Saison 3 - Épisode 10 : Retour à la réalité

  Harry avait toujours cru qu'il était impossible de rencontrer quelqu'un d'aussi détestable que Barrie, mais c'était avant de faire la connaissance de Sled. Comme prévu, il fourra la potion que lui avait mijoté Noa dans l'une de ses poches et se décida à quitter le Pays Imaginaire pendant deux semaines.

  Mais avant de prendre la poudre d'escampette, Harry s'était chargé de voir Kyle personnellement au Refuge des Bricoleurs. Il savait bien que son frère n'était pas un as de la séduction et qu'il n'avait jamais eu de relation amoureuse, mais il songeait sincèrement que celui-ci serait capable de s'occuper de Gabble pendant son absence. Il l'avait trouvé étrange, d'ailleurs. Lorsque Harry était venu toquer à sa porte, Kyle avait un morceau de glaçon collé sur la joue. Le rouquin disait que cela lui rappelait une fée extraordinairement belle qu'il avait rencontré au Square du Printemps.

  Il était six heures du matin lorsque Harry franchit in-extrémis la Deuxième Étoile. Une sensation nauséabonde fleurissait de plus en plus à l'intérieur de lui. Plus il descendait vers la ville, plus les nuages se dissipaient depuis le ciel. Il se rapprochait de Londres. Revoir ces grands bâtiments, ces carrosses, ces voitures, cette populace hypocrite et cruelle ainsi que ce mode de vie maussade, l'écœurait au plus haut point.

  Après avoir poussé quelque soupirs attristés, Harry retrouva Camden – la résidence où il vivait autrefois. Il pensait que sa maison aurait radicalement changé depuis son départ, que la fenêtre de sa chambre serait flanquée de ruban adhésif ou encore que des avis de recherches à son effigie crouleraient dans la ville, surtout sur les murs et clôtures de sa maison, mais il ne fut rien de tout cela.

  Harry contemplait sa maison depuis le ciel, d'un air dubitatif. Puis il décida de sprinter à l'intérieur de sa chambre depuis sa fenêtre, qui se trouvait entrouverte par le plus grand des hasards. En voyant cela, Harry pensait que sa mère ne l'avait jamais oublié ni même abandonné, qu'elle espérait peut-être qu'un jour il revienne à la maison. Une petite pensée pour Noa ne tarda pas à s'imposer dans sa tête.

  Le garçon battit des ailes deux fois plus vite avant de s'écraser sur le sol de sa chambre. Inquiet, il inspecta sa poche et poussa un grand soupir en constatant que la potion y était encore. Le contenu violet fluorescent lui arrachait les yeux, tellement il scintillait. D'un air abattu, Harry fit propulser le bouchon de liège contre le plafond et engloutit une gorgée de la substance.

  À ce moment précis, le corps de Harry se mis en lévitation et une onde de chaleur balaya son visage. Il reprit ses esprits sur le sol, perdu dans une épaisse fumée noire. Ses oreilles sifflaient et il eut la sensation subite que ses yeux le brulaient. En tentant de plisser étroitement les paupières, Harry remarqua qu'il avait regagné sa forme humaine ainsi que sa taille normale. Ses oreilles pointues avaient disparu et ses grandes ailes saillantes par la même occasion. Il fallait croire que la transition entre la fée et l'humain avait quelques effets secondaires.

  Afin de réprimer sa douleur, Harry tira le poignet de sa porte en se dirigeant à pas lourds jusqu'à la salle de bain, celle-ci étant située juste en face du couloir. Harry y pénétra machinalement, comme s'il n'avait jamais quitté cette maison.

  Mains agrippées contre le rebord du lavabo et le visage enfoui dans le receveur, Harry tourna le robinet, s'aspergea d'eau froide autant qu'il pouvait. Il releva son visage humide puis contempla son reflet dans le miroir fixé au-dessus du lavabo de la salle de bain. Des mèches noires et grasses retombaient sur son front. Son acné se tenait tranquille, à l'exception d'un petit volcan écarlate près de la pomme d'Adam.

  C'était tout simplement incroyable, un an avait défilé depuis son départ dans l'Autre Monde, pourtant cela n'empêcha pas à Harry de hériter de quelques changement physique, une fois sa forme humaine acquise. Ses épaules musclées, ses biceps saillants et des touffes de poils sous les aisselles se faisaient désormais remarquer. À l'issue de son ultime poussée de croissance, il mesurait désormais un mètre quatre-vingt-trois.

  — Salut, beau gosse, sourit-il.

  Une voix familière répliqua aussitôt, le cœur de Harry s'emballa dans sa poitrine.

  — Harry ?

  Le garçon se pencha vers l'encadrement de la porte. Il entendait des pas, lents et lourds, grincer sur les escaliers en bois. Harry apercevait sa mère se rapprocher de lui. Le garçon resta bouche bée. En l'espace d'un an et demi, elle avait incroyablement changé, elle-aussi, mais pas dans le bon sens du terme. Ses longs cheveux gras, qui voilaient son visage, laissaient apparaître des mèches plus grisonnantes que l'an dernier. Son visage émacié et ses rides tracées sur le front indiquaient non seulement son passage à la cinquantaine d'année mais aussi la dépression qui la rongeait. Toujours avec sa démarche courbée et ses vêtements tachetés de poussières, la femme s'avança face à son fils avant de le saisir dans ses bras et de pleurer à chaudes larmes. Ses lèvres tremblotaient de plus en plus.

  — Tu es vivant...

  Harry n'eut même pas la décence d'envelopper, à son tour, sa mère dans ses bras. Le corps du garçon resta aussi rigide qu'un piquet en bois.

  — J'ai cru que jamais je ne te reverrai...

  — Du calme, maman. Me voilà de retour, maintenant...

  La mère de Harry laissa apparaitre un petit sourire malgré ce visage blême et marqué. Elle redescendit les escaliers lentement, son fils la suivit machinalement.

  — Tu as faim ?

  — Vu toute la durée du trajet, oui. J'ai un petit creux, je pense !

  Sa mère hocha de la tête et se dirigea vers la cuisine.

  — Maman, j'ai tellement de choses à te raconter !!!

  — Comment ça, Harry ? s'étrangla-t-elle. Où étais-tu pendant tout ce temps ?!

  Finalement, le garçon commença à regretter d'avoir ouvert la bouche. Il sentait que l'interrogatoire et la plaidoirie de sa mère n'allaient pas tarder à détonner.

  — Je me suis fait un sang d'encre pour toi. J'ai failli me suicider, tu te rends comptes ?! Après ça je ne savais plus quoi faire, j'étais perdue !

  — Maman... je suis désolé...

  Harry avait finalement réussi à le dire. La phrase. Cette phrase qui pourrait peut-être réconcilier ces deux-là. Pendant qu'elle mijotait un potage dans une grande marmite, une larme s'échappa de son œil. Il venait de se rendre compte à quel point il l'avait fait souffrir, à la vue de sa voix tremblotante et de son air de vieille dame recroquevillé. Harry commençait presque à culpabiliser d'avoir été heureux en ayant trouvé une nouvelle famille et des amis.

  — Donc, qu'est-ce que tu as à me dire ?

  Il ne savait pas par où commencer, entre le fait que sa belle-fille était une fée ou bien qu'elle avait un deuxième fils dans la Vallée des Fées. Harry n'eut même pas le temps d'ouvrir la bouche que sa mère inspecta sa main droite. Elle attrapa d'un mouvement brusque son annulaire et lui ôta sa bague.

  — Harry, tu m'expliques ça ?! Cette... cette vulgaire bague en bois...

  — Oui, j'allais en venir... répondit-il en se raclant la gorge. Je suis marié, maintenant.

  — Mais bon sang, Harry ! Tu auras dix-huit ans dans quelques semaines !!! Tu n'es pas encore assez mûre pour te marier... et-et puis avec qui cela peut être ?!

  — À une fée, maman. À une fée.

  Le visage de la femme se relâcha complètement avant qu'elle n'attrape l'épaule de son fils.

  — C'était la petite fée qui était venue lorsque tu avais disparu ?

  — Euh, je pense.

  — Je lui avait demandé de me ramener mon fils !!!

  — Oui, c'est bien elle, c'est Noa.

  — Mais voyons, fiston, tu ne peux pas te marier avec une fée ! Sois réaliste...

  Harry ouvrit la porte de sa maison et se posta devant l'entrée avant de pointer le ciel avec son index.

  — Tu vois là-haut, maman ? Dans le ciel ? Quand le soir tombe, la Deuxième Étoile apparait et illumine le crépuscule de sa plus belle lumière. Quand on sait la traverser, il y a tout un monde là-bas. C'est ici que je vis, désormais ! se défendait-il d'un ton ferme.

  — J'essaye de comprendre mais... Harry, je ne veux plus te savoir loin de moi ! Ton père nous a quitté et je n'ai pas envie que tu me fasses la même chose ! Non, je refuse !

  Sous le regard miné de sa mère, Harry avait bien compris qu'il resterait plus que deux semaines dans l'Autre Monde. Le séjour s'annonçait long.

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