Saison 4 - Épisode 18 : Ton dernier jour sur Terre

  Harry n'essaya pas de discuter ni d'expliquer. Il était toujours secoué de tremblements incontrôlables. Il découvrirait la vérité bien assez tard, beaucoup trop tard.

  De son visage putréfié, des gouttelettes tombèrent sans réserves sur la lettre qu'il tenait entre les mains, laissant l'encre rougeâtre se diluer sur tout l'espace qu'elle occupait.

  Harry tendit la main, referma les yeux de sa mère et essuya avec sa propre manche un filet de sang qui coulait de sa bouche. Puis il baissa les yeux vers le visage ridé de la femme et essaya d'assimiler cette vérité monstrueuse et incompréhensible : jamais plus elle ne lui parlerait, jamais plus elle ne pourrait lui venir en aide, plus jamais elle ne lui ferait de bons potages, plus jamais il n'entendrait sa voix une fois l'encadrement de la porte passé.

  Les trois fées murmuraient derrière Harry. Au bout d'un long moment, elles se rendirent compte qu'il s'était agenouillé au pied de son lit et regarda ce qu'il en était.

  Son corps se mit à hoqueter tout seul alors que son souffle devenait de plus en plus saccagé. Le garçon s'effondra littéralement sur le sol. Ses lèvres tremblaient comme si elles se retenaient de vomir.

  — Viens, Harry.

  — Non.

  — Tu ne peux pas rester ici...

  — Viens, maintenant...

  — Non.

  Il ne voulait pas quitter sa mère, il ne voulait aller nulle part. Sur son épaule, la minuscule main de Rosélia tremblait. Une autre voix dit alors :

  — Harry, viens.

  Une main beaucoup plus petite, beaucoup plus chaleureuse, s'était refermée sur la sienne et l'incitait à se relever. Il obéit à sa pression sans vraiment y penser. Ce fut seulement en sortant de sa maison, sans rien voir autour de lui, qu'un parfum familier lui fit comprendre que Noa le ramenait loin de sa maison, sur les trottoirs, là où l'air du soir était assez frais pour qu'il puisse inhaler.

  Des paroles incompréhensibles l'assaillait, des sanglots, des cris, des gémissements transperçaient la nuit, mais Noa continua de faire avancer son mari, malgré ses crises, et tous deux s'adossèrent contre un lampadaire. Il était très grand pour la taille de fée de Noa, mais assez étroit est désagréable pour Harry.

***

  À l'arrière de la grosse charrue, le corps de sa mère fut dissimulé sous une couverture grise, reposant sur une sorte de brancard à moins d'un mètre de Harry.

  La charrue, dirigée par un croque mort et quelques chevaux, s'éloigna peu à peu. Harry regarda sa mère pour la dernière fois. Il réalisa avec amertume que cet événement serait son dernier souvenir d'elle.

  En voyant le croque mort s'éloigner, Noa plana vers Harry et se glissa dans ses vêtements, contre son torse. Le pauvre garçon ne pleurait plus, mais il haletait comme un animal blessé.

  — Qu'est-ce que je vais faire, maintenant ?

  — Harry...

  — J'aurais dû être là, j'aurais dû m'en apercevoir ! Je-je...

  — Tu n'aurais pas pu prévoir ça, Harry. Et peu importe, cela n'aurait rien changé...

  — SI, BORDEL !

  Se rendant compte que sa colère l'exténuait au plus possible, Harry cilla de ses yeux incrustés de cernes noirs avant de tituber vers l'avant.

  — Qu'est-ce que tu fais ? demanda Rosélia.

  — Je retourne dans la maison.

***

  Harry ne tenu pas plus de deux heures complètement affalé dans son lit. Il s'était endormi de chagrin, puis la minute après son réveil, il se remémora tout ce qui s'était passé. Il avait espéré, au plus profond de lui-même, que tout ceci n'était qu'un cauchemar.

  Noa, Rosélia et Iridessa faisaient un véritable brouhaha, toutes les trois assises sur son bureau. Elles compatissaient énormément pour Harry mais ne savaient visiblement pas comment l'aider à aller mieux.

  Suspicion sur suspicion, elles observèrent le garçon se lever aussi fébrilement qu'un mort-vivant et marcher devant sa porte, digne d'une victime d'un échafaud. Harry attrapa un manteau troué mais suffisamment large pour le protéger du vent et de la pluie froide et tenace qui l'attendait dehors, puis il s'éclipsa dehors, vers une allée sombre. Aucun doute possible, il allait chercher le plus de réconfort que possible chez Madame Darling.

  Le garçon pensait que la solitude l'aiderait à aller mieux, mais après avoir repris les idées depuis son sommeil, un étreinte invisible se forma dans son cou et il sentait son cœur se resserrer contre lui-même à chaque fois qu'il pensait à sa mère.

  Le vent de la pluie écrasante était si fort que Harry manqua de chanceler à l'escalier de la porte de Madame Darling. Le visage reluisant de son humidité, Harry frappa deux fois à la porte.

  Vu la mine navrée qu'exaltait Mary Darling, Harry supposa qu'elle était au courant de tout. La jeune femme attrapa le garçon avant de le serrer aussi fort qu'elle ne le pouvait dans ses bras. Harry pouvait sentir le cœur de sa voisine battre, la tête collée à sa poitrine.

  — J'ai vu le croque mort s'éloigner au bout de la rue. Tous les voisins du coin en ont parlé... de... de ce qui est arrivé. Je te présente toutes mes sincères condoléances, Harry.

  — Merci, merci... soufflait le garçon de sa respiration déchiquetée.

  — Que comptes-tu faire ?

  — Je pense retourner dans le Pays Imaginaire avec Dany. Je n'ai plus rien à perdre, ici... rien ne me retiens dans ce monde pourri !

  — Harry, ne dis pas ça. Tu n'as que dix-huit ans. Même si ta mère est morte, tu ne dois pas t'empêcher de vivre pour autant.

  — C'était pour elle que j'étais revenu dans l'Autre Monde. Sinon, croyez-moi, je ne serais pas ici devant vous !

  Madame Darling ne reconnaissait plus Harry. Il prenait un ton désinvolte envers elle et son visage, son affreux visage grisâtre dessinait des cernes plus creusées les unes que les autres. Son regard n'exposait aucun éclat, juste ses yeux marrons qui paraissaient noir à la teinte de l'obscurité.

  — Harry...

  — C'est mon dernier jour sur Terre. En tout cas, je vous remercie pour tout ce que vous avez fait pour moi, et je penserais à vous depuis le Pays Imaginaire. Vous êtes comme une deuxième mère pour moi, Mary Darling.

  En pivotant sur lui-même, il rétracta ses mains dans ses poches. Harry donna son dos face à la femme estomaquée puis repartit tel un inconnu. Bientôt, son ombre, éclairée par les lumières de la maison, se mêla à celle de l'obscurité de la nuit.

***

  Noa, Rosélia et Iridessa, dont la lumière de leurs ailes scintillaient de mille feux, s'échappèrent de la poche au pan de la veste de Harry. Elles étaient heureuses d'avoir pu constater que certains humains comme Mary Darling croyaient en l'existence des fées. Ce fut la meilleure rencontre qu'elles n'eurent jamais faites, même si elles étaient restées cachés sous les vêtements du garçon.

  Iridessa se mit brusquement à trembler alors qu'elle dessinait de véritable pirouette dans les airs il y a quelques minutes de cela. Harry ralentit sa démarche nonchalante avant de jeter un regard dubitatif à celle-ci.

  — Quelque chose ne va pas ?

  — Noa, Rosélia, Harry !!! Vous n'entendez pas ?!

  Harry commença à démarrer une marche frénétique, venant même à éclabousser une marre d'eau qui traînait sous ses mocassins. Le bras fléchi vers le bas, le torse bombé et les narines saillantes, il traça le long de son trottoir avant d'entendre un bruit étrange.

  Un rugissement, non, un gémissement, ou bien des grognements. Un ours s'était perdu dans la ville de Londres, au quartier de Camden ? Harry regardait Noa et les autres fées avec inquiétude. Le pire devait être que ces bruits provenaient en direction de sa maison.

  En arrivant au grillage de sa propre maison, Harry remarqua des traces de boues jusqu'à l'intérieur de l'enclos. Ses yeux se froncèrent.

  — Noa, on est revenu à la maison ?

  — Il ne me semble pas, Harry ?

  — ... non... NON !!!

  Dans la pénombre, éclairée par les lampadaires de feu aménageant les trottoirs, Harry aperçut une traîné argentée en apesanteur, bougeant de haut en bas, à travers son grillage. Le garçon contourna l'entrée de sa maison et aperçut la niche de Dany complètement saccagée.

  — Mais... mais-mais...

  Un peu plus loin de là, Harry aperçut la traînée argentée qui continuait de briller dans la nuit. Le garçon respirait si fort et ses yeux sortaient de leurs orbites. Il reconnût une voix familière qu'il n'aurait jamais voulu entendre en ce jour. Elle était poursuivi un faible gémissement.

  Barrie, sous ses mèches blondes platines, cachait par l'ombre de la nuit, un visage d'un sourire fin si léger qu'on penserai presque qu'il prenait du plaisir. Et au-dessous de ses jambes, Dany aboyait de la plus grande force qu'il pouvait. Barrie maintenait une machette resserrée dans son poignet. Il martelait tellement Dany de coups que la lueur argentée se rompait peu à peu dans une teinte rougeâtre.

  — DANY !!!

  Le hurlement de Harry avait fait sursauter Barrie, croyant être seul face à l'animal. Le blondinet détonna un rire goguenard avant de disparaître dans une pénombre de buissons, au-delà de la maison de Harry, que même les lampadaires ne pouvaient éclairer.

  Sous ses reniflements, Harry entendit la voix de Barrie s'élever :

  — ALORS, ESPÈCE DE MINABLE ?! TU AS CRU QUE TON SALE CLÉBARD POUVAIT FAIRE DU MAL AU CHAT DE MA COUSINE SANS PAYER ?! RETIENS BIEN TES BESTIOLES LA PROCHAINE FOIS, FUTUR PAUVRE OUVRIER DE MERDE !

  Noa n'y croyait pas un seul instant ce qu'il venait de se passer. Le choc fut si intense qu'elle n'arrivait même plus à voler.

  Harry regarda en face de lui. Le danois arlequin se tenait sur ses quatre pattes, tout près.

  — DANY !

  Le chien vacilla légèrement, les étoiles se reflétant dans ses grands yeux brillants. Ensemble, Harry et lui baissèrent leurs regards vers les quatre taillades que le manche argenté avait dessiné dans sa cage thoracique haletante.

  — Dany... non... AU SECOURS ! hurla Harry en direction du trottoir et des trois petites silhouettes qu'il voyait scintiller. AU SECOURS !

  Le garçon commença à fusiller Noa de son regard tremblant.

  — Noa... OUI, OUI... NOA ! Tu es une Fée des Animaux, non ?! Tu dois bien pouvoir faire quelque chose, non ? ... NOA !!!!

  Noa resserrait sa main contre le pan de son mini short aussi fortement qu'elle le pouvait avant d'incliner la tête vers son bracelet de cheville, l'herbe froide se glissant entre ses orteils.

  — Je t'en supplie... AIDE-MOI !!!

  Sous son langage du corps très explicite, Harry comprit qu'il n'y avait plus rien à faire.

  Il ne savait pas, et ne se souciait pas de savoir, s'il s'agissait d'animal ou d'être humain, d'amis ou d'ennemis. Tout ce qu'il voyait, c'était qu'une tache rouge s'élargissait sur le pelage blanc de Dany et que le chien, le regard suppliant, tendait vers lui ses pattes minces. Harry le rattrapa au moment où il tombait et l'allongea de côté dans l'herbe fraîche.

  — Dany, non, ne meurs pas, ne meurs pas...

  Les yeux du chien se posèrent sur lui et sa langue se colla à la main de celui-ci, afin de lécher une dernière fois son maître avant de fermer ses yeux dans un gémissement sourd.

  Alors, avec un petit frémissement, le chien s'immobilisa, et ses yeux ne furent plus que deux grandes sphères vitreuses dans lesquelles scintillait la lueur des étoiles qu'ils ne pouvaient plus voir.

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