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Holaaa, petit os en speed. Il était prêt depuis longtemps et aurait dû être posté en avril dernier déjà mais j'ai tout simplement oublié. Vous pouvez le retrouver dans les recueils d'os collaboratifs sur le compte de Atinyarmy11 où vous pourrez trouver pleins de pépites ^^
Il n'est pas spécialement joyeux mais bon, j'espère qu'il vous plaira quand même :3
La fusée décolla dans un assourdissant grondement, des flammes jaillirent des réacteurs, la faisant décoller lentement. Le sol trembla et l'air se raréfia un instant, le temps que le vaisseau s'élève.
Elle s'élevait toujours plus haut, le paysage défilant à une vitesse hallucinante devant les yeux ébahis des passagers. La fumée des réacteurs enflammés embruma quelque peu la vue, elle restait néanmoins impressionnante. Pourtant, ce n'était pas seulement de l'admiration qui caractérisait ces pupilles dilatées mais aussi de la peur, un semblant de frayeur et une pointe d'horreur.
La planète T allait mal et ce depuis quelque temps. La population humaine avait su en plusieurs siècles détruire la faune et la flore terrestre et marine, la détériorant tant et si bien qu'aucun retour en arrière n'était possible. Ils ne devaient désormais plus compter que sur cette planète M qui allait devenir leur nouveau foyer.
Ne pouvant accueillir tout le monde en même temps - surtout parce que les fusées, aussi grosses soient-elles, ne pouvaient contenir en leur sein qu'un nombre limité de personnes –, il fallait procéder par petits groupes et les personnes à risque étaient bien sûr les premières à devoir s'y rendre.
Il faisait partie de ce petit groupe d'une centaine de personnes qui volaient vers leur nouvelle habitation imposée. La quasi-totalité des passagers laissaient derrière eux leurs proches, au détriment de la santé mentale de chacun.
Il fallait procéder rapidement et efficacement si l'on voulait faire partir tout le monde, pas le temps de prendre en compte les sentiments ; on n'en finirait jamais sinon. Mais contrairement aux autres, il avait le visage démoli par une terreur sans nom ; il n'avait pas seulement peur, il était horrifié. Et se joignant à cette épouvante, le malheur profond assaillait ses traits, les creusant bien plus que la vieillesse ne le faisait déjà.
Il ne quittait pas ses proches ; ils l'avaient quitté et elle particulièrement. Elle aussi était montée à bord d'un engin similaire, devant partir parmi les premiers sur la planète M. Mais le hasard avait fait que cette navette avait pris feu et s'était totalement embrasée dans le ciel, finissant par une explosion qui avait irradié sur place le peu de survivants qu'il restait.
Elle avait quitté ce monde avec tous les autres, mais surtout lui. Monter à bord de cette machine le rassurait encore moins que ses camarades de voyage, eux aussi l'avaient vu exploser dans les airs, mais avaient-ils pu voir ce corps fumant projeté au sol ?
L'avaient-ils vu après sa chute, décomposé et éparpillé ? Peut-être, sauf qu'ils ne la connaissaient pas, eux. Ils se trouvaient terrifiés maintenant, après cet atroce incident, mais ce n'était rien comparé à ce que lui éprouvait.
La fusée traversa la couche atmosphérique, elle trembla, comme prise de spasmes interminables. C'était le chaos total à l'intérieur, des gens hurlaient à la mort, d'autres s'évanouissaient, on aurait dit que c'était la fin. Soudain, tout se stabilisa. Le pilote était parvenu à traverser les couches atmosphériques de la planète T, ils se trouvaient désormais dans l'espace.
Le choc passé, tout le monde se rua sur les vitres, souhaitant assister à ce spectacle qui n'était pas coutumier de voir. C'était impressionnant, la planète rapetissait au fil du temps, c'était grandiose. Jamais ils n'auraient pu penser que ce serait la dernière fois qu'ils la verraient.
Le trajet fut calme, sans trop de secousses – ils avaient tout de même dû dévier de la trajectoire de quelques astéroïdes.
Il s'était calmé, il se sentait plus rassuré ; l'étape qui l'avait tant stressé était celle de la traversée atmosphérique.
Le voilà à mi-chemin vers son nouveau chez lui, aucun retour en arrière n'était envisageable ni même possible. Ces fusées n'offraient que des allers simples, pour le retour, elles ne seraient composées que de la navette du pilote.
Ils étaient dans la dernière ligne droite, ils devraient désormais dire définitivement au-revoir à leur vie d'antan.
Une bonne ambiance flottait dans l'air, doucement les esprits s'égayaient, tous curieux de découvrir ce nouveau lieu de vie, cette planète d'accueil.
On les avait informés que pour le moment, ils devraient constamment garder sur eux des poches d'airs renouvelables afin de respirer convenablement – l'air se faisait plus rare que sur T. Les infrastructures étaient encore en construction, ils allaient tous vivre dans les quelques immeubles déjà créés et aménagés pour eux.
Si la plupart étaient heureux, il en restait pourtant quelques-uns sceptiques, peu enchantés à l'idée de ce changement radical de vie. Ils perdaient à la fois leur famille, leurs proches, mais aussi leur confort.
Certains pleuraient toujours leur séparation avec leur animal de compagnie qu'ils avaient été obligés de laisser là-bas.
Puis il y avait lui, qui ne disait rien, qui ne faisait rien ; il gardait simplement la tête baissée et le dos voûté. Il semblait porter tout le poids de la peine du monde sur ses épaules, et pourtant il passait inaperçu, on passait devant lui comme s'il n'était pas là. Et moins on lui prêtait attention, plus il semblait s'accabler ; il aspirait la négativité alentour et la portait sur lui comme fardeau, il n'avait que ça à faire.
Méritait-il ce châtiment ? Devait-il porter à lui seul la misère du monde ? Sûrement pas, mais tel était son choix ; sa peine à lui ne lui suffisait plus, il avait besoin de plus.
Souffrir ainsi le rendait plus vivant, lui qui se croyait pourtant mort après cette tragédie. Il avait ce besoin de ressentir ce malheur lui engourdir les membres, sa gorge se serrer au point de ne plus laisser passer qu'un léger filet d'air, de sentir son corps glisser et valser dangereusement vers le sol, comme attiré.
Il avait besoin de tout ressentir en lui, car d'une certaine manière il cherchait à comprendre la souffrance endurée lors de l'explosion par les habitants à bord. Il se mettait à leur place à son échelle, elle était moindre, mais la volonté y était.
La navette défilait à travers l'espace. Il était immensément grand et eux si infiniment petit. Mais peut-être que c'était le contraire, eux étaient si grands comparé à ce qu'il y avait autour d'eux.
Dans cet univers, plus rien n'était sûr, on n'avait plus aucune notion de grandeur.
On contemplait seulement le lieu où nous nous trouvions – si encore c'était un lieu.
La fusée atterrit au bout d'un temps interminablement long et en même temps étrangement court. Tout comme la notion de l'espace, le temps était imprécis ; le cadre spatio-temporel n'était plus, il n'était composé que de limites floues et indistinctes dont on ne parvenait à définir correctement les traits malgré les efforts fournis.
Les personnes âgées s'extirpèrent lentement de l'engin, barbouillés par l'atterrissage mouvementé.
Si le voyage avait été plutôt lisse au niveau des secousses, il n'était pas de même pour la phase d'atterrissage de la navette. Ils tanguaient, avaient du mal à marcher droit ; ils semblaient enivrés.
Cette sensation se propageait dans leurs veines, coulant dans leur sang qui s'excitait et faisait palpiter leurs cœurs fragiles. Plus ils avançaient hors de l'engin, moins ils étaient maîtres de leurs corps.
Ils traversèrent un couloir qui menait jusqu'à une immense salle où étaient disposés des bancs et des tables – on aurait dit une salle d'embarquement d'aéroport une centaine de fois plus imposante. Il s'affala sur un des bancs, se sentant si fatigué qu'il pourrait s'écrouler d'un moment à l'autre.
De grands hommes vêtus de longues chemises blanches les rejoignirent, ils portaient un masque respiratoire que l'on trouvait dans les hôpitaux, reliés à une petite poche sur le côté de leur hanche, accrochée comme une ceinture. Ils poussaient des chariots sur lesquels étaient entassés des tas de sachets plastiques transparents.
Chaque personne venant d'atterrir fut plus ou moins forcée à s'assoir sur les bancs, les hommes en blanc allaient faire la distribution de ces masques.
Ils étaient une dizaine et les deux chariots restaient au milieu de la salle, le stock de pochettes plastiques transparentes diminuant au fil des minutes.
Chacun avait désormais son masque sur lui, pouvant respirer de l'air pur.
- Vous devrez porter ces pochettes dès que vous sortirez de chez vous, expliqua l'un des hommes en blanc. Nous avons mis des climatiseurs propulsant du dioxygène dans vos appartements mais rien que pour sortir sur votre balcon ou dans votre jardin vous devrez l'avoir avec vous, à moins que vous ne mettiez la bâche que l'on vous a fourni dans vos futures habitations. Il conclut et partit avec un autre pour ranger les chariots présentement vides.
Un des huit hommes restants s'avança :
- Ces pochettes ont environ douze heures d'autonomie si vous avez une respiration rapide. Elle peut tenir jusqu'à vingt heures. Bien sûr, ce décompte se fait lorsque vous le portez. Pour les recharger, une sorte de robinet est fixée à votre climatiseur que vous pourrez accrocher à votre pochette par ce trou. Il désigna une ouverture comme celle des bouées gonflables. Faites attention à bien la refermer car si vous n'avez plus de dioxygène dans votre poche et que vous êtes à l'extérieur, c'est la mort assurée.
- Comment avons-nous fait pour respirer en venant ici ? Demanda une des personnes âgées assise non loin de lui.
- La pièce et le couloir sont chargés en dioxygène mais au vu du plafond qui est haut, l'air respirable se fait plus rare. Nous avons donc eu le temps de vous amener ici et de vous donner les masques. Si nous avions attendus une heure de plus vous auriez déjà perdu connaissance voire même la vie, il conclut son petit message par un sourire ironique.
Les explications terminées, les voilà qu'ils allaient rentrer chez eux.
Il suivit le groupe, ayant du mal à marcher à cause de ses jambes qui refusaient de se lever pour faire un pas devant l'autre.
Son souffle se coupa, ses yeux sortirent de ses orbites et sa bouche laissa s'échapper un léger filet d'air. Il se sentait partir.
Une grande main le rattrapa alors qu'il tombait en arrière, l'allongeant alors que deux autres hommes accoururent pour lui porter secours. Ils lui ôtèrent la poche pour la remplacer, s'étant percée. Il inspira un grand coup, reprenant une respiration normale.
Ses yeux s'ouvrirent, tombant nez-à-nez avec ses trois sauveurs qui lui souriaient gentiment, le redressant progressivement.
- Vous vous sentez capable de marcher, Monsieur ?
Il ne fit qu'un hochement de tête, rejoignant le reste du groupe avec l'un des hommes en blanc qui gardait un œil sur lui. Tous montèrent dans des minis tramways, les emmenant vers leurs quartiers résidentiels.
Des petites maisons collées les unes aux autres avaient été aménagées avec le minimum de meubles, ne pouvant se permettre d'offrir autant de mobilier gratuitement.
Ils partirent à la découverte de leurs nouveaux chez-soi, lui habitant au bout de l'allée résidentielle, non loin d'un petit point d'eau artificiel.
Il pénétra dans sa nouvelle petite maison sur deux niveaux et qui comportait quatre pièces : une salle à manger qui faisait également office de salon et de cuisine, une salle de bain à côté des escaliers, ainsi qu'une chambre et des toilettes à l'étage qui donnaient sur un petit balcon aménagé grâce au toit terrasse.
Effectivement il n'y avait que le strict minimum, il lui faudrait acheter le reste de son mobilier.
Le lit était enveloppé de draps blancs simples, une serviette blanche et un gel douche faisant office de shampoing étaient également disponibles. Sur la table de la salle à manger étaient déposés une carte de la ville afin qu'il puisse se repérer et trouver des endroits où acheter des affaires.
Dans le téléphone un numéro était entré, l'office qui s'occupait de ce quartier résidentiel.
Un message de l'agence avait été envoyé, lui disant qu'un homme devrait passer le voir afin de lui donner des affaires en plus ainsi que des renseignements plus précis.
Ne sachant que faire, il jeta un rapide coup d'œil à la carte, l'analysant. Il n'était pas particulièrement heureux de se retrouver ici mais il n'allait pas se tourner les pouces en attendant que l'homme n'arrive.
La carte était basique, elle ne représentait pas seulement les bâtiments déjà construits mais aussi ceux à venir afin de ne pas devoir constamment en acheter une nouvelle.
Le centre-ville – composé de futurs petits commerces familiaux tels que des boulangeries, une cordonnerie, et autre– se trouvait non loin de son quartier, étant accessible par un petit bout de chemin dans les roseaux sur la vie du point d'eau.
Les grandes surfaces étaient un peu plus loin, accessibles en voiture plutôt qu'à pied.
Le bruit de la sonnette le sortit de ses analyses et il alla le plus vite possible ouvrir la porte au jeune homme qui se tenait face à lui, un sourire perceptible derrière son masque.
Avenant, il l'invita à entrer, refermant la porte après son passage.
- Bonjour Monsieur, je suis ici pour vous remettre des biens et vous fournir quelques explications quant au début de votre séjour sur cette planète. Les deux hommes s'assirent sur les chaises autour de la table, prêts pour une longue demi-heure d'explications.
- Voici votre carte bancaire, ainsi que son numéro et son code. Le membre de l'office lui tendit une carte orange plus grosse que la normale entourée d'un papier avec le numéro et autres informations complémentaires. Vous pouvez également inscrire mon numéro de téléphone dans votre portable pour que vous puissiez me contacter à tout instant. Je suis celui qui s'occupera de vous et de deux autres personnes durant les premières années ici, s'il y a un problème ou vous avez des questions vous pourrez, voire devrez, vous adresser à moi.
Il écoutait attentivement ce qu'on lui disait, enregistrant chaque détail dans sa mémoire défaillante. Son esprit n'était plus clair par l'âge et ses tourments. Il faisait pourtant l'effort de comprendre et de tâcher de se souvenir de ce qu'on lui rapportait pour ne pas faire perdre de temps à ce jeune homme.
- Une petite voiture est garée devant chez vous, nous vous l'offrons avec tout ce que vous avez pu trouver ici. Les clés sont ici, il les sortit de sa poche et les déposa sur la table dans un tintement. Nous avons placé sur votre compte de l'argent qui devrait amplement vous suffire pour acheter le mobilier dont vous aurez besoin ainsi que la nourriture. Chaque mois nous vous verserons une nouvelle coquette somme afin que vous puissiez vous faire plaisir. Pour la nourriture, voici le grand centre où vous trouverez un peu de tout ce qu'on a déjà pu planter donc le choix est pour le moment peu varié. Les traiteurs et agriculteurs indépendants arriveront normalement le mois prochain, leurs récoltes devraient porter leurs fruits dans quelques mois et leurs boutiques se trouvent dans le centre.
- La station service pour mettre l'essence se trouve où ? Elle n'apparaît pas sur la carte, demanda-t-il en se penchant sur ce grand bout de feuille.
Son homologue ne perdit pas son sourire et entoura en noir un lieu non loin du supermarché, désignant le lieu en question.
- Le voici. Si vous désirez acheter des fleurs ou des fruits et légumes à planter chez vous, vous avez un pépiniériste là-bas, qui est déjà ouvert. Sur ce, je pense avoir tout dit.
Il hocha la tête, ressassant la conversation dans son esprit. Il remercia l'intervenant et le raccompagna à la porte, le saluant depuis sa fenêtre d'où il pouvait apercevoir un côté de sa nouvelle voiture.
La journée venait tout juste de commencer et voilà qu'il s'ennuyait déjà. N'ayant rien à manger, il prit la décision de faire quelques petites courses dans le supermarché, de quoi remplir son frigo pour une petite semaine.
Peu de rayons étaient ouverts, ceux disponibles étaient du surgelé, des fruits et légumes ou bien des céréales. Une autre partie du centre était ouverte, celle sur le textile et l'électroménager.
L'hésitation le paralysa, devait-il faire ses courses d'affaires personnelles maintenant ou devait-il revenir plus tard ? Si l'on pensait à la pollution, il valait mieux le faire maintenant puisqu'il était ici.
Néanmoins, l'esprit humain était un des plus individualistes et il décida de revenir dans quelques jours.
Décidément, personne ne retenait la leçon de ce qu'il s'était produit sur la planète T.
Arrivé chez lui, il rangea le tout au frais ou dans les quelques placards déjà disponibles. La faim fit grogner son ventre alors il entreprit de se faire une salade composée des quelques légumes frais qu'il avait trouvé.
Il était environ quinze heures, il avait une bonne partie de son après-midi devant lui et pourtant il ne savait quoi faire.
Il était seul ; fondamentalement seul. Il n'avait pas de jeu ; il n'avait rien à ranger ; il n'avait rien à laver à part son assiette et ses couverts. Il n'avait juste rien à faire et personne avec qui passer du temps.
C'est dans ces moments-là qu'elle lui manquait le plus, qu'il ressentait le vide de sa présence. Comme c'était dur de passer des journées entières sans elle, comme c'était dur...
Il ne pensait jamais pouvoir se défaire de cette sensation de vide, de creux dans le ventre, dans la poitrine, dans le cœur, dans les poumons ; tout lui semblait troué, vidé de tout sang et toute âme.
Il se pensait être une coquille vide, une loque, qui n'avait plus de conviction, qui n'en avait plus grand-chose à faire de ce qui l'entourait.
D'un geste rageur, il balaya tout ce qui se trouvait sur la table, tombant dans un fracas qui ne le ramena pourtant pas à lui. Ses excès de colère étaient de plus en plus fréquents, il n'arrivait pas à se faire à l'idée que c'était fini.
Il n'y avait plus de retour en arrière.
Ça, il ne pouvait pas l'accepter, ou plutôt, il ne voulait pas l'accepter. Dire oui à cette dure vérité reviendrait à tirer un trait sur elle, et ça c'était impossible, impensable.
Tirer un trait serait lui dire au revoir, ce serait l'oublier. Il n'en était pas capable, il le savait, et c'est pourquoi il continuait de s'enfermer dans ce déni, cette misère faite de mensonges et de fausses promesses.
Il promettait toujours de la retrouver mais pourquoi continuait-il de rester ici ?
Pourquoi il devait passer ses journées seul ? Était-ce la peur de tout quitter qui l'en empêchait ? Mais il avait déjà tout quitté.
Le repos était son meilleur ami dans ces moments, il l'accueillait à bras ouverts, s'endormant pour oublier le lendemain. Il ne se souvenait d'aucune de ses crises mais il les refaisait, inlassablement. Son sommeil n'était plus aussi profond qu'avant mais il restait néanmoins réparateur.
*****
Les jours qui suivirent se ressemblaient tous, une routine avait pris place sans lui demander son avis et il s'y était plié. Le mardi suivant il était parti acheter quelques meubles, ramenant avec lui un canapé deux places gris perle ainsi qu'une petite table basse en verre.
En-dessous de cette dernière il installa un grand tapis, lui provoquant un bon mal de dos pendant deux jours qui le forcèrent à rester assis dans le canapé.
Heureusement pour lui, il avait pu acheter une petite télévision qu'il avait mise dans un coin par terre pour le moment, lui permettant de ne pas succomber à l'ennui total durant ces deux journées peu productives.
Une fois rétabli, il passait du temps dehors, à se promener dans les mêmes coins, les connaissant bien vite par cœur. Il croisait des camarades, des voisins, et les saluait brièvement, presque avec timidité.
Il ne souhaitait pas se mélanger au monde, persuadé de ne pas en avoir le besoin ni l'envie. Il restait dans son monde clos, dans ses pensées, ses douleurs, ses peurs et sa méprise de lui-même.
*****
Il s'était acheté quelques temps plus tard de nouveaux meubles, notamment un petit meuble sur lequel il allait pouvoir poser sa télé, de nouveaux placards en bois pour sa cuisine et une lampe de chevet pour sa chambre. La construction de ce mobilier était laborieuse, la notice étant très peu descriptive, ne lui laissant pas la tâche facile.
Dans ces moments il faisait le vide dans son esprit, il oubliait sa situation. Il était d'apparence calme et apaisée, pourtant il était juste plus vide qu'à l'accoutumée ; comme un robot.
Après ces emplettes, sa petite maison paraissait déjà plus conviviale quoiqu'il n'y semblait y avoir beaucoup de vie. Elle était chaleureuse dans l'aspect seulement, on y sentait le froid glacial à donner la nausée. Un froid de peur, de tristesse, d'anéantissement. Un froid qui prenait au nez et aux tripes.
Mais c'est dans cette atmosphère qu'il se sentait le mieux – si encore on pouvait dire qu'il se sentait bien. C'était un univers qui reflétait ses pensées comme un miroir, et y faire face l'aidait inconsciemment à prendre conscience de ce qu'il se passait dans sa vie.
*****
L'ennui le faisait languir, il s'embêtait à mourir dans ce petit espace clos tout seul.
Il ne voyait jamais personne, se tenant du mieux qu'il pouvait à l'écart des autres de son âge. Son anniversaire approchait tout comme ses soixante-dix neuf ans. Ce serait la première fois qu'il le fêterait seul, sans personne qui l'applaudirait lorsqu'il aurait soufflé ses bougies.
Une larme coula sur sa joue alors qu'il se redressa dans son canapé, son regard se portant sur l'intégralité de la pièce vide de vie. Il était si triste, si démuni face à cette situation qui l'oppressait toujours plus.
Il avait hâte d'en finir, de pouvoir tout laisser derrière lui sans aucun regret. Il avait envie d'être égoïste, de tout plaquer.
Mais qui plaquerait-il puisqu'il était seul ? Qui laisserait-il puisque personne n'était là avec lui ? Qui quitterait-il puisque tous l'avaient déjà fait ?
Qu'est-ce qu'il en avait marre. Il ne comprenait pas sa condition.
La seule chose qu'il savait c'est que s'il était encore là c'était pour s'accabler toujours plus sur son sort, ressentir pleinement sa condition humaine. Il n'est rien, rien d'autre qu'une poussière dans l'univers.
Une poussière dont l'avenir est indécis, dont la vie est dictée selon les humeurs de la Nature. Il n'était que ça et pourtant c'était déjà bien.
Il avait connaissance de son rôle, il devait poursuivre sa route de son côté. Pourtant, il avait du mal à l'accepter. Ce n'est pas simple de dire au revoir d'une façon si brève.
Ce n'est pas simple de laisser aller une personne sans pouvoir la retenir. Ce n'est pas simple de se ressaisir et d'en ressortir grandi.
Ce n'est tout bonnement pas facile de rester en vie et de ne pas se laisser mourir.
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Son mal de dos augmentait, il était vouté, succombant un peu plus sous l'important fléau qu'il portait. Ses jambes fléchissaient chaque jour, devenant fragiles plus qu'elles ne l'étaient déjà. Tout était lourd mais il ne lâchait rien.
Il s'appuyait sur tout ce qu'il trouvait pour se soutenir, manquant de tomber à terre à n'importe quel moment passé sans soutien. Le cadi devant lui lui était d'une grande aide, néanmoins il avait du mal à se tenir debout. Ses yeux faiblissaient, papillonnant sans relâche alors que ses pieds traînaient de manière lasse.
Ses mains ridées tâtonnaient sur les rayons, cherchant des plantes à mettre dans sa maison. Le pépiniériste avait ouvert il y a peu et il avait sauté sur l'occasion pour se trouver de la compagnie.
Il prit trois petits pots de cactus ainsi que des graines à faire germer dans des pots et à même la terre. Il n'était pas encore allé dans son jardin, ce serait l'occasion d'y faire un tour que d'y planter ses nouvelles plantes.
Rentré chez lui, il se hâta de défaire ses plantes des sachets plastiques dans lesquels le vendeur les avaient emballées afin de les protéger lors du voyage.
Il jeta le sac à la poubelle et s'assit devant sa table basse, ses trois nouveaux petits pots face à lui. Il les regardait, les contemplait, en regardait les moindres recoins.
Ses yeux fatigués n'y voyaient aucunes imperfections pourtant visibles ; il leur portait déjà un regard admiratif.
Ses mains vieillies par le temps et le travail caressèrent du bout des doigts les fins aiguillons sortant des aréoles. Sa peau était si dure qu'il ne ressentit qu'une simple caresse et non pas une vilaine piqûre.
Il caressait d'un air doux son nouveau Cleistocactus brookei, un petit cactus colonnaire.
Les deux autres à côté ne furent pas longtemps délaissés puisqu'il se pencha sur l'Echinocactus polycephalus pour en déposer un baiser sur ses épines ; il faisait partie des cactus sphériques.
Le dernier était un cactus buisson, le Austrocylindropuntia subulata monstruosa, le plus gros des trois.
Avec toute la douceur dont il pouvait faire preuve, il transporta ses compagnons à côté de sa télé, le Cleistocactus brookei à droite et l'Echinocactus polycephalus à gauche, le plus gros étant par terre à droite près de la baie vitrée donnant sur le jardin.
Naturellement, son regard se porta vers l'extérieur, ses yeux balayant son carré privé avec lassitude ; il était aussi vide que lui. Avec une certaine amertume il se détourna, rangeant ce qu'il avait acheté dans ses placards, renonçant à jardiner tout de suite.
Il s'était en quelque sorte fait à cette solitude, cette souffrance, il n'était pas simple pour lui de désormais s'en défaire.
Sentir la souffrance envahir sa tête, déformer ses traits et paralyser son corps, c'est comme ça qu'il se sentait vivant. C'était assez paradoxal au vu du fait qu'il souhaitait rejoindre sa bien-aimée, il aimait se sentir vivant de la pire des manières.
Peut-être tentait-il de se convaincre, de se persuader de quelque chose qui nous dépasse complètement. À trop vouloir comprendre le monde, on finit par se perdre.
Ce n'était pas pour aujourd'hui, le plantage de ses plantes d'extérieur.
*****
Un mois, quelques semaines, une trentaine de jours et quelques centaines d'heures. C'est le temps qu'il lui a fallu pour se décider à mettre un pied dans son jardin, le tout premier.
Il avait eu du mal à mettre sa poche d'air, la ceinture s'étant cassée lors d'une sortie en ville. Il sortait de plus en plus, prenait l'air à longueur de temps, mais restait résolument seul.
Il en avait besoin pour se ressourcer, il devait faire le vide.
Son masque sur le visage, il baissa la tête, dévoilant son échine dégarnie au soleil haut et frappant, particulièrement agressif sur M.
Il s'agenouilla dans l'herbe, ses membres l'effleurant d'une douceur câline, se laissant porter par ce toucher calmant. Il finit néanmoins par attraper ses petits sachets de graines laissés à l'abandon, les ouvrant pour extraire ses futures plantes.
Il creusa des petits trous, ses mains devenant vite couvertes de terre sans que ça ne le gêne ou quoi que ce soit.
Un verre de terre se faufila, lui provoquant un léger sourire ; la vie commençait véritablement. Il s'occupa de faire le nécessaire pour que la vie de ses petits protégés bientôt fleurissants puisse être la plus agréable possible.
Au bout de deux heures il eut fini, se relevant maladroitement, étourdi par la chaleur et le manque d'air. Sa gourde était presque vide et il lui fallait rapidement retourner à l'intérieur.
Cependant, trop secoué, il ne parvint pas à atteindre sa porte-fenêtre, tombant à la renverse dans son jardin à l'abri de tout regard grâce aux haies hissées tout le long.
*****
- Monsieur Kim ? Vous m'entendez ?
Il papillonna des yeux, tentant sans grande motivation de s'habituer à la lumière environnante qui semblait l'entourer. Comme une légère couverture faite de chaleur qui l'immobilisait ; était-il mort ? Avait-il atteint le Paradis ? Allait-il rejoindre sa femme ? Allait-il tous les revoir ?
- Monsieur Kim, vous pouvez vous relever ?
Par un effort qui lui parut surhumain, il se redressa tant bien que mal, sa main froissée serrant celle du jeune homme à côté de lui.
Ses yeux étaient brouillés, tout comme ses autres sens, plus rien n'avait de place définie, l'environnement n'était qu'un perpétuel changement.
- Venez vous asseoir sur votre canapé.
Avec l'aide de l'homme à ses côtés il parvint à se stabiliser en position assise sur son canapé, ses sens s'éveillant paresseusement.
- Est-ce que vous avez besoin d'un verre d'eau ?
- Non... Dites-moi plutôt comment vous êtes entrés ici... Sa voix était faible, tremblante tout comme sa jambe droite.
- Je viens vers vous car après ces quelques mois passés ici, je souhaitais prendre de vos nouvelles. Vous vous plaisez ici ? Vous appréciez votre environnement ? Je peux peut-être vous aider pour quelque chose.
- Non non, laissez-moi donc. A quoi ça sert de faire tout ça alors que je vais bientôt mourir ?
Un lourd silence embauma l'air, coupant le souffle au jeune homme garant de ce papi à l'office. La gêne faisait palpiter son cœur, que devait-il dire dans ce genre de situation ?
- Vous aimez quelque chose en particulier ? Le plus jeune finit par intervenir, un sourire crispé accroché à ses lèvres gercées.
- Ma femme, murmura-t-il d'un ton bas, l'air penaud.
- Et quoi d'autre ? Son vis-à-vis préféra embrayer, de peur de contrarier encore un peu plus son homologue.
- ... Les cactus... C'est après une longue minute de réflexion que cette information tomba de sa bouche et glissa dans l'oreille du plus vif.
- Que diriez-vous d'en apprendre un peu plus sur les cactus ? Vous pourriez aussi organiser des petits goûters avec d'autres et parler de votre passion ! Ou tout simplement renseigner les gens. Qu'en dites-vous ?
- Qui vous dit que j'ai besoin de compagnie, hein ? Son ton était instantanément devenu acerbe, épineux, il se voulait désagréable. Il était persuadé de se plaire dans sa solitude. Depuis quelques mois il vivait ainsi et jamais ça ne l'avait dérangé.
- Ce n'est qu'une suggestion ! C'est à vous de voir, je pensais juste que ça pourrait peut-être vous plaire d'apprendre des choses sur les cactus à d'autres...
Son regard précédemment dans le vide se cramponna au visage fin de son homologue. On ne saurait déchiffrer ce qu'il pensait, il était trop inexpressif.
Et pourtant, une faible lueur palpitait dans ses prunelles sombres d'amertume, envoûtant presque le plus grand qui était resté debout tout du long.
- Vous pensez que ce serait bien...? Vraiment ?
La perplexité se lisait sur le visage du plus jeune qui rosit d'un coup, soudainement gêné. Faire face à cet homme qui s'était soudainement ouvert...
Ses yeux étaient larmoyants, sa bouche frissonnante, son nez froncé et ses sourcils tombants. On aurait dit qu'il faisait face à un autre homme.
- Eh bien oui, je suppose que c'est une bonne façon de vous aérer l'esprit et d'apprécier la vie qu'on vous offre sur cette nouvelle planète d'habitation... Ses mots se bousculaient, ils étaient à double-tranchant, à tout moment son "patient" se renfermerait.
- Soyez le premier ! Soyez le premier à partager cette passion avec moi.
*****
Le temps défilait, les années passaient et les saisons se succédaient.
Quatre ans déjà, quatre ans que la population de la planète T était venue se réfugier sur la planète M.
Trois ans et quelques mois qu'il avait ouvert des séances chez lui pour parler des cactus et autres plantes dans lesquels il s'était spécialisé.
Ça avait commencé avec l'officier qui s'occupait de lui, ce dernier en avait parlé à d'autres, et par le bouche-à-oreille, le voilà avec une petite clientèle qui demandait son savoir.
Si le début avait été un peu rude à cause de sa raideur, voilà que l'amabilité l'habitait.
Néanmoins, ce petit commerce non lucratif n'était qu'un détail, ce n'était clairement pas la chose la plus importante à retenir à part le fait qu'elle ait mené à son évolution.
Désormais, il appréciait de nouveau la vie. Il avait eu du mal, beaucoup de mal. Mais parler à tous ces gens, les côtoyer, leur apprendre des choses ou tout simplement discuter avait peu à peu fissuré sa carapace. Elle était bien là mais elle s'effritait toujours un peu plus.
Chaque sourire qu'il recevait l'émouvait toujours plus, inondant son cœur vide d'une goutte d'amour qui remplissait lentement le vase de son deuil. Toutefois, c'était un vase qui ne pourrait jamais déborder.
- Bonjour monsieur Kim.
Une jeune femme d'une vingtaine d'année attira son attention, le stoppant dans son action.
Après avoir constaté l'ampleur de son commerce, il avait fabriqué une petite cabane à côté de sa maison, constamment ouverte et qui n'était autre qu'un petit salon chaleureux.
A l'entrée se trouvait un chapeau, qui voulait pouvait déposer des petites pièces, sans pour autant que ce ne soit obligatoire.
- Bonjour à toi, il répondit avec douceur, s'essuyant ses mains pleines de terre. Appelle-moi Gwang Hyeon.
En plus d'étaler ses connaissances à qui voulait, il s'était ouvert au point de tutoyer tout le monde et de les forcer quelque peu à l'appeler par son prénom. Maintenant qu'il avait goûté à cette convivialité, il souhaitait l'emmener jusqu'au bout.
- Tu peux m'appeler Giselles alors.
D'un sourire commun ils se posèrent sur les fauteuils de la cabane, le plus âgé servant deux tasses de chocolat chaud fait maison et dont lui seul connaissait l'ingrédient secret.
- Alors, que viens-tu faire ici ? J'espère que ce n'est pas que pour mon chocolat chaud, rit Gwang Hyeon.
- Non non, je voulais en savoir plus sur le Cleistocactus, rougit-elle, embarrassée.
Un franc sourire naquit sur ses lèvres alors qu'il entama ses explications, explications que buvait la jeune femme déshydratée et assoiffée de connaissances.
Le soir vint, et il fallut se quitter.
C'est après une promesse de se revoir demain qu'ils se quittèrent. Si elle avait le cœur léger, lui l'avait lourd et pesant.
Il la regardait partir, son dos se mouvait au rythme de ses pas, le berçant. Il le rendait triste et joyeux à la fois ; elle lui rappelait ses souvenirs de grand-père. Il était heureux de la revoir et triste à la fois.
Parviendra-t-il à passer outre ses sentiments ?
Parviendra-t-il à ne pas rechuter ?
Il se coucha la tête pleine à craquer de questions sur son avenir et surtout le lendemain.
Ses journées s'annonçaient mouvementées en émotion.
Et pourtant, il ne devrait pas se questionner ainsi puisque demain il ne se relèverait plus.
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