Saison 6 - Épisode 7 : Jumelles ou presque...

  Se faire transporter comme la proie d'un aigle ne relevait pas du plus grand amusement pour Harry. Durant tout le trajet, les ongles bien limés et vernis de Rosélia lui creusaient la peau des épaules comme des griffes acérées. Derrière son dos, Kyle n'avait pas arrêté de marmonner quelque chose qui semblait dire : « Si je le vois embrasser Cristalline, je le tue ! »

  Harry s'écrasa les genoux contre le tronc d'arbre, il réprima un hurlement en plaquant sa main devant sa bouche puis se releva en jetant à Rosélia un regard noir.

  — Eh bien, merci beaucoup, c'est très sympa ! grogna Harry.

  Rosélia et Kyle atterrirent à ses côtés avec la souplesse d'un oiseau.

  Le vent soufflait avec tant d'horreur sur l'arbre que les branches ne pouvaient s'empêcher de danser au rythme de ces bourrasques. Quelques feuilles vertes s'agitaient en un tourbillon et gravitaient tout autour d'eux.

  — Il y a quelque chose de grave qui se passe ici, vous ne pensez pas ? demanda Rosélia en regardant l'horizon sombre.

  — Oui, affirma Harry, l'air est beaucoup trop frais. J'ai l'impression d'être dans la Forêt de l'Hiver.

  — Je reconnais ce froid... murmura Kyle en brillant des yeux. C'est Cristalline, elle est tout près de nous, je le sens...

  Rosélia maintenait les pans de sa robe rose qui menaçaient de se soulever par ce vent entraînant, Harry, quant à lui, marchait sur le tronc d'arbre avec l'agilité d'un contorsionniste. Pas à pas feutrés, il se força à fixer la porte droit devant lui, un seul coup d'œil vers le bas lui suffirait à s'affoler et s'écraser au pied de l'arbre.

  Sa peau prenait une teinte de plus en plus pâle à mesure qu'il avançait vers l'atmosphère glacée. Des frissons lui parcoururent le corps à en dresser ses cheveux et les poils de sa nuque. Au fond de lui, il se disait que Cristalline avait du utiliser une puissance hors du commun pour réussir à causer tant de désordre.

  Alors qu'ils avançaient avec discrétion près de la porte qui semblait être celle de Terence, Harry s'arrêta net et Kyle le heurta de plein fouet.

  — Par la Deuxième Étoile, par la Deuxième Étoile, par la Deuxième Étoile !

  Kyle suivit son regard, au-delà de la porte boisée fraîchement vernis, et sentit son cœur chavirer.

  Ils avancèrent avec un pas désormais plus vif.

  — Restez sur vos gardes, dit Harry à voix basse.

  Puis il poussa très lentement la porte grinçante, les poings brandis et prêt à l'action.

  Un spectacle de totale dévastation apparut alors sous leurs yeux. Une pendule de grand-mère était fracassée à leurs pieds, son cadran brisé, son balancier tombé un peu plus loin, telle une épée abandonnée. Un piano avait été renversé, ses touches répandues sur le sol. Les débris d'un lustre en bois arraché du plafond luisaient à côté. Des coussins éventrés laissaient échapper leurs cotons à travers leurs enveloppes tailladées, des morceaux de verre et de porcelaine recouvraient tout comme une poudre. Harry leva sa tête vers le haut pour observer le mur. Une substance froide et gelée avait éclaboussé le papier peint. Kyle eut un haut-le cœur et Harry se tourna vers lui.

  — C'est pas très jolie à voir, n'est-ce pas ? dit-il d'une voix accablée.

  — On dirait qu'il y a eu un combat, ici ! s'exclama Rosélia en plaquant ses mains lisses sur sa bouche.

  — Oui, il s'est passé des choses atroces, continua Harry en jetant un regard inquiet vers son frère dont il appréhendait très mal la réaction.

  — Oh non, trembla Kyle de ses jambes, ma Cristalline... j'espère que cet enfoiré ne lui a fait aucun mal.

  Harry manqua de rectifier la phrase de Kyle en lui rappelant que ce n'était pas sa Cristalline, mais la colère qui s'empara de lui l'en dissuada aussitôt.

  Leur discussion fut interrompue à la seconde qui s'écoula par un fracas à en glacer le sang des trois compères. Harry jeta un regard lointain dans la pièce et découvrit avec effroi Clochette qui tentait de contourner Terence, qui quant à lui s'était posté devant Cristalline en guise de bouclier. Il gardait les bras tendus de part et d'autre de son corps, ne voulant laisser aucune chance à Clochette de déformer davantage la face de Cristalline qui ressemblait davantage à celle d'un chien carlin plutôt qu'à celui d'une jolie petite fée.

  Harry semblait comme figé de l'intérieur, la sensation de froid qui régna dans la pièce ne tardant pas à l'accabler lui aussi. Au fond de son esprit, il se demandait pourquoi Clochette avait agi de la sorte ? Pourquoi tenait-elle à abattre de sang-froid sa sœur avec un marteau ? Et ce visage horrible, ce visage difforme et cassé, qui servait lieu à Cristalline, l'effrayait du plus au point, il en était tellement bouleversé qu'à la vue de cette horreur ses yeux commencèrent à le picoter d'une façon très insistante.

  Son corps s'anima de lui-même, sans même qu'il n'ait eu à penser foncer dans la maison. Harry détala sur les trois fées et balançant de légers jets d'air pour écarter les débris encombrants son chemin.

  — NOOOONNNN, Clochette !!! hurla-t-il.

  Le visage de Clochette se relâcha comme par magie. Elle regardait fixement Harry de ses yeux ronds et aspirait une honte qu'elle avait peine à dissimuler à l'instar de son marteau vautré dans son dos.

  — Ha-Harry... balbutia-t-elle de ses lèvres tremblantes.

  — Tu me dis de te donner un coup de main pour parler à Terence et c'est comme ça que tu agis ?! aboya Harry dont la veine saillante battait à la tempe. Tu crois que je ne vous ai pas vu, l'autre soir, en train de copuler dehors comme des porcs ?! Tu me dégoûtes, Clochette ! Et toi qui montrait toujours une grande fierté, on dirait bien que tu n'as pas été à la hauteur de ce à quoi tu aspirais...

  — M-mais enfin, Harry, comprends-moi, se défendit Clochette.

  Elle lâcha l'objet métallique qui causa un fracas sonore à en fendre le sol. Harry ne prit pas plus d'une minute à regarder le marteau et lança un regard semblable à de l'aversion sur Clochette.

  — Tu as osé frapper ta sœur... soupira Harry dont la main vacillait de rage. Pourquoi... pourquoi... toi qui disait que je devais améliorer mon lien fraternel avec Kyle...

  À l'instant même où le nom « Kyle » fut prononcé de la bouche de Harry, son frère bondit face à eux, dévalant le sol glissant comme s'il venait de pratiquer une figure avec des patins.

  — Terence !!! tempêta Kyle à son tour.

  — Non, Kyle, gronda Harry en stoppant son élan d'un geste de bras. Terence n'a rien fait. C'est Clochette la fautive, dans cette affaire.

  — Je dois admettre que je suis coupable d'une part, moi aussi, avoua Terence de son regard fuyant au sol.

  Harry et Clochette le dévisagèrent en fronçant les sourcils, leurs visages grimacé.

  — Oui, reprit-il, je n'aurais jamais du accepter de rencontrer Cristalline. Mais j'étais tellement malheureux de voir que... que Clochette m'avait quitté, vous comprenez ?

  Clochette resta bouche bée et ses yeux commencèrent à se remplir d'eau, elle sentait quelque chose lui resserrer la gorge. Harry remarquait bien qu'elle essayait de ne pas fondre en sanglot devant tout le monde.

  — Quand elle est revenue me voir... et-et surtout dans cette tenue, je n'ai pas pu résister. Et puis, il faut dire qu'on était tellement heureux de s'être retrouvé qu'on a pas pensé aux conséquences... que je n'ai pas pensé aux conséquences ! se corrigea Terence en secouant fébrilement de la tête comme s'il venait d'être électrocuté d'une décharge.

  — Mais Cristalline, dans tout ça ! hurla Kyle en recouvrant toutes les voix présentes sur son passage.

  — Je suis vraiment désolé pour elle, justement. J'ai cru qu'elle m'aiderait à oublier Clochette.

  — Tu t'es servi d'elle comme d'un bouche trou, Terence ! s'indigna Rosélia au visage aspergé d'émotions.

  Terence hocha de la tête et murmura quelque chose qui dissimulait un « oui » face à la remarque de Rosélia. Harry se tourna de façon instinctive vers Kyle, en espérant qu'il ne soit pas brusqué. Le rouquin avait le visage aussi rouge que ses cheveux et ses joues gonflèrent avec la nervosité d'une bombe à retardement. Ses mains tremblantes avaient soif de violence et la sueur coulait à flot sur son visage, laissait même entrevoir une petite gouttelette qui pendait sur le bout de son nez. Harry pouvait entendre sa respiration saccagée tandis que son regard furieux se posa sur le corps presque inerte de Cristalline.

  Harry implorait de toute ses forces son for intérieur, il priait afin que son frère ne commette aucun homicide. Mais Kyle ouvrit la bouche en se dirigeant vers la Fée de l'Hiver et dit :

  — Harry, Rosélia, venez m'aider à la relever, s'il vous plait...

  Harry et Rosélia se lancèrent un regard morne, aux étincelles de larmes qui flottaient dans leurs yeux. Aucun des deux ne voulurent se résoudre à abandonner Kyle, surtout dans ces conditions.

  — Tu es vraiment pitoyable, Terence ! lâcha Rosélia. J'en connais un qui considérait véritablement Cristalline comme l'amour de sa vie, mais qui n'a pas eu la chance que tu as eu.

  Harry se contenta d'affirmer les paroles de Rosélia en hochant la tête tout en dévisageant Terence d'un regard noir.

  Kyle attrapa Cristalline par la taille et la releva délicatement. Son visage s'illuminait d'inquiétude au moindre petit gémissement de Cristalline.

  — Aïe, pleurait-elle, j'ai mal... j'ai mal...

  — Je sais, Cristalline, l'assura Kyle en passant ses mains sur les bras de la jeune fille, ne t'en fais pas, je suis là. Je vais prendre soin de toi.

  Son visage était tellement déformé que Kyle ne savait pas si Cristalline pleurait ou souriait de soulagement. Après quelques larmes de sa part, il fut davantage convaincu par la deuxième option.

  — Je suis horrible, je suis horrible, répétait Cristalline pendant que Rosélia attrapait ses chevilles pour la soutenir au-dessus d'eux.

  — Ton visage va s'arranger, dit Kyle d'une voix tressaillant.

  Harry, Rosélia et Kyle regardèrent une dernière fois la pièce saccagée de Terence et lui jetèrent un regard noir avant de disparaître.

***

  Comme Harry ne pouvait toujours pas voler, le groupe se retrouvait contraint de devoir traverser des feuillages et des arbres aux formes inégales. Une fois arrivé aux rivières éclatantes de la Clairière d'Été, Harry entendît quelques reniflements persécutés, il oscilla son regard à ses côtés. Kyle, qui tenait toujours le dos de Cristalline, suspendu par les bras du groupe, révélait un visage grimacé de pleurs, ses larmes coulaient sur ses deux pommettes rougies qui vacillaient autant que ses lèvres humides.

  — Kyle, chuchota Harry à voix basse, est-ce que tu veux qu'on s'arrête un moment ?

  — Ha-Ha-Harry... pour-pourquoi... pourquoi je n'ai pas le droit à l'amour ?

  D'un geste de tête très explicite, Harry fit signe à Rosélia de s'arrêter. Le groupe était désormais au bord d'une rivière bordée d'une grosse roche, répandue un peu partout à sa surface.

  Harry attrapa son frère par le cou et l'entraîna derrière une roche, là où Cristalline et Rosélia, qui la surveillait, ne pourraient pas les voir.

  Hors d'haleine, Kyle restait collé dos à la roche. Sa respiration hachée par ses sanglots l'empêchait même de reprendre son souffle de manière convenable.

  — Dis-moi, Kyle, qu'est-ce qui t'arrive ?

  — On-on a même pas emmené ce salopard pour la Reine Clarion !!! grognait Kyle en mordant ses mains comme un chien enragé.

  — Arrête ça ! dit Harry en attrapant ses mains marquées de traces de crocs rouges. Tu vas te blesser. Et puis, reprit-il en fixant les yeux mouillés de son frère, qu'est-ce que ça fait si l'on n'a pas emmené Terence à la reine ? On lui expliquera ce qu'il s'est passé avec Clochette et Cristalline. Crois-moi, elle sera davantage choquée de ce qu'il s'est passé et ils auront tous les deux une punition.

  — Tu te rends compte de ça, Harry ?! Je n'arrive pas à croire qu'il se soit servi d'elle comme ça...

  — Comme ça ?

  — Oui, comme ça ! J'ai fait des efforts monstrueux pour qu'elle accepte de sortir avec moi et je n'ai jamais réussi !!! Alors que lui...

  — Cesse d'avoir de la pitié pour des filles qui ont-elles-mêmes choisies de souffrir avec les mauvaises personnes, lui jeta Harry d'un ton roque.

  Cette sensation que Kyle éprouvait en ce moment même, il la reconnaissait très bien... Gabble l'avait vécu, lui aussi par le passé. Cette histoire lui remémora les quelques filles dont il avait été amoureux mais qui n'avaient jamais montré le moindre attachement à son égard, et ce, malgré tous les efforts considérables qu'il entreprenait.

  — C'est injuste ! s'exclama Kyle en frappant la roche de son poing encore intact.

  — Qui a dit que l'amour rimait avec la justice ? demanda Harry.

  Il sursauta sur le coup. Lui-même se surprit à employer ce genre de termes, mais s'ils ne peinaient pas à sortir de sa bouche. Cela affirmait, qu'au plus profond de son être, ses paroles avouaient une part de vérité.

  Son frère restait immobile face à sa déclaration, il ne dit rien mais Harry ne semblait pas attendre de réponse.

  Kyle se laissa tomber sur le sol, agenouillé contre quelques graviers qui séparaient le sol et l'eau claire de la Clairière d'Été. Il joignit ses deux mains, l'une collée contre l'autre, afin d'en faire une crevasse. Il les plongea dans l'eau et d'un coup sec, il jeta une flanquée d'eau sur son visage.

  — Ça y est, tu es enfin prêt à repartir ? lança Harry en le regardant haleter en raison de l'asperge qu'il venait de s'infliger.

  — Oui... souffla Kyle en se relevant lourdement. Je suis prêt à repartir.

  Le visage aussi blême et sans émotion de Kyle ne dégageait à présent aucun reflet. D'un pas machinal, le garçon contourna le rocher pour se joindre vers les deux filles qui étaient restées de côté.

  « Kyle, tu sembles avoir compris ce que j'ai tenté de te dire... j'espère simplement que cette révélation ne te mangea pas le peu de bonne volonté qu'il te reste, mon frère » pensa Harry avant qu'il suive les pas de Kyle.

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