Saison 1 - Épisode 10 : Pâteuse folie

  Six heures après s'être assoupi, dos contre la porte de sa chambre, Harry ouvrit enfin les yeux. Son crâne lui donnait une migraine insupportable, et ses yeux étaient rouges, sans doute à cause des larmes qu'il avait versé avant de s'endormir. Les seules choses positives étaient sa blessure sur la joue qui avait cicatrisée et ses larmes qui avaient séché. Comme quoi, le sommeil était peut-être réparateur.

  Le garçon se levait lentement, les yeux toujours plissés du au mauvais réveil qu'il avait essuyé. Puis il eut le réflexe de frotter son visage pour se rebooster un peu.

  Harry mourrait d'envie de boire un bon verre d'eau, mais il hésitait à descendre, il se sentait en paix dans sa chambre. Et il n'avait pas envie de se confronter à sa mère, ayant les dernières disputes toujours encrées dans sa mémoire. Mais la soif l'emportait sur la tranquillité, et malgré ses nombreuses réflexions, il se décida à ouvrir lentement la porte puis jeter un regard perplexe en bas des escaliers.

  — Harry ?

  Sa mère, ayant entendu la porte de la chambre de son fils grincer, se dirigea vers les escaliers afin de l'apercevoir. Elle lui lança un regard attristé, penchant sa tête vers le haut.

  — Tu vas mieux ?

  — On peut dire ça, répondit Harry, d'une voix enrouée.

  — Descend, s'il te plaît.

  Harry l'observait avec un regard craintif tout en descendant des escaliers, il ne la quittait pas des yeux, même si ça devait lui faire louper une marche.

  Sa mère prit une grande inspiration.

  — Je te prierai de ne pas t'énerver, Harry !

  — J'ai passé une sale journée, maman...

  — Écoute-moi.

  Harry n'essayait plus de se justifier, il valida ce geste par son silence.

  — Ce matin, tu m'as dit que tu ne voulais pas aller voir une psychiatre. Pourtant, les signaux sont clairs... Tu te bagarres au lycée, tu t'imagines parler avec des fées et tu restes dans ta chambre à dormir pendant plus d'une demi-journée ! Harry, tu ne vas pas bien.

  L'adolescent ne répondit toujours pas, il haussait les épaules à chacune de ses remarques. Pour lui, cela ne servait à rien de faire croire à sa mère ou bien à son meilleur ami que les fées existaient. C'était comme parler à l'oreille d'un sourd. Tout ce qu'il avait envie, là maintenant, c'était de s'hydrater.

  — J'ai appelé quelqu'un... elle arrivera dans cinq minutes.

  — Comment ça « quelqu'un » ? demanda Harry, sans laisser paraitre la moindre émotion.

  Le silence de sa mère en disait long. Le garçon se sentait profondément blessé, il ne pensait pas, jusqu'à maintenant, qu'elle le prendrait pour un fou. Et au fond de lui, il avait peur, il ne voulait pas rencontrer ce psychiatre. Harry se demandait comment il pourrait expliquer à cette personne, potentiellement étroite d'esprit par le simple bagage de ses années d'études et de son milieu purement théorique, que les fées existent bel et bien. Dans cette affaire, il réalisait qu'il était seul contre tous.

  — C'est la mère de Nathan qui me l'a conseillé, d'après les rumeurs elle aurait calmé des familles heurtées par la mort de leurs proches, pendant la guerre.

  Pour lui c'était clair, Nathan l'a dénoncé à sa famille. Il devait penser que Harry était fou et ne racontait que des histoires. Sinon, comment sa mère aurait pu aller jusqu'à demander à sa famille un psychologue ? Il se sentait trahit.

  Pendant que Harry et sa mère discutait, Dany, le chien toujours fidèle, gambada dans la pièce avant de se coucher devant les escaliers qui menaient à la chambre du garçon.

  — Monte dans ta chambre, Harry. Elle ne va pas tarder à arriver.

  — Je peux boire un verre d'eau avant ? J'ai tellement soif...

  — Tu boiras après l'entretien ! J'ai payé chère cette professionnelle et elle devrait arriver d'une minute à l'autre. Je ne voudrais surtout pas la faire attendre.

  Harry remonta les escaliers tout en effectuant des pas lourds et lents. Le garçon ne pouvait s'empêcher de râler, il était en colère. Dany, couché sur le sol, leva les oreilles puis la tête en voyant son maître monter au premier étage. Le chien courut jusqu'à la chambre en passant entre les jambes de ce dernier.

  Posé sur son bureau, Harry attendait la psychologue comme la mort. On se mit soudainement à toquer deux fois devant la porte. Le garçon se leva de sa chaise, tandis que Dany prit peur et se cacha sous le lit. Il émit quelques gémissements.

  Harry ouvrit la porte et tomba nez-à-nez avec une femme aux cheveux court et blonds, d'au moins une quarantaine d'années. Son tailleur gris était impeccable. Ses lunettes carrées lui donnaient un air de femme catégorique et autoritaire. Pourtant ce n'est pas ce qui l'empêcha de lancer un large sourire malicieux à son client avant de lui adresser une poignée de main.

  — Enchanté, mon garçon. Je suis madame Alvarez. Alicia Alvarez, pour les intimes ! Ta maman m'a demandé de passer te faire un petit coucou, dit-elle.

  À sa façon de s'adresser, elle le prenait pour un demeuré, pensait-il.

  — Ouais, moi c'est Harry, répondit le garçon en lançant un regard noir à cette dernière qu'il trouvait déjà insupportable. Ma mère m'a averti à la dernière minute que vous allez passer...

  Alicia Alvarez jeta quelques coups d'œil à la chambre exigüe du garçon puis afficha une mine repoussée. Harry tira deux chaises scotchées à son bureau avant de s'asseoir sur l'une d'entre elle. La psychologue s'assit délicatement sur l'autre chaise, tout en essayant de prendre le moins de place possible, comme si elle était répugnée.

  — Alors, Harry... Dis-moi ce qu'il se passe.

  — Je me suis battu. Hmpf, souffle-t-il. Le terme me semble mal approprié : on m'a battu.

  — Et pourquoi « on t'as battu » ?

  — J'ai provoqué le plus gros caïd de la classe.

  Alicia notait toute les remarques de Harry à l'aide d'un bloc note posé sur ses cuisses.

  — Tu sais bien que c'est mal de provoquer les gens, Harry ? Peu importe l'individu.

  — Je le sais bien, mais...

  — Mais ?

  Harry n'arrivait plus à parler, il commençait à transpirer et trembler. Ses mains étaient moites. Le regard que Alvarez posait sur lui avait le don de déstabiliser son rythme cardiaque.

  — Il a osé s'en prendre à mon dessin.

  — Oh, tu dessines ? ronronnait-elle. Intéressant ! Et quel était ce dessin ?

  — Une... du moins... des... fées...

  — Pardon ? Tu peux articuler ?

  — Des fées, répéta Harry en avalant difficilement sa salive.

  Alicia Alvarez laissa échapper un petit ricanement avant de plaquer sa main contre sa bouche. Harry sursauta.

  — Oh mais, vas-y. Tu peux continuer à parler...

  — C'est tout ce que j'avais à dire ! grognait Harry.

  La femme rapprocha sa chaise en face du garçon avant de le fixer, jusqu'à ce que leurs genoux s'entrechoquent. Était-ce un énième moyen de pression orchestrés par les plus expérimentés des psychiatres ? Il n'en savait rien mais pouvait sentir le jugement à travers ses yeux.

  — Harry, quel âge as-tu ?

  — Dix-sept ans...

  — Tu parais plus pet... plus jeune, balbutia Alicia en se corrigeant avec un faux sourire. Et pourquoi dessinais-tu des fées ? Le monde de la Fantasy est quelque chose qui te passionne ?

  — J'en ai vu en vrai... j'en ai l'entière certitude, elles étaient là où nous sommes actuellement. C'est-à-dire, dans cette chambre que vous n'avez pas l'air d'apprécier, plaça Harry d'un ton cru.

  La femme s'autorisa à rigoler en baissant la tête. Après s'être ouvertement moqué du garçon, elle redressa ses lunettes. Son sourire narquois donnait à Harry l'envie de lui arracher le visage.

  — Mon garçon... des déséquilibrés mentaux comme toi, j'en connais un paquet ! La Guerre Mondiale n'aura pas fait que des dégâts du côté des soldats, surtout dans cette ville ! Tu veux que je te dise ce que j'en penses... vu ta tête je ne pense pas... mais on s'en fiche de ton avis, c'est drôle, n'est-ce pas ? Ton père est mort durant cette horrible guerre et tu es complètement perdu, bouleversé, déséquilibré ! Donc, tu as une amitié, voire plus, avec des fées tout droit sorties de ton imagination... mais ce n'est pas la réalité Harry... ces petites choses volantes n'existent pas.

  — Foutez le camp ! hurla subitement Harry, ne pouvant plus contenir sa colère.

  Le visage d'Alicia changea. Elle se mit à parler doucement.

  — Hum, hum... écoutes-moi bien, mon garçon... j'essaye de t'aider à sortir de ta folie imaginaire. Tu vas devoir te montrer un peu plus coopérant que ça. Dans le cas contraire, je vais devoir... comment dire...

  Harry fronça des sourcils tout en regardant la psychologue qui avait prit la peine de se lever et de s'arrêter derrière son dos.

  — Je vais t'envoyer dans un camp de redressement pour mineur ou dans un asile psychiatrique, tu as le choix. La bonne nouvelle c'est que tu quittera définitivement le lycée et plus tard tu n'auras pas à construire des avions comme ta maman chérie... mais la mauvaise, c'est que quoi que tu fasses, où que tu ailles, on se servira de toi comme d'un vulgaire pion de laboratoire ! Et oui, mon petit Harry, c'est ce qu'ils font aux détraqués comme toi ! Tu serviras à la science. N'est-ce pas une cause noble ? Ou bien au cas où une Seconde Guerre Mondiale éclaterait, nous pourrions envoyer des cinglés comme toi en première ligne. N'est-ce pas, là non plus, une cause héroïque ?!

  — Pardon  ?! s'étrangla le garçon. Attendez que je dise ça a ma mère...

  — Mais voyons, Harry... qui pourrait vous croire  ? Vous êtes fou, l'avez-vous oublié  ?

  — C'est... c'est faux... fit Harry, la gorge nouée.

  — Et oui  ! Voilà ce que nous faisons aux personnes trop fragiles et défectueuses de notre société. Ils ne servent que de pâtures... mais bon, la vie est ainsi faite ! répondit Alicia d'un ton joviale.

  La quadragénaire tendit sa main à Harry, ce dernier, toujours sur le choc, répondit à ce geste en serrant sa main. Puis elle se dirigea vers l'encadrement de la porte.

  — Il n'y pas de places pour les faibles dans ce monde, petit, dit-elle avant de refermer la porte.

  Mais il y'avait quelque chose qui clochait, Harry entendit la serrure se verrouiller à double tour depuis l'extérieur de sa chambre. Le cœur de ce dernier ne fit qu'un bond. Le garçon se dirigea à grands pas vers sa porte puis la tambourinait et tenta de l'exploser avec son épaule.

  — Laissez-moi sortir ! Vous n'êtes pas une vraie psychiatre !

  — Désolé, mon garçon. Mais les fous n'ont pas leur place en liberté.

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