Prologue - Quelle mort clichée

Cette histoire va traiter vaguement des envies suicidaires mais il n'y aura aucun suicide. Ce sera plutôt une histoire sur la recherche d'une raison de vivre.

***

Elle est morte.

La dernière personne qui me restait en ce monde est morte. Elle avait contracté un cancer d'après les médecins. Ils n'ont pas pu la sauver. Elle n'avait pas assez de volonté, selon eux, pas assez de soutien. J'ai bien senti le reproche derrière leurs paroles, mais qu'attendaient-ils de moi, au juste ? Qu'attendaient-ils d'un fils abandonné par sa propre mère et laissé entre les mains vicieuses et avides des journalistes ? Elle ne m'en a même pas parlé, au cours des dernières visites. Il fallait dire qu'elle ne parlait jamais, c'était toujours moi qui entamait la conversation. Qui lui détaillait mes différentes lectures, sans jamais recevoir un mot en retour.

Je lui en voulais. Je haïssais son silence. J'ai toujours souhaité lui dire ses quatre vérités, lui réclamer des explications, mais à présent, c'est trop tard. Il y a tellement de choses que j'aurais voulu lui dire.

Tu sais maman, les autres n'ont jamais compatis à ma douleur. Je n'ai toujours été que le fils d'une meurtrière à leur yeux.

Hé maman, mes oncles et tantes ont accepté de m'héberger seulement en contrepartie d'argent et m'ont jeté à la rue à mes dix-huit ans.

Maman, j'ai fait une tentative de suicide au collège. Je n'arrivais plus rien à supporter.

Tu me manques maman. Je voudrais tout te pardonner, mais je suis incapable de comprendre la raison de tes actes.

Je n'en peux plus maman. Ce soir, je vais te rejoindre.

Je fixe le fleuve en contrebas. J'aurais pu faire ça chez moi, à l'abri des regards mais qui sait combien de temps je pourrirais dans ce taudis avant que quelqu'un ne me trouve ? Je suis persuadé que personne ne remarquerait mon absence au travail. Après tout, je ne suis que le petit nouveau étrange que tout le monde évite. Il y a bien cette femme, Yoo Sangah qui tente de m'approcher, mais je sais bien qu'elle se force. Comme tout ceux qui essaye. Qui pourrait s'intéresser réellement à un gars comme moi ?

Je n'ai plus la force de continuer. Les deux seules choses qui me maintenaient en vie m'ont été retirées. D'abord ma mère, puis « Three Ways to Survive in a Ruined World ».

« Three Ways to Survive in a Ruined World » est le webnovel qui m'a accompagné ces dernières années. Ma seconde accroche à ce monde. J'ai lu pendant plus de 10 ans cette œuvre, attendant avec impatience chaque chapitre. Elle avait ses défauts, certes, mais elle a été mon plus grand soutien pendant toutes ces années de solitude. Je suivais les aventures du personnage principal comme si je les vivais avec lui, m'évader dans ce monde incroyable peuplé de Constellations, d'Incarnations et de Dokkaebis. J'ai encouragé le héros, critiqué ses décisions, pleuré à la mort de ses compagnons. Il était le seul dont je me sentais réellement proche.

Mais l'auteur a annoncé la fin de l'œuvre ce matin et a déclaré avec regret que ce serait son unique roman, qu'il n'écrirait plus à présent. Mais si je n'ai plus aucun chapitre à lire, alors pourquoi continuer à vivre ? Plus rien ne me retient à présent.

Je souris avec résignation tandis que je m'installe sur le rebord du pont. Le ciel est magnifique. Les étoiles brillent, comme si elles désiraient rendre ma mort plus belle qu'elle ne l'était. Je reste un moment silencieux en les observant puis prends une inspiration. Je m'apprête à sauter lorsqu'une voix s'élève derrière moi.

« Sauter d'un pont pour mettre fin à sa vie, quel cliché. Y a plus original pour se suicider. »

Je tourne ma tête, confus, et tombe nez à nez avec une jeune femme. Elle est petite, si bien qu'on pourrait presque la confondre avec une adolescente et ses cheveux corbeau encadrent joliment son visage. Elle pourrait presque être l'héroïne d'un roman avec un physique aussi agréable à regarder. Mais ses yeux éteints et son absence de sourire assombrissent sa belle apparence.

Elle s'installe à côté de moi et balance ses pieds dans le vide en fixant le contrebas. Elle fait tourner une sucette entre ses lèvres et semble plongée en pleine réflexion. Puis au bout de quelques secondes, son regard se pose sur moi.

« Pourquoi tu veux sauter ? »

« Je n'ai pas de raisons particulières de vivre alors rien ne sert de continuer », je réponds avec honnêteté. A quoi bon mentir de toute manière puisque je vais bientôt en finir ?

« Ah, je vois, une raison tout aussi clichée. Je pensais que c'était à cause de ta laideur. »

« Hé, je ne suis pas si laid ! »

« Si, tu ressembles à un calamar moche. »

Je lui jette un regard vexé. Elle a quelle âge pour dire des choses pareilles ? J'ai l'impression d'avoir à faire à une gamine. Mais contrairement à tout à l'heure, ses yeux m'ont l'air un peu plus vivant. Elle repasse ses jambes du côté sûr du pont et saute à pied joint au sol avant de se retourner théâtralement vers moi. Elle enlève sa sucette de sa bouche et la pointe vers moi.

« Rendons les choses encore plus clichée, ok ? Donne-moi une chose qui te ferait renoncer à sauter ! »

« Une chose ? »

« Ouais n'importe quoi ! Un truc similaire à ce qui t'as fait tenir jusqu'à maintenant ! »

« Une histoire comme « Three Ways to Survive in a Ruined World » », je réponds sans hésitation, avec un sourire peu convaincu. Rien ne pourra jamais égaler cette œuvre.

La femme me fixe un instant, la bouche légèrement ouverte et je comprends qu'elle n'a jamais entendu parler de ce roman. Quoi de plus étonnant sachant que j'ai été l'unique lecteur ces dernières années ? Elle se gratte le front, gênée, puis reprendre une expression confiante.

« Bon, je sais pas ce que c'est que ce roman, mais si c'est d'un roman que tu as envie, alors je peux t'en écrire un ! Figure-toi que je suis écrivaine ! Et je pense avoir du talent. Alors j'te propose un truc bien cliché : chaque jour je t'écris un chapitre et tant que je n'ai pas terminé, alors tu ne sauteras pas, t'en dis quoi ? Ah oui et je veux un retour sur chaque chapitre ! »

Qu'ais-je à perdre en acceptant ? Je soupire et descends à mon tour. Au pire des cas, si l'envie me reprends, je pourrais toujours revenir un autre jour mais pour le moment, elle a cassé mon envie d'en finir. Ce ne sera pas pour ce soir.

Elle s'empare de mon portable, échange nos coordonnées et part après m'avoir fait juré de lui renvoyer un retour sur son chapitre.

Vraiment, c'est la rencontre la plus étrange de mon existence.

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