Saison 6 - Épisode 1 : Les paroles du Conservateur
Le Conservateur gardait la routine d'habiter ses heures par de l'écriture et de la découverte sur le monde des fées, depuis maintenant plus de quatre-vingt-dix ans. Mais son péché le plus secret et enfouit en son for intérieur restait indéniablement son obsession pour les jeunes filles, en particulier les fées inférieures à la trentaine d'années. Vers cet âge-là, elles transpiraient une jeunesse ravageuse suivie d'une élégance sans pareil. Cela semblait plus profitable que de se farcir la Fée Marie, par exemple, ayant un nombre incessant de kilos fleurissant son corps aux portes de sa quarantaine d'années.
Le vieillard pouvait mettre ses deux genoux sur le sol gercé et commencer à l'embrasser, car grâce aux connaissances qu'il avait transcrit dans des livres connus par le monde des fées, il s'était coltiné une poignée d'admiratrice aux physiques prometteurs. Comme ce fût le cas en cet instant, où Lord Milori lui avait accordé l'autorisation de passer un moment en compagnie de Cristalline.
— Quelle journée, n'est-ce pas, ma petite Cristalline ? fit le Conservateur en jetant un clin d'œil à la jeune fille attablée en face de lui.
— Bah, il fait froid comme toujours... répondit la voix sans émotion de Cristalline alors qu'elle haussait des épaules.
— Euh, oui, oui, balbutia-t-il en se raclant la gorge. Prendrez-vous un peu de noix gercée ?
Les bougies, animées sur des chandelles de glaces, offraient une atmosphère chaleureuse autour de la petite table, contrastant avec l'aspect froid et terne qui habitait le Dépôt.
— D'après certaines personnes, vous m'avez invité pour coucher avec moi, lâcha machinalement Cristalline en remplissant ses joues désormais bossues de noix gercées.
— Oh, oh, oh, ricana le Conservateur tandis que sa moustache ondulait au mouvement de sa bouche. Je ne sais pas qui vous a dit ça mais il a raison !
— Ah, c'est cool.
— Oh, oui !
— Mais moi j'ai pas trop envie de coucher avec vous... acheva Cristalline après avoir engloutie bruyamment sa noix.
Le silence pesait tellement autour de la table qu'ils pouvaient entendre le vent glacial de la Forêt de l'Hiver souffler à l'extérieur du Dépôt.
— Mais voyons, s'étrangla le vieillard d'une voix chevrotante, je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas... euh, comment dire... assouvir nos plus profonds désirs !
— Bah, comprenez-moi un peu, vous auriez pu être mon grand-père.
— Voyons, voyons, les fées n'ont pas de parents... alors euh...
— Laissez tomber, ça ne m'intéresse pas. Par contre, j'ai super bien mangé !
Le visage du Conservateur prit une teinte flamboyante au moment où la chaise de Cristalline grinça bruyamment. La voir refuser sa proposition semblait l'emporter dans une marée de frustration. La jolie fée s'apprêtait à ouvrir la grosse porte du Dépôt quand tout à coup :
— Oh, partez, partez, ma chère... rigolait bruyamment le Conservateur en tournant sa moustache argentée entre son index. À vrai dire, j'ai été un peu déçu par la marchandise que Lord Milori m'a autorisé à inviter dans mon Dépôt.
— Hein, s'exclama Cristalline en refermant la porte, qu'est-ce que vous dites ?
Tout ce qu'apercevait Cristalline au loin, c'était les reflets de lumières qui brillaient sur les lunettes du Conservateur, la transperçant d'un regard vicieux.
— Oh, je ne sais pas... répondit-il d'un ton sarcastique, j'espérais quelque chose de plus sexy, de plus dénudé, de plus bombé, de plus... chaud...
— Vous ne me trouvez pas à votre goût ?
— Comparée à celle que j'envisageais de rencontrer, vous ne valez pas grand-chose, ma chère.
Cristalline avait l'impression étrange que son cœur tombait dans sa poitrine.
— Et qui envisagiez-vous ?
— C'est un peu embarrassant de vous le révéler, en espérant que cela ne vous froisse pas. Et pourtant, soupira faussement le vieillard, cette fée vous ressemble tellement, mais ce sont ses atouts qui vous séparent tellement, aussi !
— M-mais de qui parlez-vous, bon sang ?!
Sentant que sa proie n'allait pas tarder à exploser avec la fureur d'une bombe à retardement, le Conservateur s'avança davantage et redressa ses deux verres rectangulaires sur son nez crochu.
— De votre sœur jumelle : Clochette.
Ce fût bien la première fois que le corps entier de Cristalline ressentit le froid lui parcourir les veines.
— Clochette... répétait-elle en peinant à reprendre son souffle. Mais qu'est-ce qu'elle a en plus que moi ?!
— Vous le savez très bien ! Et toutes les fées de la Forêt de l'Hiver vous l'ont déjà confirmé, ce n'est pas parce que je suis vieux que je suis aveugle, ma jolie.
— ... mes amies m'ont toujours dit qu'elle était plus sexy que moi... que c'était une version améliorée de moi-même, avoua Cristalline sous un gémissement semblable à un animal blessé. Mais Sled et les autres fées disaient ça pour plaisanter, je suppose.
— Oh que non, d'ailleurs, est-ce que quelqu'un dans cette forêt a déjà eu envie de coucher avec vous ?
— Eh bien, vous, monsieur ! souriait timidement Cristalline.
— Voyons, Cristalline, il n'y a pas de quoi être fière. Un pauvre vieillard comme moi, qui n'a plus les possibilités de sa jeunesse et s'apitoie sur des filles de bas étage comme vous n'a rien de glorifiant dans votre tableau de chasse, je vous le garanti.
Cristalline retira sa chaise avant de s'affaisser dessus, sur le point de s'évanouir. Ses lèvres tremblaient pendant qu'un murmure s'évaporait dans l'espace.
— Elle est vraiment mieux que moi... soupira-t-elle pendant que ses yeux se remplissaient d'un liquide.
— Oh, vous savez, tout est perdu, chantonna le Conservateur. Aucun homme ne voudra de vous, avec ce physique... contentez-vous de ce que vous avez et soyez heureuse avec ce peu de choses. Après tout, vous le méritez...
Tandis que ses yeux s'étaient refermés pendant qu'il sermonnait d'un air docte, un cliquetis de ceinture absorba l'air. Le Conservateur sentait quelque chose lui trafiquer l'entrejambe.
— Retirez-moi ces vêtements, Conservateur ! grogna Cristalline, rouge de colère. Je vais vous montrez si je suis de bas étage !
— AAAAHHHHH, Cristalliiiiinneeeee !!! s'exclama-t-il à cœur ouvert. Eh bien, j'accepte votre proposition, montrez-moi de quoi vous êtes capable... arriverez-vous peut-être un jour à la hauteur de Clochette...
***
Dormir avec des ailes arrachées ne posait aucun problème à Harry, il se délectait même d'avoir enfin retrouvé l'appétit et un sommeil tranquille. Retrouver sa maison et son lit lui procurait un sentiment chaleureux. La seule chose qui manquait dans cette pièce, c'était un vraisemblablement Noa, son épouse, qui n'avait donné aucun signe de vie depuis un bon bout de temps.
Lorsqu'il retrouva Clochette à l'Atelier des Bricoleurs, le soleil plombait l'environ divagué de fées. La jeune fille, vêtue de gants en latex qui la sexualisait de façon terrible, voyait tous les regards des Fées Bricoleurs du coins se poser sur elle jusqu'à en distinguer celui de Harry.
— Devine ce que je viens de fabriquer, dit-elle en faisant un clin d'œil ravageur au garçon.
Sur la grande table de pierre juste en face de lui, au niveau de ses hanches, il remarqua quatre gros pics similaires à des cônes en écorce.
Voyant le visage du garçon défiguré face à son chef d'œuvre incompris, Clochette haussa le ton.
— Ce sont des mines de lumières ! s'exclama-t-elle d'un geste théâtral.
— Et à quoi ça sert, ce truc ?
— Ce truc, comme tu le dis si mal, servira à savoir où se situent Kyle et Noa. Je vais placer ces quatre cônes lumineux dans chaque zone de la Vallée des Fées. J'en ai déjà parlé à la Reine Clarion et elle trouve l'idée géniale !
— J'avoue, c'est... épatant.
— C'est Iridessa qui m'a aidé à installer un flux de lumière à l'intérieur des cônes. Dès que quelqu'un aura repéré ces deux-là, il suffira de taper sur lui pour qu'il s'envole dans les airs et explose comme un feu d'artifice.
— Et comment va Iridessa ?
— Beaucoup mieux, répondit Clochette en hochant lentement la tête. Elle nous a dit qu'elle te doit beaucoup pour lui avoir sauvé la vie, en quelque sorte. En tout cas, Chloé n'est pas prête de revenir de sitôt. Tout ça lui a permis de se reposer un peu et de reprendre ses esprits, tu vois ?
— Chloé et son fouet... souffla Harry dans un marmonnement sombre.
— Au fait, personne ne te fait des réflexions par rapport à tes ailes ?
— Si ! bondit nerveusement Harry, le visage crispé. Tout le monde me regarde avec de la pitié et j'ai horreur de ça. Il y a même un groupe de fille qui est venue me voir, ce matin. D'après elles, je ressemblais à un aventurier qui aurait subi une énorme blessure de guerre et que ça me donnait un air viril...
— Rêve pas trop, on dirait juste qu'un chien t'as déchiqueté les ailes.
— Bref, acheva Harry d'un geste agacé de la main. Dépêche-toi de placer ces gros machins bizarres ! Avec un peu de chance, on réussira à trouver mon crétin de frère !
***
La Vallée des Fée était particulièrement bruyante, ce jour-là. Pour eux, Clochette les mettaient en danger avec ses quatre mines de lumière. Tyler, une Fée des Eaux, faisait circuler des rumeurs selon lesquelles ces quatre mines de lumières seraient des bombes et n'hésiteraient pas à détruire la vallée. Le chahut qui envahissait la vallée ne tarda pas à tomber aux oreilles de la reine qui avait décrété que ces objets resteraient plantés à ces angles précis pour la bonne cause.
Après quelques rayons de miel, suivi d'une bonne ration de poussière de fée, les quelques habitants réfractaires fermèrent les yeux, tandis que d'autres se portaient volontaire afin de trouver Noa.
Une journée défila sous les yeux de Harry et Clochette avant qu'ils n'aient pu dérober quelques informations d'une poignée d'habitants de la vallée.
— La Forêt de l'Hiver ? s'étonna Harry. Mais pourquoi Kyle et Noa seraient ici ? Ce sont des fées de saisons chaudes !
— Je pense que c'est en rapport avec Cristalline, lui confia Clochette.
— C'est qui celle-là ?
— Ma sœur jumelle ! rugit Clochette d'un visage boursoufflé. Et ton cher frère est amoureux d'elle, si tu veux savoir...
— Étonnant, il ne m'en a jamais parlé...
— Il s'est passé beaucoup de choses durant ton absence dans l'Autre Monde, dit Clochette.
— Oui, affirma-t-il d'un hochement de tête. Je me demande bien ce qu'il devient, depuis tout ce temps...
— Eh bien ça sera l'occasion de lui poser la question ! Allons-y.
***
Harry trouvait le voyage tout simplement insupportable, il était là, transporté par les bras de Clochette comme un vrai bébé. Son poids léger permettait à Clochette de ne pas effectuer de charge trop lourde, celle-ci étant déjà confrontée à des scies et des marteaux nettement plus lourd et ardent.
Arrivé à la frontière, Harry lui glissa des bras comme un vieux paquet de linges sale.
— Aïe, marmonna Harry en se frottant le crâne. Tu aurais pu être plus douce avec moi.
— Je ne suis pas ta femme même si tu en meurs d'envie, ricana Clochette d'un clin d'œil.
— Pfff, ferme-là, sourit-il à son tour, un rictus sur sa face rougissante.
La Fée du Givre chargée de réceptionner les personnes des zones chaudes gardait un regard à glacer le sang et une posture impeccable.
— Nous souhaiterions passer de l'autre côté, dit Clochette en désignant les ailes déchiquetées de Harry.
Comprenant que tous deux étaient venus pour trouver Kyle, la femme se contenta de hocher de la tête avant de geler à moitié les ailes de Harry et au complet celle de Clochette. Tout de même, elle se permit de lancer un dernier regard suspicieux à en traverser l'âme des deux amis.
— On dirait un maton, frissonnait Harry en ayant pris assez de distance pour ne pas que la gardienne ne l'entende.
— C'est clair !
Dans la forêt blanchâtre, clairsemée de pistes glacée, Harry et Clochette arrivaient parfaitement à se fondre dans la masse. La blonde s'arrêta d'un geste et observa un énorme creux dans la neige.
— C'est là que j'avais placé ma mine lumineuse, dit-elle en appréhendant la situation.
— Et donc, Kyle est dans le coin ?
— Il devrait y être, oui. Allons demander à Cristalline si elle ne l'aurait pas vu.
Les deux fées marchèrent péniblement dans le vent blanchâtre qui soufflaient des particules de flocons sur leurs visages toutes les cinq minutes. Emmitouflés de pull verdâtres et violacés, ils pouvaient cependant se tenir tranquille.
Clochette frappa deux fois à la porte d'une maison de glace avec la forme d'un ballon de rugby. Cristalline apparut devant la porte, armée d'un énorme pic de stalagmite pointée droit sur eux.
— Oh, désolée, s'exclama-t-elle en lâchant son arme transparente. J'ai cru que c'était Kyle.
« Elle n'est pas si belle que ça, je ne vois pas ce que Kyle lui trouve » pensait Harry dans son esprit en dévisageant le corps dénué de courbe harmonieuse face à lui.
— Excuse-moi, mais tu es bien la sœur de Clochette ? demanda Harry en fronçant des sourcils.
Le garçon balayait son regard sur le corps décharné de Cristalline tel un rayon scanner. La jeune fille semblait bouleversée.
— M-mais oui, bien sûr ! Et toi, tu dois le frère de Kyle, non ? Vous vous ressemblez énormément.
— Oh, pour ça, oui ! rigola Harry. Kyle est ma copie avec des cheveux roux.
Étrangement, Cristalline ne semblait pas convaincue par les mots de Harry. La jeune fille tira furtivement d'un talon sur le cou de Harry avant de retomber à califourchon sur son corps.
— Clochette, s'exclama Harry en se protégeant de coups de poings qui lui mitraillait le visage. Ta sœur est cinglée !!!
— Kyle, je sais que c'est toi !!! hurla Cristalline en tapant aveuglement. Tu as teinté tes cheveux en noirs et tu pensais me duper !!! Je t'ai piégé !
— Noon, tonna Clochette à son tour avant de séparer les deux individus. Tu te trompes, Kyle a vraiment un frère et c'est celui que tu es en train de tabasser, espèce d'idiote !
Cristalline éclata en sanglot avant de renifler péniblement.
— Je suis sincèrement désolée, dit-elle en s'adressant à Harry. Ton frère est un vrai chien, et quand je t'ai vu... tu m'as... tu m'as...
— Oh ne t'en fais pas, c'est déjà oublié, mentit Harry en secouant son pull émergé de neige.
Le garçon pressentait déjà qu'il allait regretter cette rencontre. Pourquoi se permettait-elle de juger son frère ainsi ?
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