Saison 4 - Épisode 5 : L'argent rend beau

  Deux individus surgirent de nulle part dans cette pluie infernale qui ne cessait d'abattre une horde d'eau contre la ville, envahie par la lune. Alors que la pluie s'écrasait contre leurs imperméables marrons, qui recouvraient leurs corps de la tête aux pieds, ils s'arrêtèrent en regardant de droite à gauche, les bras croisés pour se réchauffer du froid de la nuit.

  — Tu penses qu'ils sont là, papa ? demanda l'une des deux personnes dont l'imperméable masquait totalement le visage d'un masque d'ombre.

  — Ils ont intérêt, ça fait dix mois qu'on ne les avait pas revus. Allons-y, ma chérie, je n'ai pas envie de rester plus longtemps sous la pluie.

  Le chemin était bordé à gauche par des mûriers sauvages aux tiges basses et, à droite, par une haute haie soigneusement taillée. Les longs manteaux des deux personnes ondulaient autour de leurs chevilles trempées, au rythme de leurs pas.

  — J'ai bien cru que l'on arriverait en retard, dit cette fois-ci un homme sous la capuche, dont le visage apparaissait et disparaissait sous les branches des arbres qui masquaient par endroit la lueur de la lune. Mais j'espère qu'ils seront accueillants, nous sommes de la famille, après tout !

  — J'espère aussi, papa.

  Sans discuter de plus de détails, l'homme et la fille, munis de capuches, tournèrent à droite, dans une large allée qui s'éloignait du chemin. La haute haie suivit la même courbe, s'étendant au loin, par-delà l'impressionnant portail de fer forgé qui barrait la route des deux individus. Ni l'un ni l'autre ne ralentit l'allure : sans un mot, ils plaquèrent leurs bras et poussèrent la grille comme si le métal sombre n'était qu'un rideau de fumée.

  Les rangées d'ifs étouffaient le son de leurs pas. Il y eut un bruissement quelque part sur leurs droite. L'homme balança ses yeux qu'ils pointèrent par-dessus la tête de sa fille, mais le bruit était du à un énorme chat qui s'avançait d'un air majestueux au sommet de la haie.

  — Monsieur Grimace ! s'exclama la jeune fille. Je t'avais dit de rester dans le carrosse.

  À ça, le chat grassouillet répondit d'un simple miaulement et continua de longer la haie, de son pelage blanche taché de vulgaires points noirs et oranges, répartis un peu partout sur cette grosse carcasse.

  Avec un petit ricanement, la fille rebroussa chemin, ne portant plus aucune attention envers son chat.

  Tout au bout de l'allée, un élégant manoir se dessina dans l'obscurité, des éclats de lumière se reflétant au rez-de-chaussée dans les carreaux des fenêtres à croisillons. Quelque part dans le parc obscur, au-delà de la haie, on entendait le chant d'une fontaine. Des graviers crissèrent sous leurs semelles lorsque l'homme et la fille se hâtèrent en direction de la porte qu'ils ne tardèrent d'ouvrir.

  Le hall d'entrée, faiblement éclairé, était vaste et sa décoration somptueuse, avec un magnifique tapis qui recouvrait en grande partie le sol de pierre. Les portraits au teint pâle, accrochés aux murs, suivirent des yeux les deux personnes qui marchaient à grands pas. L'homme et la fille s'arrêtèrent devant une lourde porte de bois qui menait dans la pièce voisine. Ils hésitèrent un bref instant puis l'homme tourna la poignée de bronze.

  Le salon était composé de deux personnes, assis autour d'une longue table ouvragée. Des meubles décoraient parfaitement les lieux contre les murs. La pièce était éclairée par un feu qui ronflait dans la cheminée, sous un splendide manteau de marbre surmonté d'un miroir au cadre doré.

  L'homme et la fille s'attardèrent un moment sur le seuil de la porte tandis qu'ils s'habituaient à la faible lumière.

  — Martin, ça me fait plaisir de te revoir ! Tu as failli être sacrément en retard ! lança un homme aux cheveux châtains plaqués par l'arrière, lassant paraître des tempes fuyantes.

  — Matthew, je vois que tu es heureux de retrouver ton petit frère adoré ! ricana l'individu.

  En enlevant son imperméable, dont les plis contenaient des filets d'eau de pluie, l'homme secoua ses cheveux châtains mi-courts mi-longs avant d'arranger son impeccable gilet de laine vert grisâtre. Il retroussa les longues manches de sa chemise blanche à ses avant-bras et serra le poignet de son grand frère.

  Après avoir pris son frère dans ses bras, Matthew s'accroupit face à la fillette qui n'avait visiblement pas envie de se débarrasser de son imperméable.

  — Comme tu as grandi, ma petite Lizzy !!! Tu reconnais tonton Matthew, n'est-ce pas ?

  Le quarantenaire attrapa la petite fille avant de l'élever en haut, vers le plafond clignotant de l'ombre et du feu de cheminé qui grondait.

  — Tu as quel âge, maintenant ?

  — J'ai neuf ans, répondit-elle d'une voix timide.

  — Tu veux voir ton cousin ?

  Lizzy répondit d'un bref hochement de tête. Après que son oncle l'ait déposé sur le sol, elle attrapa ses deux nattes châtaines et les déroula de la capuche de son imperméable. La petite fille se résolut à le déboutonner avant de le tendre à son oncle.

  — Barrie, vient dire bonsoir à ta cousine et à ton oncle, je te prie !

  D'un air harassé, Barrie balança lentement ses grandes jambes l'une devant l'autre. Il s'arrêta devant son oncle avant de lui serrer la main.

  — Alors, Barrie, tu es prêt à reprendre l'entreprise familiale, après ton père ?

  — Et comment, ricana-t-il d'un ton amusé. Nous sommes des Griffiths, chez nous il n'y a que des grands chef d'entreprise ou des grands médecins et chercheurs. Je ne veux en aucun cas déshonorer cette noble famille que nous avons.

  — Tu entends ce que dit ton cousin, Lizzy ? Tu devrais prendre note, au lieu de tout le temps parler de fées, lui asséna discrètement son père.

  — ... ça ne sert à rien de parler de fée avec lui, rétorqua Lizzy en balançant un regard noir vers Barrie. De toute façon, il ne me croira pas.

  — Sois moins bête, cousine, ricana Barrie en écrasant ses doigts sur les cheveux de Lizzy. Je connais un minable de mon âge qui croit encore à ces sornettes.

  — Il a dix-huit ans ? demanda Lizzy, toute contente.

  — Ouais ! Mais c'est une sous merde, tu vois, lui chuchota Barrie à l'oreille. Ne deviens pas comme lui.

  — Finalement, j'ai pas envie de te voir, Barrie. T'es qu'un crétin.

  Contrairement à Barrie, qui restait furtif lorsqu'il lançait des piques à sa cousine, Lizzy ne mâchait pas ses mots, qui ne tardèrent pas à interpeller les deux hommes.

  — Lizzy, voyons, ce n'est pas une façon de parler à son cousin ! Excuse-toi !

  Barrie lui arbora ses brillantes dents avec un vilain sourire niais que Lizzy aurait adoré réprimer. Elle se contenta de mimer exactement la même chose.

  — Je suis désolée, Barrie ! répondit-elle avec ironie.

  Les Griffiths ne perdirent pas plus de temps que ça et s'assirent sur des chaines boisées de rouge et d'or, autour d'une bonne soupe de poisson et un met succulent de crustacés.

  Il était plus qu'évident que cette famille ne représentait pas n'importe qui. Les Griffiths n'adhéraient pas à de la vulgaire populace pauvre et ignare mais étaient toujours distingués de la plus haute bourgeoisie. Les multiples entreprises, qu'ils possédaient depuis la nuit des temps, écroulaient partout sur Londres, leur assurant un capital prodigieusement aisé.

  Là où Martin Griffiths se contenta de suivre des études sur les papillons et ainsi travailler dans un musée qui lui assurerait un revenu plutôt confortable. Matthew, son grand frère, dirigeait à Londres, une usine de fabrication de pièce détachées, d'avions et d'armes qui avaient énormément servi durant la Première Guerre Mondiale. Mais peu importe la voie qu'ils décideraient d'emprunter, les entreprises familiales que leurs ancêtres bâtirent par le passé apporterait suffisamment d'argent pour se permettre le luxe.

  — Tu ressembles énormément à ta mère, Barrie, ton père te l'as déjà dit ?

  — Oui, oncle Martin, lui répondit Barrie, la tête plongée dans ses crustacés, ne prenant même pas la peine de regarder l'homme.

  À la différence de tous les Griffiths qui possédaient des beaux cheveux châtains, Barrie se démarquait des autres par son teint pâle et ses cheveux blonds platines. Cette particularité, il l'avait pris de sa mère selon Matthew. Une femme qui n'avait jamais aimé cet homme avant qu'elle n'apprenne qu'il possédait des multi-entreprises. Son nez crochu et ses joues beaucoup trop creuses n'avaient pas attiré le regard de sa mère, auparavant. Comme quoi, l'argent rendait beau, finalement.

  Mais hélas, elle ne put pas profiter longuement de cette vie de luxe, puisqu'elle mourut cinq minutes après avoir donné la vie à son fils, Barrie, le 2 janvier 1901.

  — Je compte m'installer à Londres, c'est pour ça que je suis venu te voir, annonça Martin en avalant sa cuillère.

  — Mais c'est une excellente nouvelle, ça ! Et tu comptes vivre où, exactement ?

  — Juste à côté de ton manoir, j'ai trouvé une petite maison plutôt sympathique.

  — « Une petite maison » ? ricana Matthew, manquant peu de s'étouffer avec son verre de champagne à la main. Pourquoi ne pas acheter une grande maison avec piscine ? Ou construire un manoir, comme moi ?

  — Roh, Matthew, je n'aime pas trop les goûts de luxe, tu le sais très bien.

  — Nous sommes des Griffiths, tu devrais t'en souvenir.

  — Ne t'en fais pas, ça va aller. N'est-ce pas, Lizzy ?

  — Oh, oui papa ! affirma-t-elle d'un air jovial. Et puis j'aime pas les grandes maisons, si les petites fées viennent un jour, elles risqueront de se perdre.

  Sur le coup, Barrie ne put réprimer un léger ricanement qui s'échappa de sa bouche. Le blondinet fit semblant de tousser pour étouffer son rire.

  — Barrie, je te vois, tu sais ?! Ce n'est pas bien de se moquer de sa cousine !

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