Saison 6 - Épisode 5 : Quelques rumeurs

  À des kilomètres de là, la brume glacée que Kyle avait vu se coller contre les carreaux de ses fenêtres, flottait au-dessus des eaux sales de la rivière qui serpentait entre des berges envahies de Chardons Sauvages et parsemées d'ordures. Une immense cheminée, vestige d'une usine désaffectée, se dressait comme une ombre menaçante.

  Il n'avait aucun signe de vie aux alentours de sa maison, pourtant Kyle savait très bien qu'il n'était pas seul. Pour une fois après plusieurs semaines, voire plusieurs mois s'il comptait avec objectivité, il s'était remis à son poste de Fée Bricoleuse. Une table ronde de pierre envahissait le centre de la pièce et l'odeur âcre de sa propre sueur mélangée aux traînées de soudure et de scie commençait véritablement à l'envahir. Selon lui, il avait trop travaillé. Les quelques travaux que la Fée Marie lui obligeaient à finir s'avéraient plus pénibles qu'il ne le pensait, de plus, son habilité de Fée Bricoleuse semblait s'être évaporée avec sa joie d'un jour conquérir le cœur de Cristalline.

  Le pauvre jeune homme n'arrêtait pas d'y penser au point que son crâne lui infligeait de légères migraines par moment, ses propres larmes lui tenait lieu de berceuse avant de s'endormir.

  Des bruits cognaient la porte comme des martèlements soudain, Kyle manqua une inspiration en tourna son visage blême vers la porte. Sa sueur qui lui coulait au front se glissait dans ses yeux, il n'y voyait plus qu'un voile flou, à présent.

  — Quelle journée... soupira Harry avant de s'affaler sur le canapé de Kyle. Sérieusement, comment vous faites pour vivre dans ce Refuge, vous les Fées Bricoleuses.

  Désormais assis sur le lit, Harry agita ses pieds revêtus d'une couche de boue. Les miettes marronnes jaillissaient de part et d'autre, Kyle en reçu quelques-unes dans la figure mais il n'avait pas l'air de s'en préoccuper davantage.

  — Tu vas mieux depuis... depuis ton retour au boulot ? demanda Harry.

  — Oui, répondit Kyle dans une voix stérile.

  — Kyle... tu mens, je te connais, frangin ! Tu m'aurais fait un grand sourire si ça allait, d'ailleurs, ça me manque beaucoup.

  — Tu n'as pas entendu les nouvelles qui circulent dans la Vallée des Fées ?

  — Euh, non. Pas vraiment. Je ne suis pas trop sorti de chez moi, aujourd'hui. Dis-moi.

  — Il y a une rumeur comme quoi Clochette et Terence auraient couché ensemble. Mais ce n'est pas tout, ajouta Kyle dont le visage semblait rayonner. À ce qu'il parait, ces deux-là étaient totalement nus en pleine air, ils baisaient comme des bêtes d'après un témoin, c'était fou...

  Le cœur de Harry manqua un battement avant que le garçon ne tarde à être en sueur, à l'instar de son frère.

  — Ah-ah oui ? balbutia Harry, en train de diverger le plus possible le regard de son frère. Tu devrais être heureux, alors ? Ça te laisse le champ libre pour conquérir Cristalline.

  — Tu crois que je n'ai pas essayé ? répliqua Kyle dont le visage devint aussi aride que celui d'un mort. En apprenant la nouvelle j'ai directement foncé chez elle... j'avais même emmené des roses gelée que Rosélia m'avait passé... et...

  — Et ça n'a pas marché, je suppose ?

  La question de Harry releva toute la haine de Kyle qui s'emporta jusqu'à cogner son poing contre la table ronde de pierre. Les objets tranchants et la scie se mirent à sautiller et Harry craignait que se faire accoster par ces objets tranchants. Harry ne reconnaissait plus son frère, il respirait aussi bruyamment qu'une bête féroce.

  — Écoute, Kyle, marmonna timidement Harry, il serait peut-être temps de passer à autre chose, tu ne penses pas ?

  — NON ! Je n'abandonnerai pas, tu entends ?! Jamais je n'abandonnerai !!! JA-MAIS ! s'écria Kyle en détachant chaque syllabe de sa bouche irritée.

  — Mais enfin, voyons Kyle... soupira Harry. Cristalline ne veux pas sortir avec toi, même avec ce qu'il s'est passé entre Clochette et Terence. S'il te plaît...

  — Je ne vois pas pourquoi j'abandonnerai !!! hurla Kyle dont la rage semblait brûler l'espace. Cette petite salope a osé me dire qu'elle « tenterai toujours de récupérer Terence », elle aussi !!! Par la Deuxième Étoile, c'est de l'injustice ! NON, je ne veux pas, je ne veux pas ! Je suis prêt à tuer Terence, s'il le faut.

  — Kyle ! reprit Harry d'une voix choquée. Mais Kyle, ne dis pas de bêtises.

  — Un bon coup de marteau dans le crâne ou une bonne séparation de son corps avec la scie serait suffisant pour...

  — KYLE !

  — Mais quoi ?!

  — Ce n'est plus possible, dit Harry, viens, je t'emmène voir Rosélia.

  Kyle, le teint cramoisie et une veine battant à sa tempe, se contentait de suivre Harry sur le chemin de la Forêt du Printemps. Ils ne tardèrent pas à arriver en constatant les milliers de fleurs rosé qui s'envolaient dans les airs.

  — Pourquoi on n'est pas allé en vol, demanda Kyle en apercevant un pétale flottant juste au-dessus de ses cheveux aussi rougis que son teint coléreux.

  — Peut-être que si tu étais en bonne forme et que tu aurais pu réparer mes ailes, on y serait allé en vol, répliqua Harry d'un ton détaché.

  Les jambes de Kyle commençaient à s'alourdir, mais par chance les deux garçons se tenaient désormais devant la porte d'une maison particulièrement élégante. Un site entier de roses et des pétunias, vestige de couleur vive et de gaieté, cerclait la maison de son revêtement le plus rayonnant. Rosélia ouvrit la porte, toujours habillée de sa jupe et de son haut rose uni.

  — Salut les garçons, vous allez bien ?

  — Rosélia, s'exclama Harry en lui balançant Kyle dans les bras, aide-moi...

  — Que se passe-t-il ?

  — Tu n'aurais pas quelque chose pour calmer ce grand fou ? ajouta Harry en désignant Kyle d'un signe de tête agacé.

  Quelque minute plus tard, Kyle sentait son cœur réchauffer et son esprit s'adoucir. Le thé d'une odeur agréable que lui avait fabriqué Rosélia semblait calmer les tensions. Le garçon déposa la tasse et se mit à observer le plafond, au bord d'un somnole.

  — Kyle, tu ferais mieux de laisser tomber Cristalline, dit-elle après que Harry lui ait tout raconté. La dernière fois que Sled et moi t'avons trouvé, tu n'allais pas bien, non plus. Arrête d'y penser !

  — Mais regarde, bon sang ! s'exclama Kyle, sa tension reprenant au quart de tour. Clochette et ce type ont...

  — Oui ! Je sais ça, figure-toi ! D'ailleurs, je ne comprends vraiment pas pourquoi Clochette a agi de la sorte, dit Rosélia. En temps normal, elle est beaucoup trop fière pour faire ce genre de chose.

  — Peut-être qu'elle l'aime ? demanda Harry.

  — Oh, détrompe-toi, mon petit, fit-elle à l'adresse de Harry, les filles veulent recevoir de l'attention mais elles ont horreur d'en donner. Quand Clochette a compris que Terence avait quelqu'un d'autre et ne lui accorderait plus tout cet amour à sens unique, elle a du paniquer et... et tenter de le reconquérir.

  — Mais c'est horrible !

  — Oui, mais c'est aussi ça, la séduction. D'ailleurs je n'ai jamais fait ça à Sled, j'ai toujours trouvé ça horrible, admit Rosélia en buvant une gorgé de son thé aromatisé.

  Harry semblait désarçonné, le regard lointain, il observa un torrent de pluie s'abattre sur les fleurs qui traînaient à l'extérieur de la maison avant qu'un voile de pluie de vienne brouiller la vision de la fenêtre.

***

  La pluie, qui avait envahi la Vallée des Fées, relevait une odeur âcre de la terre qui donnait une intrigante envie de vomir à toutes les fées qui ne songèrent pas à s'abriter. Pourtant cela ne dérangeait pas Clochette et Terence, les deux seules fées à être restées plantées là, sur un champ de boue complètement désert.

  — Les Fées des Jardins ne vont pas être très contente, rigola Clochette, le corps nue enveloppé de boue.

  — Oh que non, on est des vrais petits porcs, tous les deux, hmmm...

  Terence attrapa Clochette par les hanches avant qu'ils ne tombent dans la boue, provoquant cratère de boue tout autour d'eux. Ils riaient en chœur et l'un donnait des coups de hanche à l'autre, il était indissociable tant la boue les emmitouflait.

  Après que Terence et Clochette poussèrent un dernier halètement de plaisir, les deux amoureux se relevèrent en jetant des regards amusés aux alentours.

  — Où sont nos vêtements ? s'esclaffa Terence.

  — Je n'en sais rien, ajouta Clochette qui rejeta en arrière ses cheveux blonds et humides en fixant Terence d'un regard érotique.

  Ils s'accordèrent un dernier baiser dont les lèvres mouillées par la pluie leurs donnèrent un côté bestial, puis ils partirent chez Terence, en marchant, le corps trempé des pieds à la tête.

***

  Le lendemain matin, les nuages grisâtres s'étaient dissipés mais le ciel gardait son teint sombre. Cristalline glissa sous un pommeau de douche froid avant de s'habiller et de partir dans la zone des saisons chaudes. Jamais elle n'avait été aussi énervé. La vitesse à laquelle la jeune fille slalomait ressemblait à celle des Fées Voltigeuses. Nerfs à vif, elle menaçait du regard tous les habitants de la vallée, comme un aigle désignant sa proie à mesure qu'elle se montrait frêle.

  — Comment... comment a-t-elle pu ?

  Peu de temps auparavant, les rumeurs ne se firent point attendre dans la Forêt de l'Hiver. Durant toute la journée d'hier, Cristalline fit l'objet de moqueries, que ce soit de la part de Sled ou encore d'autres Fées de l'Hiver dont elle n'avait pratiquement jamais entendu parler.

  Hier après-midi, alors qu'elle remontait dans son énorme ballon de rugby en glace qui lui servait de maison, un petit groupe de fée – nettement plus jeune qu'elle, s'était armé de grosses boules de neiges. Encerclée de toute part par ses assaillants inconnus, Cristalline se vit écraser deux boules de neiges sur les fesses et sur la poitrine. Le plus grand d'entre eux, aux allures patibulaires, lui planta une carotte dans la bouche qui semblait appartenir à un bonhomme de neige. Après cela, le groupe se mit à hurler de cœur joie :

  — Peut-être qu'avec les formes qu'on vient de te planter dans le cul et les seins, tu auras droit une petite queue de la part de Terence !!!

  Fières de leur spectacle qui suscitait la haine et la tristesse chez Cristalline, le groupe s'éloigna, courant l'un à côté de l'autre, leurs bonnets et leurs écharpes flottant tel une bannière dans le vent.

  Durant tout ce temps à méditer dans sa pièce qu'elle n'avait pas pris le soin d'éclairer une fois la nuit venue, Cristalline sentait comme un monstre écailleux et féroce naître dans ses entrailles. Ses propres pensées s'apaisaient lorsque la vue de Clochette morte sous une lignée de stalagmite – son sang jaillissant de mille feux en sortant par sa peau lisse – prit enfin place dans son esprit. En s'imaginant cette scène merveilleuse à endormir un fou furieux, le monstre de ses entrailles ronronnaient avec tendresse.

  Ce fut en portant tous ces évènements de la journée d'hier que Cristalline fonçait droit en direction de la maison de Terence. Sa main tremblait d'excitation et de rage tandis que son cœur cognait d'un air brutal dans sa poitrine.

  Elle en ignorait les raisons, mais un éclat de lumière bleu pervenche se mit à éclairer subitement son esprit. Cristalline entendait les paroles du Conservateur résonner dans sa tête comme s'il s'était multiplié par milliers :

  « Oh, je ne sais pas... répondit-il d'un ton sarcastique, j'espérais quelque chose de plus sexy, de plus dénudée, de plus bombée, de plus... chaud...

  Comparée à celle que j'envisageais de rencontrer, vous ne valez pas grand-chose, ma chère... »

  La branche de bois, sur laquelle son crâne se fendit, ramena Cristalline à la réalité. Au bord des larmes, elle volait désormais au-dessus de la Résidence des Fées Gardiennes de Poussière.

  — Clochette... Clochette... haletait-elle d'un souffle haché ressemblant à un râle, tu vas me le payer !

  Cristalline descendit d'un vol très lent sur la branche où elle pouvait apercevoir la porte de Terence. Le creux de sa main se mit à étinceler discrètement pendant qu'elle réprimait toute sa puissance.

  Hors d'haleine, Cristalline brandit la lumière bleue de sa poignée tel un javelot. D'un coup sec, elle hurla :

  — QUE CETTE PORTE SOIT DÉTRUITE !!!

  Sous un bruit similaire à des glaçons qui s'évanouissaient par milliers, la porte s'évapora. À travers le seuil, Clochette et Terence, enlacés l'un sur l'autre, vautrés dans un canapé, jetèrent un regard affolé et surpris.

  — C'est terminé, Clochette... PLUS JAMAIS TU NE ME BARRERAS LA ROUTE !  

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top