans la société...
Rosélia se redressa, elle qui avait soigneusement prit le temps de poser ses ballerines au bord du feuillage, ses pieds nues en éventail.
— Tu sais pourquoi j'ai tenu à faire ce tournoi ?
— Avoir une chance de te suicider en faisant maquiller ça par accident ? Avec pourquoi pas, une option dans laquelle tu emmènerais quelqu'un avec toi dans ta chute ? demanda Rosélia de son regard agacé.
— Je veux montrer au monde que je peux faire la fierté des Fées des Jardins, que je peux me racheter en montrant que je ne suis pas qu'une psychopathe.
— Bonne initiative, laisse-moi partir, maintenant...
— Pas si vite, Rosie !
Elle l'attrapa par le poignet et commençait à le broyer.
— Par la deuxième étoile, c'est quoi cette poigne ?! T'es une fille ou un homme, au juste ?
— Je veux que Iridessa se dise que c'était une erreur.
— ... d'être sortie avec toi ? Complètement !
— Non, tu sais très bien que je ne veux pas parler de ça, dit-elle d'un ton plus grave avec une pression d'autant plus importante sur le poignet de sa coéquipière.
Rosélia tapait des pieds comme si elle était prise d'une envie d'aller au toilette.
— Bon sang, bon sang... Par pitié, Chloé...
— Aide-moi à la reconquérir. Elle entendra peut-être raison si c'est toi qui lui dit, j'en suis sûre !
— ... espèce de folle, tu me fais mal. Et pour ta gouverne, Iridessa est une fille très poltronne, et avec ton attitude, tu as fais exactement l'inverse de ce qu'elle apprécie chez une fée.
— Je t'en supplie, Rosélia. Je n'en peux plus... Je n'arrive plus à rien, sans elle.
— Commence déjà par me lâcher le bras, je crois que mes os vont finir en pièces détachées, si tu continues.
Chloé poussa une légère exclamation avant de se rendre compte de l'étreinte qu'elle avait posée.
— Regarde-toi, tu peine déjà à te contrôler... soupira la fée des Jardins. Et tu me demandes de te soutenir ?
— Non, non, ce n'était pas fait exprès, j'te le jure !
— Je vois ça, Chloé, et c'est encore plus inquiétant que si tu avais réellement l'intention de me briser la main.
— Arrête !
— Par la Deuxième Étoile ! Mais qu'est-ce que ça risque de devenir avec Iridessa si je te laisse l'approcher avec cette attitude.
— Je ferai des efforts, je te le promets.
— Ouais, bah t'es encore loin du compte, ma vieille !
— Qu'est-ce que je peux faire pour te montrer que je suis prête à tout ? Je peux tuer des fées qui te pose problèmes dans ton entourage, ou encore voler un stock entier de poussière de fée aux Gardiens, ou bien...
— J'en connais une, de fée problématique, tiens, marmonna Rosélia.
— Qu'est-ce que tu as dis ?
— Rien du tout ! se reprit-elle. Contente-toi de remporter les épreuves du tournoi...
— C'est pas suffisant ! Il ne s'est absolument rien passé, j'avais essayé de l'aborder avant la première épreuve, mais elle était tellement distante...
— Parce que tu t'y prends de la mauvaise façon. Il faut toujours aller en douceur avec elle. N'oublie pas : c'est une fille très poltronne.
— Je peux encore me rattraper, tu penses ?
— Chloé... fit Rosélia en la toisant avant de soupirer. Sans déconner, va suivre une thérapie et remporte les épreuves. Si t'es capable de faire au moins ça, peut-être que je lui dirais qu'on a eu cette discussion gênante sur un laurier.
— Sans la partie où je t'attrape le poignet, hein ?
— Bien sûr, ça va de soi.
— Merci, Rosélia ! Je suis tellement soulagée !!!
— Oh non ! Pas de calin, pitié, pas de calin ! Tu vas me... aïe... broyer la cage thoracique !!!
***
Sur le chemin du retour, Rosélia passa prendre quelques baie rouges avec l'espoir que leurs goûts sucrés lui fasse oublier la douleur qu'elle subissait au niveau des articulations.
— Enfin un endroit où l'autre folle ne pourra pas me prendre en chasse, quel soulagement !
Alors qu'elle expirait un profond soupir, Rosélia reprit sa respiration au plus vite lorsqu'elle franchit la frontière de la Forêt de l'Hiver. Vivre en ménage avec une fée de ce milieu possédait tout de même ses avantages.
Elle tourna le verrou de sa porte avant de faire couler un bain chaud dans la baignoire puis commença à se déshabiller.
— Encore au travail... soupira la jeune femme en pensant à Sled.
— C'est que ça ne dois pas être facile, n'est-ce pas ?
Son coeur manqua un battement, elle fit volte-face et adopta les gestes de défenses qui s'imposait avant de reconnaître un garçon taillé comme une allumette dont les yeux faisait pratiquement le corps entier.
— Gabble, bon sang ! Mais qu'est-ce que tu fais dans ma salle de bain ?! hurla-t-elle en plaquant une serviette contre son corps.
— Ça va... soupira le jeune homme comme s'il était déçu de sa réaction. Je ne vais pas te sauter dessus parce que tu es nue. J'ai un minimum de savoir-vivre, tu ne crois pas ?
Rosélia hocha de la tête même si elle était loin de s'en convaincre. Le garçon se cala contre le mur qui donnait sur la porte, les bras croisés et fronça légèrement des sourcils.
Cela faisait plus d'un an que les deux fées ne s'étaient pas adressées la parole depuis que Gabble avait tenté de mettre fin à ses jours pour abgreger les souffrances d'un amour à sens unique vis-à-vis de Rosélia. Se poster ici, dans ce froid glacial, c'était comme subir une défaite jusqu'aux bouts des doigts pour lui, se dire qu'il était dans le dôme de son rival d'antan lui donnait une chair de poule comparable à la température qu'il était obligé de supporter.
— Je suis venu te poser quelques questions par rapport à Zarina...
— Zarina ?! Pourquoi ça... fit Rosélia.
— Tu as quelque chose à te reprocher ? Je ne te sens pas très sereine, tout d'un coup, lui lança Gabble, sans aucun répit.
Il n'était plus à la relation faussement amicale qu'il avait établit avec elle, des années auparavant. Gabble donnait presque l'impression à Rosélia de passer à tabac dans une salle d'interrogatoire tant son timbre de voix sonnait impitoyable.
— Humpf, souffla le garçon. Si tu avais quelque chose à voir avec cette chose, je n'en serai même pas étonné.
— Eh, attends, qu'est-ce que ça veut dire, au juste ?
— Absolument rien.
Un sourire sarcastique, c'était la seule expression qu'elle aurait de lui après tant d'années sans nouvelles.
— Et je suppose que tu ne sais pas non plus où se trouve ton abruti de petit-copain ?
— C'est loin d'être un abruti ! rétorqua Rosélia, qui sentait la frustration dans ses mots. Ce n'est pas parce que je l'ai choisi à ta place qu'il faut placer ta haine sans faire l'effort de réfléchir !
À ça, Gabble ne répondit pas. Il se contenta de garder les bras croisés comme il savait si bien le faire et esquissa un sourire au coin de son visage.
— Je m'attendais à cette réponse encore plus stupide. Ma pauvre, tu as au moins trois coups de retard...
— Mais de quoi parles-tu ?
— Ça n'a pas l'air de bien fonctionner, là-dedans. M'enfin... je vais quand même réitérer ma question pour ne pas qu'on me reproche de ne pas avoir essayé. Peut-être que tu vas comprendre, cette fois-ci : où se trouve Sled à l'heure où nous discutons ?
— Il est au travail, comme tous les jours de la semaine.
— C'est beaucoup trop vague, tu ne m'as rien dit, là.
— C'est une Fée des Animaux de l'Hiver. Il doit travailler au centre de formation des Harfangs avec ses collègues.
— Et voilà : mauvaise réponse. Tu peux toujours réessayer de me donner un endroit que je n'aurai fouillé, si tu penses être utile, ou tu peux commencer à pleurer.
Le visage de Rosélia se froissa, la pauvre femme n'y comprenait rien. À ses lèvres tremblantes, Gabble sentait qu'elle n'avait plus aucune maîtrise de la situation.
— Tu comprends, maintenant, pourquoi je te disais que ton Sled est un imbécile fini ?
— Qu'est-ce que ça veut dire ? Où est mon mari ?
— C'est la question que je me pose depuis ce matin. La Reine Clarion et Lord Milori étaient censés le trouver à un point de relais dont je dois taire le nom. Il ne s'est jamais présenté.
— Un point relais ? Mais il ne m'en a jamais...
— Je vais écourter la discussion, si tu ne peux pas m'aider, ce n'est pas grave. Et puis je dois tout de même être honnête : de toutes les missions que la Reine Clarion m'a assigné, c'est elle qui me laisse le plus indifférent. Je ne serai loin d'être triste si j'y failli...
Il donna son dos à une femme qui aimerait lui poser tant de questions, mais la force du choc ne lui permettait pas de retrouver l'entièreté de ses esprits.
— Ah oui, pour ta gouverne, je n'ai jamais été frustré de la relation que tu entretiens avec ce type. Mari ou pas, je m'en fiche. Les sentiments que j'avais pour toi sont de l'histoire ancienne, par contre, j'ai toujours su que ce type n'était pas quelqu'un de bien.
— Gabble...
— Sur ce, ferme bien ta porte à clé. Tu n'as personne à attendre, ce soir.
***
Il venait à peine de sortir de l'hôpital qu'il distinguait déjà que les gens étaient dans une sorte trans encore inconnu pour lui. C'était une véritable effervescence qui régnait au bureau de la Fée Gary. La poussière était loin de susciter tant d'engouement, elle n'avait jamais provoqué une telle agitation.
Tout d'abord, Harry pensa à une probable pénurie de poussière qui pourrait pousser les fées à s'entretuer pour avoir les quelques grains restants, mais depuis le bout de la file, une longue cascade de poussière pouvait s'observer en train de tomber dans un moule industriel fraîchement tenu par les Gardiens. Elle se façonnait comme des petits pains.
Il entendait des murmures et des gémissements écervelés – comme ceux d'une bande de chiens affamés – lorsqu'il portait suffisamment l'oreille sur ce qui s'agitait devant lui. Tous des hommes, sans exceptions, semblaient parler d'une belle jeune femme à la peau mâte et aux cheveux flamboyants. D'après certaines bouches dégoulinantes, elle serait qualifiée de beauté fatale.
Harry réfléchit quelques minutes avant de se demander quand est-ce qu'une nouvelle fée était née dans la vallée, pour faire autant de bruits. Jamais il n'avait vu cela auparavant au Pays Imaginaire. Ça lui rappelait davantage les garçons de son ancien lycée – de son ancienne vie – qui entraient dans toutes sortes d'états en voyant la jolie fille du bahut débarquer. Cette situation le replongeait de ces souvenirs inconfortables et il était loin d'en être ravi.
Au moment de prendre sa ration, il aperçoit effectivement Zarina avec une vision directe sur ses fesses compressées dans une jupe un peu trop courte et qui laissaient deviner la base de ses cuisses. La jeune femme était en réalité penchée sur le comptoir à essayer de soudoyer la Fée Gary. On sentait à son sourire forcé qu'il resserrait les dents afin d'atténuer une lutte psychologique. La sueur perlait sur son front – autant plus que durant la première épreuve – et il avait cette étrange reflèxe de faire des twists avec les mèches de ses cheveux, lui qui disait tout le temps détester qu'on le compare à une fille à cause de son kilt. Ce n'était pas gagné.
— Tiens, salut, Harry ! Enfin quelqu'un qui pourra me comprendre, fit-elle avec un profond soupir.
Harry tient à rester formelle devant les autres. Par tout les moyens, il tente de ne pas montrer à quel degrés d'intimité il connaît la jeune femme. Mais son plan tomba à l'eau lorsque cette dernière se jeta sur lui en lui agrippant le cou. Il entendait déjà les brouhahas dont certains le jalousaient en disant à quel point il avait de la chance, ou pour les plus méchants d'entre eux, que Noa ne serait pas très ravie de savoir qu'elle a de la concurrence.
— Qu'est-ce qui se passe ? demanda Harry, qui tentait de faire fi de toute l'agitation aux alentours.
— Mon cher Gary, ici présent, refuse de me donner de la poussière de fée ! Franchement, c'est très très bas... Je ne m'attendais pas à ça de ta part.
— Comprends-tu que les rations sont comptés, Zarina ? D'ailleurs, à ce sujet, j'ai une petite question à te poser...
Le visage de la Fée Gary prit une teinte morose et sa voix semblait s'adoucir pour mieux analyser sa réponse.
— Comment se fait-il que tu n'aies jamais manqué de poussière de fée après tout ce temps passé hors de la vallée ?
À ça, la jeune femme plaça son index contre ses lèvres pour faire mine de garder le silence, le tout suivit d'un clin d'oeil.
— Voyons, si je vous racontais tout en détail, il n'y aurait plus aucun suspense. Toutes les petites enquêtes que vous faites sur moi perdraient de leurs valeurs... Vous ne croyez pas ?
" Alors, elle est au courant... " soupira la Fée Gary, qui la toisait d'un regard déconcertant.
— Je ne vois absolument pas de quoi tu parles.
— Je sais très bien que je n'ai pas ma place, ici. La preuve, vous n'êtes pas fichu de me donner une minuscule ration de poussière. On en est jusque-là, maintenant.
Harry ne pouvait rien dire, il se contenait d'observer le contentieux d'une oreille attentive.
— Qu'est-ce que tu cherches à faire avec cette poussière, Zarina ?
— Voler, quelle question ! ricana la jeune femme. Vous savez, ce concept ultra à la mode qui nous pousse à nous servir des petits machins dans notre dos.
— Laisse-moi le temps d'y réfléchir. En attendant, tu resteras à pieds.
— Comme ça, vous petites fées aux pyjamas rayés gardent un oeil sur moi ! continua Zarina en claquant des doigts. Pas mal... vraiment pas mal...
Harry posa une main sur son épaule et se pencha pour lui murmurer quelque chose :
— Ce n'est pas grave, Zarina, je te passerai de la poussière, s'il le faut.
Zarina esquissa un grand sourire à la Fée Gary et lui tourna le dos à la seconde qui suivit ses paroles.
— C'est bon, Gary, j'en ai eu ma dose, ricana Zarina. Réfléchissez autant de temps que vous le voulez, j'm'en tape. Bisous, bisous.
***
— C'était quoi, ça, tout à l'heure ?
— De quoi est-ce que tu parles ? J'essayais de négocier un peu de poussière, c'est tout. J'ai même du mettre ma fierté de côté pour ce minable, tu t'en rends compte ? Et dire qu'il était mon mentor...
— Non, je parlais des mecs qui attendaient leurs rations de poussières, derrière toi.
— Hum, comment ça ?
— Ils avaient l'air complètement obsédés par toi. Je ne sais pas comment l'expliquer, mais j'avais vraiment l'impression d'être retourné dans l'Autre Monde, à l'époque où j'étais encore au lycée...
— Que veux-tu, je suis à leurs goûts. On y peux rien, souriait Zarina.
— Regardes-toi, sérieux... aucune modestie ! C'est incroyable ! disait Harry en se mettant à rire à son tour.
Les deux fées se regardèrent et commencèrent à se chamailler sous un beau coucher de soleil. Ils étaient postés au sommet du Rocher du Crâne, à une heure où le panorama dorée du ciel rendait l'endroit moins effrayant. La compagnie de Zarina changeait la perception qu'il avait de la grotte mystérieuse.
— Moi, ce genre de compliment, jamais je ne les contesterai.
— Ah, ah, tu m'étonnes, c'est tellement une habitude que tu ne vois même plus l'intérêt de les relever, j'me trompe.
Le visage de la jeune femme s'assombrit brusquement puis elle baissa la tête.
— Malheureusement, tu te trompes complètement.
Un vent lui souffla aux oreilles en emportant toute une traînée de feuille. Harry resta bouche bée, incertain de bien avoir compris ce que Zarina venait de dire.
— À l'époque où je travaillais encore pour la Vallée des Fées, on va dire que j'étais loin d'être la plus jolie de toutes.
— J'arrive pas à y croire, toi " moche " ?
Zarina hocha de la tête avec un grand sourire, flattée par la remarque.
— Hum, est-ce que ça voudrait dire que tu me trouves à ton goût ? lança-t-elle.
— Absolument pas ! répondit-il machinalement. Tu es juste belle, c'est un fait. Disons que c'est une beauté objective, elle est évidente. D'ailleurs, tu en a la preuve. A-alors, crois-moi, ça ne veut strictement rien dire...
— Harry.
— Oui ?
— Je trouves que tu te justifie un peu beaucoup pour quelqu'un qui ne me trouve pas à son goût.
— J'essaye de sauver mon mariage, là ! Si Noa apparaît comme par magie sur le Rocher du Crâne, il faut que je tente au moins le tout pour le tout.
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