Saison 5 - Épisode 9 : La promesse oubliée

  Il était là, debout en piquet sur ses deux pieds. Il se sentait en vie et même respirer. Ses yeux clignèrent deux fois afin de se dilater et Harry constata avec stupeur qu'il était seul. Le garçon avait beau balayer son champ de vision, il ne voyait personne. Seul une aveuglante lumière blanche restait présente autour de lui, avec une brume qui lui voilait l'horizon. L'endroit était indiscernable pour Harry.

  — Vidia... murmura-t-il dans un élan de panique.

  Harry pivota sur lui-même mais toujours personne à l'horizon jusqu'à ce que son cœur rebondisse dans sa poitrine : des bruits de pas claquaient sur le sol blanc carrelé. Puis il entendit d'autres sons complètement différents dans la même direction que ces étranges pas. Ces petits bruits semblaient marteler irrégulièrement le sol tant ils étaient nombreux et successifs.

  Deux silhouettes hétérogènes se dessinaient à mesure qu'elles avançaient dans la brume. Le cœur du garçon se révulsa. Harry ne trouva rien de mieux à faire que de brandir les poings et serrer les dents, à l'instar d'un chien enragé.

  — Qui-qui est là ?! Attention, si vous approchez, je vous jure que vous allez le regretter !!! grogna-t-il sous un ton peu convaincant.

  Tout à coup, Harry pensait que son crâne venait de se fendre en deux : les deux silhouettes étaient désormais à découvert. Sa mère et Dany se tenaient face à lui, le chien pendait sa langue jusqu'à laisser des filaments de baves épouser le carrelage et la femme esquissait un sourire jusqu'aux oreilles. Les poings menaçants de Harry retombèrent au niveau de ses hanches suivi d'un visage crispé qui n'allait pas tarder à exploser en sanglot.

  — M-maman... Dany ? MAMAN... DANY !!!

  Harry n'en croyait pas ses yeux, malgré ses jambes tremblantes de bonheur, le garçon parvint à détaler sur sa mère avant de la serrer dans ses bras. Sa tête collée à sa poitrine, les larmes faisaient de petites tâches sur la robe blanche de sa mère. Celle-ci passa sa main dans les cheveux emmêlés de son fils.

  — Harry, du calme, du calme... Pourquoi tu trembles autant ?

  Marguerite ne parvenait même plus à entendre la réponse de son fils tant son visage était enfoui dans sa poitrine, la voix étouffée par la robe propre et les larmes saccageaient sa voix hoqueté. Harry serrait sa mère si fort qu'elle pourrait en perdre ses côtes.

  — Maman... Maman... Je-je-je, tremblotait-il, je n'en peux plus... tu me manques !

  — Voyons, Harry, mais pourquoi tu dis ça ? rétorqua sa mère d'un ton amusée. Je suis là, et depuis toujours...

  — Ah oui ? dit Harry en serrant le tissu d'une poignée ferme. P-pourquoi tu ne m'as rien dit ? Hein ? Tu n'avais pas le droit de faire ça !!!

  — Fiston, je ne voulais pas te voir triste. Tu étais tellement heureux. Ça m'avait tant manqué.

  — Maman, je ne veux pas que tu repartes...

  — Je suis là, maintenant, je suis là.

  Harry sentit Dany lui lécher les pieds avant de se ruer sur lui. Jamais le garçon n'avait été aussi heureux. Il attrapa son chien et lui caressa le ventre. Ses poils blancs tachetés de points noirs étaient reluisants et d'une douceur prometteuse. Ils ne laissaient paraître aucune trace de plaies, ni de taillades, rien, juste un pelage d'une divine pureté.

  — Maman, j'ai eu tort pour Lizzy !

  — ... pourquoi ça, Harry ?

  — Son cousin avait tué Dany, pleurait-il, je suis désolé. J'aurais dû t'écouter et passer plus de temps avec lui.

  — Et tu m'as écouté, mon fils. Dany était venu avec toi chez la petite Griffiths, dit sa mère d'un sourire bienveillant.

  — Mais pourquoi... pourquoi ça s'est passé comme ça ? Qu'est-ce que j'ai fait au monde pour subir ça, maman ?

  — Parfois, Harry, il y a des choses que nous ne pouvons pas changer. Des douleurs qui surgissent dans les moments les plus inattendus alors que le bonheur nous accompagnait, il n'y a pas si longtemps de cela... voilà en quoi résulte la vie, mon fils.

  Les larmes, qui avaient autrefois séchés sur les joues pales de Harry, se remirent à ruisseler jusqu'au bout de son menton. Marguerite fronça tristement des sourcils en voyant de visage défiguré de son fils.

  — Oh, Harry, mais qu'est-ce qui t'arrives ?

  — Vous... Vous... hoquetait-il sans parvenir à faire sortir un mot. Maintenant vous n'êtes plus là, je-je ne veux pas vivre sans vous... non... pourquoi est-ce que je vis ?!

  — Harry, dit sa mère en frictionnant son dos frissonnant de sa main chaude et rassurante, nous ne sommes jamais partis. Dany et moi, nous sommes ici, dans ton cœur.

  Marguerite plaça son autre main sur la poitrine du garçon. Harry avait l'impression qu'un défibrillateur électrifiait son cœur d'une chaleur palpable.

  Plus le cœur de Harry se réchauffait contre la paume de Marguerite, plus l'espace blanc de brume se dissolvait pour laisser place à un éclat flamboyant dans tous les alentours. Des étincelles ressemblant à des feux d'artifices teintaient le ciel de sons craquelés.

  — Regarde-moi ça, Harry ! ajouta Marguerite dont la lumière rougeâtre reflétait ses yeux ébahis.

  Alors qu'il penchait la tête vers le ciel pétillant, une étrange mélodie de chanson chatouilla ses tympans. Aucune idée ne lui venait à l'esprit, pourtant cette mélodie envahissait davantage l'espace.

  — Maman, tu entends ça ? demanda Harry d'un ton intrigué. Qu'est-ce que ça signifie ?

  Mais il l'entendit pousser quelques reniflements. Marguerite essuya ses larmes d'un revers de manche puis s'exprima :

  — Voyons, Harry, tu ne reconnais pas cette belle symphonie ?

  Des rires de bébé résonnèrent subitement dans l'espace, allant même jusqu'à recouvrir les paroles de la femme.

  Harry écarquilla des yeux en remarquant les étincelles flamboyantes dessiner des formes dans le ciel. Peu de temps après, une flûte à la taille disproportionnée apparue dans le ciel, rougie de teintes flamboyantes.

  — Papa...

  Seuls des grands doigts aux tailles proportionnelles à la flûte vinrent pianoter les huit trous de jeu exprimant une mélodie explicite. Ses hausses puis ses baisses de nomenclatures commençaient à alerter le cerveau de Harry.

  Puis, il se souvint, cette composition de flûte fut celle que son père lui jouait avant de s'endormir profondément, à l'instar du gros bébé qu'il était.

  Après quelques instants qui plongèrent Harry et sa mère dans une nostalgie trépidante, la musique se rompît suivi d'une voix grave s'élevant entre les murs résonnants.

  « Fais de beaux rêves Harry. Tu seras un grand bonhomme, j'en suis sûr »

  Alors que tout semblait aux réjouissances, un bombardement détonna brusquement dans la pièce. Elle perdit sa teinture rouge flamboyante en coulissant vers une couleur bleu, froide et livide. L'instant qui suivit les bombardements, des sons brutaux semblable à des hélices d'hélicoptère fendaient le silence. Harry serra sa mère aussi forte que jamais.

  — Mais maman, qu'est-ce que ça veut dire ?

  — Je n'en sais rien, mon chéri, répondit-elle en enfonçant d'une main le visage de son fils dans sa robe blanche.

  Cette fois-ci, les étincelles voltigèrent de part et d'autre, complètement hors de contrôle, suivi d'un atterrissage en piqué sur le sol. Les petits bruits stridents sifflaient d'une façon désagréable au fur et à mesure qu'ils se rapprochaient de Harry. Les étincelles avaient aussi changé de couleur, virant au bleu.

  Au moment où les étincelles se rassemblèrent, la grande silhouette musclée d'un homme aux cheveux tombant jusqu'à son front en quelques mèches rousses apparurent. Il se tenait aux marches d'un escalier, sa main caressait légèrement sa barbe rasée de trois jours. Ses yeux brillants avaient l'air d'exprimer toute la tristesse de cet homme mystérieux. Tout à coup, les étincelles décrivirent la forme d'un jeune garçon, d'environ une douzaine d'année se postant juste au-dessus des marches de ce même escalier. Il pleurait sans relâche mais ne détachait pas l'homme du regard.

  Le teint de Harry devint aussi pâle et froid que les couleurs qui l'encerclait. Les silhouettes dessinées par les étincelles se mirent à hausser d'une voix résonnante.

  « Non, Harry, non... Non, mon garçon, dit l'homme en attrapant une dernière fois son fils qui s'était jetée dans ses bras. Tu dois être fort. En l'absence de papa, c'est toi l'homme de la maison maintenant.

  — Mais je ne veux pas que tu partes, je veux pas être l'homme de la maison, je-je... hoquetait le garçon d'une voix étranglée. Pourquoi tu pars ? »

  Harry avait la sensation que son cœur son fendait en deux, en voyant face à lui le passé resurgir sous la forme de ces étincelles bleuâtres.

  « Harry, tu entends tous ces bombardements ?

  — O-oui... hocha-t-il rapidement de la tête en essuyant ses larmes d'un revers de manche.

  — Il est de mon devoir en tant que citoyen de vous en protéger, toi et ta mère, tu comprends ? »

  Le garçon ne semblait pas convaincu et afficha une grimace morne.

  « Tu me promets de revenir ? demanda Harry, à voix basse.

  — Seul l'avenir peut te le promettre, Harry. Mais je suis sûr d'une chose... »

  Le petit Harry, qui semblait déjà avoir perdu tout espoir de revoir son père, leva la tête suite à la suspension de celui-ci.

  « Si je meurs, cela ne sera pas en vain ! Harry, je te demanderai de ne pas hurler, de ne pas pleurer...

  — T-t-t-tu vas me manquer, papa !!! désobéit Harry en lui lacérant le cou.

  — Prends soin de ta mère, pour moi. Et par-dessus-tout, reste en vie aussi longtemps que tu le peux, rêve tant que tu le veux et sois heureux, mon fils... »

  L'homme fut interrompu par les appels d'un Commandant au-delà de sa clôture.

  « Le devoir m'appelle, Harry. Je t'aime. N'oublie jamais les conseils que je viens de te donner, mon fils. »

  Il plaqua un bisou sonore sur le front de son fils, embrassa sa femme comme si c'était la dernière fois, puis balança son énorme sacoche militaire dans son dos. Au pied de la clôture, il se retourna pour la dernière fois et adressa un grand au-revoir en balançant son bras dans le ciel.

  La charrue, dirigée par des chevaux, émit un léger son de fouet puis redémarra, s'éloignant de plus en plus loin de l'allée.

  Les étincelles s'évanouirent subitement avec toutes leurs interprétations. Harry fut pris d'une violente palpitation, sous le choc, et tentait de prendre une respiration normale.

  Sa mémoire revenait peu à peu. Il cerna une nouvelle fois les paroles que son père lui avait dites en 1914 : Harry ne pouvait pas se permettre de mourir, pas maintenant. La vie ne s'était pas encore totalement éteinte pour lui, peut-être lui restait-il des merveilleuses choses à découvrir. Quitter ce monde pour rejoindre sa mère, son chien et sans doute son père serait alors un signe de faiblesse ? Il n'en n'avait pas la moindre idée.

  — Harry... souffla sa mère dans son oreille. Je pense que tu dois repartir.

  — Quoi ? Non, je veux rester un peu plus avec toi.

  — Nous serons toujours là pour toi, voyons. Nous sommes dans ton cœur, Harry, et personne à part toi, n'aura la force de nous en sortir.

  — Mon cœur ?

  — Oui, Harry. Ton cœur. Il serait peut-être temps de retourner avec les vivants, tu ne penses pas ? lui dit-elle d'un ton claironnant.

  — Mais maman...

  Harry n'eut pas le temps de finir sa phrase que Marguerite plaqua sa main chaude contre son cœur. Au même moment, toute la salle s'éclaircit à en aveugler le garçon pendant qu'un son strident se réveillait à mesure que la lumière blanche apparaissait. Puis, plus rien.

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