Saison 4 - Épisode 21 : Voyage de l'au delà
Une migraine incroyable broyait le crâne de Clochette. Elle cilla deux fois avant d'enfin sentir sa joue collée contre la glace. Bientôt, Clochette ne tarda pas à se relever sur ses ballerines vertes. Elle balaya le Dépôt du Conservateur, regardant de droite à gauche, d'un air avachi.
— Mais qu'est-ce qui s'est passé ? murmura-t-elle en baillant.
Une énorme fissure s'était formée au centre du dépôt. La plupart des manuscrits gelée s'y étaient glissés et les autres fées se regardèrent sans prononcer un mot. Tout était beaucoup trop calme.
Ondine se releva, là où quelques livres y étaient restés, et s'avança vers Clochette. Ses yeux se remplirent d'eau avant qu'elle n'attrape la blonde dans ses bras. Clochette n'y comprenait rien, elle pouvait entendre la respiration de son amie se trancher.
— Je suis désolée, Clochette... mais Kyle a tué Cristalline.
Pour la première fois, le visage de Clochette ne prit pas une rougeur écarlate, mais plutôt un blanc d'une pâleur comparable à de la neige.
— Non, haleta Clochette, c'est tout simplement impossible. C-comment est-ce arrivé ?!
— Le coup que lui a mis Kyle était bien trop violent. Son crâne s'est fendu sur la glace et tout le sang s'y était échappé. Heureusement que le coup fatal de Lord Milori t'as sonné... on-on aurait pas voulu que tu vois ça...
— Et... et où est Lord Milori, se crispa Clochette d'un visage bientôt larmoyant.
— Il va bien. Après que tu te sois évanoui, il a réussi à neutraliser Kyle. Le Monstre d'Azur est désormais dans un énorme glaçon. On n'a plus rien à craindre.
— « Plus rien à craindre », t'es sérieuse, là ?! Je viens de perdre ma sœur, bordel !!!
Le rugissement que Clochette détonna était si violent qu'il faisait trembler quelques morceaux de stalagmites accrochés au plafond. Le Conservateur en perdit presque ses lunettes. Ce vieillard s'avança lentement vers les deux jolies fées et planta son long bâton violacé entre elles.
— Ça suffit... une aussi jolie fée ne devrai pas s'énerver de la sorte...
— Mais qu'est-ce que je vais faire, maintenant ! coupa Clochette en s'effondrant sur la glace. Je sais qu'elle n'était pas la plus intelligente, ni la plus sexy, ni la plus belle, mais c'était ma sœur !!! Je ne veux même pas y croire, quoi ! Qu'est-ce que je vais faire sans elle ?
— Et bien, il existe peut-être un moyen de la faire revenir à la vie, tout compte fait, souriait le Conservateur en penchant son visage godiche vers la belle blonde.
Le teint de Clochette devint mât.
— Vous-vous êtes sérieux, là ? Ne me dites pas qu'il faudra vous faire quoique ce soit de sexuelle ou une connerie dans le genre...
— Oh, non ! Mais pas du tout, ne vous en faites pas, Miss Clochette ! Je suis extrêmement sérieux.
— Alors, qu'est-ce qu'on peut faire ?
— Cristalline et toi êtes bien sœur jumelles n'est-ce pas ?
— Bien sûr !
— D'après mon vieil ouvrage sur Le Secret des Ailes des Fées, il me semble que si l'une des deux jumelles subit un accident, d'aile brisée par exemple, l'autre sœur peut la réparer en superposant ses ailes contre les siennes. Mais cela ne s'arrête pas qu'aux soins des ailes : si son autre jumelle meurt, il possible sur un délai de vingt-quatre heures, d'utiliser la même exécution pour la ramener à la vie, expliqua le Conservateur d'un air docte.
Clochette hocha rapidement de la tête puis jeta un coup d'œil au cadavre de sa sœur étendu sur le sol. Mis à part le creux ensanglanté qui s'était formé sur son front, Cristalline semblait être tout juste en train de dormir.
Son cœur oscillait dans sa poitrine. Une forte tension s'emparait de Clochette : c'était le seul moyen de sauver sa sœur, il y avait peut-être une chance, et elle ne voulait même pas imaginer ce qui poursuivrait si Cristalline ne revenait pas à la vie.
Clochette attrapa les épaules de sa sœur avant de la retourner sur le ventre, ses ailes commençaient à se friper comme s'il s'était agi d'une vague flottante. Puis, s'accroupit dos contre le cadavre. Elle pencha ses ailes vers le bas, frôlant le pan de celles de sa sœur. D'un scintillement au bruit strident, tant il était assourdissant, une lumière naissante apparue au front de Cristal. La glace ricocha une étrange lumière.
Clochette dirigea la tête penchée vers le sol, regardait son reflet et croisait les doigts aussi fort qu'elle le pouvait. Elle entendit un gémissement durant la seconde d'après, son cœur se pulsa à nouveau.
— Hmmm... mais-mais qui a allumé la lumière, je dormais moi... hmmm !
Les larmes vinrent avant qu'elle ait pu songer à les arrêter. Elles coulaient, brûlantes, puis gelaient sur son visage, et d'ailleurs, à quoi bon les essuyer, à quoi bon faire semblant ? Elle les laissa ruisseler, les lèvres étroitement serrées, et regarda sa sœur dont les surfaces vitreuses de ses yeux clignaient d'un éclat bleu clair. Sans retenue, Clochette s'avança vers Cristalline. L'étreinte que la revenante subit fût si accablante qu'elle en avait les côtes presque écrabouillées.
— Clochette, ronchonna-t-elle, tu m'étouffes ! T'as décidée de me tuer ou quoi ?
Clochette dit rapidement.
— Oh, ferme-là, pauvre idiote... j'ai eu si peur.
Le Conservateur ne manqua pas de se pavaner lentement aux alentours des deux sœurs. Un raclement de gorge sec incita Clochette à effectuer un volte-face.
— Merci infiniment, pleurait-elle à chaude larmes, par-dessus les épaules de sa sœur.
Le Conservateur répondit simplement par un sourire pendant que Lord Milori se postait derrière son dos.
— Vous ne comptez quand même pas demander à l'une d'entre elles...
— Oh que oui ! s'exclama-t-il d'un ton chantonnant. Mais pas pour le moment, je les laisse se retrouver... Et puis pourquoi pas les deux en même temps ? C'est vrai ça, ramener les gens à la vie, ça n'arrive pas tous les jours !
Lord Milori implora le ciel afin d'oublier ces dires au plus vite. Ne voulant pas interagir plus longtemps avec ce pervers affranchi, il rebroussa chemin jusqu'à la Reine Clarion, postée derrière le refuge de livres.
— Je crois avoir trouvé la solution pour guérir Kyle... annonça Cristal, rompant ce doux moment d'émotion.
— Q-quoi ?! Tu es encore dans les vapes... ne-ne nous occupons pas de Kyle. Il est enfermé dans un bloc de glace, là-bas. Il ne te fera plus de mal, crois-moi.
— Non, je t'assure que mon esprit est bien en place. Je vous en prie, écoutez-moi, requérait-elle en se retournant vers les autres fées du dépôt.
La Reine Clarion, Lord Milori et le Conservateur jetèrent leurs regards obliques sur elle, attirant toute l'attention.
— Il faut tout simplement donner au monstre ce qu'il demande...
— C'est bien ce que je disais, tu n'es pas dans ton état normal ! tempêta Clochette.
Mais Cristalline reprit très vite :
— Si un jour, vous avez été agressé par l'un deux, avez-vous cédé à ce qu'il voulait ?
— Bien sûr que non ! T'es folle ? s'indigna Ondine à l'autre bout du dépôt.
— Même si l'idée ne m'enchante pas plus que vous, c'est le seul moyen de les guérir... ils sont perturbés par le rêve qu'ils ont subi. La seule chose qu'ils veulent se trouvait dans ce rêve. Ces monstres sont juste frustrés de ne pas pouvoir obtenir la même chose une fois la réalité alternée, c'est pour ça qu'ils nous ont attaqué...
— Cristalline, je ne sais pas ce qu'on t'as dit, dans l'au-delà, mais c'est de la folie ! termina Clochette en jetant un regard inquiet sur le bloc de glace contenant le Monstre d'Azur.
— Lord Milori... relâchez-le !
Clochette s'éloigna de sa sœur, complètement bouleversée, la rage et la peur s'emparaient d'elle. Elle prit place derrière les livres, où les autres fées s'étaient murées.
Lord Milori poussait un profond soupir pendant qu'il brandissait sa main vers le bloc de glace. Soudainement, un morceau de stalagmite apparut après une lumière bleue dans sa main, sous la forme d'un éclair. Il plia son bras puis l'étendit, larguant la stalagmite droite sur le bloc de glace. Une explosion détonna sur tout le sol au moment où des glaçons se répandaient à même le sol.
Le monstre repartit de plus belle, comme s'il n'avait jamais été enfermé dans cette glace, comme si le temps ne s'était pas écoulé pour lui. Quelque reniflement lui suffit à repérer Cristalline au loin. Le monstre martela la glace de ses poings resserrés et fonça droit vers elle, tel un gorille enragé.
Les tremblements ne l'accablaient pas, à vrai dire, elle n'en ressentait point l'urgence. Le visage défiguré et relâché du monstre qui détalait droit sur elle ressemblait à celui d'un enfant à qui on refusa une sucrerie, et malgré les élans de colère qu'il laissait paraître, Cristalline le distinguait parfaitement.
« Il faut simplement lui donner un peu d'amour... » dit-elle, intérieurement.
Cristalline dessinait un grand sourire à mesure que Kyle se rapprochait. Elle dressa ses bras de part et d'autres, fermait les yeux, inspirant et expirant lentement. Clochette, de son côté, se demandait s'il était possible de ressusciter une deuxième fois, appréhendant mal cette altercation.
Un tapage fendit l'air, plongeant tout le dépôt dans un silence absolu. Clochette avait peur pour sa sœur. Elle leva la tête, ses yeux lui infligeaient de léger picotement. Sa vision n'en fut que davantage troublée lorsqu'elle vit l'énorme carcasse musculaire du Monstre d'Azur envelopper le corps squelettique de Cristalline. Pourtant, sa sœur ne semblait pas hurler, ni trembler, ni supplier, non, elle arborait un visage serein d'un grand calme olympien. Par-dessus les difformes biceps de Kyle, Cristalline esquissa un clin d'œil à Clochette.
« Tiens ! Pour la première fois de sa vie, mon idiote de sœur avait-elle raison ? » s'exclama Clochette à voix basse.
Le Monstre d'Azur se contentait de grogner lentement, sans être agressif. Cristalline attrapa son double menton contracté et barbouillé de bave puis l'inclina lentement à sa hauteur.
« Elle ne va quand même pas... »
Sur un court instant, elle colla ses lèvres contre les siennes. Le monstre qui paraissait sauvage et inhumain, il y a quelques minutes, fit de même en plissant légèrement les yeux. Il cessa de geindre, comme si ce baiser était la seule chose dont il avait besoin pour se sentir épanoui.
Aux yeux ébahis de toutes les fées présentes, le monstre s'éleva dans le ciel, laissant la pâleur des mains froides de Cristalline une dernière fois effleurer les siennes. Son affreuse silhouette se teinta entièrement d'un bleu qui transperçait l'espace tant il était scintillant de mille feux. Malgré l'aveuglement qu'elles essuyaient, Ondine et la Reine Clarion écarquillèrent leurs yeux à s'en détacher leurs orbites. Si l'événement ne s'était pas produit devant leurs yeux, elles n'y croiraient pas : la solution à tous les monstres était là, juste devant leurs nez !
L'effroyable masse musculaire bleuâtre qu'endossait Kyle semblait diminuer peu à peu, toujours enveloppé de cette aura brillante qui le faisait planer au plafond du dépôt. Plus les éclats bleus se dissipaient dans les airs et plus le corps mince et la peau normalement pâle de Kyle lui revenaient. Le garçon retomba sur la glace, complètement évanoui, le corps relâché. Il était enfin redevenu lui-même pour le grand bonheur des fées qui l'entourèrent.
Alors que Clochette attrapa sa sœur, bondissant de joie dans tout le dépôt, Ondine et la Reine Clarion se lancèrent un regard complice.
— Vois-tu cela, Ondine ? souriait la Reine.
— Oh que oui, ma reine. Même le monstre qui sommeille en chacun de nous ne réclame qu'un peu d'amour pour s'apaiser. Un truc vachement philosophique, en fait.
— Finalement, cette Orgie n'était pas une si mauvaise idée que ça...
— En effet, elle n'a fait qu'extérioriser tous les sentiments qui se noyaient au plus profonds du cœur des victimes...
— Maintenant, il ne reste plus qu'à expliquer ça aux pauvres fées de la Vallée qui ont subi des avances... on va dire, un petit peu... douteuses, rajouta la Reine Clarion d'un ton goguenard.
Les deux fées s'esclaffèrent de rire.
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