Je me trouvais dans la cage d’escalier. L’air me manquait. J’avais du mal à contenir le stress que je ressentais à ce moment exact. Ce n’était pas tant que je n’ai jamais vu Lestat tué ou se montrer aussi cruel, aussi monstrueux mais que c’était la goutte d’eau qui faisait déborder le vase. Il était simple de voir que Lestat était un monstre après une telle démonstration de sa cruauté. Mais il n’y avait que moi comme témoin. Je me sentais à des lieux de mon Lestat tendre qui m’apprenait comment tuer, comment être un vrai vampire…
Nous étions alors dans une vaste forêt. La Nouvelle-Orléans était loin de nous alors. Je n’étais pas un vieux vampire, non. J’avais été fait depuis peu. C’est un des rares souvenirs de cette période. La forêt était emplie de parfums rares et mon nouvel odora m’en transmettait toutes les nuances, avivant en moi une soif de ces différentes odeurs nouvelles et envoûtantes. J’eus cru un instant aux fées des forêts, à ses elfes, à ses farfadets et korrigans. Tous ces êtres mythiques qui avaient accompagné mon enfance le soir venu. J’étais satisfaite par ce voyage et étais loin d’imaginer son véritable but, comme on dit, les enfants sont bien innocents. J’étais alors ce que mon apparence laissait apercevoir, une enfant vampire. Mon humanité était collée à ma peau comme une vieille carapace qui ne voulait pas s’en aller. Mais Lestat m’avait assuré que c’était normal. ‘Ton humanité va mettre un certain temps à s’en aller. Il te faudra t’en débarrasser, entièrement. Car au contact de ta vraie nature, elle pourrait te blesser comme elle a blessé Louis.’
Elle l’avait regardé avec une lueur d’interrogation dans les yeux. ‘Explique-moi.’ Les enfants posent toujours des questions simples. Malheureusement ils attendent toujours des réponses simples. Or les adultes ne peuvent leur offrir de réponses simples même si c’était possible, ils ont toujours le sentiment que la réponse simple prive les enfants de ce qu’une réponse compliquée pourrait leur apporter. Ils ne se soucient qu’ensuite de ce que les enfants peuvent comprendre. Il n’y a aucun mal à faire des réponses simples, c’est toujours mieux que tenter de simplifier une réponse compliquée. Mais Lestat n’était pas un adulte normal. Soit il s’était dressé contre la normalité sous toutes ses formes, soit il était un homme extrêmement simple, en fait je pencherais pour la deuxième proposition.
‘Il a contrarié sa nature et il a dû se nourrir de rats.’ Mais le problème avec les réponses trop simple c’est qu’elles oublient des détails et souvent pas les moindres. Lestat n’aime pas raconter sa vie et encore moins celle des autres. Il est un homme simple, sa simplicité est parfois un peu complexe à comprendre mais dans l’ensemble il agit dans sa nature –simplement. Il n’y a pas grand chose à espérer de lui, pas d’explication profonde de la vie ou de ses actes. Il en ignore la signification ou s’en moque. Mais avec un cerveau de vampire j’avais compris l’essentiel. Louis n’avait pas accepté sa nature de vampire car il avait gardé son humanité ce qui l’avait amené pour ne pas tuer des humains à se contenter de rats. Quelle horrible extrémité ! Je pus le constater par la suite que Louis considérait son humanité comme précieuse.
Cette nuit là dans la forêt il n’était pas question de Louis mais de moi. Lestat savait que je pouvais me nourrir goulûment et discrètement mais il voulait m’apprendre à chasser au grand air comme il disait. Il m’avait habillé comme une enfant de classe moyenne lui-même étant vêtu pauvrement ce qui était relativement rare. Nous marchions à travers la forêt épaisse. J’étais heureuse d’avoir des bottes aux pieds. Nous atteignîmes la cabane du bûcheron et de ses filles. Lestat avait sa main posé sur mon épaule.
« Ma chérie, cet homme est un tueur d’ours. Il est fort comme un bœuf alors méfie toi. D’accord ? »
J’avais hoché de la tête avec un immense sourire. Mon ventre était broyé par l’excitation mais à vrai dire ce n’était guère douloureux. Il faut dire qu’étant un vampire je n’utilisais plus tout le système digestif, en résumé, sans entrer dans les détails, les souffrances corporelles qui sont le lot de tout homme ne me concernait plus –pas que je sois une femme et qui plus est un enfant. Je dois vous avouer que tuer est non seulement une source de plaisir par le sang mais aussi une activité sportive pour tout vampire qui se respecte. Chasser l’humain demande pour ceux qui savent choisir leur proie et qui ont le goût de la chasse, de la patience, de l’intelligence et de la violence. Un cocktail détonnant dont Lestat raffolait –dois-je préciser qu’il me l’a transmit ?
« Son sang doit en être d’autant plus doux et capiteux, non ? Hum, comment allons nous nous y prendre ? »
Lestat me fixait à l’époque avec un regard paternel plein d’amour et de bonnes intentions. Il se montrait toujours très doux avec moi et patient. Bien sûr ce n’était rien comparé à Louis, on aurait dit que j’étais faite de verre, si fragile que j’eus besoin d’une grande protection. Louis ne me laissait pas souvent seule, il avait l’air de craindre quelque chose mais les années passant il perdit ce goût pour la protection sans cesse. Je ne peux pas dire que je regrette, avoir plus de liberté n’est pas sans plaisir, mais j’ai l’impression qu’il s’éloigne de moi de jour en jour aujourd’hui. Lestat me sourit.
« Ma fière chasseuse ! Si tu savais comme j’admire ta façon de réfléchir. Je suis heureux que tu sois ma fille. Mais passons aux choses sérieuses. »
Lestat ne s’attardait jamais sur les compliments ou les mots doux à l’époque, aujourd’hui il ne m’en adresse aucun. Les platitudes ont remplacé tout cela. La froideur est devenue la seule chose qui nous lie. Nous sommes des damnés contrains de vivre ensemble. Quelle tristesse !
« Nous allons commencer par une petite diversion. » lâcha-t-il d'une voix pleine d'enthousiasme.
« Je serais la diversion ? » demandais-je alors.
« Oui ma chérie. Tu frappe à la porte et demande à manger. Pendant ce temps je passe par le toit, tue les fillettes. Pour le tueur d’ours on s’y prend à deux, ok ? »
Je hochais la tête silencieusement. Un sourire avide s’afficha sur mes lèvres. La chasse à l’homme n’était pas seulement un sport ou un amusement pour moi. Lestat m’avait appris que c’était une des choses primordiales pour un vampire. Si plus rien ne nous amuse, il nous reste la chasse. Nous sommes des chasseurs sans nom et sans visage, blanc comme des fantômes impalpables et aussi mystérieux que la mort. Lestat prit un peu de terre et m’en frotta le visage. Je faisais la grimace essayant de ne pas rire. Quand il eut finit, il se redressa contemplant le résultat.
« Tu es la plus jolie fille pauvre qu’il m’ait été donné de voir. »
Je souriais. Il aimait me faire des compliments à l’époque. Il se sentait fier de moi et j’appréciais qu’il le soit. Il me fit un petit signe de la main avant de disparaître dans la nuit. Je m’approchais de la maison avec une peur au ventre. J’étais une enfant physiquement et mes pouvoirs surnaturels étaient moins développés. Je prenais à chasser du gros gibier plus de risque. Lestat insistait toujours pour que je ne sorte jamais seule. Mais en fait, il n’avait pas besoin de le faire, Louis me surveillait toujours. Je sentis en y pensant son parfum. Je secouais la tête, je me faisais des idées, Louis n’était pas ici.
Je frappais à la porte ayant prit ma respiration. Je sais que je suis un vampire, je n’ai aucun besoin de reprendre ma respiration comme le ferait un mortel mais c’est une vieille habitude. Je guettais les gestes du tueur d’ours. Il ouvrit la porte. Ce qui me frappa en premier c’était sa barbe grisonnante. Elle était énorme, on aurait dit le père Noël. Il était habillé simplement, une vieille chemise sale, un tablier en cuir, un pantalon de toile couvert de plaque de terre. Il portait une paire de botte immense. Je crois que j’eus un mouvement de recul. Il avait les sourcils broussailleux et il était difficile de voir ses yeux.
« Que faites-vous là ? Vous devez êtes bien innocente pour vous aventurer jusqu’ici. » demanda le tueur d'une voix rauque et d'un ton dur.
« Ma famille… on a faim. Mon père a dû aller travailler au nord. On ne le voit plus. On meurt de faim dans la vallée. »
« C’est pas mon problème. Les gens de la vallée sont tous pareils. Ils croient qu’ils sont mieux que moi, tu sais ce qu’ils m’ont dit ? ‘Nous ne voulons pas d’assassin chez nous’ Quelle bande de lâche ! Ils sont incapables d’assumer leur besoin et ils croient que je vais tout oublier parce qu’ils ont besoin de moi ? »
La colère et la rancœur se voyaient dans le fond de ses yeux. Il avait subit beaucoup de chose dans sa vie, son visage le montrait. Il avait l’air ravagé et cependant c’était un homme fort qui avait subit sans broncher les obstacles qu’on lui avait posés sur sa route. Il était difficile de ne pas s’apitoyé sur son sort. Mais je n’avais pas vraiment la tête à ça. J’entendis les bruits de deux corps tombant sur le sol. Les fillettes étaient mortes. Il fallait continuer à distraire le tueur d’ours.
« Mais monsieur, vous ne pouvez pas nous laisser mourir de faim ! »
Il y eut quelque chose dans les yeux de l’homme… Lestat apparut derrière lui, ses cheveux blonds ondoyant. Il brisa la nuque d’un seul coup. Je levais vers lui mes yeux admiratifs. J’étais encore à l’époque naïve. Lestat brisa les jambes du tueur et l’abaissa à ma taille. Je bus goulûment le sang. Mais Lestat ne me laissa pas le prendre entièrement. Il m’avait réservé une surprise.
En montant, je pus constater qu’il n’en avait tué qu’une. Le corps sans vie d’une fillette de 12ans recroquevillée sur elle-même. Elle était exsangue. Je vis alors l’autre. Elle était assise contre le lit, les genoux repliés. Elle pleurait sans doute effrayée par la mort de sa sœur. Elle serait contre elle un nounours. Elle avait de grands yeux noirs qu’elle leva vers moi. Elle était touchante dans sa peur. Elle croyait que je venais l’aider. Si elle savait… Je m’approchais d’elle et tendis la main vers elle. Je lui murmurais des paroles douces et rassurantes. Elle se leva avec des gestes maladroits. Elle réussit à me rejoindre au prix d’immenses et douloureux efforts. Elle s’effondra dans mes bras. Je nichais ma tête dans le creux de sa nuque et bus doucement son sang.
Soudain le visage de Louis apparut à la fenêtre. Un visage lisse et blanc, terrifiant. Je lâchais ma victime et reculais sous l’effet de la surprise. Je dus marcher sur le corps inerte de la fillette pour rejoindre la fenêtre que j’ouvris. Louis n’était plus là mais je savais qu’il m’avait vu tuer. J’avais lu sur son visage une profonde déception. Je savais qu’à présent il m’en voudrait. Ou simplement ne serait plus aussi doux avec moi. Lestat me rejoignit et je fis comme si je n’avais pas vu Louis.
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