Le seul bruit que Gabble entendait était celui de son marteau bancal qu'il cognait contre un morceau de champignon. Il tentait de l'enfoncer dans un trou de bois qu'il avait scié quelques minutes plutôt. La Fée Bricoleuse était à fond dans son travail, tellement qu'elle sursauta lorsqu'elle sentit quelque chose tapoter son dos. Il fit volte-face avant de tomber sur Harry et Kyle.

  Pris par la panique, le marteau lui glissa des mains avant d'écrabouiller ses pieds. La douleur était tellement intense que Gabble pensait bien que les ongles de ses orteils avaient explosé.

  Harry prit la parole pendant que Kyle éclatait de rire derrière son dos, ne pouvant se retenir plus longtemps.

  — Salut, Gabble ! Est-ce que ça va ?

  Gabble souffrait trop pour répondre. La Fée Bricoleuse tenait son pied droit, qu'il avait relevé au niveau de sa taille, tout en bondissant du pied gauche. Il souffla perpétuellement sur celui-ci, voulant à tout prix atténuer cette douleur.

  — Argh ! Vous m'avez fait une peur bleue !!!

  — Tu es un peu maladroit, toi aussi... expira Harry.

  Gabble commença à froncer des sourcils avant de relâcher son pied. Il semblait que la douleur ce soit apaisée. Puis, il dévisagea Harry, de ses gros yeux disproportionnés, par les énormes jumelles qui lui servait de lunettes.

  — Qu'est-ce que vous voulez, tous les deux ?

  — Oh, rien de spécial... on s'ennuyait, du coup on a décidé de venir te faire un petit coucou, pas vrai, Kyle ? annonça-t-il d'une voix peu convaincante.

  Le rouquin à la chevelure flamboyante tenta de garder son calme face à Gabble, lui qui l'avait tant fait rire. Kyle affichait un rictus sensiblement dérangeant, il suffisait d'une petite chose pour qu'il explose de rire une énième fois. Pour le bien de sa crédibilité, il devait trouver quelque chose à dire, et vite.

  — C'était cool ce que t'as offert à Rosélia, hier !

  Le regard noir de Gabble se mit à scintiller, ses yeux gagnaient la lumière.

  — Ah oui ? bafouilla-t-il. Elle... elle vous a dit ça ?

  Le visage de Gabble se mit à chauffer, Harry venait de se rendre compte qu'il avait raison et s'autorisa à placer un sourire sur les côtés.

  — Non, Gabble. C'est juste notre avis, pourquoi ?

  Il semblait déçu.

  — Pour rien du tout...

  Harry se rapprocha de lui avant de serrer ses avant-bras. Gabble resta de marbre, ne comprenant pas ce qui lui arrivait.

  — Gabble... Tu aimes bien Rosélia, non ?

  — Quoi ? Non... non, pas du tout ! Nous sommes amis, bien sûr !

  Un rire incontrôlable s'empara de Kyle à nouveau, Harry fut obligé de lui dire de s'éclipser un moment pour ne pas vexer Gabble davantage.

  — Mais oui. C'est ça.

  — Non, non, Harry... je... je t'assure.

  — Très bien, alors répond à ma question.

  Gabble commençait à transpirer de tout le corps. Son visage n'était en rien assimilable à quelqu'un de confiant, pourtant, il ne voulait pas décamper ses positions. Harry releva le sourcil en toisant celui-ci.

  — Si Rosélia te demande de l'embrasser, est-ce que tu refuses ?

  — Certains amis se font parfois des « french kiss », tu sais ?

  — Pas un bisou sur la joue, crétin ! ricanait Harry. Sur la bouche, Gabble ! Sur la bouche !

  Gabble tituba en arrière. Il cherchait ses mots mais n'arrivait pas à le faire sortir de sa bouche.

  — Mais bien sûr ! Hi, hi !

  Une voix insupportable s'échappa du dos de Gabble. Clark venait tout juste de rejoindre Harry et ce dernier, content de lâcher sa bourde.

  — Clark, tu veux bien arrêter de raconter des âneries ! explosa Gabble en poussant le gros sac de graisse que pendait son ventre.

  Harry n'aurait pas pu prétendre à mieux de la part de Clark. Gabble et lui étaient tout simplement inséparable, à l'instar de la relation qu'il entretenait avec Kyle. Dans la Vallée des Fées tout le monde affirmait que l'un n'allait pas sans l'autre. Ils étaient tellement proche qu'ils avaient emménagé dans une maison commune, au Refuge des Bricoleurs. Pour Harry ça aurait été une idée fabuleuse de vivre avec Kyle s'il ne vivait pas déjà avec Noa.

  Il était clair que Gabble et Clark se disaient tout et n'importe quoi. Aucune raison n'engageait Harry à rester dubitatif.

  Gabble, le regard fuyant, resserrait des dents suite à la déclaration de Clark. Il n'avait qu'une seule envie, celle d'arracher le sourire niais du nounours géant.

  — Mais si, Gabble ! Rappelle-toi !!! persistait Clark.

  On avait l'impression que Clark faisait exprès de dévêtir les informations les plus confidentielles de Gabble, mais pourtant ce n'était pas le cas. Clark était juste extrêmement naïf doublé de son incapacité à réfléchir intelligemment. Il était digne d'un gros bébé encore bercé de pensées innocentes et pures.

  — Bien, exprime-toi, mon grand, lui assura Harry. Tu n'as rien à craindre, Gabble ne va pas te faire de mal, surtout si tu es franc et que tu dis la vérité... n'est-ce pas ?

  Sous une haute fréquence de grognement, Harry pouvait entendre un « Oui... GRR... bien sûr » de la part de ce dernier. Gabble, le visage rouge, préféra croiser les bras et donner son dos. Il inspirait la peur et la honte combinés.

  — Dans son sommeil, Gabble parle beaucoup, beaucoup, beaucoup de Rosélia ! ricanait Clark.

  — Intéressant, si ce n'est pas une preuve d'amour tout ça...

  — Mais c'est pas tout, ricana Clark.

  C'en était trop pour Gabble, ce dernier fit volte-face avant d'exploser devant eux. Harry était subjugué du mouvement brusque qu'opérait Gabble.

  — Oui, j'avoue, je suis amoureux de Rosélia !!! Elle est tellement belle, tellement sexy !!!

  — Oh la, oh la, calme-toi Gabb...

  — J'aime tout chez elle, sa façon de parler, son odeur, ses cheveux roux, son rouge à lèvre...

  Une violente explosion de rire détonna à l'autre bout de la pièce, Kyle était perceptible depuis là-bas. Gabble lui envoya une scie dans la figure avant de repartir de plus belle.

  — Ses yeux verts, ses bras, ses jambes, ses fesses, ses...

  — STOOOPPPP !!!

  Harry plaqua sa main contre la bouche de Gabble, il sentit l'air expiré de la bouche de celui-ci sur sa paume, comprenant qu'il venait de se soulager.

  — Je comprends ta folie amoureuse, Gabble ! Mais tu ne dois pas parler comme ça !

  Il avait raison, au vu de son visage cynique, on aurait pu confondre Gabble avec un fou, à croire que le sujet le passionnait.

  La Fée Bricoleuse se laissa tomber sur le sol après ça.

  — Mais bon, je ne serai jamais avec elle... c'est perdu d'avance.

  Harry plaqua sa main contre l'épaule du garçon. Celui-ci releva la tête avant de l'observer fixement avec des yeux ronds.

  — Tu sais, Gabble, moi non plus je ne croyais pas en moi. Je pensais que jamais aucune fille n'aurait voulu de moi. C'était vrai avant. Mais pourtant, j'ai réussi à me marier avec Noa, moi ! Pourquoi ça ne serai pas le cas pour toi ?! s'exclama Harry en inclinant sa main gauche à Gabble pour lui montrer un anneau apparent sur son annulaire.

  Depuis que Harry s'était marié avec Noa, il avait totalement changé. Ce n'était plus l'adolescent frêle qui manquait d'assurance comme autrefois. À bientôt dix-huit ans, Harry inspirait la confiance et n'avait plus peur du regard des autres. Il n'hésitait pas à aider n'importe quel habitant de la Vallée des Fées. C'était plus que clair, le Pays Imaginaire avait fait de lui un garçon nouveau qui allait bientôt devenir un homme.

  En voyant Gabble abattu sur le sol, cela lui rappelait les nombreuses fois où il se retrouvait à cette même place lorsque les filles le rejetaient et lui faisaient perdre confiance en lui.

  — Je vais t'aider, ne t'en fais pas.

  — Quoi ?

  — Je vais t'aider à sortir avec, Rosélia !

  Gabble commençait à trembler des lèvres, parer à pleurer.

  — Merci beaucoup... Harry... j'espère que ça va marcher...

  — Franchement, toussa Harry, qu'est-ce qui pourrait bien arriver ? Ce n'est pas comme si Rosélia avait quelqu'un en vue...